La stratégie du désespoir (Jean-Luc Mélenchon)

mardi 18 janvier 2022.
 

La plupart des instituts, à l’exception de deux, ne comptabilisent plus que les intentions de vote des sondés se disant tout à fait certains d’aller voter. Ce faisant, ils excluent près d’un sondé sur deux. Donc évidemment les échantillons affichés sont faux, puisqu’il faudrait les diviser par deux pour obtenir le nombre réel de personnes sur lesquelles l’intention de vote est mesurée.

Chacun sait ce qu’est une prophétie auto-réalisatrice. Lorsqu’une prédiction est suffisement répétée, elle finira par se réaliser, non du fait de sa pertinence initiale mais bien de sa répétition. La technique est bien rodée ces temps-ci dans l’univers politique. Le premier exemple est celui des sondages. La plupart des instituts, à l’exception de deux, ne comptabilisent plus que les intentions de vote des sondés se disant tout à fait certains d’aller voter. Ce faisant, ils excluent près d’un sondé sur deux. Donc évidemment les échantillons affichés sont faux, puisqu’il faudrait les diviser par deux pour obtenir le nombre réel de personnes sur lesquelles l’intention de vote est mesurée.

Les sondeurs expliquent qu’ils essayent par cette nouvelle méthode de mieux mesurer l’abstention. Il faut dire qu’ils devaient bien montrer qu’ils faisaient quelque chose après leur échec cuisant lors des élections régionales. Mais considérer qu’un électeur qui ne se dit pas « tout à fait certain » d’aller voter plusieurs mois avant l’échéance veut dire forcément qu’il sera le jour J abstentionniste a-t-il un sens ? Évidemment, non. La sociologie a démontré que certaines catégories sociales, notamment les classes populaires et la jeunesse, commencent à s’intéresser plus tard à la campagne traditionnellement que les retraités et les bourgeois.

Dès lors, exclure ceux qui ne sont pas certains d’aller voter dans quelques mois des intentions de vote n’est pas neutre socialement. Cela fabrique un résultat où les ouvriers, les employés et les jeunes ne jouent qu’un rôle marginal. Mais cette façon de faire peut avoir un effet non négligeable sur le jour du vote réel. Car les sondages ne sont pas seulement des instruments de mesure. Ils sont des acteurs des campagnes électorales. Ils servent de matière première pour légitimer ce dont les commentateurs vont parler, avec quel type d’analyse, par quel ordre de priorité ils vont traiter les candidats, etc. On voit donc que les sondages modèlent une partie de la campagne électorale médiatique.

Donc leur annonce constante d’un résultat minoré pour le pôle populaire du fait de l’exclusion systématique d’une partie de son éléctorat peut se transformer en prophétie auto-réalisatrice. Car prédire une défaite n’est pas très mobilisateur. Dès lors, en prédisant que l’abstention des milieux populaires sur une base erronée au départ, on peut très bien provoquer au final leur abstention réelle. Voilà pourquoi il faut décortiquer les méthodes des instituts de sondage et les faire connaître. Pour que ceux qui en reçoivent les informations ne les prennent pas pour argent comptant. Nous avons essayé d’interpeller la commission des sondages sur les graves problèmes de déontologie que pose cette façon de sonder. Manuel Bompard, directeur de campagne, leur a écrit en juin et les a recontré en septembre. Cela n’a donné lieu à rien. Il ne me reste donc que ma voix et mes médias pour faire connaitre cette vérité.

Cette stratégie du desepoir auto-réalisateur se décline d’une autre façon au sein de l’espace de la vieille gauche, constitué essentiellement des différents morceaux qui restent de la gloire passée du PS. Tous chantent depuis des mois la même chanson : si nous ne sommes pas unis, nous ne pouvons pas gagner. Et maintenant que l’évidence éclate au grand jour, à savoir qu’ils ne sont pas plus unis maintenant qu’il y a 6 mois, il leur faut répondre à cette question : que faites-vous encore là, puisque vous pensez vous-même que vous allez perdre ? Si ces oiseaux de malheur ne faisaient du mal qu’à eux-mêmes, cela ne poserait pas de problèmes. Mais ils essayent d’entrainer le pôle populaire, qui n’a jamais adhéré à la stratégie de l’union à tout prix, dans leur chute.

C’est une machine à désespérer. « Pas de victoire sans union » veut dire « pas de victoire » puisqu’il n’y a et n’y aura pas d’union. Je l’ai déjà dit : ce qui compte, ce n’est pas l’union mais la mobilisation. Les partisans de la « primaire populaire » devraient être les premiers à s’en rendre compte. Ils veulent organiser une primaire avec tous les candidats de gauche. 300 000 personnes ont signé pour le faire, avant de savoir quels seraient les candidats. Chacun doit maintenant dire s’il s’inscrira sur la liste de vote ce qui suppose de transmettre un document d’identité. Mais même 300 000 personnes c’est bien peu par rapport aux 2 millions de votants de la primaire des seuls PS et PRG organisée en 2017. En toute hypothèse le gagnant de cette votation pourra se prévaloir de moins de soutiens qu’il n’y a de parrainages citoyens à ma candidature, c’est-à-dire plus de 270 000. Bref, il faut donc là-aussi se détacher de cette prophétie auto-réalisatrice de l’union comme condition à la victoire. Jamais l’histoire électorale française n’a confirmé ce théorème. À 3 mois de l’élection présidentielle, concentrons nous sur l’objectif réel : mobiliser.


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