Marine Le Pen : l’autre candidate des riches

vendredi 28 mai 2021.
 

En 2011, héritant du Front national, Marine Le Pen menait au son du clairon un « virage social ». Dix ans plus tard, elle opère un discret « looping libéral » : rassurer les portefeuilles. Plongeant dans les tracts et les programmes, je retrace ici cinquante ans de discours économique du Front national. Où le mot « inégalités », par exemple, n’est jamais prononcé.

On a les joies qu’on peut durant les week-ends pluvieux : je me suis plongé dans les programmes du Rassemblement national, dans sa partie « économique et social ». C’est une remise à jour, en fait : j’avais déjà effectué ce travail en 2013, après l’élection présidentielle. A force d’entendre Marine Le Pen et Florian Philippot causer des « dogmes de l’ultralibéralisme », du « règne déchaîné de l’argent-roi », réclamer du « protectionnisme », je m’étais demandé : « Mais depuis quand ils causent comme nous ? »

J’avais interrogé par courriel un intello copain, qui m’avait vertement tancé : « Nous ne partageons rien avec le FN : le FN nous a pillés, c’est tout autre chose ! » Mouais. J’avais insisté, quand même : « Connaîtrais-tu des collègues universitaires qui auraient travaillé sur le renouvellement de doctrine économique du FN ? » Et lui d’admettre : « Ça c’est une colle... Je fais a priori le pari que ça doit exister – mais où ? Je vais chercher un peu et si je trouve quelque chose je te dis. »

J’avais cherché, aussi. Je m’étais tapé une palanquée de bouquins sur Le Pen père et fille. Mais ces livres se centraient sur leur racisme, leur antisémitisme, leur laïcité à géométrie variable, mais ces livres effleuraient à peine la question économique. Ou alors, ils adoptaient un point de vue très orthodoxe, conformiste, « le protectionnisme c’est la guerre », etc., qui ne saurait être le mien.

Du coup, comme ce boulot ne semblait pas mené, j’avais a décidé de m’y coller. C’était le temps où j’avais du temps : je m’étais rendu plusieurs journées à la Bibliothèque nationale de France, aux Archives parlementaires, au Service des élections de la préfecture d’Arras, etc., pour retrouver des vieux tracts du Front national, en faire l’archéologie :

Dans les années 70, les tirades contre « les propagandistes de la subversion marxiste », l’immigration alors absente du discours. Dans les années 80, Jean-Marie Le Pen joue à « plus européiste que moi tu meurs », il approuve l’Acte unique européen, l’abolition des frontières, en appelle à « la construction d’une Europe politique, économique et militaire. »

Et puis, après la chute du mur, dans les années 90, c’est le grand basculement : « L’Europe de Maastricht, c’est l’Europe cosmopolite et mondialiste. » Je ne vais pas m’étaler sur l’archéologie ici : pour les plus intéressés, j’en ai tiré un petit livre, toujours disponible : « Pauvres actionnaires ! Quarante ans de discours économique du Front national passés au crible » (éditions Fakir). J’en viens directement à 2012.

2012 : les « inégalités » absentes

Le plus éloquent, dans le programme du Front national, en 2012, c’était ce qu’il taisait : ses omissions. Sur les 106 pages de « Notre projet », le mot « inégalités » ne figurait pas, ni « inégalités de revenus », ni « inégalités dans l’accès au logement », ni « inégalités face à l’école ». Les « classes », bien sûr, sont absentes, tout comme les « injustices sociales ». Il n’y a pas de « riches », pas de « pauvres ». La « pauvreté » n’est pas mentionnée, ni la « précarité ».

Qu’énonçait ce parti sur l’ « intérim », par exemple, passage obligé pour la jeunesse populaire ? Rien. Quoi sur les « stages » à répétition ? Rien. Quoi, à l’autre bout, sur les « dividendes » ? Rien. Certes, c’est pour augmenter ces dividendes que les usines fuient vers l’est depuis trente ans, certes, ces dividendes écrasent non seulement les salaires mais aussi l’investissement, certes leur part a triplé dans le PIB, mais « dividendes » n’est toujours pas entré dans le vocabulaire du Front national. Pas plus qu’ « actionnaire », d’ailleurs ! L’ « actionnaire », c’est la figure majeure de l’époque, c’est lui qui fait la pluie et le beau temps, c’est pour lui qu’on délocalise, c’est pour lui qu’on baisse les impôts, sur les sociétés, sur la fortune, mais pour le FN, l’ « actionnaire » n’existe pas ! Pas plus que « fortune », bien sûr.

Se dessine alors le pays idéal du Front national : nous sommes tous Français, et qu’importent les riches et les pauvres. Si les actionnaires français, dans des entreprises françaises, se gavent avec des dividendes français sur le dos de salariés français et de précaires français, tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes.

En toute franchise, au début de mon étude, sur l’économique et le social, je craignais d’être beaucoup plus proche du Front national. A l’arrivée, c’est un fossé qui m’en séparait.

Jeunesse : copié-collé du macronisme

J’en étais là, donc, j’en étais resté à 2012. Pourquoi j’ai remis les couverts ce dimanche ? Il y a deux semaines, je rédigeais mon rapport parlementaire sur la jeunesse populaire, et justement, Marine Le Pen faisait son 1er mai sur la jeunesse. Je l’ai écoutée, puis lue. C’était stupéfiant. Quelles furent ses annonces ?

Première mesure : « Je proposerai une évolution de la fiscalité des successions et des donations qui sera tournée vers une plus grande mobilité du capital entre les générations. » Ma surprise, c’est qu’un mois plus tôt, tout juste, Bruno Le Maire avait proposé la même chose ! « Permettre à des grands-parents de soutenir leurs petits-enfants, de donner quelques milliers d’euros sans aucune taxe, sans aucun impôt, cela me paraît juste. C’est une politique de justice pour les classes moyennes, pour la solidarité entre les générations. » Un choix de bon sens… pour les riches : l’on peut déjà, de son vivant, sans payer d’impôt, verser 100 000 € par enfant tous les quinze ans. Plus 100 000 € non taxés au décès. Alors que, tout au long de leur vie, 90 % des Français perçoivent moins de 100 000 € d’héritage…

Deuxième mesure : « Des prêts publics plafonnés à taux zéro seront octroyés aux jeunes. » Stanislas Guérini, le patron d’En Marche !, portera-t-il plainte pour plagiat ? Lui suggérait pour les jeunes, en début d’année, avant de se faire rabrouer, « un prêt de 10 000 euros, avec un montant remboursable sur une période très longue, trente ans, à taux zéro. »

Troisième mesure : « Nous généraliserons un chèque formation destiné aux entreprises qui prennent en formation un jeune : apprentissage, alternance ou professionnalisation. Le chèque pourra atteindre des niveaux non négligeables autour de 5000 à 6000€ par an. » C’est toute la politique jeunesse du gouvernement depuis l’été dernier ! On aide les jeunes en aidant les entreprises, et sans limite, pour un coût de 9 milliards d’euros. Comme le dit la ministre du Travail : « L’État prend en charge la quasi-totalité du coût de l’embauche d’un apprenti la première année. »

La seule mesure, énoncée par Marine Le Pen, qui n’a pas (encore) le copyright En Marche !, est encore plus libérale : « Nous accompagnerons le dynamisme de nos jeunes qui se lanceront dans l’entrepreneuriat. » Comment ? Par « une dotation en fonds propres égale à ses propres apports ». Donc, ceux qui ont beaucoup recevront beaucoup. Quant à ceux qui ont peu…

Surtout, si elle s’accorde avec Macron pour vanter l’ « entrepreneuriat », quoi pour le salariat ? Quoi, côté peu qualifiés, quoi pour une entrée moins pénible dans le monde du travail ? Quoi pour la jeunesse populaire, qui voudrait poursuivre des études sans un job le matin et un autre le soir ? Quoi pour des métiers qui paient, correctement, régulièrement, qui assurent une stabilité, et qui aient également du sens ? C’était le grand vide.

Ces mesures étaient de droite, de droite libérale, de droite macroniste, et elles tranchaient avec les accents popu que Marine Le Pen arborait en 2012. « Tiens, je me suis dit, il faudrait que je retourne voir… »

Damien Rieu : le parachuté qui prône les racines

Un autre événement est survenu, qui a précipité mes recherches : Damien Rieu, l’ex porte-parole, fondateur, dirigeant de Génération identitaire, a débarqué dans la Somme. Il est candidat à l’autre bout du département, dans le canton de Péronne. C’est le coin de mon père, le Santerre, et dans ma tête, dans mon enfance, dans mes vacances, je me sens de là-bas. Aussi bizarre que ça paraisse, c’est mon paysage, ces grandes plaines de betteraves et de patates, ces cimetières de soldats, allemands, français, anglais, australiens, chinois, de tous ces gars qui sont venus se faire tuer loin de chez eux. Bon, je me suis dit, on va essayer de repousser le parachuté, qui vient prôner les racines, sans rien connaître ni aux betteraves ni aux patates.

C’est pas gagné.

Déjà parce que, la dernière fois, il y a six ans, le Front national n’a perdu qu’à 187 voix près. Ensuite parce que l’actualité nationale, les attentats, la sécurité, etc. donne des ailes au RN. Et enfin, parce que le camping municipal va accueillir onze familles étrangères, en voie de retour dans leur pays. Des réfugiés avaient déjà séjourné à Péronne, et ça s’était bien passé : ils avaient témoigné au lycée, découvert la neige… Mais cette fois, avec intelligence politique – on ne gagne rien à mépriser ses adversaires – Damien Rieu s’en est immédiatement saisi, « Non au camp de migrants à Péronne ! », avec tracts, pétitions, articles dans la presse…

Comment répliquer ?

On pourrait, certes, organiser une manif, faire venir des intellectuels, mobiliser des politiques nationaux, et l’on entendrait scander : « Non au fascisme ! A bas la haine ! », avec sans doute une contre-manif des frontistes, des altercations, les gendarmes au milieu. Ce bazar, je le crains contre-productif, guère de nature à convaincre les gens du coin. Ici, comme ailleurs, on n’adore pas quand les Parisiens se pointent, et en plus pour nous faire la morale.

Comment répliquer, alors ?

Par la seule chose que je sache faire, au fond : par de l’information. Sur son mouvement, Génération identitaire, lancé par une « Déclaration de guerre », qui se définit comme une « communauté de combat », et lui-même comme un « guerrier de la race blanche ». Sur la dissolution par le Conseil d’Etat, en mars dernier, parce qu’avec ses « milices privées » et ses « camps d’été », ce groupe fait courir « des risques pour l’ordre et la sécurité publique », incitant « à la haine et à la violence ». Sur ses copains, qui dessinent des croix gammées sur la plage, qui effectuent des saluts nazis, qui menacent les policiers avec un pistolet-mitrailleur - et jusqu’à un attentat commis par un mécène en Nouvelle-Zélande, 51 morts à la clé. Y a un palmarès sur le Net, il suffit de piocher.

En revanche, on n’y trouve rien sur ses omissions.

Rien sur des pans entiers de la société.

En un an, Damien Rieu a produit plus de 8600 tweets : près de trente par jour ! C’est une manie… Mais combien sur nos retraites ? 0. Combien sur les fermetures de lits dans les hôpitaux ? 0. Combien sur la suppression de l’ISF ? 0. Combien sur les délocalisations ? 0. Alors que, en un an, en douze mois de crise sanitaire, les milliardaires ont vu leur fortune bondir de 55 %, plus 135 milliards, lui ne tape que sur un ennemi : les étrangers, les étrangers, les étrangers. C’est un détournement de colère.

Et peut-être que ça comptera aussi, dans leur choix, pour les habitants : qu’il n’ait rien dit sur les écoles, la santé, le logement, l’emploi… Qu’il ne connaisse ni Flodor (même les chips quittent la Picardie !), ni Mohair, ni Descamps, ni Mobidécor, ni la sucrerie de Dompierre, autant d’usines fermées ces dernières années… Qu’il ignore la longue paume et la grosse Bertha !

Alors, voilà, avec Angelo, ancien syndicaliste chez Flodor, avec Magali, aide-soignante à l’hôpital de Péronne, avec Guillaume, prof de sport dans le secteur, on a co-signé un quatre pages Picardie debout ! qui sera distribué dans les treize mille foyers du canton. Sans les caméras, sans les micros, avec discrétion.

Est-ce le bon choix ? Est-ce que ça suffira ? Je ne sais pas.

Mais ça m’a interrogé, du coup : est-ce que cette figure, d’une génération identitaire montante, défendant la race, contre les musulmans, ce candidat qui n’a rien à dire sur l’économique, rien sur le social, est-ce un nouveau virage du Front national ? Ou plutôt le très ancien, qui revient ?

2021 : rassurer les financiers

A la mi-mai, Marine Le Pen a fait paraître une tribune dans L’Opinion. C’est un choix, en soi.

L’Opinion, c’est le plus libéral des quotidiens, la voix du néo-patronat, co-financé par Bernard Arnault. Et c’est bien à cette élite, de la finance, qu’en quelques paragraphes Marine Le Pen vient s’adresser, qu’elle rassure : « Ayons des idées claires et du bon sens sur la dette. » Certes, concède-t-elle, « rien n’empêche la BCE de conserver ces titres de façon indéfinie, de les transformer en dettes perpétuelles, voire même de les compenser avec les réserves comptables (équivalant à une annulation de dettes). Nous sommes dans la droite ligne de la théorie monétaire moderne post-keynésienne. »

Certes, tout cela est possible, mais elle opte pour un autre chemin, plus classique, plus orthodoxe : « Oui, une dette doit être remboursée. Il y a là un aspect moral essentiel. A partir du moment où un Etat souverain fait appel à une source de financement extérieure, sa parole est d’airain. Il s’organise pour rembourser sa dette contre vents et marées. » Soit, mais comment ? Par une hausse des impôts ? Par une coupe à la hache dans les dépenses publiques ? La santé ? L’armée ? Les retraites ? L’éducation ? Et à quels « vents et marées » contraires fait-elle allusion ? Le peuple ? Préférera-t-elle les financiers aux ouvriers ? « Qui paie ses dettes s’enrichit », conclut-elle en bonne mère de famille.

Quelle sagesse ! Elle se revendique d’ailleurs, désormais, du « pragmatisme » à l’égard des fonds internationaux, et même de la Banque centrale européenne. Ce que la candidate vient dire ici, aux dirigeants du capital, et elle choisit son lieu, c’est : « Ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas d’aventure. »

C’est avec des accents nettement plus batailleurs, conflictuels, que Marine Le Pen prenait la tête du Front national, à Tours, il y a maintenant dix ans, en mars 2011 : « L’Etat est devenu l’instrument du renoncement, devant l’argent, face à la volonté toujours plus insistante des marchés financiers, des milliardaires qui détricotent notre industrie et jettent des millions d’hommes et de femmes de notre pays dans le chômage, la précarité et la misère. Oui, il faut en finir avec le règne de l’argent-roi ! »

Cet argent-roi, susurre-t-elle désormais, ne doit pas s’effrayer. Le Smic ne sera pas augmenté. Et elle s’oppose à la levée des brevets. Les firmes peuvent se tranquilliser. Et quand surgissent des scandales, elle se tait.

« Un manoir, deux yachts, six paradis fiscaux, huit cabinets de conseil : voilà le patrimoine offshore de Bernard Arnault. » Fin 2017, une fuite du cabinet d’avocats Appleby mettait en lumière un petit bout des paradis fiscaux, à hauteur de 350 milliards : des grands groupes étrangers étaient concernés, Facebook, Twitter, Uber, Glencore, Whirlpool, Wells Fargo, etc. Mais aussi des français : Dassault Aviation, Engie, Total… Macron fit vœu de silence. Bruno Le Maire ne bougea pas un petit doigt. Mais Marine Le Pen, elle non plus, n’émit aucun tweet, le Rassemblement national, aucun communiqué. La lutte n’était pas engagée.

Et bis repeta. « OpenLux : Enquête sur le Luxembourg, coffre-fort de l’Europe » titre le Monde, en ce début d’année. 15 000 Français, les plus riches bien sûr, Hermès, Mulliez, Arnault dans le lot, cachent leurs millions au Luxembourg : 100 milliards en tout, l’équivalent de 4% de notre PIB. C’est un hold-up géant. Et pourtant, silence complice au gouvernement, comme chez Marine Le Pen. Un silence qui est plus que d’or, ici, carrément de diamant.

Et idem : en un an de crise sanitaire, le pays compte un million de pauvres en plus. Pendant que le CAC 40, lui, verse 51 milliards de dividendes : le budget de tous nos hôpitaux ! Mais qu’en disent les deux partis ? Macronistes contre lepénistes ? Rien. Rien de rien. Là-dessus, ils sont au fond alliés.

***

Le programme de 2017, que j’avais jusqu’alors négligé, que j’ai épluché hier, a marqué une étape sur ce chemin, sur cette conversion au « pragmatisme ». Dans ses « 144 engagements présidentiels », on ne trouve pas plus « riches », « pauvres », « précaires », « fortune », « inégalités », « intérim », qu’auparavant.

Mais là où, en 2012, le projet s’ouvrait sur « organiser le redressement économique et social », ces questions sont désormais relégués au fond, en troisième partie : après « une France libre » et « une France sûre ». Et surtout, en cinq ans, bien des idées sociales ont disparu : « Tous les salaires jusqu’à 1500 € bénéficieront d’une augmentation de 200 € nets », promettait en 2012 Marine Le Pen. Disparu en 2017. « Baisse de 20% de la TIPP ». Disparu en 2017. « Les petits commerces seront défendus contre la grande distribution. » Disparu en 2017. « La taxe d’habitation, opaque, sera intégrée à l’impôt sur le revenu. » Disparu en 2017. « Un taux d’Impôt sur les sociétés relevé à 34% pour les grosses entreprises » Disparu en 2017. « Elargir l’assiette des retraites aux revenus du capital. » Disparu en 2017.

Ce fut un discret évidement, passé inaperçu : l’ADN du FN ne réside pas sur la valeur du Smic. Le discours du parti peut varier, faire des volte-face, sans susciter de tollé, ni même d’intérêt. Son identité, c’est l’identitaire.

Marine Le Pen : une fusée à trois étages

Voilà les faits linguistiques, les occurrences et les absences. Une rapide analyse, maintenant : c’est comme si la fusée Marine Le Pen se construisait par étages.

Le premier est hérité du père : le Front national, c’est le parti qui lutte contre les étrangers, les émigrés, les réfugiés. C’est acquis, inscrit dans la conscience des électeurs. Inutile pour elle d’insister, donc, quand elle reprend le FN.

Mieux vaut ajouter le second étage : social, pour s’arrimer les classes populaires. Aujourd’hui, c’est chose faite : dans les terres ouvrières d’Hénin-Baumont, elle est devenue la voix des oubliés, des humiliés. Que la gauche au gouvernement a tellement lâchés, il y avait peu de concurrence.

Vient donc le moment du troisième étage : rassurer les portefeuilles. Ne plus avoir les dirigeants des entreprises, des médias, contre elle. Donner des gages aux financiers. Non plus seulement « dédiaboliser » mais se normaliser, s’inscrire dans le paysage, épouser l’establishment : soyez sans crainte, ce sera « business as (presque) usual ». Voilà la petite musique qui monte : Marine Le Pen comme seconde face du macronisme, « l’autre candidate des riches ».

Je vais conclure, alors, sur une conviction, une prescription. Il y a vingt ans, les « 500 familles » pesaient 5% du PIB français. C’était 20 % à l’arrivée de Macron au pouvoir. 25 % après un an à l’Elysée. Aujourd’hui, les 35 % sont dépassés. C’est autant que nos impôts, et nos hôpitaux, n’auront pas ! Je ne vois pas d’autre issue que de marteler ça.

Que de s’accrocher à ça, et aux mille statistiques qui énoncent la même chose : l’explosion des inégalités. Sur le mode qu’on voudra, « lutte des classes » à l’ancienne, ou « France d’en bas contre France d’en haut », ou « les petits contre les gros », ou en citant Victor Hugo : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », ou en lui préférant Warren Buffett : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui la mène et nous sommes en train de la remporter », qu’importe l’outil, voilà le clou à enfoncer.

C’est sur ce terrain, social, économique, que nous devons centraliser, placer le débat, mener le combat. C’est cette voix, forte, incarnant une rupture, avec l’argent-roi, avec le libre-échange, qu’il faut faire entendre – à l’heure où Marine Le Pen ne le fera plus que timidement. C’est sur ce champ de bataille que nous pouvons retrouver le peuple, ce peuple qui a revêtu un gilet jaune et s’est dressé sur les ronds-points un samedi de novembre 2018, un peuple qui se prononce, massivement, très massivement, pour « un plan de réinvestissement dans les services publics » (93%), pour une « baisse de la TVA sur les produits de la vie courante » (92%), pour « taxer les dividendes des actionnaires » (85%), pour « augmenter le Smic » (81%), pour « rétablir l’Impôt de Solidarité sur la Fortune » (78%). Pour une politique de progrès, il y a là, sinon un boulevard, du moins un terreau. A Péronne comme ailleurs en France…


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