Allemagne : les amitiés alarmantes entre néo-nazis et policiers

samedi 27 février 2021.
 

L’agression de trois Guinéens, en août 2020, n’est que la partie émergée du problème de tolérance à l’égard des violences d’extrême droite en Allemagne. Les scandales de collusion entre les réseaux néonazis, la police et l’armée se multiplient, jetant le doute sur l’efficacité des services de renseignement.

A Erfurt, une ratonnade sur fond de Black Lives Matter

Après l’agression xénophobe d’Erfurt, lorsque trois réfugiés guinéens ont été tabassés par des militants néonazis, le 2 août 2020, dans la capitale du Land de Thuringe, les gros titres se sont succédé en Allemagne, suscitant une vague d’indignation sur les réseaux sociaux et beaucoup de questions sans réponses.

Pourquoi les agresseurs présumés ont-ils été relâchés ? Pourquoi une agression à caractère raciste commise sur des réfugiés par des extrémistes de droite, la plupart surveillés par les services de renseignement, ne justifie-t-elle pas une comparution immédiate ? Le trouble avéré à l’ordre public, contraire aux valeurs de la République fédérale, ne permet-il pas d’accélérer la procédure judiciaire ? Quid de l’incitation à la haine raciale ? Jusqu’où peut aller la terreur ? Et où finit l’impunité ?

En cette fin d’année 2020, la pression médiatique est retombée, une instruction est en cours. La colère se mélange à la lassitude. Nos demandes d’entretien avec le procureur et la police restent lettre morte : le cabinet du procureur renvoie vers la direction de la police ; la direction de la police renvoie vers l’attaché de presse du procureur.

Ulrike Meil est pédagogue sociale pour l’association Ezra. C’est elle qui a accompagné les trois victimes guinéennes dans leurs démarches juridiques. Le concept d’aide aux victimes de violences racistes et antisémites n’a cessé de se développer en Allemagne depuis les années 2000. Sous l’égide de l’ONG VBRG (Verband der Beratungsstellen für Betroffene rechter, rassistischer und antisemitischer Gewalt), des centres d’aide et d’accueil ont éclos partout dans les seize Länder.

En plus de recenser tous les actes de violence (sont listées dans cette catégorie les violences contre des opposants politiques, des élus ou des journalistes, qu’ils soient racistes, antisémites ou anti-LGBT), Ezra procure une assistance légale ou psychologique aux victimes. En Thuringe, le constat est sans appel : « Les chiffres sont en augmentation constante. En 2018, 166 violences d’extrême droite ont été recensées. » Soit une tous les trois jours.

« Tout le monde sait qu’il y a un endroit à éviter depuis les années 1990. La dangerosité du quartier de Herrenberg [à Erfurt – ndlr] est un secret de Polichinelle », souligne Ulrike Meil, elle-même originaire de la ville de 210 000 habitants. Au milieu des Plattenbauten colorés, ces grands ensembles d’habitation caractéristiques de l’ex-RDA, un ancien centre commercial a été racheté par la scène radicale, qui en a fait un « centre national révolutionnaire », avec concerts de rock, compétitions de sports de combat ou barbecues, « spécifiquement réservés aux Allemands blancs ».

Le logo du parti La Troisième Voie a longtemps figuré sur les murs marron en préfabriqué, tout comme des tags xénophobes « Fuck Asyl ». Situé à deux heures de voiture de Plauen, Erfurt compte parmi les antennes locales les plus actives du mouvement néonazi. Plusieurs tournois d’arts martiaux y ont été organisés dans le cadre du programme du parti « Jeunesse dans la tempête ». En 2020, La Troisième Voie avait appelé à remplacer le traditionnel défilé du 1er Mai par une « action décentralisée » devant une synagogue d’Erfurt.

Depuis deux ans, le président d’une association qui gère un centre de quartier à Herrenberg ne cesse de dénoncer les menaces à son égard. Des figures d’anges décapités auraient été laissées sur la voiture d’un de leurs employés. D’autres auraient été approchés afin de les intimider. Les habitants vivent dans l’angoisse. L’agression des trois réfugiés guinéens aurait dû être un électrochoc.

Quelques mois plus tard, rien n’a changé. Meil raconte que l’une des trois victimes, terrorisée, a déménagé dans une autre ville. Les deux autres refusent de parler, par peur de représailles. L’enquête semble enlisée. Face à la plainte pour coups et blessures déposée par les réfugiés, les militants néonazis ont porté plainte à leur tour, accusant les premiers d’être des dealers de drogue et de les avoir agressés. « La contre-plainte est une stratégie classique de l’extrême droite », souligne Meil.

Conséquence : les déclarations contradictoires s’enchaînent dans la presse, ajoutant à la confusion. La « ratonnade xénophobe » devient un « règlement de comptes sur fond de trafic de drogue ». « D’après une fuite relayée par certains journalistes, c’est la police qui aurait transmis cette information sur le casier judiciaire des victimes aux agresseurs, lors du dépôt de leur plainte. » Le problème ? L’information est fausse, aucune des victimes n’a de casier judiciaire.

Le lendemain de leur interpellation, les agresseurs présumés sont libérés par le procureur au motif qu’il n’existe aucun risque de fuite justifiant leur maintien en détention. « C’est peut-être correct du point de vue du code pénal mais c’est une catastrophe pour les victimes. Que des agresseurs, dont la plupart sont dans le radar des services de renseignement, se retrouvent en liberté envoie un signal d’impunité. Les lieux sont déjà identifiés comme un nid de néonazis. »

En outre, ajoute Meil, « il n’est pas rare que les victimes de violences d’extrême droite, principalement des réfugiés, fassent de mauvaises expériences avec la police. La plainte n’est pas enregistrée, l’agression est minimisée ou alors les policiers ne veulent pas y croire. Là, la police a d’abord évoqué une confrontation entre bandes rivales, avant de requalifier l’infraction en attaque xénophobe ». La même chose se serait-elle produite avec des terroristes islamistes ? « Comme partout, le racisme est endémique au sein de la police allemande », conclut Meil.

Outre-Rhin, le débat Black Lives Matter de l’été 2020 a eu d’autant plus de résonance qu’il est entré en écho avec un énième scandale néonazi touchant la police allemande. En juin, des accusations de « profilage racial », confirmées par la police de Saxe, ont suscité une levée de boucliers.

En juillet, l’affaire de la « NSU 2.0 », des lettres de menace de mort reçues par plusieurs responsables politiques engagés pour les migrants et signées par un groupuscule néonazi (en référence aux crimes racistes de la NSU), fait suspecter l’infiltration de la police du Land de Hesse par un réseau néonazi. Le chef de la police, ainsi que plusieurs fonctionnaires, doit démissionner. En septembre, 29 officiers de la police de Rhénanie-du-Nord-Westphalie sont suspendus pour avoir échangé des images néonazies dans des groupes WhatsApp.

Même chose dans les rangs de l’armée fédérale, où les collusions avec l’extrême droite se multiplient depuis 2017. 2017, l’année de la réédition de Mein Kampf d’Adolf Hitler. 2017, l’année où la Cour constitutionnelle allemande refuse, pour la seconde fois, d’interdire le parti néonazi NPD.

Il y a d’abord l’affaire Franco Albrecht qui marque l’actualité, du nom de cet officier membre d’un réseau d’extrême droite et auteur d’un projet manqué d’attentat qu’il voulait attribuer à un réfugié syrien. Suivra, en 2018, le démantèlement du réseau conspirationniste Hannibal, un groupe de discussion de 200 militaires se préparant pour le « jour J ». Sans oublier les sympathies néonazies du commandement des KSK, les troupes d’élite de l’armée dissoutes.

Le « cas isolé » – l’argument choc dégainé par le gouvernement fédéral en cas d’attentat ou de scandale – commence à devenir une mauvaise habitude. Sous pression, le ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, a annoncé en octobre 2020 qu’il lancerait une vaste étude sur le racisme dans la police, martelant un mantra qui ressemble fortement à un déni : « Nous n’avons pas de problème structurel avec l’extrémisme de droite au sein des services de sécurité. »

***

En vingt ans, l’Office de protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz – BfV), le service de contre-espionnage allemand mis en place pour protéger la sécurité intérieure, a doublé ses effectifs : ils étaient 2 085 employés en 2001 et au moins 4 000 en 2020. Sa dotation, issue du budget fédéral, était de 348 millions d’euros en 2017 (contre 137 millions en 2005).

120 000 personnes sont actuellement fichées comme « dangereuses » par le BfV en Allemagne, la partie émergée de l’iceberg extrémiste selon des experts. Filatures, écoutes téléphoniques, enquêtes sous couverture ou indics : les moyens de surveillance utilisés ne sont pas rendus publics.

À en croire son site Internet, le BfV ne lésine pas sur les moyens pour « protéger la démocratie ». Programmes de déradicalisation islamiste, centres d’accueil pour « décrocher » de l’extrémisme de gauche comme de droite, numéros de téléphone spéciaux pour signaler des comportements suspects défilent sur l’écran.

Hélas, l’accès des journalistes est plus verrouillé que les téléchargements des nombreuses brochures d’information. Le service de presse n’est pas en mesure de répondre positivement aux demandes d’entretien « en raison du grand nombre de sollicitations » et oriente vers le rapport annuel. Une culture du rapport qui est au fonctionnaire allemand ce que le multiculturalisme est aux années Merkel : une imposture.

Dans un excellent documentaire d’Arte interrogeant l’efficacité du BfV, pour protéger la démocratie allemande, son président, Thomas Haldenwang, témoignait de son impuissance à propos de l’interdiction de groupuscules comme La Troisième Voie : « Tant qu’ils ne franchissent pas la ligne rouge, nous ne pourrons rien faire. »

Prune Antoine


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