Une nouvelle insurrection populaire : l’Ile Maurice

vendredi 4 septembre 2020.
 

Des dizaines de milliers de Mauriciens en colère ont défilé dans la capitale le 28 août 2020. Du jamais vu depuis plusieurs décennies. Ce surgissement populaire fait suite au désastre écologique causé par le naufrage du vraquier japonais « Wakashio » au début du mois d’août.

Conjonction de facteurs déclencheurs : le fait économique et le fait écologique

Le 25 juillet, le Wakashio heurte un récif au large de l’Ile Maurice. Les 3800 tonnes de fioul et 200 tonnes de diesel qu’il transportait ont commencé à se répandre dans les eaux turquoises qui font la réputation de cette île de l’océan Indien. Plusieurs jours se sont écoulés et 1000 tonnes de fioul ont souillé le rivage et les fonds marins avant que les autorités ne prennent la mesure de la catastrophe et ne réagissent.

Cette tragédie écologique ne peut s’expliquer sans l’insérer dans un cadre économique : celui du capitalisme globalisé et ses longues chaînes d’interdépendance. 90% du commerce mondial en volume transite par la mer. De l’Amoco Cadiz au naufrage du Wakashio en passant par l’explosion de Beyrouth, c’est à chaque fois la dérégulation du transport maritime qui est en cause. Pour maximiser les profits, le commerce globalisé exploite des équipages captifs de rafiots peu entretenus qui naviguent sous pavillons de complaisance pour échapper à toute régulation internationale. Le MV Wakashio en est une caricature : vraquier japonais, il battait pavillon panaméen et son capitaine était indien. L’armateur japonais du navire, la compagnie Mitsui OSK Lines, avait déjà été impliquée dans plusieurs accidents, dont une marée noire en 2006 dans l’Océan indien.

Le Covid19 n’a fait que mettre à nu l’extrême fragilité de ces chaînes toujours plus longues. Un grain de sable et c’est toute la machine qui se grippe. Le Wakashio en est un exemple probant. Du fait de la pandémie de Covid-19 et d’une économie mondiale confinée, le navire naviguait sans but sur les océans faute de commandes. Pour éviter de payer des taxes dans les ports, il errait sur les mers, avec son équipage composé de marins qui pour certains n’étaient pas redescendus sur terre depuis un an. Une fatigue extrême et le manque de lucidité qui en découle pourraient expliquer en partie le naufrage.

De l’impasse des choses concrètes surgit l’insurrection populaire

Le contexte établi, c’est le processus de révolution citoyenne lui-même qu’il s’agit d’examiner de près. Pour comprendre le moment, il faut avoir à l’esprit que les 1,3 millions d’habitants de l’Ile Maurice dépendent de leur environnement pour vivre. En effet, leur économie est essentiellement basée sur la pêche et le tourisme. Cette marée noire a ainsi agit en révélateur de l’impasse des choses concrètes. Comment se nourrir dans des eaux polluées aux hydrocarbures ? Comment gagner sa vie si les touristes en mal de carte postale paradisiaque ne reviennent plus ? Le fait écologique qu’est la marée noire se traduit par une coupure d’accès aux réseaux dont dépend le peuple pour subvenir à ses besoins fondamentaux et compromet ses conditions mêmes d’existence.

A cette angoisse existentielle légitime s’ajoute le constat de l’incurie des dirigeants. Les manifestants reprochent au gouvernement sa mauvaise gestion de la catastrophe. Le peuple a été aux premières loges du manque de réaction des autorités. Puis, il a constaté la nécessité de faire appel à l’aide internationale par manque de moyens techniques afin de faire face à une marée noire devenue inéluctable. Il a dû lui-même se retrousser les manches pour nettoyer. Enfin, les dizaines de dauphins retrouvés morts aux alentours viennent contredire les discours officiels visant à minimiser l’ampleur de la catastrophe et ses impacts. L’heure des comptes a sonnée.

Quand le peuple entre en révolution citoyenne

« Lile Morise, paradi pou tourise. Lanfer pou tou Morisien » (l’île Maurice, un paradis pour les touristes, l’enfer pour tous les Mauriciens), pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants. Du fait écologique déclencheur dans un contexte de fortes dépendance et fragilité économiques produits du capitalisme et aggravées par le Covid-19 surgit le moment citoyen. C’est comme cela qu’un point de départ très précis devient l’étincelle d’un mouvement bien plus global dans ses revendications. Les manifestants ont aussi dénoncé les inégalités sociales, la corruption et un régime perçu comme de plus en plus autoritaire.

Peu importe l’étincelle, la grille d’analyse des révolutions citoyennes permet d’identifier des marqueurs communs à toutes les insurrections à travers le monde. D’abord la coupure d’accès au(x) réseau(x) et l’impasse des choses concrètes. En réaction, quand la goutte d’eau fait déborder un vase de colère et d’exaspération, surgissent des mouvements populaires spontanés et déterminés. Celui de l’Ile Maurice est né à l’initiative d’un simple citoyen et s’est propagé à toute la population. La diaspora mauricienne s’est également mobilisée dans de grandes villes comme Londres ou Paris. Comme au Liban, au Chili et ailleurs, le drapeau national est un symbole commun. Et les mots d’ordre eux-aussi sont similaires. Les manifestants ont ainsi appelé le Premier ministre à la démission, avec le slogan en créole « Lév paké aller » qui signifie ni plus ni moins « quitte le pouvoir ». Une manière très claire et radicale de réclamer que les responsables fassent leurs valises qui n’est pas sans rappeler le « Dégage » de la révolution tunisienne et le « tous c’est tous » des Libanais.

Partout à travers le monde, c’est ainsi que le peuple unanime dans sa colère et ses aspirations se constitue et que surgissent les révolutions citoyennes. L’insurrection va-t-elle durer ? Quoiqu’il arrive, l’Ile Maurice vient s’ajouter à une liste déjà bien longue de pays en ébullition.

MANON DERVIN


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