1) Les Résistants contre l’utilisation de l’histoire par Nicolas Sarkozy
De temps en temps, il neigeote. Pour un 16 mai, il fait un drôle de froid, ce dimanche matin, sur le plateau des Glières. Pourtant, 3000 personnes, venues surtout de Haute-Savoie, mais aussi de Dunkerque, d’Angers, de Montpellier ou d’ailleurs, sont là, immobiles. Comme sorties de nulle part, sans banderoles ni tracts, elles écoutent, debout, des résistants d’hier et d’aujourd’hui.
Parmi ceux d’hier, Walter Bassan. Walter a 83 ans et il "ne pensait pas que [sa vie] finirait comme ça". Il préfère aller ramasser des champignons "plutôt que pavaner sur une estrade". Mais pour la quatrième année consécutive, le voilà à la tribune, répétant son message et celui de ses amis : la Résistance avait certes pour objet la libération de la France, mais elle avait aussi un projet de société, et il serait bon de s’en inspirer à nouveau.
C’est par lui que tout a commencé, le 4 mai 2007. Ce matin-là, en écoutant France Inter, Walter Bassan, qui a passé onze mois au camp de Dachau quand il avait 17 ans, apprend la venue de Nicolas Sarkozy, le jour même, sur le plateau des Glières. Ce haut lieu de la Résistance a été le théâtre, en mars 1944, du premier grand combat entre nazis et maquisards ; 129 d’entre eux ont été tués.
Un cadre idéal pour le candidat Sarkozy, à deux jours du deuxième tour de l’élection présidentielle et à quelques heures du dernier "20 heures" de la campagne. Les résistants n’ont pas été invités. Seuls des élus UMP et, surtout, des dizaines de journalistes, assistent à cette visite improvisée. A l’issue de la mise en scène, le candidat promet qu’il reviendra chaque année s’il est élu. Le plateau des Glières sera à Nicolas Sarkozy ce que la roche de Solutré fut à François Mitterrand.
Ulcéré, Walter Bassan appelle ses amis ; eux aussi sont en colère contre cette "instrumentalisation de l’histoire". Puis il passe un coup de fil à Gilles Perret, un réalisateur qui habite dans son village et qui, justement, a entrepris, quelques mois plus tôt, le tournage d’un documentaire sur le programme du Conseil national de la Résistance. Le soir même, ce petit groupe envoie un communiqué à la presse –"M. Sarkozy ne sert pas la mémoire des Glières et de la Résistance, M. Sarkozy se sert des Glières"– et annonce l’organisation d’un pique-nique "citoyen" sur le plateau, le dimanche suivant l’élection.
Surprise ! Malgré le silence des médias, grâce à Internet, près de 1 500 personnes sont là. Walter Bassan leur lit un texte qui a été diffusé trois ans plus tôt, le 8 mars 2004, par treize grands noms de la Résistance – dont certains aujourd’hui disparus –, Daniel Cordier, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Germaine Tillion, Lucie et Raymond Aubrac, etc.
Selon eux, "le socle des conquêtes sociales de la Libération"est"remis en cause". La"menace du fascisme n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte" écrivent-ils, en appelant les jeunes générations à "trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme" : la célébration de l’anniversaire du programme du Conseil national de Résistance (CNR) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 ; la définition d’un nouveau programme de résistance pour le vingt et unième siècle ; une "véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse, qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous".
Stéphane Hessel et Raymond Aubrac deviendront les parrains de ce "contre-pèlerinage" du plateau des Glières qui, chaque année, prend un peu plus d’importance. Le collectif informel des débuts est devenu une association, Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui (www.citoyens-resistants.fr). Instituteurs, ingénieurs, ouvriers, retraités… Ses membres sont presque tous d’anciens militants de gauche, des déçus du Parti communiste (Walter Bassan y est toujours), d’Attac, mais pas seulement. Parmi les dizaines de bénévoles qui contribuent ce dimanche à l’organisation du rassemblement, il y a même un électeur de Nicolas Sarkozy. "Ça me parle, ces valeurs, dit-il, le programme du CNR n’est pas de gauche. Il y a énormément de gens de droite scandalisés par la démolition des services publics." "On est des petits militants de province, explique Didier Magnin, moi je suis kiné dans un centre d’handicapés mentaux profonds et je me suis retrouvé président de cette association. C’est une aventure magnifique." De locale, la participation est devenue nationale.
En novembre 2009 est sorti le documentaire que Gilles Perret entreprenait avant la première visite de Nicolas Sarkozy, et qui est devenu Walter, retour en résistance (www.walterretourenresistance.com) ; 30 000 personnes ont vu le film dans des salles d’art et essai. Et notamment cette scène où le président de la République se rend, le 18 mars 2008, au cimetière de Morette, où sont enterrés 105 combattants, et blague, hilare, en ne parlant que de lui et de sa femme (voir la bande-annonce ci-dessous).
Fidèle à sa promesse, Nicolas Sarkozy est revenu cette année, le 8 avril. Les invitations, pour le public, étaient à retirer à la permanence départementale de l’UMP, à Annecy. Dans Le Dauphiné libéré, le 13 mai, trois jours avant la contre-manifestation, le général Jean-René Bachelet, président de l’association des Glières, s’insurgeait : "On peut être contre un gouvernement, mais pas là-haut, c’est indécent." Réponse du réalisateur Gilles Perret, deux jours plus tard, dans le quotidien régional : "Il n’y a pas d’attaques contre les personnes, mais contre une politique qui attaque de façon vive le programme du CNR. On a fait des résistants des icônes, mais on a oublié leur projet !"
Les organisateurs l’admettent : ils ont, entre eux, "des débats très âpres". Qui fallait-il inviter ? Cette année, ce fut le magistrat Serge Portelli, un représentant des Robin des bois – ces agents EDF qui rebranchent l’électricité aux démunis –, Odette Nilès, qui fut l’amie de Guy Môquet en prison – avant que celui-ci soit fusillé, en 1941 –, le docteur Didier Poupardin, poursuivi pour ne pas respecter les consignes de la Sécurité sociale.
Autre sujet de débat : faut-il élargir le cercle ? "On a des demandes de partout", raconte le président de l’association, Didier Magnin, pour qui l’objectif est clair : il s’agit de mobiliser les syndicats, les partis, les associations, autour d’une adaptation du programme du CNR aux problématiques du vingt et unième siècle
"Sur l’idée qu’il ne faut pas politiser l’association, on est tous d’accord, assure l’un des fondateurs, Rémi Pergoux, qui se présente toujours comme instituteur alors qu’il est à la retraite. Sur l’antisarkozysme, nous freinons. Et je vous fiche mon billet qu’après 2012 nous continuerons."
Marie-Pierre Subtil
Article du Monde
En 1944, le programme des "jours heureux"
L’ex-vice-président du Medef, Denis Kessler, évoquait dans le magazine Challenges du 4 octobre 2007 la liste des réformes programmées par Nicolas Sarkozy : "C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance."
Mis en place par le général de Gaulle en 1943, le Conseil national de la Résistance (CNR) rassemblait, outre la Résistance armée, les principaux partis politiques de droite et de gauche, et deux syndicats. Son programme, élaboré en neuf mois dans la clandestinité, portait non seulement sur la libération, mais aussi sur la société, plus juste, dont rêvaient les résistants. Il jetait les bases du modèle social à venir, avec la Sécurité sociale, les retraites, les services publics, la liberté de la presse, le droit du travail, etc.
Ce texte, très court, vient d’être publié aux éditions La Découverte, agrémenté de contributions d’historiens et de journalistes, qui racontent l’élaboration de chaque réforme au sortir de la guerre, et son évolution jusqu’à nos jours. Le livre, réalisé avec l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui (CRHA), est intitulé Les Jours heureux (195 pages, 14 euros).
L’historien Olivier Vallade raconte que 200 000 brochures du programme avaient été tirées à Toulon en mai 1944 avec, en page de garde, Les Jours heureux par le CNR. Un titre inspiré d’un film éponyme, réalisé en 1941 par Jean de Marguenat, lui-même tiré d’un très grand succès théâtral datant de 1938.
Le monde a changé, admet l’association dans l’ouvrage, il n’est plus possible d’avoir une vision centrée sur la France. Mais, écrit-elle, "on ne peut pas, comme le pouvoir du jour, justifier tous les renoncements, tous les démantèlements, par la mondialisation et la nécessité qui ferait loi d’assurer la "compétitivité" de l’"entreprise France"."
Ce qui était possible il y a soixante-cinq ans, alors que la France était ruinée, l’est encore de nos jours. Tel est le credo de ces "résistants d’hier et d’aujourd’hui", qui notent que, "en 1944 aussi, nombre de choses paraissaient insurmontables."
2) Nicolas Sarkozy est annoncé en Haute-Savoie pour ce jeudi 8 avril 2010
Il ne s’agit pas de la célébration d’une cérémonie officielle pour les combattants des Glières : en effet, sur le site de l’UMP en Haute-Savoie, l’annonce est claire :
Nicolas SARKOZY sera en Haute-Savoie le jeudi 8 avril pour se rendre à Morette, au Monument des Glières et enfin au Petit-Bornand.
Plus que jamais, nous nous devons d’être à ses côtés.
C’est pourquoi, pour ceux qui désirent être présents à la nécropole de Morette à 10 h 30, nous vous proposons des invitations transmises par la Préfecture, que vous pourrez obtenir en les retirant à la Permanence Départementale (UMP) à Annecy.
Ces invitations ainsi qu’une pièce d’identité seront indispensables pour accéder au cimetière. Par ailleurs, comme chaque année depuis sa venue aux Glières, Nicolas SARKOZY se rendra au Petit-Bornand (Place de la Mairie) à 13 heures.
Comme cela a toujours été le cas, nous nous devons d’être nombreux pour l’accueillir et lui manifester notre soutien.
Entouré de nos parlementaires, des conseillers régionaux et généraux, des maires, des élus UMP, nous toutes et nous tous militants seront heureux de partager ce moment avec notre Président de la République.
La situation n’est donc pas ambigüe : il s’agit d’un rassemblement de l’UMP, avec invitation de la permanence UMP de Haute-Savoie. On ne sait pas où sera le Président de la République.
L’association CRHA, Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui, ne s’y est pas trompée : elle a organisé un point presse à ce sujet ce mercredi et a diffusé le communiqué ci-dessous dont nous extrayons ce passage : "L’instrumentalisation de l’histoire continue ! Nicolas Sarkozy se rendra ce jeudi 8 avril au Plateau des Glières à une date qui n’a aucune signification historique. En venant quand bon lui semble, il ne sert pas la résistance, il se sert de la résistance pour exister médiatiquement.
Sinon comment expliquer qu’il ne vienne jamais lors des commémorations officielles de la bataille des Glières le 28 mars ?"
4) Messages et textes savoyards
Message de forum sur notre site Les Résistants indignés par Sarkozy se rassemblent au Plateau des Glières
Il revient la semaine prochaine au Plateau (mardi exactement) ! faire quoi ? au nom de qui et pourquoi ?
Allez-vous réagir cette fois ?
Le plateau des Glières est un lieu de souvenirs et de mémoires ! mais pas à sa façon !
Environ 470 maquisards ont combattu en février-mars 1944 une division de l’armée allemande secondée par des centaines de miliciens français sur cet alpage situé à 1450 m d’altitude. Nicolas Sarkozy était allé sur le plateau des Glières pour le dernier déplacement de sa campagne présidentielle, en mai 2007.
Article du 8 mai 2007 sur notre site extrait du site du Forum social de Haute Savoie (département du Plateau des Glières), département où se trouve le plateau des Glières :
Suite à l’émotion et l’indignation de certains résistants créées par la venue de Nicolas Sarkozy au plateau des Glières, nous avons décidé de réagir avant même l’issue du scrutin.
Rendez-vous le 13 mai à midi au Plateau des Glières.
Des citoyens haut-savoyards soutenus par trois figures de la résistance en Haute-Savoie, *Walter Bassan* déporté, résistant, rescapé de Dachau, *Robert Lacroix*, résistant, et *Constant Paisant* résistant, ancien des Glières, disent leur indignation et lancent un appel à un rassemblement sur le plateau des Glières *dimanche 13 mai 2007* à midi pour dire :
Non, M. Sarkozy, les combattants des Glières ne sont pas récupérables !
M. Sarkozy vient de réaliser une opération médiatique sur le lieu des combats de 1944, aux Glières. Tantôt marchant absolument seul vers le monument, tantôt serré par des parlementaires de son parti et entouré de micros et caméras, il est certain que M. Sarkozy disposait d’un bon metteur en scène ce vendredi 4 mai 2007. Les dialogues étaient beaucoup moins affûtés : parler de la « sérénité » du lieu s’accommodait bien mal de la bousculade médiatique de ce jour là. Et les propos polémiques contre sa concurrente au poste de la Présidence de la République face aux micros tendus n’étaient pas dignes d’être proférés sur le lieu même du sacrifice des Résistants Unis.
M. Sarkozy ne sert pas la mémoire des Glières et de la Résistance. M. Sarkozy se sert des Glières.
Nul ne lui contesterait le droit de rendre un hommage personnel et discret aux hommes tombés ici. Nul ne lui contesterait le droit de rendre un hommage public dans une fonction officielle.
Nous lui contestons le droit de récupérer un symbole historique au service de son ambition personnelle, dans une mise en scène détestable à quelques heures du scrutin.
La mémoire des combattants des Glières appartient au peuple français. Les avancées politiques issues de ces sacrifices et des combats de toutes les Forces Françaises de l’Intérieur doivent être défendues. Le programme du Conseil National de la Résistance, unifiant les composantes combattantes a permis des avancées sociales extraordinaires à la Libération. Nous, nous y souscrivons toujours.
Nous appelons à un rassemblement digne sur le plateau des Glières, autour d’un repas tiré du sac et fraternellement partagé, *dimanche 13 mai 2007 vers midi* : citoyennes et citoyens sont conviés à montrer que ce sont des gens du peuple, d’origines très diverses, qui se sont dressés ici contre l’oppression.
*Non*, aucun politique en campagne, de quelque bord qu’il soit, n’aurait dû venir entacher l’esprit du plateau.
Haute-Savoie, le 5 mai 2007
[1] Le mot "Non", fermement opposé à la force, possède une puissance mystérieuse qui vient du fond des siècles. » extrait du discours prononcé par André Malraux, le 2 septembre 1973, à l’occasion de l’inauguration du Monument de la Résistance érigé par le sculpteur Gilioli sur le Plateau des Glières.
2) Déclaration de Walter Bassan, résistant déporté à Dachau
« [Il s’agit du] comportement d’un candidat - le président de la République n’a rien à voir dans l’affaire - c’est un candidat qui usurpe certaines choses, certaines idées, certains comportements pour “piquer” des voix, un point c’est tout.
Non seulement il usurpe des situations, mais il a un programme politique qui tourne le dos au programme de la résistance, au programme du Conseil National de la Résistance.
En plus, la cerise sur le gâteau, c’est que le 4 mai il est là pour honorer les résistants, parait-il, et le 8 on célèbre la victoire dont les résistants sont en partie participants, et lui, au lieu de venir se recueillir à l’Arc de Triomphe, il est sur son yacht.
Pour ceux qui connaissent bien les rescapés qui sont encore en vie, lorsque les médias ont passé les images de cette visite, il n’y avait aucun résistant à coté des Sénateurs, des Députés de la majorité.
Sa venue, je l’ai apprise le matin à 7 heures sur France Inter. »
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