Un gouvernement de gauche devra proposer une politique d’immigration d’intérêt partagé ( P. H., Bureau National de PRS !

dimanche 6 août 2006.
 

La mobilisation actuelle contre l’expulsion de jeunes scolarisés est l’occasion de proposer une autre politique d’immigration pour notre pays. Nous publions la contribution de Pierre Henry, militant de PRS et dirigeant d’une des principales ONG françaises en matière d’accueil et d’accompagnement des étrangers dans le domaine du droit d’asile.

En déclarant dès le début de l’année 2005 à Sangatte, « ma principale conviction, c’est que nous n’avons pas en France de politique migratoire et qu’il est nécessaire que nous nous en dotions », Nicolas Sarkozy dresse lui-même le bilan de sa première loi sur l’immigration et l’asile votée fin 2003. Mais c’est le 9 juin 2005 lors d’une convention devant les cadres de l’UMP qu’il dresse la feuille de route. « Nous avons de nouveaux besoins économiques et démographiques. La mondialisation exige une circulation croissante des cerveaux...Il faut retrouver la maitrise quantitative des flux. Je veux mettre un terme aux détournements de procédure, en particulier les mariages blancs, l’aide médicale d’Etat et la demande d’asile ». Tout est dit , les migrants considérés comme fraudeurs et cette vieille thèse sélectiviste, finalement partagée de manière assez unanime chez les tenants d’un néolibéralisme européen, remise au goût du jour. Ainsi Romano Prodi , alors Président de la Commission Européenne déclarait-il en 2000. « Nous avons besoin des immigrés mais ils devront être scelti,controllati, e collocati » c’est-à-dire choisis, contrôlés et placés au bon endroit. La loi Ceseda c’est cela , une immigration kleneex.

Une autre politique est possible : revue de détail.

1. L’accès au séjour des conjoints de Français

En 2004, sur près de 103 000 personnes étant entrées en France pour des motifs familiaux, près de 50 000 étaient des conjoints de Français.

 Jusqu’à présent, tout étranger conjoint de Français justifiant d’une entrée régulière en France pouvait prétendre à la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire vie privée et familiale (article L. 313-11, alinéa 4). Le projet de loi modifie cette disposition en exigeant du requérant qu’il justifie d’un visa long séjour (auparavant un visa court séjour était suffisant), sauf s’il est titulaire d’une carte de séjour valable au moins un an. (article 26, alinéa 4). Ce visa délivré par les consulats est très difficile à obtenir, très onéreux et va aboutir à ce que de nombreux conjoints de Français restent en France sans titre de séjour.

 En outre, le projet de loi verrouille également l’accès pour cette catégorie d’étrangers à la carte de résident. Alors que le code des étrangers prévoyait la délivrance de cette carte à l’issue d’une communauté de vie d’au moins 2 ans, l’avant projet de loi non seulement élargit ce délai à 3 ans, mais aussi conditionne le maintien de cette carte seulement si la communauté de vie est effective au moins pendant 4 ans à compter de la date du mariage (article 28, alinéa 3).

 Enfin, l’accès à la nationalité est également remis en cause par l’avant projet de loi. L’article 21-2 du code civil prévoit actuellement la possibilité d’acquérir la nationalité française par déclaration pour un étranger marié depuis au moins 2 ans à un ressortissant français. Ce délai serait porté à 4 ans (article 63 § 1).

2. Le regroupement familial

En 2004, 25 420 personnes sont entrées en France au titre du regroupement familial (12.112 conjoints, 13 308 enfants).

La loi du 23 novembre 2003 avait déjà considérablement verrouillé le cadre légal du regroupement familial : suppression de l’accès automatique de la carte de résident (passage obligatoire par la carte de séjour temporaire) ; répression du regroupement familial sur place, révision des conditions de ressources, etc.

Le projet de loi reprend ce dossier en exigeant la justification de critères de plus en plus stricts :

- Désormais, la procédure de regroupement familial ne pourra être initiée qu’à l’issue de 18 mois de séjour en France, au lieu d’un an (article L. 411-1) - (article 32) ;
- Concernant les ressources, jusqu’à présent, seules n’étaient pas prises en compte les prestations familiales dans le calcul des ressources. L’avant projet de loi ajoute à celles-ci les minima sociaux (RMI, allocation d’insertion, AAH, allocation solidarité aux personnes âgées, allocation solidarité spécifique, allocation équivalent retraite) - (article 33, alinéa 2) ; le regroupement sera soumis pour avis au Maire de la commune. Les conditions de logement seront prises en compte en fonction de la localisation, du confort, de l’habitabilité.
- Enfin, sera également exigé du requérant qu’il justifie d’une condition d’intégration républicaine (adhésion aux principes de la République et connaissance de la langue française) (article 33, alinéa 3). En outre, le maire de la commune de résidence du regroupant devient référent dans l’appréciation du respect de cette condition (article 34).

Le projet de loi conditionne également la délivrance aux regroupés d’une carte de résident à une résidence en France non plus de 2 ans mais de 3 ans à compter de l’entrée en France (article 28, alinéa 2). La multiplication des titres de séjour de courte durée est un élément de précarité et une remise en cause d’un acquis de la gauche qui dès 1984 avait institué la carte de résident de 10 ans.

3. La remise en cause du cadre légal de la régularisation

 L’article L. 313-11 alinéa 3 du Code des étrangers dispose que tout étranger résidant en France depuis plus de 10 ans (15 ans s’il était étudiant) peut prétendre de plein droit à une carte de séjour temporaire vie privée et familiale. Il s’agit du cas classique de la régularisation.

Cette disposition serait tout simplement abrogée laissant ce contentieux à la discrétion des préfets, et par conséquence à des pratiques discrétionnaires au cas par cas. En 2004, cette disposition avait permis à 3 916 personnes d’accéder à une carte de séjour temporaire vie privée et familiale.

 L’article L. 313-11 alinéa 7 du code des étrangers prévoit également une possibilité de régularisation pour tout étranger dont les liens personnels et familiaux en France sont tels qu’un refus d’autoriser son séjour porterait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus. L’avant projet de loi revient sur cette disposition en exigeant de l’étranger qu’il justifie d’un certain nombre de critères additionnels :

- des liens personnels et familiaux, stables et intenses depuis au moins 5 ans ;
- de moyens d’existence ;
- de conditions d’hébergement ;
- une intégration républicaine (adhésion personnelle aux principes qui régissent la République et connaissance de la langue française).

4. Création de la carte de séjour « Capacités et talents »

Bien que l’immigration de travail soit fermée depuis 1974, nombreux sont les étrangers à entrer en France pour motif de travail, et ce à deux titres :

- soit pour une courte durée en tant que travailleur saisonnier ou professionnel des arts et spectacles - en 2004 près de 26 000 personnes en ont bénéficié ;
- soit pour une longue durée en tant que bénéficiaire d’un CDI - en 2004, 6 740 personnes en ont bénéficié. 40 % d’entre eux étaient des cadres ou des ingénieurs, tandis que 41 % étaient des ouvriers ou des employés. Les secteurs d’activité recrutant le plus de travailleurs permanents étaient : l’informatique (26 %), la construction (11,7 %), l’hôtellerie restauration (12 %), les activités commerciales (8 %).

Le projet de loi crée un nouveau titre de séjour valable 3 ans au bénéfice de l’étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable, au développement économique et au rayonnement, notamment intellectuel, culturel et sportif de la France dans le monde ou au développement économique du pays dont il a la nationalité - article 11.

Cette disposition contribue à la formalisation du projet d’immigration choisie du ministre de l’Intérieur. En réalité cela va favoriser le show-biz. Pour le reste, il y un paradoxe à expliquer que puisque 300 000 emplois (le chiffre reste à démontrer) seraient non pourvus dans des secteurs sous tension, il faudrait faire venir autant d’immigrés.

1. Ces secteurs (bâtiment, hôtellerie, aide à la personne...) sont les plus gros consommateurs de « main d’œuvre clandestine », ceux-là mêmes que le ministre de l’Intérieur veut chasser, 2. le taux de chômage est 9,6 % en métropole et frappe plus durement encore les populations issues de l’immigration en situation régulière.

5. La généralisation du contrat d’accueil et d’intégration

L’article 3 de l’avant projet de loi vient généraliser le CAI qui doit désormais être signé par tout étranger admis pour la première fois au séjour en France.

La délivrance de tout titre de séjour est depuis la loi du 26 novembre 2006 conditionnée au respect d’une condition d’intégration républicaine. L’article 4 définit ce nouveau critère. La condition d’intégration républicaine sera appréciée au regard de trois critères :

- L’engagement du respect des principes de la République ;
- Le respect effectif de ces principes ;
- La connaissance suffisante de la langue française

6. Nos propositions

L’immigration choisie, outre la sélection qu’elle souhaite organiser et son cortège de précarité, renvoie à une immigration subie depuis 30 ans. Or, qui dit immigration subie décline citoyenneté subie. C’est de cette spirale séparatiste qui mène à une logique communautariste dont un Président de la République issu des rangs de la gauche devra sortir :

a. en abrogeant les lois Sarkozy L’abrogation des lois Sarkozy sur l’immigration est une nécessité symbolique de rupture avec la logique d’instrumentalisation et de communautarisation de la question sociale qui y est liée et poursuivie avec méthode par la droite depuis 2002. Mais une telle décision impose un contrat clair avec toutes les forces de gauche qui aspirent à gouverner et avec la nation. C’est l’objet des propositions qui suivent.

b. Un gouvernement de gauche devra solder la situation laissée par la droite notamment en procédant à la régularisation des personnes demeurant sur le territoire national depuis plusieurs années et présentant toutes les garanties d’une bonne intégration. Mais la régularisation massive ne peut être un mode de gestion régulier des flux migratoires. Il s’agira alors de bien distinguer les différentes problématiques migratoires et d’apporter les réponses en terme de dispositif adapté, en se rappelant que l’asile ne peut être confondu avec l’immigration. Cela implique :

1) le respect intégral du droit d’asile selon la Convention de Genève et la construction d’une offre de protection systématique (hébergement- accompagnement) à chaque demandeur d’asile présent sur le territoire, la réactivation du rôle que doivent jouer nos réseaux consulaires à l’étranger dans la délivrance de visas de longs séjours aux personnes qui fuient une persécution 2) la réaffirmation du droit de vivre en famille, par la clarification des procédures de regroupement familial et de mariage avec un(e) ressortissant(e) Français. 3) la définition d’une politique d’immigration de travail d’intérêt partagé et de développement durable. Un gouvernement de gauche sécurisera notamment la migration temporaire de travail, la mobilité en l’organisant. Il mobilisera l’immigration pour le développement du pays d’origine par le soutien à des projets de co-développement économique (épargne...aide à l’investissement ). Il facilitera le recrutement d’étrangers possédant des qualifications n’existant pas en France et s’opposera fermement à toute politique de quotas. 4) une migration de savoirs attractive et responsable. La France doit améliorer son attractivité auprès des étudiants étrangers. Cela ne saurait conduire à diminuer la part des étudiants venant des pays les plus pauvres dans nos universités (54 % des étudiants étrangers présents en Françe sont originaires du continent Africain). Mais dans le même temps, il est nécessaire de ne pas favoriser la fuite des cerveaux et diminuer ainsi la dotation en personnels qualifiés, ressource rare pour les pays en développement. Nous proposerons des parcours d’éthique et de responsabilité aux étudiants et aux pays qui le souhaiteront. Par exemple, avant de se voir autoriser à un changement de statut à la fin de sa formation et avant d’obtenir une carte de résident de longue durée à entrée/sortie permanente, l’étudiant étranger non communautaire ayant achevé ses études en France devra servir son pays d’origine pendant une période déterminée et avec une rémunération garantie par un fonds social de développement

c. Une majorité de gauche privilégiera la sécurisation des parcours de séjour et la délivrance de la carte de résident de longue durée aux personnes admises à séjourner sur notre territoire pour des motifs liés à l’immigration familiale (regroupement familial, conjoint de Français), à la protection au titre de l’asile ; (protection subsidiaire), en raison de conventions internationales (lutte contre le trafic d’êtres humains) ou dans le cadre d’une immigration de travail d’interêt partagé (La multiplication des titres de séjour de courte durée est un facteur de précarité des parcours d’intégration en ce sens qu’ils agissent comme autant de freins à l’embauche, à l’accès au marché locatif, au crédit bancaire. )

d. La question de la citoyenneté dans la cité doit être repensée. L’introduction du droit de vote aux élections locales pour les personnes ayant la nationalité d’un pays membre de l’UE a relativisé la force du couple citoyenneté nationalité. Donner le droit de vote et le droit d’être élu aux élections locales aux étrangers non communautaires résidant régulièrement sur le sol français depuis au moins cinq ans apparaît comme une mesure de justice et d’intégration politique. Le président de la République nouvellement élu soumettra au Parlement réuni en Congrès un projet de loi portant réforme de la Constitution, notamment en son article 3 afin de permettre le droit de vote et le droit d’être élu aux élections locales aux ressortissants non communautaires résidant régulièrement sur notre territoire depuis au moins cinq ans. Un gouvernement de gauche précisera les conditions dans lesquelles un résident étranger pourra accéder à des emplois réservés aujourd’hui dans le secteur public aux seuls nationaux (éducation nationale, transport...)

e. La droite a initié en 2003 l’esquisse d’un service public de l’accueil des primo-arrivants étrangers suivant en cela les recommandations de la Cour des comptes ou des services de l’Igas. Il y aura lieu d’établir un audit sur les conséquences des nombreuses réformes engagées dans ce secteur et de s’assurer de leur pertinence et viabilité. La droite a notamment initié en 2003 un contrat d’accueil et d’intégration pour tout nouvel arrivant. Elle souhaite le rendre obligatoire par l’intermédiaire de la loi CESEDA et en faire un instrument d’évaluation des capacités d’intégration supposées. Faute de contenu, ce contrat est aujourd’hui déséquilibré, mettant à l’unique charge du primo-arrivant la question de l’intégration sociale. Un gouvernement issu de la gauche proposera un contrat d’intégration et d’inclusion sociale aux primo- arrivants admis à séjourner sur le territoire national. Son contenu privilégiera un parcours de formation liguistique -accompagnement à l’emploi et d’apprentissage des devoirs et d’accès aux droits républicains. Il mobilisera les différentes administrations en charge de l‘accueil des étrangers de manière à mieux rationaliser leur action pour mieux accueillir et les regroupera sous l’égide d’un ministère chargé des migrations.


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