Extrême droite (France) : À Saint-Brevin-les-Pins, la démission d’un maire lâché par l’État

lundi 15 mai 2023.
 

Menacé par l’extrême droite en raison de sa politique d’accueil des réfugiés, Yannick Morez a fini par démissionner mercredi. Il veut quitter la ville. En cause, notamment : l’inertie de l’exécutif et la responsabilité de Gérald Darmanin. Le ministre était alerté depuis des semaines.

Le maire de Saint-Brevin-les-Pins jette l’éponge. Il avait tenu bon, face aux menaces de l’extrême droite et aux manifestations organisées dans sa commune de Loire-Atlantique pour refuser le déménagement d’un centre d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile déjà présent depuis 2016, qu’il s’agissait de déplacer près d’une école, dans un quartier résidentiel. « Une décision difficile prise en famille, entièrement liée à l’attaque que nous avons subie. Ni ma femme ni mes trois enfants ne souhaitent que je continue après ce qu’il s’est passé. Lors de l’incendie, on a manqué de mourir. C’était un vrai coup sur la tête », a-t-il déclaré à Ouest-France mardi 10 mai.

« On n’a rien entendu. On est passés à ça d’un drame, les petits-enfants du maire auraient pu être là la nuit de l’incendie, ils dorment habituellement dans cette chambre », nous avait confié le voisin immédiat de Yannick Morez, consterné que des personnes malveillantes aient pu en arriver à « de tels extrêmes ».

Dans un communiqué publié le 10mai où il annonce avoir adressé un courrier de démission au préfet de Loire-Atlantique, le maire pointe « le manque de soutien de l’État » après « l’incendie criminel » perpétré à son domicile dans la nuit du 21 au 22mars, dont les flammes ont ravagé une partie de la façade de sa maison et ont emporté ses deux véhicules.

Alors qu’il vit à Saint-Brevin depuis trente-deux ans, Yannick Morez a aussi annoncé qu’il cesserait son activité en tant que médecin généraliste fin juin et qu’il quitterait la commune. Les conséquences de ce déversement de haine, activé par l’extrême droite et qui a pu se propager sans trop d’encombre durant des mois, sont donc énormes. La responsabilité de l’État est immense. Car l’élu avait tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises, allant jusqu’à porter plainte après les menaces qu’il avait reçues, puis pour l’incendie criminel à son domicile.

Dans une interview accordée à « Envoyé spécial », il avait évoque des « tracts ignobles » reçus dans sa boîte aux lettres, visant à l’« intimider » pour lui « montrer qu’on savait où [il] habitait ». Après avoir prévenu la gendarmerie, il ne s’est « rien » passé, a-t-il affirmé. « Liberté d’expression… C’est ce qu’on m’a dit. » « J’ai eu Olivier Véran le soir même de l’incendie, je lui ai parlé de tout ce qu’on avait subi. Il ne s’est rien passé depuis. Je ne suis pas sous protection. » Une forme d’« abandon », estime Yannick Morez, pour qui « l’État impose aux maires et aux élus des Centres d’accueil pour demandeurs d’asile [Cada – ndlr], mais derrière, au maire de se débrouiller ».

Borne espère lui faire changer d’avis

Jeudi matin, le préfet de Loire-Atlantique a convoqué les journalistes en catastrophe pour tenter d’éteindre l’incendie politique. « Le soutien de l’État a été constant, a assuré Fabrice Rigoulet-Roze. Des mesures de protection spécifique ont été prises suite à un certain nombre d’intimidations, il y a eu des patrouilles régulières de la gendarmerie nationale. Il avait des échanges très récents avec les militaires de la gendarmerie pour évaluer les intimidations et la pression qu’il ressentait. »

Le président de la République a dénoncé quant à lui des « attaques indignes » contre Yannick Morez et sa famille, sans dire un mot de leur provenance et de la responsabilité de l’extrême droite. « À cet élu de la République, à son épouse et ses enfants, je redis ma solidarité et celle de la Nation », a tweeté Emmanuel Macron.Depuis La Réunion, où elle est en déplacement, la première ministre Élisabeth Borne s’est dite « très choquée » et a dénoncé « la montée dans notre pays de l’extrémisme, qui vient des deux côtés » de l’échiquier politique.

En parallèle de ces indignations timides, l’exécutif espère convaincre le maire démissionnaire de revenir sur sa décision. Depuis Matignon et le ministère de l’intérieur, consigne a été donnée au préfet de Loire-Atlantique de ne pas répondre au courrier de Yannick Morez et de ne pas rendre sa démission effective pour le moment. L’entourage d’Élisabeth Borne lui a proposé un rendez-vous en début de semaine prochaine. « Évidemment, j’attendrai cette rencontre avant de terminer l’instruction de sa demande de démission », a confirmé le préfet de Loire-Atlantique face à la presse.

Des signes d’attention bien tardifs, destinés à masquer l’inertie gouvernementale jusqu’alors.

Le seul contact entre Paris et Yannick Morez remonte, comme l’a raconté l’élu, à la semaine de l’incendie. Un échange téléphonique avec Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, qui l’assure du soutien du gouvernement. Le lendemain, Yannick Morez écrit au ministre – un courrier alors révélé par Ouest-France – et appelle de nouveau à une intervention officielle de l’État.

Que s’est-il passé depuis ? Rien, à en croire le maire de Saint-Brevin. Au gouvernement, le sujet suscite aujourd’hui l’embarras. « C’est un peu passé sous les radars », reconnaît du bout des lèvres un ministre. Après sa lettre à Olivier Véran, l’élu local a reçu une réponse du ministre, que Mediapart a pu consulter. Le porte-parole du gouvernement lui réaffirme son soutien et lui assure avoir transmis ses alertes à son collègue de l’intérieur, Gérald Darmanin, chargé de la sécurité et des collectivités territoriales.

Selon nos informations, des échanges ont bien eu lieu entre les conseillers des deux ministres. Mais rien ne s’est ensuivi : pas un coup de fil, pas un déplacement, pas un tweet… D’habitude prompt à réagir à la moindre actualité, de l’affaire Pierre Palmade à la mort d’un chat écrasé par un train, Gérald Darmanin a brillé par sa discrétion dans ce dossier – comme dans d’autres impliquant l’extrême droite. Sur Twitter, il s’est contenté de partager la réaction du président de la République, sans écrire un mot sur la démission du maire.

Contacté, son cabinet se contentait jeudi après-midi de « renvoyer aux déclarations du préfet », tout comme celui de Dominique Faure, ministre déléguée aux collectivités territoriales.

L’État offre une « nouvelle victoire » à l’extrême droite

Après les événements de Callac, où le maire a renoncé en début d’année à un projet porté par un fonds de dotation privé visant à créer un centre d’hébergement pour personnes réfugiées, là aussi sur fond de menaces provenant de l’extrême droite, la démission du maire de Saint-Brevin sonne comme un véritable échec de l’appareil politique à protéger non seulement ses élu·es, mais aussi ses propres projets, de la menace grandissante de l’extrême droite.

« La première chose que j’ai pensée, c’est que l’extrême droite allait y voir une nouvelle victoire », confie Michel Sourget, membre du collectif des Brévinois attentifs et solidaires (CBAS), qui propose un accompagnement dans la durée aux demandeurs et demandeuses d’asile de Saint-Brevin. Baptisé « la mère des batailles » par les opposants, Callac avait en effet donné du grain à moudre à toutes celles et ceux qui ont voulu s’attaquer à Saint-Brevin et à son Cada, qui relève, faut-il le rappeler, du dispositif national d’accueil mis en place par l’État.

« Et puis, qui va oser prendre sa suite après ça ? », interroge le retraité, qui dénonce un climat délétère créé par l’extrême droite « un peu partout en France » et ne manque pas de pointer la manifestation des néofascistes qui s’est tenue à Paris le 6 mai. « C’était aussi un peu chaud lors de la dernière manif qui a eu lieu à Saint-Brevin, complète Yannick Josselain, également membre du CBAS. On a vu des hordes de néofascistes parader dans la ville, cherchant à en découdre. » Le collectif a préféré, de son côté, éviter « l’affrontement » et opter pour des gestes symboliques, comme la pose d’une première pierre au futur Cada ou la lecture d’un texte rédigé par un réfugié.

Selon nos informations, Yannick Morez aurait expressément demandé à la préfecture de Loire-Atlantique d’interdire la manifestation du 29 avril pour risque de troubles à l’ordre public. « Il a envoyé un courrier en ce sens au préfet le 14 avril, indique une source. Il a reçu une réponse le 28 avril, soit la veille de la manifestation, pour l’informer qu’elle ne serait pas interdite. » Sans doute, poursuit cette source, au nom de la liberté d’expression et de manifester.Sollicitée, la préfecture n’a pas répondu sur ce point précis, sans démentir l’information.

Le week-end dernier, le maire a aussi été invectivé sur la place publique, alors qu’il était attablé en famille, par un homme n’habitant pas Saint-Brevin mais se positionnant contre le centre d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile. « Il ne se sentait pas soutenu par l’État, ça ressortait tout le temps dans son discours. Il a alerté l’État depuis un bout de temps, mais tout ce qu’il a eu finalement, c’est une fin de non-recevoir », poursuit Yannick Josselain.

Le sous-préfet lui a refusé une protection rapprochée

Le 7 avril, selon nos informations, Yannick Morez a adressé un courrier au sous-préfet de Saint-Nazaire pour demander à bénéficier d’une protection rapprochée. Une demande à laquelle l’État a réservé une réponse négative, selon un courrier du 11 avril que Mediapart a pu consulter.

Dans celui-ci, le sous-préfet rappelle au maire les mesures mises en place par l’État : « inscription au logiciel de la gendarmerie de votre domicile déclenchant une intervention immédiate sur place en cas d’alerte », « échange régulier entre la brigade de gendarmerie et vous-même sur l’évolution de la menace » et, depuis l’incendie du 22 mars, « patrouilles régulières de nuit devant votre domicile ». À cette date, le représentant de l’État demande toutefois à la gendarmerie départementale de procéder à une évaluation pour revoir, si nécessaire, la sécurisation du domicile du maire.

Yannick Josselain et Philippe Croze, président du CBAS, ont eux-mêmes porté plainte le 3 février, sur les conseils du maire de Saint-Brevin, après avoir été jetés en pâture sur le site d’extrême droite Riposte laïque parce qu’ils soutenaient l’existence du Cada et l’accueil des réfugié·es. « Il nous avait conseillé de le faire dès lors qu’il y avait des attaques de l’extrême droite et une atteinte à la personne », explique le premier. « On m’a insulté de “vieux prétendu humaniste dégénéré”, de “catho de gauche pleurnicheur”, d’“idiot utile des gauchistes nihilistes” », détaille le second, qui a même reçu un tract lui ayant été personnellement adressé dans sa boîte aux lettres.

Tout le monde a minimisé, y compris la gendarmerie.

Philippe Croze, président d’un collectif d’habitants pro-Cada

Philippe Croze ajoute qu’une autre plainte a été déposée par la Ligue des droits de l’homme (LDH), le 20 février, pour « provocation à la haine » et « discrimination raciale » après avoir recensé tous les tracts distribués sur la commune à l’encontre du Cada, de ses soutiens et des réfugié·es. Interrogé sur le nombre de plaintes déposées dans le cadre de cette procédure, le parquet de Nantes n’a pas souhaité répondre à nos questions.

« Et malgré toutes ces plaintes, il ne se passe rien », déplore-t-il. Le président du CBAS dit avoir appelé la gendarmerie peu après l’incendie ayant touché le domicile du maire pour savoir ce qui serait mis en place. « Ils m’ont répondu qu’ils ne feraient rien. Puis un gendarme m’a rappelé une heure après pour me dire qu’ils feraient des rondes. Mais je ne les ai jamais vus. »

Philippe Croze accuse aussi le sous-préfet d’avoir « minimisé les choses », lors de sa visite dans les locaux de l’actuel Cada, le 10 février dernier : « Il nous a dit que de toute façon, tout se passait bien puisque personne ne portait plainte. Je lui ai aussitôt montré la mienne. » À ce moment-là, selon nos calculs, au moins trois plaintes avaient déjà été déposées – celles du maire, de Yannick Josselain et de Philippe Croze. « Tout le monde a minimisé, y compris la gendarmerie, accuse le dernier cité. Ils ont commencé à prendre la mesure du problème avec l’incendie, et aujourd’hui avec la démission du maire, que je comprends. »

Le ou la suivante devra s’armer de « courage politique » pour affronter la suite. Le CBAS, qui regrette qu’il n’y ait pas eu de soutien effectif de l’État, refuse de croire que le déménagement du Cada puisse être enterré. « Il serait très grave que les injures, intimidations et menaces deviennent la règle pour gérer la chose publique. »

Nejma Brahim et Ilyes Ramdani


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