Se fourvoyer avec le Parti socialiste ou construire une dynamique nouvelle avec Mélenchon ? (Communistes Unitaires)

lundi 4 avril 2016.
 

Alors que la primaire des gauches est phagocytée par la direction du PS au profit de François Hollande, la candidature de Jean-Luc Mélenchon pourrait exprimer l’exigence d’une rupture franche avec le chaos libéral et la relance d’un projet égalitaire. À condition de fédérer.

Plutôt qu’être subordonnée aux tractations en cours en vue d’une primaire des gauches, la préparation des scrutins de 2017 ne doit-elle pas être indexée sur la colère qui monte dans la société face à un pouvoir intransigeant, antisocial et liberticide ? Et se préoccuper surtout de placer les citoyens au centre d’une dynamique politique ? Lorsque ces jours-ci des militants opposent la tenue d’une primaire et la candidature de Jean-Luc Mélenchon, ils prennent certes un raccourci : on pourrait imaginer qu’une primaire de la gauche de transformation sociale et écologique rassemble le monde éclaté des militants antilibéraux et, surtout, ouvre une dynamique citoyenne. Lorsque l’idée d’une primaire des gauches a été lancée, on a pu penser qu’elle contribuerait à ouvrir un espace citoyen dépassant les intérêts des partis. Nul doute que les premiers signataires de l’appel publié par Libération sont en effet conscients qu’il faut affronter la défiance à l’égard de la politique traditionnelle et que cela suppose l’implication directe des citoyens. Cependant, en quelques semaines, le processus s’est ensablé dans les enjeux politiciens, qui prennent maintenant toute la place.

Le PS en embuscade

La direction du PS a décidé de participer au processus de préparation de la primaire ? Il s’agit pour elle de préparer la candidature de François Hollande, d’éviter à la fois des candidatures dissidentes et une candidature… de gauche. D’un côté, Cambadélis fait semblant de jouer le jeu, pour saborder le processus de l’intérieur ; de l’autre, Valls le casse de l’extérieur, exprimant pour le coup sa vérité incontournable : il existe deux « orientations incompatibles » à gauche… sauf que l’une des deux n’est tout simplement pas de gauche.

Triste réalité : les initiateurs de la primaire, faute d’avoir d’emblée pris une position claire sur son périmètre, sont prisonniers du gouvernement. Pensant que cela rabougrirait leur projet initial en plus de les diviser, ils ne peuvent clairement rompre avec lui… alors que, par exemple pour le PCF, en principe, la primaire ne peut servir à désigner un candidat défendant la politique Hollande - Valls. Quant à la révolte des éléphants critiques, emmenée notamment par Martine Aubry, on ne peut qu’être sceptique sur la possibilité qu’elle aille jusqu’au bout : n’ayant jamais fait le bilan critique de la gauche plurielle de Lionel Jospin (et ayant oublié leur échec calamiteux), ils ne cessent d’être prisonniers du vain projet d’obtenir une impossible réorientation de la politique Hollande – Valls. Ainsi, ils ne pourront dans les prochains mois que rallier la candidature Hollande tout en prenant date afin de ramasser les morceaux de la défaite annoncée du PS en mai et juin 2017.

Le Front de gauche divisé, de même qu’EELV

De son côté, le Parti de gauche a le mérite de la clarté. Il est hostile à toute primaire et motivé par la seule promotion de la candidature de son ancien président. Il faut dire que les échos de l’annonce de sa candidature « pour une France insoumise et fière de l’être » lui donnent peu ou prou raison : 10 à 12 % d’intentions de vote dans les sondages, plus de 62 000 clics de soutien sur son site dédié (http://www.jlm2017.fr). De plus, la remise en selle de la question sociale, ces dernières semaines, montre que des possibilités nouvelles peuvent émerger.

Un problème pour Mélenchon est cependant que son volontarisme a peu de chance de suffire pour dépasser réellement le cercle des déjà ou presque convaincus, condition pour aboutir, à la manière de la campagne de 2012 et plus largement encore, à la puissance d’une campagne réellement large. Or, dépasser ce cercle des sympathisants est décisif pour ne pas aboutir à une simple candidature de témoignage (souvenons-nous de la candidature Bové, en 2002 : un élan militant, un résultat calamiteux). Ajoutons que le fait d’avoir déjà été candidat il y a quatre ans peut aussi bien être porté au crédit du député européen que lui être défavorable, si n’est pas ressenti clairement par le plus grand nombre que cette candidature est susceptible de fédérer et, cette fois, d’avoir des effets politiques importants.

Du côté d’Europe Ecologie les Verts, le paysage est sombre. Il faut d’abord digérer la trahison d’Emmanuelle Cosse, qui dispose désormais d’un CDD sur un strapontin gouvernemental. Il faut ensuite prendre acte du divorce entre EELV et le PS que représente la prise de position de Ségolène Royal en faveur du prolongement de dix ans des centrales nucléaires ayant quarante ans d’âge. Enfin, il faut élaborer à la hâte une nouvelle stratégie, à propos de laquelle les avis sont éclatés : les uns estiment qu’une primaire de toute la gauche permettrait d’éviter à EELV d’avoir un candidat ; les autres envisagent un compagnonnage avec les forces du Front de gauche mais beaucoup ne supportent pas Mélenchon ; Noël Mamère (qui a quitté le mouvement) se prononce pour une candidature de Nicolas Hulot (avec l’objectif mirifique de réaliser autant que lui en 2002, soit 5,25 % des voix). Dans tous les cas, le laminage des groupes parlementaires EELV est en marche.

Le PCF à hue et à dia

Le PCF ? Il entend « faire bouger les lignes » pour favoriser un rassemblement large face aux échéances de 2017. C’est pourquoi le parti a lancé les "lundis de gauche – Portes ouvertes pour 2017", rendez-vous hebdomadaire pour « un débat nécessaire à gauche, sur les enjeux de la période et les grands défis auxquels la France est confrontée ». Ainsi, Pierre Laurent tente de constituer un espace de dialogue indépendant du Front de gauche, tout en défendant officiellement le maintien de celui-ci. Cependant, certains dirigeants du Parti semblent surtout déterminés à éviter - si possible ou coûte que coûte ? - une nouvelle candidature Mélenchon. Dans L’Humanité, François Auguste, membre du comité exécutif du PCF, se prononce même pour « une primaire populaire et citoyenne » intégrant Hollande et Valls (« les électeurs de la primaire trancheront, en fonction de ces réponses, du bilan du quinquennat, et des réponses des autres candidats »). Pourquoi pas, si l’on veut rejouer le programme commun avec quarante cinq ans de retard !

À l’inverse, Marie-George Buffet (« pour une France insoumiseet fière de l’être ») et Francis Parny ont récemment exprimé leur défiance à l’égard de la primaire et leurs préférence pour une candidature Mélenchon, dans le prolongement du Front de gauche. Francis Parny, qui a récemment quitté l’exécutif national du PCF tout en restant membre de son conseil national, explique ainsi : « Le PCF devrait accepter de discuter maintenant de cette proposition et lui donner une dynamique que seuls ses militants et ses militantes peuvent développer efficacement. Il risque de se trouver sinon dans une situation où il devra soit se rallier au dernier moment, soit s’opposer à cette candidature en décrétant ainsi son isolement par rapport au camp de l’alternative. (…) Pendant que l’on s’enferme dans des salles avec des personnes respectables pour débattre de ce que le peuple doit faire pour s’approprier un projet, d’autres décident de porter ce projet dans le débat public avec le plus grand nombre. Comment ne pas dire qu’ils ont raison ? » Au total, s’il veut jouer un rôle dans la prochaine période, le PCF devra sortir de ses ambiguïtés stratégiques.

Et Ensemble ? La troisième composante du Front de gauche participe en tant qu’observatrice au processus de primaire, défendant l’idée d’une primaireexcluant la "gauche" sociale-libérale : « Pour le mouvement Ensemble !, il ne peut y avoir de cadre commun pour construire un rassemblement s’il ne se situe pas en opposition avec la politique menée par Hollande et Valls. Il n’y a plus de temps à perdre. Il faut discuter publiquement, au niveau local et national des propositions autour desquelles un processus de rassemblement serait possible ». Pour cela, le mouvement « propose que toutes les forces du Front de Gauche, Europe Écologie, Nouvelle Donne, la gauche du PS, les forces sociales qui veulent construire une alternative, se rassemblent au plus vite pour ouvrir ces discussions sur une politique qui rejette celle de l’actuel gouvernement et pour déterminer une démarche commune ».

Quels déclencheurs ?

Que retenir de ces positions éclatées ? Pour le moment, on est bien loin d’une volonté unitaire de casser ensemble les barrières entre luttes, résistances et alternative, projet. Pour autant, quelques déclencheurs ne pourraient-ils pas mettre le feu aux poudres ? Le premier serait que se mettent en place des passerelles entre les mobilisations : que les résistances se fédèrent au point d’établir qu’elles ont en commun la désignation d’un adversaire, à savoir la domination tous azimuts du capitalisme financier sans rivage. Le second déclencheur serait d’articuler à la résistance la possibilité d’une alternative, d’un autre horizon, qui dépasse la seule question électorale et qui embrasse à la fois la question démocratique et celle de l’égalité. Le troisième pourrait être d’articuler à la colère la naissance d’un espoir : ce déclencheur là pourrait être décisif si l’on veut combattre les dérives xénophobes et souverainistes.

Pour se donner les moyens d’avancer, la possibilité de réaliser une primaire de la gauche de gauche après l’échec d’une primaire des gauches semble peu réaliste : question de timing, de confiance à court terme entre les parties prenantes potentielles, d’organisation et peut-être aussi de priorité, lorsqu’un puissant mouvement contre le projet de loi El Khomri s’annonce. Mais celle de mettre en place un cadre unitaire, aussi bien au niveau local qu’au niveau national, associant les forces du Front de gauche et d’autres, faisant place à une large diversité d’idées et d’initiatives, pourrait être une belle alternative. Mieux, à la place d’un débat d’écuries présidentielles, pourraient se mettre en place des espaces d’appropriation citoyenne des enjeux contemporains, articulés aux nombreuses mobilisations en cours.

Tous sauf Mélenchon ?

Pris pour le moment dans un processus préalable à une primaire des gauches condamné à l’échec - ce qui n’était pas nécessairement joué dès le départ -, le PCF, Ensemble et EELV vont rapidement être confrontés à des choix concrets. Ils peuvent légitimement se plaindre que Mélenchon les a mis devant le fait accompli en annonçant sa "proposition de candidature". Mais quoi, le Parti de gauche allait-il attendre que le Front de gauche inexistant se réactive par magie, dépassant à la fois ses impasses stratégiques, les conflits récents (élections régionales) et sa tare d’origine - être surtout un cartel électoral de partis ? Mélenchon n’aurait pas de bonnes raisons d’exprimer clairement un choix frontal par rapport au gouvernement, de refuser d’emblée le chantage à l’absence de la gauche du second tour des présidentielles ou encore celui de conforter l’extrême-droite ? Et si l’on partage ces raisons, alors comment les concrétiser tout de suite ? Plus largement, ne connait-on pas de longue date les travers du PG et sa pente parfois souverainiste ?

Ce qui décidément ne va pas dans le TSM (tous sauf Mélenchon), c’est qu’il peut facilement conduire à préférer une bien improbable candidature dissidente issue du PS (Martine Aubry, Arnaud Montebourg), qui porterait l’idée d’une nouvelle union de la gauche, plutôt qu’une candidature de transformation sociale et écologique. Or, comme l’indique Roger Martelli1 : « En admettant même que Hollande et Valls sont écartés, la logique des primaires devrait se manifester là encore en faveur du "moins-disant". La base du rassemblement pourrait être alors, par exemple, un retour à la tonalité du "discours du Bourget" de janvier 2012 (« Mon adversaire, c’est la finance »). Or ce choix est loin d’être convaincant. Pour tout dire, ce ne serait rien d’autre qu’un retour à la logique Jospin de 1987 (« Oui à l’économie de marché, non à la société de marché »). On peut se dire à la limite que la méthode de ce temps-là relève du "moins pire" ; cela n’en fait pas pour autant un "mieux". En tout état de cause, l’histoire a tranché : au terme des cinq années de gouvernement Jospin, on a connu la débâcle de la gauche et… la poussée spectaculaire de Jean-Marie Le Pen. Si l’on veut que la gauche gagne et qu’elle réussisse – nous sommes contraints de vouloir les deux en même temps – la seule option raisonnable est une rupture avec la logique suivie à gauche comme à droite depuis plus de trente ans. » Il existe ainsi un enjeu de clarification politique, supposant que les solutions homéopathiques soient mises de côté et que des options de rupture franches obtiennent droit de cité.

Avec Mélenchon, malgré lui ?

Mélenchon-énervant, c’est une lapalissade. Et on ne partage ni sa posture d’homme providentiel, ni l’idée qu’il existerait au PG une avant-garde prête à éclairer les masses. À ce propos, ce parti est l’héritier d’une façon de faire de la politique qu’on espère dépasser un jour (même si nous avons du mal à le faire). De plus, Mélenchon tient sur certains sujets des positions contestables. Au total, il est pétri de la contradiction entre sa perception fine de la crise de la politique (celle-là même qui conduit à revendiquer une révolution démocratique) et une approche institutionnelle classique de la vie politique. Tantôt, il comprend le besoin de déplacer le curseur de la vie politique vers l’activité citoyenne, tantôt il se satisfait d’user la corde du sauveur suprême, espérant retourner les vices de la Ve République contre elle-même.

Cependant, Mélenchon est aussi un remarquable trublion, capable de marquer la rupture par rapport aux autres forces et candidats. Il sait être pragmatique. Il a été en 2012 un excellent pédagogue en même temps qu’un porte-parole solide, respectueux de ses alliés. Il saurait, s’il le voulait ainsi que ses équipes militantes, être le facilitateur et avec d’autres le porte-parole d’une campagne collective, diverse, pluraliste, faisant place à la citoyenneté et aux forces sociales… y compris dans la manière de concevoir l’élection présidentielle et les législatives dans un même mouvement. La naissance d’une telle dynamique est pour partie de notre responsabilité. Comme l’écrit Serge Halimi dans Le Monde Diplomatique : « les points de bascule historique ne constituent-ils pas précisément ces moments où il faut agir plutôt que subir, s’ébranler plutôt qu’attendre ? »


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