RÉGIONALES. Face au FN, il faut éviter le pire. Mais le front républicain est vide de sens

samedi 12 décembre 2015.
 

Que faire, à gauche, face à la menace FN ? Alors que le PS a choisi de retirer ses listes en PACA et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie au nom du front républicain, Jean-Luc Mélenchon s’est, de son côté, refusé à donner une consigne de vote. Une position que défend aussi Hugo Touzet, élu PCF-Front de gauche du 18e arrondissement de Paris. Explications.

La marée noire que nous avons connue dimanche dernier n’est pas une surprise. Elle n’en demeure pas moins un choc.

Un choc parce que le Front national incarne le pire de notre pays, ce contre quoi se sont construites notre histoire et nos valeurs, depuis le Front populaire jusqu’à l’abolition de la peine de mort, la légalisation de l’IVG ou le mariage pour tous, en passant par la Résistance et son programme mis en place à la Libération.

Si je suis de ceux qui croient plus que jamais en la nécessité de remettre au cœur notre devise "Liberté, Égalité, Fraternité", je suis également convaincu que le FN est aujourd’hui le mieux à même de faire totalement disparaître ce qu’il en reste.

Le FN prospère sur le chômage et l’exclusion sociale

Le premier tour de ces élections régionales ne laisse pas de doute sur le fait que le FN sortira considérablement et durablement renforcé dimanche soir prochain. Reste la question de l’ampleur de cette percée ; et ce n’est pas une question à relativiser ou sous-estimer.

Car ses centaines d’élus, ses présidences peut-être, le feraient entrer dans une nouvelle dimension sur le plan de sa situation financière et de son implantation locale. Son poids politique en serait alors décuplé, et nous aurons face à nous une créature en ordre de bataille pour conquérir le pays en 2017.

Ralentir autant que nous le pouvons cette progression, "sauver les meubles", est, il me semble, notre tâche de ce dimanche, et elle est cruciale. Mais cela ne pourrait être notre seul horizon.

C’est en ayant soigneusement choisi mes mots que je parle du parti lepéniste comme d’une créature. Une fois acté le constat que le FN prospère, il nous faut nous demander sur quoi il prospère. Est-ce en partie sur le chômage ? Évidemment. La question de la sécurité joue-t-elle un rôle ? Cela va de soi. L’exclusion sociale et l’isolement sont-il des facteurs ? Même réponse.

La grande victoire du FN est avant tout idéologique

Mais en nous focalisant sur ces éléments, nous oublions qu’ils ne sont pas de pures abstractions. Bien au contraire, ils sont les conséquences immédiates de politiques menées depuis maintenant plus de trente ans par des gouvernements conduisant des politiques identiques, accréditant la thèse du "tous pourris".

Combattre la créature sans s’attaquer au terreau sur lequel elle repose n’aura jamais d’autre effet que de la renforcer. Car la grande victoire du FN est avant tout idéologique. En peu de mots, elle consiste à avoir mis la question de l’identité au centre, en lieu et place de celle de l’égalité.

François Hollande, dans son discours du Congrès, ne propose-t-il pas la déchéance de nationalité, revendication historique de l’extrême-droite, comme une réponse au terrorisme ? Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas mis en place un ministère de l’Identité nationale ? Comment après cela peuvent-ils avoir un discours crédible contre le FN ?

Comment expliquer que le "front républicain" est autre chose qu’un réflexe de défense du système alors qu’on accepte ses idées quand elles sont portées par d’autres ? Comment voir dans les appels à un "barrage républicain" d’un Jean-Christophe Cambadélis ou dans le "ni-ni" d’un Nicolas Sarkozy autre chose qu’une stratégie partisane en vue de 2017 ?

Aucune alternative de progrès n’émerge réellement

Si la politique de Hollande, comparable presque en tous points avec celle de son prédécesseur, renforce la fracture entre le peuple et la politique, force est de constater aujourd’hui qu’aucune alternative de progrès n’émerge réellement.

Seuls 45% des électeurs du Front de Gauche à la présidentielle de 2012 se sont déplacés dimanche dernier pour aller aux urnes. Europe Écologie-Les Verts, de son côté, rencontre des résultats encore plus décevants.

Le dégoût – légitime sur bien des points – du système actuel et l’absence d’une alternative porteuse d’espoir a une conséquence cruelle : l’éloignement maintenant durable et majoritaire de nos citoyens de la vie politique et son pendant, le vote Front national.

Car Marine Le Pen a réussi en quelques années deux choses. Elle est parvenue, d’abord, à incarner une forme de subversion anti-système, qui, si elle ne résiste à aucune analyse un tant soit peu sérieuse, trouve du répondant chez celles et ceux qui rejettent en bloc les politiques menées et les "affaires" affectant la quasi intégralité de la classe politique.

Un discours simpliste et stigmatisant

Mais elle est aussi parvenue à bâtir un discours qui paraît désormais crédible et cohérent aux yeux de celles et ceux qui sont les plus affectés par les politiques menées depuis 30 ans. Sur le désespoir et la détresse politique et sociale, Marine Le Pen bâtit son empire de haine et d’amalgames, instiguant un discours simpliste et stigmatisant.

En 2012, à gauche, nous avions porté un mot d’ordre simple : celui de "l’Humain d’abord". Autour de ce projet de société résumé en deux mots très simples, nous avons réussi à agréger de nouvelles forces pour créer un espoir.

Cette dynamique a aujourd’hui disparu : il ne s’agit pas aujourd’hui de refaire le match, mais bien de la repenser entièrement. Les exigences écologiques, démocratiques et sociales sont colossales ; le besoin de liberté, de sécurité, de fraternité, et de paix plus importants que jamais.

Le seul enjeu qui devra nous occuper dès lundi matin, ce sera cette dynamique nouvelle, ce mouvement profond qui doit naître dans notre pays pour porter une réponse progressiste, pour offrir un cadre nouveau de politisation qui mette au cœur la question de l’égalité, de la justice et de la solidarité. C’est bien là la seule voie pour battre le FN.

L’idée d’une unité républicaine est vide de sens

Je ne me résigne pas à laisser le FN progresser sur une colère qui est aussi la mienne, tout comme je ne me résigne pas à faire le jeu de ce gouvernement et du précédent qui contribuent à la dépolitisation générale en se cachant derrière l’idée d’une unité républicaine vide de sens. Le FN est aujourd’hui le pire et il nous faut, une fois dos au mur, éviter le pire.

Mais pour ne pas se contenter de retarder l’échéance, c’est au meilleur que nous sommes tenus : porter, ensemble, l’espoir d’une société plus juste, qui ne cède pas aux sirènes de la peur et remettre le pouvoir entre les mains de celles et ceux qui font vivre ce pays, c’est-à-dire dans les mains du peuple.


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