FN Le pire était annoncé  ; il est là...

dimanche 13 décembre 2015.
 

Les scores du Front national et ses ambitions pour demain font naître inquiétudes et amertume chez les progressistes. S’il s’emparait des trois régions dans lesquelles il a les meilleures chances, l’extrême droite obtiendrait des tremplins pour d’autres rendez-vous électoraux, pratiquerait à grande échelle les politiques d’exclusion et de ségrégation qu’il a expérimentées dans les villes dont il s’est emparé et sabrerait à tout-va dans les dépenses publiques. De tels succès déporteraient encore plus à droite le champ politique, amplifiant la course à l’échalote vers le national-populisme à laquelle se livrent d’autres grands partis. Nul ne peut croire que laisser faire «  secouerait le cocotier  » politique et engendrerait des prises de conscience. Le pari du pire n’a jamais conduit au meilleur. Tout faire pour battre l’extrême droite, même en se pinçant le nez, même en tenant le bulletin du bout des doigts, est le seul geste de résistance dans cette circonstance. Il est aussi la garantie de pouvoir dialoguer demain avec les progressistes à la recherche de mobilisations efficaces contre l’extrême droite et un signal adressé aux 50 % d’électeurs qui ne se sont pas déplacés au premier tour.

Cet exercice de lucidité s’accompagnera, pour beaucoup de ses auteurs, de la claire perception du jeu dangereux des partis qui ont utilisé le FN pour garder la main sur le pouvoir ou le reconquérir. Certains ont brodé sur le thème d’une nation menacée par les étrangers les plus pauvres, ont repris la formule «  des Français de souche  », ont menti sur la spoliation des populations par des immigrés pillards d’allocations et de prestations de santé. D’autres encore envisagent de remettre en cause le droit du sol et n’ont plus pour horizon que des politiques sécuritaires. Ainsi, pensent-ils, les politiques d’austérité, la casse des services publics, la financiarisation de l’économie, le capitalisme furieux qui se met en œuvre dans le monde, sortiront indemnes, ou seront attribués aux vents mauvais du large dans des replis xénophobes. Ainsi, les colères populaires et les revendications sociales – au cœur des comportements électoraux – sont-elles stérilisées dans les mains de leurs pires ennemis. Marine Le Pen et les siens prétendent prendre le parti des «  petits  » mais ils ont le programme des gros  : baisse de la dépense publique, précarisation générale du travail, privation de cantine scolaire pour les enfants de chômeurs, refus de la construction de HLM et abolition de la loi SRU, refus de toute hausse du Smic, suppression des cotisations sociales pour le patronat, haine des syndicats, refus d’un pilotage public des banques et de l’impôt sur la fortune, de l’encadrement des loyers… «  Libérale, me voilà  », pourrait chanter l’héritière du milliardaire de Montretout. Parmi les opérations politiciennes, celle du président du Medef, Pierre Gattaz, qui a osé tracer un signe d’égalité entre le Programme commun et celui du FN, se distingue. Elle avait connu un précédent, avec la sortie de François Hollande comparant le projet de l’extrême droite à «  un tract du Parti communiste des années soixante-dix  ». L’odieuse confusion vise à fourvoyer les mécontentements vers le national-populisme. Battre partout le FN au second tour, c’est mettre un premier coup d’arrêt à ces abus de confiance idéologiques. Décidément, Saint-Just avait raison qui proclamait  : «  L’art de gouverner n’a produit que des monstres.  »

Endiguer l’essor du Front national, puis le faire reculer, est une entreprise au long cours, un combat politique et idéologique, pour faire reculer la prégnance des grands thèmes qu’il développe, la concurrence ensauvagie qu’il prône – une sorte de capitalisme jusqu’au bout… –, le désespoir sur lequel il spécule, l’isolement qui le favorise. Sans le levain d’une espérance, sans la perspective d’une république sociale plaçant en son cœur l’égalité, il serait vain d’espérer une reconquête. Mais elle doit s’incarner dans des actes, des rassemblements, bien plus larges que ceux que nous connaissons aujourd’hui et qui donnent l’impression de piétiner. Elle doit aussi se traduire par des mobilisations concrètes et locales, des combats efficaces qui marquent des points. Un devoir d’innovation à oser sans attendre des lendemains qui déchantent.

Les jours qui viennent vont compter. La route sera-t-elle barrée aux fanatiques de la préférence nationale, aux zélotes de «  l’Europe chrétienne  », à ces ennemis de la liberté de conscience  ? Des élus anti-austérité, libres de toutes entraves, seront-ils élus en nombre sur des listes de gauche, pour que des politiques 
sociales aient voix au chapitre dans les régions et afin qu’ils soient des leviers pour d’autres changements  ? Ce sont les enjeux du scrutin du 13 décembre, où la lucidité ne peut être entravée par les colères mais au contraire fécondée.

Patrick Apel-Muller, Editorial de L’Humanité


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