Les idées libérales sur la dette sont bidon

dimanche 17 mai 2015.
 

Rapporteur de la proposition de résolution des députés Front de gauche sur la dette publique, Nicolas Sansu (député Front de Gauche) démonte l’argumentaire qui consiste à invoquer sans cesse le poids de cette dette pour sacraliser les politiques d’austérité. Inventaire non exhaustif.

Et si la dette publique n’était pas seulement une donnée économique, mais aussi un instrument politique destiné à justifier des mesures injustes qui seraient, sans cela, jugées inadmissibles par la population  ? Citant l’économiste François Chesnais exhumant un document du FMI daté de 2010 dans lequel les auteurs estimaient que «  les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué  » pour imposer ces politiques, le député PCF-Front de gauche Nicolas Sansu démonte les idées reçues sur la dette publique. «  Interroger les origines et la nature de la dette permet de comprendre qu’elle forme un système  : un système de domination politique et économique aujourd’hui mobilisé pour faire pression sur les choix politiques et sociaux des nations  », écrit-il dans un rapport très documenté de 80 pages (1) présenté en appui de la proposition de résolution des députés Front de gauche.

1. La dette doit-elle 
être remboursée 
dans son intégralité  ?

Non, répond le rapporteur. C’est la première idée reçue, pourtant «  profondément ancrée dans notre esprit aujourd’hui  », qu’il entreprend de mettre en pièces. Contre la philosophie libérale qui postule que la dette doit être remboursée parce qu’elle aurait été librement consentie entre égaux, Nicolas Sansu lui oppose la notion de «  dette injuste  : celle qui est exigée au prix de la liberté ou de la vie humaine, celle qui prive des moyens de subsistance, celle qui repose sur une égalité théorique (entre créanciers et débiteurs – NDLR) ignorante de la réalité sociale  ». En l’occurrence, s’agissant de la dette publique, on peut y ranger celle qui est exigée au prix de sacrifices pour le plus grand nombre imposés par l’austérité. Au total, estime le député, «  entre l’effet boule de neige (les taux d’intérêt excessifs exigés sur les marchés, créant un surcroît d’endettement quand ils sont supérieurs à la croissance réelle – NDLR) et la politique fiscale favorable aux plus aisés, 600 milliards d’euros de dette (sur environ 2 000 milliards – NDLR) peuvent être définis comme une dette illégitime, soit 30 % du PIB  !  ».

2. La dette est-elle 
le fruit d’un excès 
de dépenses publiques  ?

Affirmer qu’un débiteur peut être libéré de l’obligation de rembourser tout ou partie de sa dette implique d’examiner l’origine et la nature de cette dette. C’est ce qu’a fait Nicolas Sansu dans son rapport pour la période 1980-2015. Il en ressort que la dette publique de la France a connu plusieurs phases de progression dont les causes ne sont pas identiques, passant d’un peu moins de 20 % du PIB en 1980 à 95 % aujourd’hui. Si, de 1981 à 1987, la dette a progressé à un rythme d’environ 1,8 point de PIB par an sous l’effet d’une augmentation des dépenses due à des politiques de relance, la croissance élevée qui a suivi a freiné cette progression dans les années suivantes, avant de repartir à la hausse sous l’effet de la récession de 1993, puis de redescendre à nouveau dans les années de rebond économique, entre 1999 et 2001. Mais depuis 2002 et, surtout, depuis 2007, la dette a continué de gonfler «  sous l’effet d’une politique d’allégement des impôts non justifiée  », avant d’exploser littéralement, gagnant 30 points de PIB (+ 47 %) à partir de 2007. Or, pour Nicolas Sansu, cet examen montre que «  la dette publique française ne résulte pas uniquement, loin s’en faut, de la crise financière de 2008. Elle est aussi le résultat de l’emballement de la charge de la dette (les taux d’intérêt supérieurs à la croissance sont responsables d’une hausse de la dette de 15 points de PIB rien qu’entre 1992 et 2002 – NDLR) et d’une politique de ‘‘cadeaux’’ fiscaux menée en continu depuis les années 2000  ». Se référant à un rapport de 2010 du député UMP Gilles Carrez, le député communiste du Cher peut ainsi chiffrer «  entre 100 et 120 milliards d’euros  » les recettes fiscales «  perdues pour le budget général de l’État entre 2000 et 2010  », entraînant des déficits budgétaires croissants.

3. À qui a profité L’accroissement de la dette  ?

Ce même rapport de Gilles Carrez montrait notamment que près de la moitié des baisses d’imposition entre 2000 et 2009 étaient constituées de baisses de l’impôt sur le revenu, pour un montant cumulé de l’ordre de 33 à 41,5 milliards d’euros. Or ces baisses ont, pour l’essentiel, profité aux hauts revenus, incités à «  investir dans la pierre, dans des éoliennes outre-mer ou à consommer davantage de services  », écrit Nicolas Sansu. Entre autres aides, celles dites des services à la personne, évaluées par la Cour des comptes en 2014, sont emblématiques de ces dispositifs qui ont bénéficié d’abord aux ménages les plus aisés pour un coût total de 6 milliards d’euros, et sans effet majeur sur l’emploi. «  Une partie de la dette est donc le fruit de ‘‘cadeaux’’ fiscaux consentis aux plus riches et n’ayant jamais démontré leur efficacité  », constate Nicolas Sansu.

4. La dette est-elle 
un fardeau pour 
les générations futures  ?

C’est le grand «  argument  » des partisans des politiques d’austérité menées au nom de la dette à réduire. Or, pour Nicolas Sansu, ce raisonnement est absurde, pour au moins deux raisons. D’abord, parce qu’il fait fi du fait que tout le monde n’est pas égal devant la dette. «  Les enfants des plus privilégiés n’hériteront pas, en effet, du fardeau du passif de l’État, mais au contraire des rentes privées placées par leurs aïeux dans des obligations du Trésor  », relève-t-il. Ceux-là «  ont tout intérêt à ce que perdure la dette des États, qui offre un placement sûr à leur capital accumulé  », plus sûr même que «  d’autres valeurs boursières, dès qu’elle est bien notée  », poursuit le député, tandis que les politiques d’austérité menées au nom de cette dette pèseront d’abord sur les plus pauvres. «  La dette est donc bien un instrument de production et de reproduction des inégalités  », constate Nicolas Sansu. Mais le député du Cher démystifie aussi le mode de calcul de ce «  fardeau  » en opérant la distinction entre «  dette brut  », c’est-à-dire le total de ce que doit l’État à ses créanciers, et «  dette net  », de laquelle on retranche les actifs de l’État. Ce bilan, qui fait la balance entre ce qui doit être remboursé et ce que la collectivité possède, n’est jamais mis en avant  : est-ce parce qu’il est… positif  ? «  En 2014, si chaque habitant se voit lesté d’une dette publique de 30 800 euros, il est allégé par les 37 000 euros d’actifs publics en moyenne qui lui sont attachés. Il convient de relativiser le poids de la dette et de se libérer de cette culpabilité que d’aucuns souhaiteraient faire peser pour imposer des politiques récessives  », conclut Nicolas Sansu…

Dossier de Sébastien Crépel, L’Humanité

A) Pourquoi l’argument de la dette est bidon ?

La dette, la dette, la dette... Patrons, éditorialistes, politiques, ils n’ont que ce mot à la bouche. Et quand le mot a été trop prononcé, ils le déclinent en « défi cit », en « nécessaire redressement des comptes publics », ou en « critères de convergence » européens et justifi ent ainsi toutes les politiques les plus régressives. C’est du « poids de la dette » dont il faudrait se « libérer », c’est la « responsabilité » vis-à-vis des « générations futures »... Ce mot, la dette, va encore une fois résonner dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale aujourd’hui. Mais d’une façon nouvelle : les députés du groupe de la Gauche démocratique et républicaine (GDR) profitent de leur « niche parlementaire » annuelle pour soumettre à leurs collègues une proposition de résolution européenne « relative à la dette souveraine des États de la zone euro » et le rapport qui va avec, signé du député communiste du Cher Nicolas Sansu, appelant à « s’exonérer de la sidération de la dette » et à « libérer les peuples européens du joug de la dette ». C’est donc malgré tout un débat inédit pour la représentation nationale qui doit se tenir : pour la première fois, la question de la dette, de sa constitution, de sa légitimité, de son dépassement, sera traitée au fond. « Au nom de la dette, les collectivités locales, les hôpitaux, l’État sont appelés à faire des efforts de diminution de dépenses qui, à terme, sont inefficaces et injustes tant en matière d’activité que de créations d’emplois », fustige dans son introduction le rapport. « Au nom de la dette, on étrangle des peuples en Europe, à commencer par nos amis grecs qui ont le courage d’ouvrir un chemin différent de celui qui a échoué. » Cette dette, il s’agit donc de la démystifier. D’ailleurs, rappelle Nicolas Sansu, « la dette c’est une constante dans l’histoire des peuples. Tous les peuples se sont endettés pour investir ». Et toutes ces histoires ne se sont pas fi nies de la même façon : « Des dettes, des banqueroutes, des restructurations, des annulations, des prolongations de la dette, il y en a eu beaucoup. »

Le rapport du député communiste du Cher, Nicolas Sansu (voir le document ci-dessous), propose, pour en finir avec les idées reçues, de remonter aux origines de la dette contemporaine pour voir ce qu’il en est réellement. «  La dette publique française ne résulte pas uniquement, loin s’en faut, de la crise financière de 2008  », estime-t-il. En clair, explique-t-il, elle est due au «  double effet des taux d’intérêt excessifs pratiqués dans les années 1980 et 1990 et de la baisse des impôts des plus riches, avec la baisse de la plus haute tranche par Fabius en 2001, ou encore le bouclier fiscal de Sarkozy… Sur la dernière période – celle que (j’)appelle “les Trente Glorieuses des 1 %” –, on voit une corrélation extraordinaire entre l’explosion de la fortune des 1 % les plus riches et celle de la dette  ». Ajoutez à cela la «  socialisation d’une crise de la dette privée  », manifestée au moment de la crise par le renflouement des banques sur fonds publics…

Nous ne sommes pas égaux 
face à la dette

«  Les origines de la dette ne viennent pas d’un trop-plein de dépenses  », tranche Nicolas Sansu, qui appelle à ne pas céder à la légende selon laquelle «  chaque enfant qui naîtrait serait tributaire d’une dette de 30 800 euros dès sa naissance  »  : «  Si l’on considère que la dette brut s’établit à 2 000 milliards d’euros, mais que les actifs financiers de l’État s’élèvent à environ 900 milliards, la dette net est de 1 100 milliards. Or, en 2009, une estimation des actifs non financiers (écoles, hôpitaux, routes…) s’élevait à 1 450 milliards d’euros, donc les actifs sont positifs  », écrit-il dans le rapport. D’autant que nous ne sommes pas égaux face à la dette  : «  Les enfants des plus privilégiés n’hériteront pas, en effet, du fardeau du passif de l’État, mais au contraire des rentes privées placées par leurs aïeux dans des obligations du Trésor. Les plus démunis pourront difficilement compter sur les dépenses sociales amputées par les politiques d’austérité.  »

Le constat est là, appuyé aussi par le mouvement citoyen du Collectif pour l’audit citoyen de la dette. Mais, pour le dépasser, le groupe GDR souhaite faire adopter par le Parlement, pour être portées à Bruxelles par le gouvernement français, des propositions.

La question d’une véritable régulation financière est posée

Sur le modèle de la commission parlementaire pour la vérité sur la dette, mis en place par la nouvelle présidente de la Vouli (le Parlement grec), Zoé Konstantopoulou, il préconise avant tout l’organisation d’une grande conférence européenne pour répondre à la question  : comment restructurer la dette souveraine des États de la zone euro  ?

Il propose ensuite un renforcement de la transparence sur les détenteurs de la dette.

Maintenant que les États se financent sur les marchés financiers, il est trop souvent impossible de savoir qui détient les obligations  : «  Je ne sais pas si ce sont les princes qataris ou le Parti communiste chinois qui détiennent la dette française. Ça pose un petit peu problème…  » pique Nicolas Sansu. Et puis, évidemment, la question d’une véritable régulation financière, d’une vraie séparation bancaire, d’une taxe sur les transactions financières, d’un pôle public bancaire avec un réel poids, ou encore d’un circuit du Trésor européen est également posée.

Les chances d’adoption de la proposition de résolution, dans l’Hémicycle, adoptée par la commission des Affaires européennes, mais rejetée par celle des Finances, sont aussi maigres que celles des budgets européens. Mais une mission d’information et d’évaluation sera demandée pour 2016 et a de bonnes chances d’être accordée.

Et puis surtout, le débat est lancé, parce que, comme le rappelle Nicolas Sansu, «  la dette n’est pas une question économique, c’est une question politique  ».


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message