Dette publique et rapports sociaux. La France est-elle en faillite ???

samedi 6 mai 2023.
 

Les déclarations de l’UMP comme du PS sur cette question n’ont aucun sens ! Si le capitalisme français est en perte de vitesse (il recule face à ses rivaux sur le marché mondial et même national mais réussit tout de même à réaliser une part importante de ses profits à l’étranger dont 51% aux USA), cela ne signifie pas que la France est en faillite, cela ne signifie pas non plus qu’il n’y ait plus d’argent comme on nous le dit !!

Une dette à relativiser et à expliquer

Tout d’abord la France n’est pas très endettée : 64.2% PIB contre 69.1 % pour la zone euro, et en Italie 107% !!! Ensuite il y a malhonnêteté intellectuelle dans la présentation de la situation car si on veut faire un bilan alors il faut regarder les dettes mais aussi les actifs c’est-à-dire les biens possédés, le patrimoine. Or les administrations possèdent des actifs financiers et du coup la dette financière nette n’est plus que de 38.2%, très proche de la situation de 1995 ! Enfin si on comptabilise l’ensemble des actifs, c’est-à-dire aussi les actifs physiques, alors apparaît une richesse nette équivalent à 37.8% du PIB, soit 22 pts de plus qu’en 1995 !!! Dès lors le bébé français ne récupère pas à sa naissance une dette publique de 18 700 euros mais hérite d’un actif de 11 000 euros !! On pourrait aussi signaler au passage que les accusateurs du déficit publique trouvent dans le même temps tout à fait normal que les entreprises non financières présentent pour leur part une dette de près de 7 000 milliards d’euros (un peu plus de 1 100 milliards pour l’Etat)…

Cette dette a une double origine. Bien sûr, il y a dette quand les dépenses sont supérieures aux recettes. Mais à la différence d’un ménage, l’Etat fixe ses recettes assez librement. Pour comprendre l’origine de la dette, il faut donc comparer les évolutions des dépenses et des recettes. Or, on peut voir que la part des dépenses de l’Etat dans le PIB est restée stable : 22.8% en 2003 contre 23% en 1980. Ce n’est donc pas du côté des dépenses qu’il faut chercher mais du côté des recettes, en d’autres termes c’est la baisse volontaire des impôts et donc des recettes qui a créé du déficit. Il s’agit là d’une stratégie classique des libéraux : on détériore volontairement la situation afin de pouvoir justifier ensuite le démantèlement et la destruction de tous les acquis… Toutefois, l’accroissement de la dette s’explique aussi pour une bonne moitié par l’augmentation des intérêts à payer (la charge de la dette), ce qu’on appelle l’effet boule de neige. On trouve ici les effets du capitalisme financier et des politiques qui ont privilégié des taux d’intérêt élevés dans une période où la croissance ralentissait. Dès lors le mécanisme est facile à comprendre : si les taux d’intérêt sont supérieurs à l’augmentation de la richesse nationale, la dette se creuse !

L’accroissement de la dette est donc la conséquence non pas de l’augmentation des dépenses mais de la réduction des recettes et de l’augmentation des taux d’intérêt. Enfin il est fondamental de souligner que les bénéficiaires de la diminution des impôts et du paiement des intérêts de la dette sont les mêmes. Ce sont en effet les membres des classes aisées qui prêtent à l’Etat et touchent en échange une rémunération de plus en plus importante. 40 % de la dette étant détenue par des français, les plus riches s’enrichissent davantage grâce au remboursement de l’Etat. Signalons au passage que l’expression « léguer une dette aux générations futures » n’a aucun sens puisque l’Etat paye chaque année … Il s’agit bien d’un transfert de richesse aujourd’hui et maintenant par le biais du paiement d’impôts entre catégories sociales et non entre générations !

Il n’y a plus d’argent ? Pas pour tout le monde !!

En France, la baisse de la part salariale dans la valeur ajoutée est estimée, tant par l’Insee que par la Commission européenne elle-même, à une fourchette de 8 à 9 points de pourcentage, soit avec un PIB de 1800 milliards d’euros, 120 à 170 milliards par an qui sont passés de la poche des salariés à celle des propriétaires de capitaux … et ce sans hausse de l’investissement qui reste faible …

Les bénéfices cumulés des 40 plus grandes entreprises cotées en bourse en France sont passés de 57 milliards en 2004 à 86 en 2005 puis 98 en 2006 et 100 en 2007 ! Il n’y a plus d’argent ? Pour le Cac 40, suite à ces bénéfices, 15 milliards de dividendes ont été versés en 2000 et l’estimation est de 32 milliards pour 2007. Certaines entreprises ont même distribués à leurs actionnaires plus de dividendes que le bénéfice réalisé ! Comment est-ce possible ? Soit en diminuant les investissements, soit en empruntant pour payer les actionnaires !! Ce fut déjà le cas en 2005 où un groupe comme Carrefour a emprunté pour racheter ses propres actions afin de satisfaire les exigences des actionnaires…En 2006, les groupes du Cac 40 ont racheté ainsi pour 8 milliards d’actions afin d’en faire monter les cours pour le seul profit des actionnaires. Il n’y a plus que dans les manuels d’économie que l’on continue à dire que la Bourse sert à financer les entreprises ! Chacun peut comprendre que ce capitalisme marche sur la tête et qu’il ne peut qu’aller dans le mur …. Il y a non seulement conflit entre le capital et le travail mais en plus au sein du capital, il y a désormais conflit entre la logique productive de l’entreprise capitaliste et celle des actionnaires… De ce fait l’entreprise soumise à la loi de l’actionnaire ne peut augmenter les salaires… non parce qu’il n’y aurait pas d’argent mais parce que l’argent est vampirisé par la logique rentière !!! En 2007, la richesse produite dans l’industrie a augmenté de 3.3% mais les salaires n’y ont augmenté que de 1.4%. Pourquoi ? Les profits eux ont augmenté de 7.4%… En France, la masse salariale dans les sociétés du CAC 40 a baissé de 2 % entre 2002 et 2005, alors que l’enveloppe versée aux actionnaires a augmenté de 36 % sur la période. « Certains grands groupes mondiaux ne savent même pas que faire de tout cet argent », reconnaît à demi-mot le patron d’une grande banque d’affaires américaine à Paris.. » (cité dans le magazine L’Expansion)

Il est malheureusement indispensable de noter que cette logique de financiarisation de l’économie a été introduite en France dans les années 80 par des gouvernements de gauche sous la présidence de F. Mitterand et que ce sont les mêmes qui ont ensuite, à partir de juillet 90, réalisé la libération des mouvements de capitaux en Europe que les Traités européens dont celui de Lisbonne nous interdisent de remettre en cause…

Une classe de profiteurs

Même si il y a une réelle autonomisation du capital au sens où celui-ci tend à fonctionner pour lui-même comme si il était animé d’une volonté propre, ce capital a une appartenance physique ou si on préfère sociale. Il y a bien une classe sociale qui profite du capitalisme contemporain : les dividendes mentionnés plus haut sont essentiellement versés à 5% de la population ! Les 10 plus gros bénéficiaires perçoivent plus de 1 milliards d’euros, 1 milliards 200 millions pour être exact. En 2006, on trouve par exemple, Liliane Bettencourt qui a empoché pour l’équivalent de 15 720 années de Smic, François Pinault, B. Arnault ou Martin Bouygues chacun entre 5 et 12 000 années, le Baron Seillière, le pauvre, seulement 3 296 années de Smic !! N’oublions pas que, sans nul doute, ces profiteurs ont aussi bénéficié des 15 milliards de cadeaux fiscaux de 2007.

Il y a 500 000 assujetis à l’ISF (+ 17% de 2005 à 2006) qui ont donc un patrimoine de plus de 760 000 euros ou, là aussi si on préfère, l’équivalent de 63 années de travail d’un Smicard !! Et l’ISF ne prend pas en compte le patrimoine professionnel, y compris sous forme d’action !! On pourrait aussi ajouter la fraude fiscale et sociale (30Mds)… Le revenu des 3 500 plus riches a augmenté de 42%. Ainsi pour faire partie des 500 plus grandes fortunes professionnelles de France, il faut avoir un patrimoine de plus de 60 millions, alors qu’en 1997 il suffisait de 15 millions …

Tout ceci à comparer avec le déficit de la Sécurité Sociale ( 12 Mds), des retraites ( 5Mds) qui selon nos dirigeants nécessitent des « réformes » , en réalité des baisses des dépenses, des diminution des retraites et des remboursements, … La Cour des comptes a fait le calcul : les stock-options distribuées aux cadres dirigeants des grandes entreprises représentent, pour la Sécurité Sociale un manque à gagner total de 3 milliards d’euros. Il s’agit en effet de revenus qui ne sont pas soumis à cotisations sociales. S’ils l’étaient ce serait 3 Milliards d’euros de recettes supplémentaires. Mais la Cour ne s’est pas contentée des stock-options : dans son rapport, elle a inventorié tous les revenus exonérés soit de cotisations sociales, soit de CSG. La liste est longue : épargne entreprise, participation, intéressement, indemnités de retraite et de licenciement, revenus fonciers, Codevi… Au total, cela représente entre 33 et 36 milliards d’euros par an de manque à gagner.

Ironie de l’histoire c’est au moment où le Parti socialiste choisit de ne plus parler de classes sociales et de leurs luttes, que les frontières de classe réapparaissent de la manière la plus nette qui soit !

L’argument de la concurrence internationale : « il faut rester compétitif » !!

On ne pourrait augmenter les salaires du fait de la compétitivité. Cet argument n’a aucune valeur ! Par exemple les variations récentes du taux de change du dollar sont bien plus importantes qu’une hausse de salaires de 5% et les entreprises ne sont pas pour autant en faillite !! Cet argument ne tient pas non plus si on prend l’écart de salaire avec la Chine : 25 fois moins qu’en France et donc une hausse de salaires de 5% ne ferait aucune différence !!! Enfin vis-à-vis de nos voisins, la France est dans la moyenne (le coût du travail y est moins élevé qu’en GB ou Belgique et un peu plus qu’en Hollande ou Allemagne !). Enfin dernier argument de taille : la baisse de la part des salaires dans la richesse signifie qu’il y a eu accroissement des profits. Ceci aurait pu permettre aux entreprises, si elles avaient effectivement eu des difficultés de compétitivité, de baisser leur prix. Or elles ne l’ont pas fait et ont choisi d’accorder comme on vient de le voir de plus en plus de dividendes. Autrement dit l’ennemi de la compétitivité n’est pas les salaires mais les actionnaires ! Pour le dire encore pus clairement, on peut augmenter les salaires sans toucher à la compétitivité : il suffit de réduire les rémunérations exigées par les actionnaires et autres rentiers…

Faut-il aller plus loin dans la démonstration ? La France dégage suffisamment de richesse pour payer une politique de logement, des retraites, de la santé et de l’éducation pour tous…

Alain Dontaine, septembre 2008


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