Misère de la Justice, Justice de la misère

lundi 6 juin 2022.
 

La condamnation de Jérôme Kerviel montre la fragilité de la Justice devant la puissance du grand capital (ici une banque). Envisager une sixième république nécessite quelques connaissances de base sur le fonctionnement de la Justice et du droit.

Le texte complet de notre dossier sur la justice compte 78 pages format A4 et environ 350 liens hypertexte. Aussi, nous l’avons divisé en sept articles dont celui-ci. En cliquant sur l’adresse URL ci-dessous, notre lecteur accèdera à la table des matières complète avec liens immédiats : La Justice à l’épreuve du néolibéralisme

Préambule

En cette période où un nombre croissant de citoyens prennent conscience que la Ve République est arrivée en bout de course et qu’il est nécessaire de réfléchir à une sixième république assise sur des fondements largement rénovés, il n’est pas inutile de rappeler quelques bases concernant l’organisation de la Justice et les fondements du droit. Ce texte peut être ainsi utilisé comme une contribution au M6r. (Mouvement pour la 6ème république)

En raison de sa longueur, il est fragmenté en plusieurs parties.

Première partie : la Justice en France.

Deuxième partie : la réforme de la Justice 2012 – 2014 : ombres et lumières.

Troisième partie : les positions du Front de gauche pour une réforme de la Justice.

1– La justice en France.

1.1 Les juridictions.

L’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle. L’organisation juridictionnelle nationale est constituée de deux grandes juridictions L’ordre judiciaire d’une part et l’ordre administratif d’autre part

L’ordre judiciaire est constitué d’une part de la matière civile et d’autre part de la matière pénale. Il se manifeste comme pouvoir par le pouvoir judiciaire

La matière civile traite de trois types de droit : le droit civil, le droit du travail et le droit commercial qui correspondent à des tribunaux spécifiques. Respectivement : Juge de proximité ; tribunal d’instance et de grande instance ; conseil de prud’hommes ; tribunal de commerce.

La matière pénale traite du droit pénal avec ses tribunaux : Juge de proximité, tribunal de police, tribunal correctionnel, cour d’assises.

À cela s’ajoutent la Cour d’appel et la Cour de Cassation divisées en chambres correspondant à chaque type de droit. Pour plus de détails, voir le site du ministère de la justice en cliquant ici (1) Et Wikipédia

Un document complet et pédagogique du syndicat Sud solidaires (2 )

L’ordre administratif est compétent en droit administratif qui est appliqué par le tribunal administratif, la cour d’appel administrative et le conseil d’État. Cette séparation entre les deux ordres judiciaire et administratif n’existe pas aux États-Unis..(3 )

L’ordre judiciaire et l’ordre administratif se manifestent comme pouvoir par le pouvoir juridictionnel

L’existence de ces deux ordres distincts résulte du principe de séparation pouvoir judiciaire et du pouvoir administratif. Pour connaître plus en détail les origines historiques de cette séparation, en comprendre les raisons techniques et politiques et aussi ses conséquences, on peut se reporter à l’article complet sur cette question dans (4)

"Selon le Conseil d’État, les Autorités administratives indépendantes (AAI) sont des « organismes administratifs qui agissent au nom de l’État et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement »

Bien qu’à l’intérieur de l’État, « l’indépendance de l’autorité implique d’abord l’absence de toute tutelle ou pouvoir hiérarchique à son égard de la part du pouvoir exécutif. Une AAI ne reçoit ni ordre, ni instruction du gouvernement ». Cette indépendance est voulue par l’État pour offrir une crédibilité et une légitimité à ces organismes évoluant dans des domaines sensibles ou soumis à des changements économiques et juridiques importants tels que les processus de déréglementation et d’ouverture à la concurrence. Cette indépendance s’entend sur deux plans…" Source : Wikipédia. Lire la suite en cliquant ici (5)

Certains constitutionnalistes voient en ces AAI l’émergence d’un quatrième pouvoir.

Les différents codes juridiques sont disponibles en ligne sur le site Légifrance (6 ) On compte environ 75 codes juridiques ce qui permet de comprendre immédiatement la complexité du droit qui s’est construit sur plusieurs siècles.

Plus de détails sur les compétences des juridictions en cliquant ici (7)

Il convient aussi de distinguer police administrative et police judiciaire.

"La police administrative, qui s’exerce sous la direction de l’autorité du même nom, a pour but de prévenir les infractions aux lois et règlements. Elle réalise sa mission par sa présence (« la peur du gendarme »…), par ses injonctions (c’est à dire les ordres qu’elle donne aux citoyens), et au besoin par son action (charge pour disperser une manifestation illégale).

Mais lorsque ce rôle n’a pu être correctement rempli, c’est à dire si une infraction a été commise, la police judiciaire entrera en action en recherchant les auteurs pour que l’action publique puisse être intentée à leur encontre. Cette fonction, exercée sous la direction du procureur de la République (art. 12 C.P.P.), la surveillance du procureur général, et le contrôle de la chambre de l’instruction (art. 13 C.P.P.) ne sera donc plus préventive, mais répressive."

Pour plus de détails : voir police judiciaire et police administrative Ici (8)

Il faut remarquer que pour chaque code, il est nécessaire d’harmoniser les dispositions de la police administrative et de la police judiciaire. Par exemple, pour le code de l’environnement, on peut se référer à un exemple figurant dans la gazette des communes. (9)

1.2 Magistrats du siège et magistrats du parquet.

Les magistrats du siège ou « magistrature assise »

Les magistrats du siège appliquent la loi et rendent des jugements conformes au droit en appliquant la loi, après avoir entendu les différentes parties au procès. Suivant qu’ils sont chargés des affaires civiles (litiges entre particuliers) ou pénales (sanctions de délits), les juges peuvent occuper différents postes.

Il existe différentes fonctions du juge. Cliquez ici pour en savoir plus (10)

Le parquet ou « magistrature debout » ou ministère Public

Beaucoup moins nombreux que les juges, les magistrats du parquet – procureurs de la République ou substituts et procureurs généraux– sont les défenseurs de l’ordre public. Ils représentent le ministère public. Ils reçoivent les plaintes et sont chargés d’une double mission : décider de l’opportunité éventuelle des poursuites contre l’auteur d’un délit et requérir une peine contre le prévenu devant le tribunal lors d’un procès. Ils ne rendent pas de jugement, mais jouent le rôle d’accusateur. ils demandent aux magistrats du siège une peine qui devront trancher eut égard, les arguments de la défense.

Ils sont chargés de l’application de la justice pénale du gouvernement En amont, ils dirigent les enquêtes de police et contrôlent les gardes à vue.

À l’inverse, des magistrats du siège, les magistrats du parquet sont soumis à un principe hiérarchique qui découle de la nature même de leurs fonctions, puisqu’ils sont notamment chargés de l’application de la politique pénale du

Le « parquetier » est placé sous l’autorité directe du garde des Sceaux (ministre de la Justice). Ce dernier est habilité à lui donner des instructions relatives à l’application de la politique pénale du gouvernement. Le procureur de la République est un magistrat de l’ordre judiciaire qui participe au contrôle du respect des garanties attachées au respect de la liberté individuelle (décision no 93-323 du 5 août 1993 du Conseil constitutionnel).

L’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet (décision no 93-326 du 11 août 1993).

Dans l’exercice de sa compétence, le législateur doit se conformer aux règles et principes de valeur constitutionnelle et, en particulier, il doit respecter le principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire et la règle de l’inamovibilité des magistrats du siège, comme l’exige l’article 64 de la Constitution (décision no 32-305 du 21 février 1992

Depuis la loi du 25 juillet 2013, relative aux attributions du Garde des sceaux et des magistrats du Ministère public, en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l’action publique, est inscrit dans le code de procédure pénale l’interdiction pour le ministre de la Justice d’adresser aux procureurs de la République des instructions individuelles, ce qui a mis fin à la pratique antérieure.

Pour plus d’informations cliquaient ici (11)

1.3 Hiérarchies des normes juridiques

En simplifiant par ordre de dominance décroissante on a : la constitution et les droits fondamentaux, la loi organique, la loi ordinaire et l’ordonnance, l e décret, l’arrêté, la circulaire, la note de service. Plus de détails sur ces points et avoir une bonne vue d’ensemble sur la justice, on peut cliquer ici (12)

1.4 Données quantitative sur la justice en France.

a) Les chiffres clés de la justice en France. (13) Plus de détails :(14)

Autres données statistiques sur la répartition des moyens financiers utilisés, la nature des affaires traitées etc. (chiffres de 2011) (15)

On remarque une grande discrétion en consultant ces données sur le nombre exact de magistrats et leur répartition (magistrats du siège, du parquet, juges non professionnels,… Il n’est pas facile de trouver les effectifs précis des magistrats. Après recherche dans différents documents statistiques, les données suivantes semblent les plus complètes. Elles sont issues du document de 247 pages concernant "Les projets annuels de performance pour la justice"( annexé au projet de la loi de finances pour 2015) Cliquez ici pour accéder au rapport complet (16)

Action n°01 : Traitement et jugement des contentieux civils 3 889

Action n°02 : Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales 3 430

Action n°03 : Cassation 271

Soit un total de 7590 magistrats opérant dans les tribunaux

Action n°05 : Enregistrement des décisions judiciaires 3 Action n°06 : Soutien 580 Action n°07 : Formation 726 Action n°08 : Support à l’accès au droit et à la justice 12

Total 8 911Magistrats Le nombre de greffiers s’élève à 9032. (Page 47 du rapport)

Le coût moyen des différentes catégories de personnel de la justice est donné à la page 97. Pour un magistrat il s’élève à 84 596 E par an

Le nombre d’affaires traitées par magistrat varie avec le niveau de la juridiction. Il est disponible aux pages 26 et 27 du rapport Par exemple pour les affaires pénales, il varie entre 214 et 1005 affaires par juge et par an.

On peut se reporter à un blog intéressant du journal Le Monde qui donne des chiffres voisins.(17)

b) Classements de la France parmi les pays de l’OCDE.

Un rapport de 570 pages de la commission européenne sur l’efficacité de la justice permet de comparer un grand nombre de données. Voici quelques chiffres Cliquez ici pour y accéder (18 )

Selon la dernière étude de la Commission du Conseil de l’Europe pour l’efficacité de la justice, la France ne dépense que 0,20% de son PIB par habitant par an pour son système judiciaire. Elle se classe 36ème sur 44 de pays de l’OCDE  ;(Voir p54 du rapport) Si on ne rapporte pas la dépense par rapport au PIB, la France dépense 61,20 euros par an et par habitant et est située au dix-huitième rang.

La France délivre sa justice avec 7032 juges (Page 162). À titre indicatif, en Allemagne en compte 19 832. Cela représente pour la France 10,7 juges pour 100.000 habitants qui classe notre pays au 36ème rang sur 47.

La répartition des juges par type de tribunal figure à la page 169 et le nombre de magistrats pour 100 000 habitants à la page 162 et 166. Le tableau page 168 montre que pour la France le nombre de magistrats pour 100 000 habitants est quasi constant depuis 2006. Aucun effort très significatif depuis cette période donc. On comprend ainsi pourquoi il est difficile dans la documentation du ministère de la justice ou de l’INSEE de trouver des cohortes statistiques facilement lisibles et accessibles à tout citoyen.

Deux articles de Radio constatant ce déficit de justice : Cliquez ici (19 ) et là (20)

Pour atteindre la moyenne européenne en nombre de magistrats pour 100 000 habitants (entre 20 et 21), il faudrait créer entre 5500 et 6000 postes de magistrats et évidemment tous les postes de greffiers et les postes de gestion administrative qui vont avec. Il faudrait par ailleurs prévoir des infrastructures immobilière et le matériel bureautique correspondant.

Or si nous consultons le rapport prévisionnel 2015, nous constatons que le nombre de postes de magistrats créés s’élève à 195 et de greffiers à 81 Mais à ces chiffres il faut ôter 38 sorties de magistrats et 15 pour les greffiers.. (Plus d’informations à la page 203).

On constate donc l’insuffisance considérable du nombre de créations d’emplois pour hisser la France à la moyenne européenne.

Mais on pourrait tout de même espérer pour un pays qui est censé être emblématique pour les droits de l’homme qu’il fasse partie du peloton de tête des pays européens et de l’OCDE. Il est bien évident que le pouvoir politique depuis au moins 20 ans est responsable de cette situation. Pourquoi en France, la Justice est-elle si mal traitée ? Qui a intérêt à la laisser dans cet état ? Pour quelles raisons ?

c) Difficulté de recrutement de magistrats

On peut se reporter à un article du Figaro sur cette question :(21)

Le blog Finance titre : France : vers une pénurie de juge, un papy – boom mal anticipé ? "Dans son récent rapport d’activité, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dénombrait 8 407 magistrats au 31 décembre 2012, chiffre en baisse pour la troisième année consécutive

Une situation d’autant plus tendue, que le nombre de candidats diminue d’année en année, de 4 130 en 1998, ils n’étaient plus que 1 513 en 2010, le plus bas niveau depuis 25 ans." (22)

d) Les avocats en France

Au 1er janvier 2012, 56 176 avocats ont été recensés sur l’ensemble du territoire national contre 39 454 dix ans plus tôt (+42%).

Avec 22 981 avocats, le barreau de Paris concentre à lui seul 41% de l’effectif total. Source : ministère de la justice (23 )

Me Kami HAERI, avocat au barreau de Paris et auteur du Rapport sur la réforme de l’accés initial à la profession d’avocat publié en novembre 2013, déclarait à l’Express, « Il y’a trop d’avocats qui entrent dans la profession. On ne pourra pas leur offrir un bon épanouissement dans les prochaines années ». En effet, la profession connaît une stagnation du revenu moyen des jeunes avocats autour de 25 645 depuis 2008. Cette croissance de l’effectif des avocats risque de faire chuter ce revenu moyen Source : Expert Lab (24)

Au premier janvier 2013, on comptait 58 224 avocats en France selon les statistiques de la commission européenne. Source (25 ) Cela correspond à une croissance de 2048 avocats en un an c’est-à-dire de 3,5 % voisine des 4,2% de la croissance moyenne annuelle observée sur 10 ans. Il y avait donc en 2013 environ 7,5 fois plus d’avocats que de juges exerçant dans les tribunaux.

Rappelons que le nombre de postes supplémentaires net de magistrats prévus de 2014 à 2015 sera de 157 (195 – 38) c’est-à-dire d’un ordre de grandeur de 10 fois moins élevé. Tout citoyen informé de ces chiffres sera conduit à se poser la question : Cela ne contribue-t-il pas à neutraliser l’action des juges ?

1.5 Un principe fondamental des régimes démocratiques : La séparation des pouvoirs

A) En France

A1– La théorie de la séparation des pouvoirs a commencé à être élaborée par Locke (1632 – 1704) dans son Traité du gouvernement (1690) puis a été clairement définie par Montesquieu (1689 – 1755) dans L’Esprit des lois publié à Genève en 1748.

A2– Les constitutions des années 1790

La nécessité d’une telle séparation inspirera l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui affirme (bien que de façon allusive et sans aucune précision) : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

La loi du 16 et 24 août 1790 fonde l’organisation judiciaire post – révolutionnaire. Les articles 10, 12 et 13 sont destinés à empêcher le pouvoir judiciaire d’empiéter sur les deux autres. C’est pourquoi l’article 10 défend aux juges de fixer des règles législatives et l’article 12 de faire des règlements. L’article 13 défend aux juges de s’intéresser aux actes du pouvoir exécutif et de mettre en cause les pouvoirs publics. C’est cet article qui est encore invoqué en cas de conflit d’attribution entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.

– La constitution de 1791 définit clairement la séparation des trois pouvoirs dans son titre III articles 3 – 4 – 5 La loi du 2 septembre 1795 confirme cette séparation (26) et (27 ) http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de...’organisation_judiciaire http://fsjp.ucad.sn/files/dieye/loi...

A3–Trois « blocs » bénéficiaient alors du principe de séparation des pouvoirs : l’Exécutif, composé du Président de la République, du Premier ministre, du Gouvernement, du C.E.S.E., et des autorités administratives largo sensu ; le Parlement, composé à la fois du Parlement-législateur et des différentes instances parlementaires ; et le pouvoir juridictionnel, comprenant les deux ordres de juridictions, les juridictions spéciales et les services afférents. Toutefois, il semble qu’un quatrième pouvoir se détache progressivement. En effet, les A.A.I, (Autorités administratives indépendantes) initialement rattachées au pouvoir exécutif par le Conseil constitutionnel, semblent aujourd’hui être en passe de constituer un pouvoir indépendant dans la jurisprudence constitutionnelle.(28)

A4 –La théorie de la séparation des pouvoirs a évolué avec le temps comme le souligne Maurice Duverger dans son traité :Institutions politiques et droit constitutionnel. "Il est intéressant de noter que la théorie de la séparation des pouvoirs a partiellernent changé aujourd’hui de signification politique. A l’origine, elle fut un moyen de développer la démôcratie dans le cadre d’un Etat monarchique ; elle tend parfois à être utilisée maintenant comme moyen de restreindre les prérogatives des organes émanant du peuple, dans le cadre d’un Etat démocratique.

Ainsi, en régime parlementaire, les partis conservateurs invoquent la séparation des pouvoirs ontre le Parlement, émanant du suffrage universel, pour développer les pouvoirs du gouvernement ou des juges, qui émanent beaucoup moins directement de la souveraineté populaire.

Au contraire, certaines théories démocratiques, qui se veulent absolues, n’admettent qu’une division du travail entre organes gouvernementaux, une simple répartition des tâches, et non une séparation des pouvoirs : tel est le cas en U.R.S.S. Mais la séparation des pouvoirs peut avoir une autre signification politique à notre époque, comme on le verra en étudiant la distinction du pouvoir gouvernemental et du pouvoir délibératif ." (P 171)

A5– Séparation des pouvoirs ou séparation des fonctions ? Telle est la question posée par une étude comparative des différentes conceptions de séparation depuis Aristote. (29)

A6– Toutefois, cette théorie n’a pas toujours été strictement mise en œuvre par les différents régimes démocratiques. En effet, une séparation trop stricte des différents pouvoirs peut aboutir à la paralysie des institutions : tel fut le cas en France sous le Directoire (1795-1799) et sous la IIe République (1848-1851), où le conflit entre l’exécutif et le législatif s’est à chaque fois soldé par un coup d’État. Voir (30)

A7– De la collaboration à la séparation des pouvoirs

Les deux fonctions, législative et exécutive, sont bien confiées à deux organes distincts à titre principal, mais chacun des organes peut intervenir, à titre secondaire, dans l’exercice de la fonction de l’autre organe.

• L’immixtion des organes exécutifs dans l’exercice de la fonction législative se traduit par l’initiative des lois qui est reconnue à l’exécutif et au Parlement.

• L’immixtion des organes législatifs dans l’exercice de la fonction exécutive se traduit par l’autorisation de ratifier les traités qui appartient au pouvoir législatif.

Ces immixtions étant réciproques, la séparation des pouvoirs est ainsi rétablie, mais de manière souple. Les auteurs classiques parlent de collaboration des pouvoirs puisque l’exécutif et le législatif participent à l’exercice des différentes fonctions de manière équilibrée.

A8 Le libéralisme politique de la division du pouvoir.

Dans son ouvrage "De l’État , tome 3, Le mode de production étatique"(1977), se référant à Montesquieu qui classe les régimes des pays européens à l’aune de la séparation des pouvoirs, le philosophe marxien Henri Lefèbvre, considère que Montesquieu a une vision peu réaliste de l’unité politique de l’État.

"…La liberté, c’est-àdire, en fin de compte, I’agrément de I’individu et de la possibilité pour lui de se faire une place dans la société, trouve ses meilleures conditions en Angleterre, celle du XVIIIe siècle : séparation des pouvoirs de façon qu’ils se contre-balancent et sëqui-librent.

Montesquieu se contente donc de classer en les appréciant selon son critère moral les gouvernements. Son classement obscurcit I’analyse de I’Etat dont cependant il perçoit la montée menaçante en Europe. Montesquieu formule donc l’idéologie du libéralisme, ses voeux et précautions, toujours démentis par I’unité de l’Etat et du pouvoir politique.

N’est-il pas clair que la division réelle du pouvoir politique dans l’unité de I’Etat coincide rarement avec la séparation idéale formulée par Montesquieu ? Citons, pour l’exemple, le partage du pouvoir entre militaires, technocrates et hommes d’appareil (de partis). Ce tripartisme moderne n’a rien de commun avec la triade invoquée si souvent depuis Montesquieu. Celui-ci a donc la gloire d’avoir divulgué le mystère théologique de I’Etat (la Trinité étatique). Il reste le patron du néolibéralisme ; et sert encore à rendre manifestes les contradictions du statut libéral."(P 53)

Il n’en reste pas moins vrai que la notion de séparation des pouvoir a constitué une avancée révolutionnaire contre l’absolutisme. N’oublions pas que l’une des caractéristiques des dictatures c’est précisément la confusion de ces trois pouvoirs.

A9–La séparation des pouvoirs dans la constitution de la Ve République.

Pour mettre un terme à l’instabilité politique chronique de la IVe République et dans le contexte de la guerre d’Algérie, la constitution de 1958 confère au pouvoir exécutif une forte prédominance.

a) Il ne faut pas s’attendre de la part de Jean-Louis DEBRÉ, fils de Michel Debré qui a été le rédacteur avec le général De Gaulle de cette constitution, et ancien président du RPR, compagnon de route de Jacques Chirac, à une vision critique de cette constitution. Mais le texte, dont il est est l’auteur, auquel nous faisons référence ici, intitulé : "Justice et séparation des pouvoirs en droit constitutionnel français." est intéressant d’un point de vue technique et par les limites de sa conception de l’indépendance de l’autorité judiciaire. (Ce texte date de 2008 et Jean-Louis Debré et président du conseil constitutionnel depuis 2007.)

En réalité le principe de séparation des pouvoirs dans la constitution de 1958 est floue. D’ailleurs, Jean-Louis Debré termine son exposé par

"En définitive, la relative discrétion de la Constitution de 1958 sur la question de la séparation des pouvoirs à l’égard de la justice s’est révélée avantageuse. Elle a permis au Conseil de développer une jurisprudence à la fois précise et souple, adaptée à la diversité des situations qui lui étaient soumises, tout en faisant progresser la reconnaissance de ce principe fondamental de l’Etat de droit." (31 )

La constitution de 1958 a été modifiée 24 fois entre 1958 et 2014. Pour accéder à ces modifications, cliquez ici (32 )

C’est en prenant prétexte de ces possibilités de modification que les défenseurs des institutions de la Ve République considèrent comme inutile la création d’une sixième république.En suivant ce raisonnement, on peut considérer qu’une telle constitution pourrait être conservée tant que la France existera…

On est donc amené à s’interroger sur la manière dont le conseil constitutionnel est intervenu sur cette question et constituer une jurisprudence.

b) Le principe de séparation des pouvoirs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

"… Malgré la diversité de positions doctrinales sur la séparation des pouvoirs, il existe un dénominateur commun à chacune d’entre elles : la nécessité d’une indépendance organique. Il est alors intéressant de constater que le Conseil choisit de suivre la doctrine en faisant de cette indépendance la ligne directrice de sa jurisprudence.…" […]

"Le juge constitutionnel devra s’assurer que les dispositions législatives soumises à son contrôle ne permettent pas à un pouvoir, d’une part, de participer à la détermination de la composition d’un organe relevant d’un autre pouvoir ni, d’autre part, de porter atteinte à son autonomie fonctionnelle.

En premier lieu, l’indépendance dont bénéficie un organe au stade de sa composition exclut d’abord, selon la théorie classique de la séparation des pouvoirs, qu’un pouvoir autre que celui dont il relève puisse participer à la nomination de ses membres

Les décisions du Conseil ne révèlent pourtant aucune trace de l’application de cette règle aux organes de l’Exécutif et du Parlement. Mais ce silence de la jurisprudence constitutionnelle ne signifie pas pour autant que l’indépendance de ces derniers n’est pas assurée.En effet, la Constitution, lorsqu’elle ne prévoit pas l’élection des membres des organes, reprend généralement cette règle." Texte complet en cliquant ici (33)

B) La séparation du pouvoir dans l’Union Européenne. Cour européenne de Justice.

Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’Etat a traité de cette question à l’occasion du 130 ème anniversaire du CSM le 24 octobre 2013

"…Car, contrairement à ce qui s’observe dans la plupart des Etats, la quête d’identification d’un pouvoir législatif et d’un pouvoir exécutif se révèle vaine. Il ne faut pas s’en étonner et l’inverse reviendrait à nier les spécificités mêmes de l’ordre juridique de l’Union européenne. Le pouvoir y est en effet diffus, au point que l’on parle d’ailleurs plus volontiers de « fonctions » législatives et exécutives, partagées entre plusieurs institutions[iii] qui se limitent réciproquement et s’équilibrent mutuellement : elles agissent, selon les termes des traités, dans la limite des compétences qui leur sont conférées, et pratiquent entre elles une « coopération loyale »[iv].

Cette forme spécifique de séparation des pouvoirs « se caractérise par une dissociation marquée entre l’organe et la fonction : aucun organe n’a une fonction exclusive, aucune fonction n’est exercée par un seul organe »[v]. Elle est souvent qualifiée de « collaboration fonctionnelle »[vi] et résulte de la nécessité de permettre la représentation de plusieurs légitimités au sein de l’Union : celle des Etats membres et de leurs gouvernements au sein du Conseil de l’Union et du Conseil européen, celle des peuples au sein du Parlement européen et celle de l’intérêt général de l’Union par la Commission européenne.

Mais l’originalité de cette forme de séparation des pouvoirs résulte également de la superposition d’une séparation horizontale, entre les organes de l’Union européenne, et d’une séparation verticale, entre l’Union et les Etats membres.…" Texte complet cliquant ici (34)

1.6 Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

A – L’importance capitale du CSM.

Cet organe a une importance considérable puisque c’est lui qui incarne ou devrait incarner l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il nomme les magistrats, assure leur avancement de carrière et traite des problèmes disciplinaires. La manière dont sont nommés ses membres détermine le degré d’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif.

C’est la raison pour laquelle, malgré son caractère qui peut paraître technique, nous reproduisons ici en détail les termes de sa composition.

À une époque où le pouvoir économique et financier exerce une forte influence sur le pouvoir politique, le nombre d’affaires politico–financières et de corruption a considérablement augmenté et la capacité pour la Justice de lutter contre la délinquance des hommes et femmes de pouvoir dépend pour une bonne part de l’indépendance du CSM par rapport à l’exécutif et au législatif.

B–Historique

La première occurrence remonte, en France, à la Troisième République. La loi du 31 août 1883 relative à l’organisation judiciaire confie alors l’exercice du pouvoir disciplinaire sur les juges à la réunion des chambres de la Cour de cassation, constituée en Conseil supérieur de la magistrature, le Gouvernement étant représenté en son sein par le procureur général près cette cour. Sénat : (35)

Dans la constitution du 27 octobre 1946 de la IVe République, c’est l’article 83 qui définit le CSM.(36)

Un historique depuis 1946 est disponible sur le site du CSM en cliquant ici (37)

"La Constitution du 27 octobre 1946 place-t-il l’institution sous la présidence du Président de la République et sous la vice-présidence du garde des Sceaux. Sa composition comprend quatorze membres à savoir six personnalités élues par l’Assemblée nationale, quatre magistrats élus par leurs pairs et deux membres désignés par le Président de la République. Les pouvoirs du Conseil étaient étendus en ce qu’il proposait au Président de la République la nomination des magistrats du siège, assurait tant leur indépendance que l’administration des tribunaux judiciaires cette dernière attribution n’ayant toutefois jamais été exercée. […] Toutefois, n’ayant pu trouver son point d’équilibre dans le concert institutionnel de l’époque, le Conseil supérieur de la magistrature est devenu un organe contesté et affaibli que la Vème République a réformé en profondeur…

Ainsi, tout en confirmant l’ancrage constitutionnel du Conseil supérieur de la magistrature, sa présidence par le Président de la République et sa vice-présidence par le garde des Sceaux, la Constitution du 4 octobre 1958 a modifié sa composition en la réduisant à neuf membres nommés par le chef de l’Etat, soit directement s’agissant des deux personnalités qualifiées, soit sur proposition du bureau de la Cour de cassation concernant six magistrats ou de l’assemblée générale du Conseil d’Etat pour un conseiller d’Etat."

Telle fut la première composition du CSM dans la constitution de 1958.

C– Le CSM échappe à la séparation des pouvoirs : Henri Lefèbvre avait raison contre Montesquieu.

On constate donc ici une confusion des pouvoirs : dans le cas du régime parlementaire de 1946, une domination du judiciaire par le législatif et dans le cas du régime présidentiel de 1958, une domination du judiciaire par l’exécutif.

L’Histoire a montré et montre encore que cette confusion fait perdre au CSM de sa légitimité c’est-à-dire de son caractère qui devrait être impartial à l’égard des pouvoirs politiques. Compte tenu de l’impact sur le corps électoral, cette situation n’est pas sans conséquences sur la stabilité des régimes politiques qui, apeurés par le pouvoir des juges, n’osent pas leur donner une autonomie suffisante. Cette peur, à terme se retourne contre les politiques, qui finissent par perdre leur crédibilité par absence de preuve de leur probité. Ce phénomène se trouve renforcé lorsque l’autonomie relative des juges permet un certain nombre de condamnations d’élus. Dans un tel contexte, il est nécessaire de prendre toutes les mesures institutionnelles pour que l’indépendance des juges ne puisse paraître insuffisante.

D– Le CSM et la constitution de 1958 dans sa formulation actuelle.

L’autorité judiciaire est définie dans les articles 64 et 65 de la constitution

Article 64 :

Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.

Une loi organique porte statut des magistrats.

Les magistrats du siège sont inamovibles.

L’article 65 a été modifié 3 fois depuis 1958 et sa formes actuelle résulte de sa révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Le président de république et le garde des sceaux ne font plus partie du CSM mais le nombre de magistrats du CSM devient inférieur au nombre de personnalités extérieures.

L’article 65 de la constitution définit la composition et le rôle du conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Il est constitué de deux formations : l’une compétente à l’égard des magistrats du siège, l’autre compétente à l’égard des magistrats du parquet.

"La formation compétente à l’égard des magistrats du siège est présidée par le premier président de la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’État désigné par le Conseil d’État, un avocat ainsi que six personnalités qualifiées qui n’appartiennent ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. La procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable aux nominations des personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée du Parlement sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l’assemblée intéressée.

La formation compétente à l’égard des magistrats du parquet est présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que le conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités qualifiées mentionnés au deuxième alinéa.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme."

Le dernier alinéa de l’article 13 s’énonce ainsi : "Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés"

Cliquez ici (38) pour accéder au contenu complet des articles 64 et 65.

Commentaires :

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 met fin à la présidence du Conseil par le président de la République, élargit la composition du Conseil (les magistrats devenant minoritaires), reconnaît au Conseil une compétence consultative pour la nomination des procureurs généraux, et permet à un justiciable de saisir directement le Conseil à titre disciplinaire.

Le CSM comprend alors 7 magistrats pour chaque formation, un conseillers d’État, un avocat et six personnalités extérieures soit 8 personnalités qui ne sont pas des magistrats du siège et du parquet. Les magistrats sont donc minoritaires dans chaque formation. D’autre part les nominations des personnalités extérieures par le président de république et le président de chaque assemblée constituent une immixtion organique du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif dans le pouvoir judiciaire.

Nous allons voir dans le paragraphe suivant comment et par qui cette nouvelle composition du CSM a été contestée puis la réforme proposée par Hollande et Taubira.

Fin de la première partie

Hervé Debonrivage

Annexes :

A) Droit public et droit privé

Cette distinction est de caractère descriptif et est utilisée par les universités pour préciser les différents champs d’intervention du droit.

1. Droit public (40)

http://www.toupie.org/Dictionnaire/...

On appelle "droit public" l’ensemble des règles de droit qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’Etat, de l’administration des collectivités territoriales et des institutions rattachées à l’Etat (personnes de droit public), ainsi que leurs relations avec les personnes privées.

Avec des prérogatives spécifiques à la puissance publique, le droit public défend l’intérêt général. Il s’oppose en cela au droit privé qui régit les rapports entre les personnes privées, physiques ou morales. Cette classification, qui est artificielle et n’est pas prévue par le droit, a été introduite par les universités dans un but descriptif.

Le droit public recouvre plusieurs domaines : • le droit constitutionnel, • le droit administratif, • le droit fiscal, • les finances publiques, • le droit international public (rapports entre les Etats ou les organisations internationales).

Droit privé (41)

http://www.toupie.org/Dictionnaire/...

On appelle "droit privé" l’ensemble des règles de droit qui régissent les rapports entre les personnes privées qu’elles soient physiques (particuliers) ou morales (entreprises, associations...). Il traite des actes et de la vie des particuliers comme le mariage, le divorce, l’héritage, l’adoption, la propriété, les contrats, etc.

Le droit privé s’oppose au droit public qui traite des relations entre les personnes privées et les institutions publiques ou des relations des institutions publiques entre elles.

Les principales branches du droit privé sont : • le droit civil, • le droit social (droit du travail, sécurité sociale), • le droit des affaires, • droit commercial, • droit des sociétés, • droit de la concurrence, • droit de la consommation, • droit bancaire. • le droit rural (propriété agricole et exploitation des terres)

Le droit international privé est l’ensemble des règles applicables aux relations de personnes privées vivant dans des pays différents. Il a pour but de résoudre les conflits de lois issus de relations entre personnes étrangères, en particulier de savoir quel est le droit qui s’applique à la relation et de traiter des conflits de juridiction. Il s’oppose au droit international public, dont l’objet est exclusivement de régler les rapports existant entre Etats.

B) Les symboles de la justice

Voir petite vidéo sur le site du ministère de la justice http://www.justice.gouv.fr/histoire...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message