La finance plutôt que l’industrie : un nouvel exemple avec Carbone Savoie

mardi 13 mai 2014.
 

Mercredi 7 mai, lors d’un déplacement dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, j’ai rencontré une délégation de la CGT de l’usine Carbone Savoie de Lannemezan, usine menacée de fermeture.

Carbone Savoie est une filiale à 100 % du Groupe Rio Tinto Alcan, spécialisée dans la fabrication des cathodes en carbone et en graphite, utilisées dans la fabrication et la maintenance des cuves d’électrolyse de l’aluminium. C’est une ancienne filiale de Pechiney, elle-même rachetée par le groupe canadien Alcan en 2006, le tout acquis par Rio Tinto en 2007. Elle emploie 550 personnes environ, sur les sites de Notre-Dame-de-Briançon (Savoie), de Vénissieux (Rhône) et de Lannemezan (Hautes-Pyrénées).

Sous prétexte de difficultés sur le marché de l’aluminium, Carbone Savoie a décidé de restructurer, « à titre préventif », ses 3 sites en France : 84 postes seraient supprimés au total entre Notre Dame de Briançon et Vénissieux, et l’usine de Lannemezan qui emploie 60 personnes, sans compter la centaine d’emplois induits chez les sous-traitants, serait fermée à la fin de l’année 2014. Mais cette fermeture risque de n’être que le prélude à celle de tous les sites en France.

Carbone Savoie n’est pas en difficulté. Elle a dégagé 52 millions d’euros de bénéfices durant les 5 dernières années sur la totalité des 3 sites français. Rio Tinto, la maison mère, a annoncé un résultat positif de 10,5 milliards de dollars pour l’année 2013, malgré une conjoncture très défavorable selon le PDG. Les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 15 % en 2013. La demande d’aluminium a toujours été soumise à des cycles, en général de 5 ans. Décider d’une restructuration à partir du prix d’une année n’a donc pas de sens. Le produit fabriqué par l’usine de Lannemezan est indispensable pour la fabrication d’aluminium et ce, alors que la demande mondiale d’aluminium a une croissance constante de 5 à 7 % par an. Pour répondre à la demande de plus de 40 millions de tonnes à l’horizon 2020, les capacités de production doivent donc doubler par rapport à celles de 2010.

Le sort des travailleurs a failli se régler en deux mois à cause des nouvelles procédures imposées par l’ANI sous la houlette de ce gouvernement PS. Par leur lutte, ils ont obtenu un délai de 4 mois.

L’expertise industrielle et économique du cabinet Secafi mandaté par la CGT indique « la fermeture de Lannemezan pourrait accroître les difficultés de Carbone Savoie et non les solutionner (…). Le différentiel de coûts qui pénalise Carbone Savoie comparativement à ses concurrents renvoie bien plus sûrement au défaut d’investissements offensifs consentis ces dernières années qu’à l’éclatement géographique de Carbone Savoie sur trois sites ou qu’au niveau des salaires de ses employés ». Pour le cabinet Cidecos, mandaté dans le cadre de l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail, la fermeture du site de Lannemezan ne pourrait conduire qu’à l’aggravation des conditions de travail dans les autres sites de Carbone Savoie.

La CGT fait des propositions. Puisqu’il s’agit d’attendre la reprise du marché de l’aluminium, il est possible de sauver cet outil industriel au moyen de « mesures d’âges financées exclusivement par l’entreprise et prévues dans l’actuel plan de sauvegarde de l’entreprise » qui permettraient aux plus vieux un repos bien mérité et aux plus jeunes de conserver leur emploi.

Je ne peux donc que soutenir la section CGT de l’usine lorsqu’elle dit : « La fermeture du site de Lannemezan ne se justifie pas. C’est une aberration économique, industrielle et un gâchis social ».

Il semble que Rio Tinto veuille se séparer des usines liées à la production d’aluminium en France car c’est principalement une société d’extraction de minerais, secteur où les marges réalisées sont bien plus importantes. Après s’être débarrassée en 2013, des sites de Saint-Jean-de-Maurienne et de Castelsarrasin, elle vient d’annoncer 65 suppressions d’emplois, soit 10 % de l’effectif, dans l’usine de Dunkerque, dernière usine d’électrolyse existante en France et dont l’avenir est lié à un accord sur l’alimentation énergétique qui vient à échéance en 2016. Qu’en sera-t-il ensuite ? On ne peut qu’être inquiet.

Aujourd’hui seul 1/3 de l’aluminium consommé en France y est produit. Airbus et Dassault, par exemple, sont de gros consommateurs qui n’utilisent que de l’aluminium haut de gamme produit en France. La part de l’aluminium dans la construction automobile va augmenter de façon importante pour alléger les structures des voitures afin de baisser la consommation de carburant. L’enjeu est donc de savoir s’il peut rester une industrie de l’aluminium ou si comme précédemment avec le rachat de Péchiney par Alcan puis son démantèlement, ou maintenant avec le bradage d’Alstom, la France va perdre toute maîtrise sur son outil industriel, et notamment dans les industries qui sont indispensables à toute transition énergétique et à toute réorientation écologique.


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