Le thème de la nation est entré en trombe dans la campagne présidentielle. Il n’y a pas à le regretter car se pose effectivement plusieurs problèmes politiques fondamentaux liés à lui. En ce début de 21ème siècle, dans le contexte du capitalisme financier transnational :
* comment protéger les acquis démocratiques et sociaux de la communauté nationale au sein de l’Europe libérale ?
* comment défendre les salariés, les couches populaires et l’intérêt public ?
* quelle place pour l’Etat national dans une perspective de stratégie socialiste ?
* comment maintenir un rôle d’acteur à l’Etat y compris au plan économique ?
* comment faire fructifier la citoyenneté nationale tout en intégrant nos frères immigrés venus d’autres pays, d’autres continents ?
* comment définir la nation et convaincre nos concitoyens de partager un contrat collectif dont les sources se trouvent en partie dans une identité héritée de la Révolution française, des combats pour la République sociale, de la Résistance... ?
La campagne sur le référendum du printemps 2005 comme par exemple les campagnes Jospin de 1995 et 1997 avaient déjà montré l’extrême sensibilité de notre peuple sur ces sujets.
Le problème, c’est que :
* d’une part, Nicolas Sarkozy l’a lancé sur des bases que la gauche aurait dû refuser et réfuter
* d’autre part Ségolène Royal a choisi depuis quinze jours de s’accaparer le sujet de façon essentiellement médiatique, non relayée par des propositions sur les questions citées ci-dessus
* enfin Olivier Besancenot occupe le flanc d’une critique gauche de la candidate socialiste sur un positionnement qui, pour l’essentiel, chaque soir, évacue la question nationale au profit d’un internationalisme intransigeant et abstrait. Cette attitude de principe a l’avantage de la cohérence, le défaut de ne pas s’adresser à la majorité des citoyens.
" Nous, c’est plutôt le drapeau rouge et l’internationale, tout le monde le sait" ( Dijon le 26 mars)
" Il y a mieux à faire que ... revisiter les racines de la révolution française. Moi je passe mon tour. Mon drapeau, c’est le drapeau rouge. Point barre. Mon identité, elle est sociale, plus que nationale. Ma carte d’identité, c’est ma fiche de paie. » (Meeting de Rézé le 27 mars)
"Moi, mon drapeau, c’est plutôt le drapeau rouge... Ma carte d’identité, c’est ma fiche de paie" (France 2 le 2 avril)...
" « C’est pas la Marseillaise ma chanson préférée, c’est l’Internationale » ( interview à la Télélibre.fr)...
Il ne fait aucun doute que Nicolas Sarkozy a voulu placer la campagne présidentielle sur le terrain de l’identité nationale, en particulier depuis son discours de Caen ( 8 mars) afin de ne pas répondre sur les questions sociales. Après les luttes sur le logement, de nombreuses grèves éclatent pour des augmentations de salaire. Par ailleurs, la sensibilité populaire française est actuellement très forte sur les questions des licenciements, des délocalisations, des superprofits patronaux.
Il ne fait aucun doute que la droite essaie et essaiera de rééditer sur ce thème de l’identité nationale et celui de l’insécurité le même type de campagne médiatique qu’en 2002.
La droite peut avoir un discours simple sur ces sujets : Tolérance Zéro, Vive l’identité nationale, les Gaulois, Clovis, Jeanne d’Arc et De Gaulle. Elle sait que la communication médiatique actuelle favorise ce type de discours-cliché à l’emporte pièce au détriment d’une argumentation plus complexe.
La droite libérale a retenu la campagne démagogique qui a permis à Bush père de devenir président des Etats Unis en 1988, en centrant les débats sur la criminalisation des drapeaux américains brûlés (1à 7 par an). Les parlementaires avaient embrayé sur le sujet ; les médias avaient embrayé sur le sujet alors qu’au même moment la corruption profitant de la dérèglementation des Caisses d’épargne était bien plus caractéristique des question économiques, sociales et politiques à régler par la société américaine.
Ces thèmes de l’insécurité et de l’identité nationale tendent à unifier l’électorat de droite et d’extrême droite alors qu’ils amènent des réponses différentes entre la gauche et l’extrême gauche.
L’insistance de Nicolas Sarkozy sur l’histoire de France, les grands anciens de gauche comme de droite qui ont oeuvré à la grandeur de la France... me paraît caractéristique du profil politique sur lequel il essaie de gagner ces présidentielles et de s’imposer sur la scène politico-sociale du pays. Il s’agit d’un discours typiquement bonapartiste et non comme on le voit écrit, ici ou là, fasciste, conservateur classique ou même de droite ultra-libérale.
Nicolas Sarkozy est un ultra-libéral, protégé de Georges Bush et des milliardaires ! Pas de doute là-dessus. Mais les groupes de réflexion de la droite ont probablement tiré un bilan de l’échec des douze ans de présidence Chirac :
la force du mouvement social, sa capacité à mettre en échec des projets ultra-libéraux
la puissance du corpus idéologique républicain dans les profondeurs du pays qui conforte le mouvement social pour enrayer, épuiser des équipes politiques libérales "droites dans leurs bottes" style Juppé.
Aussi, le candidat collectif de la droite reprend la seule tactique qui ait permis à la bourgeoisie française d’avoir parfois du répit : le bonapartisme, c’est à dire la valorisation d’un homme providentiel, garant de l’unité nationale, se plaçant au-dessus des partis, faisant vibrer la corde populiste. La droite française sait ce qu’elle doit au bonapartisme valorisant la défense de l’identité nationale pour mieux protéger les intérêts capitalistes.
Revoici donc le spectre de Napoléon III, Boulanger, Pétain et De Gaulle, avec une Constitution de la 5ème république précisément rédigée pour faciliter cette solution politique. De Gaulle était héritier d’une tradition intellectuelle élitiste, d’ordre moral "vieille France" marquée par Maurras ; Nicolas Sarkozy paraît plus capable de jouer sur des cordes variées en bon saltimbanque bonapartiste du cirque médiatique : dans l’immédiat, ces discours signalent parfois, rapidement, les attaques anti-démocratiques à venir, en particulier contre les acquis sociaux mais diluées dans des références à la République et à l’unité nationale par dessus les partis.
Ce type de campagne présente un autre avantage pour la droite. Le staff de Ségolène Royal paraît avoir misé aussi, pour elle, depuis décembre, sur un positionnement bonapartiste "républicain et sécuritaire" au centre de l’échiquier, capable de rassembler capitalistes et salariés, faisant vibrer la corde nationale. Ce positionnement médiatique misait sur un Sarkozy ouvertement ultra-libéral et le diabolisait sur ce terrain ; or, le petit diable bleu a choisi la même tonalité bonapartiste "républicaine et sécuritaire" que la belle dame en blanc.
Dans le type de profil bonapartiste, Nicolas Sarkozy se positionne cependant sur un point, de façon très différente de Ségolène Royal. Il assure et assume sans cesse le constat d’une crise grave de la société française d’où la nécessité de ruptures importantes. Pour apparaître comme un candidat de rupture avec le passé, il ne cherche pas à apparaître au centre du champ politique traditionnel mais ailleurs sur un registre fortement populiste et national sinon nationaliste.
Son "grand discours de campagne" de Caen (8 mars) mérite d’être lu attentivement. Il est extrêmement travaillé et habile dans la forme. Sa référence permanente à l’identité nationale héritée de l’histoire caractérise sa campagne électorale et préfigure probablement une facette de sa posture idéologique s’il était élu. Il n’est pas suffisant de lui reprocher sa référence à Jaurès et Blum.
Qu’en retirer d’essentiel ?
La cohérence idéologique des discours de Nicolas Sarkozy est essentiellement "nationale" avec un appel à l’unité et au travail pour retrouver "la grandeur de la France". Ce choix de communication sur le thème du "national" ressasse la référence aux grands hommes du passé (de toutes opinions), l’unité de la France, le respect du travail et des travailleurs, la défense de la république... Cet usage de l’histoire et de la morale permet de ne pas insister sur le projet politique peu public "libéral".
Ceux qui décrivent Nicolas Sarkozy comme une espèce de pantin ultra-libéral pro-américain à la solde des multinationales passent à côté du profil politique sur lequel il campe actuellement. Ce positionnement médiatique sert à occulter son projet mais il n’est probablement pas seulement conjoncturel ; il fait partie d’une sorte de terreau idéologique bonapartiste pour prendre et occuper le pouvoir politique dans la France de 2007.
Le Nicolas Sarkozy de cette campagne se positionne autant sinon plus comme national que comme libéral ; son discours de divinisation de la France éternelle est plus proche d’un Maurice Barrès ( ou de l’italien Fini) que de la droite libérale pro-américaine classique. Il en est proche par son souffle populiste mais avec bien plus d’appuis capitalistes, une grande qualité de communication et une meilleure intégration de la tradition intellectuelle républicaine.
Que l’on ne s’y trompe pas : le baratin électoraliste de Sarkozy vise juste pour accrocher une partie des citoyens français en mal d’identité nationale qui ont besoin d’être rassurés sur la volonté des politiques de protéger la maison France dans le contexte de la mondialisation libérale et de l’Union européenne actuelle.
De son très long discours, je n’ai retenu ci-dessous que ce qui me paraît intellectuellement essentiel, hors de toute polémique.
* Nicolas Sarkozy puise largement dans la tradition intellectuelle de la droite nationale exaltant la France éternelle de Clovis, de Jeanne d’Arc, des soldats de l’An II et de l’épopée coloniale. Ce discours peut avoir d’autant plus de poids que la matrice idéologique de l’Histoire de France transmise par l’école a longtemps été proche " La France c’est une vieille nation... C’est un pays qui a une longue histoire. C’est un pays qui s’est forgé au cours des siècles une identité, une personnalité... la mode de la repentance est une mode exécrable... Je n’accepte pas cette bonne conscience moralisatrice qui réécrit l’histoire dans le seul but de mettre la nation en accusation".
* Nicolas Sarkozy divinise la France éternelle avec un toupet effarant " La France, c’est le pays de la République, qui s’est toujours battu depuis deux cents ans pour la liberté, l’égalité et la fraternité de tous les hommes". La phrase ne manque pas de souffle épique pour un discours de campagne. Dans le même temps, le candidat reste dans la tradition historique de la droite dont il est héritier : "Non, tous les Français dans les colonies n’étaient pas des monstres et des exploiteurs. Non, tous les Français ne furent pas pétainistes... La vérité c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation"...
* Plus on relit les discours de Nicolas Sarkozy durant cette campagne et en particulier celui de Caen, plus on décrypte l’importance de cette divinisation de la France éternelle qui fait de la France une VALEUR en tant que telle et même la VALEUR UNIVERSELLE intégrant les autres. Ce baratin sur l’identité nationale française n’est en réalité qu’un outil de marketing politique pour candidat libéral aux présidentielles françaises mais la communication est assurée avec perfection dans le style des télé-évangélistes américains : " Qu’est-ce que la France sinon un combat multiséculaire pour la dignité de la personne humaine et pour sa liberté ? Qu’est-ce que la France sinon une culture qui se veut l’héritière de toutes les cultures qui dans le monde ont apporté quelque chose à l’idée d’humanité ? Qu’est-ce que la France sinon la foi dans la capacité de l’homme à s’améliorer ? Sinon une identité forgée par des siècles d’histoire et des valeurs partagées"...
* La France éternelle divinisée intègre tous les français dans un même moule, sans se préoccuper de vérité historique (2000 ans de christianisme !) " La France c’est la pensée claire, c’est la raison, c’est l’esprit des Lumières. C’est aussi 2000 ans de christianisme, 2000 ans de civilisation chrétienne. C’est Saint Denis, c’est Reims, c’est le Mont Saint-Michel. C’est Dieu sorti de la pénombre du sanctuaire où l’art roman l’avait enfermé pour être offert à la lumière des cathédrales. C’est la morale laïque qui incorpore 2000 ans de valeurs chrétiennes. C’est le respect de toutes les religions. C’est l’universalisme et c’est l’humanisme"...
* La France éternelle divinisée par les discours de Nicolas Sarkozy n’est pas à mi-chemin de New-York et Londres mais dans un cocktail de Déroulède et de Max Gallo. On ne peut dire seulement qu’il gouvernera plus près de Bush que de Gallo puisque, de toute façon, le message médiatique a une fonction non stratégique mais conjoncturelle, en l’occurence gagner les présidentielles " La France de toujours, la vraie France, celle qui s’inscrit dans une longue histoire, celle qui est la somme de tous ces destins individuels qui ... comprenaient qu’en se battant pour elle ils se battaient pour eux, parce qu’ils avaient au fond de leur cœur le sentiment que ce lien mystérieux les rattachait à une destinée commune exceptionnelle à la grandeur de laquelle chacun avait sa part". Bigre ! J’ai connu des Anciens de 14-18 qui seraient furieux d’être ainsi accaparés !
* " La France c’est une langue, une langue qu’elle met à la disposition de tous les hommes. Le Français disait Rivarol ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine. Le Français c’est l’âme de la France, c’est son esprit, c’est sa culture, c’est sa pensée, c’est sa liberté"... Cette référence à Antoine de Rivarol est habile puisqu’elle concerne un apologiste de la langue française comme langue universelle, un homme des Lumières mais aussi un émigré condamnant la Révolution française. De plus, Rivarol est le titre d’un hebdomadaire connu d’extrême-droite depuis 1951 ; c’est toujours quelques voix de plus siphonnées à Jean Marie Le Pen.
* Le souffle populiste national du discours de Sarkozy trouve logiquement son apogée à l’approche de la conclusion " Etre Français c’est aimer la France, c’est vouloir la République, c’est respecter l’Etat. Etre Français c’est prendre en partage l’histoire de la France et les valeurs de la France. Etre Français c’est penser qu’au-delà de la droite et de la gauche, au-delà des partis, au-delà des croyances, il y a quelque chose de plus grand qui s’appelle la France... Etre Français c’est se sentir l’héritier d’une seule et même histoire dont nous avons toutes les raisons d’être fiers... Ce que je sais c’est qu’il n’y a qu’une histoire de France et non pas deux, parce qu’il n’y a qu’une seule France"...
* " La France traverse une crise morale. La politique peut y remédier parce que la politique en est la cause. Cette crise morale est une crise des valeurs, une crise des repères, une crise du sens, une crise de l’identité. Le dénigrement de la nation est au cœur de cette crise. Etre Français, c’est parler et écrire le Français. Etre Français, c’est respecter la loi".
"Etre Français, c’est respecter la loi", voilà une définition de l’identité française qui augure de politiques sécuritaires musclées, si, par malheur, Nicolas sarkozy venait à être élu.
3a) Une vision ahistorique
Quiconque écoute ou lit le discours de Nicolas Sarkozy constate très vite qu’il fait en permanence référence à l’histoire de France par des personnages, des lieux, des courants intellectuels... mais en évacuant totalement l’histoire comme essai de compréhension rationnelle du passé.
Sa vision du processus de construction nationale en est un exemple frappant : " Qu’est-ce que la France au fond sinon une multitude de provinces et de petits pays très anciens qui ont une histoire, une culture, sinon une multitude de petites patries qui en forment ensemble une grande ? Qu’est-ce que la France, sinon des provinces qui, selon la belle formule de Michelet, « se sont comprises et se sont aimées ».
Cette vision affective et métaphysique de la France comme preuve d’amour d’une multitude de petites patries, passe à côté des causes réelles de la construction de la France comme Etat féodal (par exemple la volonté de l’Eglise), royaume absolutiste ( développement d’un marché national) puis comme nation. Cela exclut le moment fondateur de la révolution française et ses spécificités.
3b) Une vision héroïsante
Il y a dans ce discours de Sarkozy des relents de romantisme nationaliste, de valorisation identitaire des "héros nationaux supérieurs au reste du monde" qui rappelle les délires nationalistes de l’extrême droite militariste sous toutes les latitudes. Tel est le cas par exemple dès le début, lors de sa tirade sur les Normands " ces héros qui ont conquis l’Angleterre, Naples, la Sicile et Antioche" et la Normandie " cette terre où, avant d’être les fils de nos Rois, les ducs s’appelaient Longue-Epée, Sans-Peur, l’Irascible, Bras-de-Fer, le Conquérant, cette terre qui donna à la France Dumont d’Urville qui parcourut tous les océans, découvrit la Terre Adélie... et le Maréchal Koenig, le héros de Bir-Hakeim qui fut la première victoire de la France combattante, cette terre où entre le Mont Saint-Michel et Lisieux, entre l’Abbaye aux hommes et l’Abbaye aux femmes, Dieu est partout. Cette terre où les hommes, quand ils ne regardent pas vers le ciel, regardent vers l’océan, où le sang des Vikings s’est mélangé à celui des Gaulois et des Francs".
3c) Une vision nationaliste
Pour l’essentiel, il décrit la "France" comme "une âme, un principe spirituel" (citation d’Ernest Renan), "un miracle", "un rêve", "un idéal". Il s’inscrit dans la tradition intellectuelle nationaliste qui fait de la France, non seulement une valeur en tant que telle mais la plus haute des valeurs.
L’histoire des guerres menées par la France mérite mieux que cet hymne au sacrifice pour la Patrie repris par Nicolas Sarkozy :
" La France, dont tous ceux qui se sont battus pour elle de génération en génération ne savaient au fond qu’une chose c’est qu’ils ne voulaient pas la perdre, parce qu’ils sentaient que c’était ce qu’ils avaient de plus précieux à transmettre à leurs enfants, parce qu’ils comprenaient qu’en se battant pour elle ils se battaient pour eux, parce qu’ils avaient au fond de leur cœur le sentiment que ce lien mystérieux les rattachait à une destinée commune exceptionnelle à la grandeur de laquelle chacun avait sa part".
Je peux être profondément attaché à ma citoyenneté française mais refuser cet hymne mensonger prétendant que les soldats de Louis XIV, de Leclerc, de Bugeaud, de Voulet ou de Nivelle " en se battant pour elle, se battaient pour eux".
3d) Une vision mythique
Tout le discours relève d’une logorrhée mythifiante cherchant à capter l’affectivité des auditeurs plutôt qu’à faire appel à leur réflexion. Prenons seulement un passage comme exemple, celui où il définit la France comme un miracle :
" La France est un miracle. Ce miracle est politique. Il est intellectuel. Il est moral. Il est culturel. C’est le miracle de la France de conjuguer une identité si forte avec une aspiration si grande à l’universalisme. C’est le miracle de la France d’être une grande patrie faite d’une multitude de petites patries unies par une formidable volonté de vivre ensemble, de partager une langue, une histoire, une façon d’être et de penser, où chacun se reconnaît dans un idéal et un destin communs sans que soient effacés les histoires personnelles et les destins particuliers. C’est le miracle de la France d’avoir forgé de l’unité sans jamais fabriquer de l’uniformité. C’est le miracle de la France de combiner une aussi haute idée de l’Etat avec une passion aussi grande de la liberté. C’est le miracle de la France d’être aussi fortement attachée à l’idée de nation et en même temps aussi ouverte sur le monde. C’est le miracle de la France d’aimer d’une même passion l’égalité et le mérite, le sentiment et la raison. Mais chacun sent bien que ce miracle est menacé".
3e) Une vision fausse
Nicolas Sarkozy cherche à se poser en sauveur de la nation, en Bonaparte au-dessus des partis et opinions. Aussi, il se présente en continuateur de Napoléon dont il choisit pour citation " De Clovis au Comité de Salut Public, j’assume tout ».
Ainsi, le candidat de l’UMP mélange toutes les idées comme si elles n’étaient que des facettes d’une même réalité supérieure : la France " Nul ne se bat plus pour le drapeau blanc ou pour le drapeau rouge. Il n’y a plus de chouans en Vendée, La République a accompli le vieux rêve des rois. Elle nous a fait une nation une et indivisible" " La France c’est un art, c’est une culture, c’est une manière d’être et de penser. La France c’est la pensée claire, c’est la raison, c’est l’esprit des Lumières. C’est aussi 2000 ans de christianisme, 2000 ans de civilisation chrétienne. C’est Saint Denis, c’est Reims, c’est le Mont Saint-Michel. C’est Dieu sorti de la pénombre du sanctuaire où l’art roman l’avait enfermé pour être offert à la lumière des cathédrales. C’est la morale laïque qui incorpore 2000 ans de valeurs chrétiennes".
De cette longue tirade, retenons deux phrases surprenantes :
* "La République a accompli le vieux rêve des rois" Seul un homme de droite peut affirmer une telle ineptie. Que les "experts" de la candidate socialiste en profitent pour taper fort.
* "C’est la morale laïque qui incorpore 2000 ans de valeurs chrétiennes". Faux et contradictoire ! dans son discours, Nicolas sarkozy définit le projet républicain comme celui de l’émancipation ; hors, les valeurs chrétiennes à partir du concile de Nicée s’appelaient plutôt : sacrifice, humilité, respect des hiérarchies sociales...
3f) Une vision excluante
En faisant de la France UN principe, UN rêve, UNE histoire, UN idéal moral... Nicolas Sarkozy pousse logiquement à l’exclusion de tous ceux qui ne correspondent pas au moule " Celui qui ne veut pas respecter nos valeurs de liberté n’est pas obligé de rester. Celui qui ne veut pas respecter notre conception de l’homme, celui qui récuse l’humanisme et l’universalisme, celui qui récuse l’usage de la raison, celui qui veut abolir l’héritage des Lumières et celui de la Révolution"
Nous avons mis en ligne sur ce site un article concernant des bovétistes qui "récusent l’humanisme et l’héritage des Lumières". Il est important de chercher à les convaincre de leur erreur mais ils ont toute leur place dans notre pays.
Quand Nicolas Sarkozy affirme " Etre Français c’est se sentir l’héritier d’une seule et même histoire dont nous avons toutes les raisons d’être fiers", il m’exclut bêtement de la citoyenneté française. Globalement, je ne renie ni l’histoire de mon pays depuis la Révolution française ni les emblèmes nationaux de ma citoyenneté ( drapeau, Marseillaise, fête nationale...). Mais je n’ai rien à voir avec une partie de cette histoire : le cléricalisme royaliste, le pré-fascisme, le colonialisme, le nationalisme cocardier et militariste, le fascisme, le pétainisme...
3g) Une partie philosophiquement républicaine habile
" Qu’est-ce que la France ? La France c’est la République. La République c’est la compréhension mutuelle, le respect de l’autre et la solidarité pour tous. C’est la liberté de chacun garantie par la liberté de tous. C’est l’égalité des droits pour tous garantie par les devoirs de chacun. C’est la souveraineté de l’individu garantie par la souveraineté du peuple. C’est l’espérance de la justice. C’est la volonté générale exprimée par la loi. C’est la nation qui se gouverne elle-même. C’est l’Etat impartial. Idée sur laquelle je ne transigerai pas et qui passe par des nominations elles aussi impartiales. C’est la foi dans la raison, dans l’Homme et dans le progrès. C’est le mérite. C’est la vertu civique comme fondement de la citoyenneté. C’est la propriété et son respect comme conditions de la liberté. C’est le service public comme condition de l’égalité de tous les citoyens, quelque soit leur rang, quelque soit leur handicap, quelque soit le territoire où ils vivent. C’est l’éducation comme condition de l’émancipation".
Sur ce point, je m’en tiendrai à une remarque. Ce type de logorrhée (flux de paroles inutiles) a été beaucoup utilisé comme référence identitaire de la gauche sans le concrétiser par des propositions, des luttes et des réalisations. Aussi, il peut être repris par un Nicolas Sarkozy. En tout cas, s’il est élu, nous n’oublierons pas "La France... La République... C’est le service public comme condition de l’égalité de tous les citoyens, quelque soit leur rang, quelque soit leur handicap, quelque soit le territoire où ils vivent".
3h) Une volonté de replacer la droite au coeur de l’identité française
Ce que je sais c’est que la gauche qui proclame que l’Ancien régime ce n’est pas la France, que les Croisades ce n’est pas la France, que la chrétienté ce n’est pas la France, que la droite ce n’est pas la France. Cette gauche là je l’accuse de communautarisme historique. C’est la même gauche qui fait semblant de croire que tous les antidreyfusards étaient de droite et tous les dreyfusards de gauche, que tous les pétainistes étaient de droite et tous les résistants de gauche. Ce que je sais c’est que Napoléon en achevant la Révolution a dit : « De Clovis au Comité de Salut Public, j’assume tout ».
3i) Une vision polémique
" Qu’ont fait les socialistes, pour la République ? Rien ! Qu’ont-ils l’intention de faire ? Pas davantage ! Les socialistes de jadis étaient d’abord des Républicains. Les socialistes d’aujourd’hui sont d’abord des socialistes. Ils ne sont pas préoccupés par l’avenir de la République. Ils sont préoccupés par l’avenir du socialisme. Ils n’ont pas tort : la République est toujours une idée neuve tandis que le socialisme est déjà une idée morte".
En se prétendant l’héritier des vainqueurs de la Bastille, de Jaurès, de Blum et de la république mieux que la gauche, Nicolas Sarkozy a lancé une polémique auquel il serait regrettable que les candidats de gauche et d’extrême gauche ne répondent pas. Ce serait trop long ici.
Il est intéressant de comparer le discours de Caen de Nicolas Sarkozy et la déclaration officielle de candidature de Ségolène Royal à Vitrolles le 29 septembre 2006.
Divers articles de presse ont pointé des similitudes entre les deux approches.
Il est vrai que Ségolène Royal aime s’ancrer dans la veine de la France éternelle. A Vitrolles, elle a fait vibrer "le désir de France" : " Ce désir de France que nous gardons au cœur n’est pas condamné à dépérir : il constitue un atout pour les combats d’aujourd’hui... nous croyons à la France, à ses talents, à son potentiel, à sa jeunesse, à son goût d’entreprendre et à la solidité toujours actuelle de la nation, de l’Etat et de la République. La France, je la vois créative, innovante mais bridée de trop de lourdeurs bureaucratiques et fragilisée par un Etat qui se désengage".
Ségolène Royal fait également une utilisation rhétorique des grands anciens, en particulier Jaurès, Blum et Mitterrand.
Cependant, il est faux, sur l’essentiel, de dire ou écrire que les discours de Sarkozy et Royal sont identiques sur la question de la nation.
Dès le discours de Vitrolles, Ségolène Royal a bien pointé :
le lien indissociable entre tradition républicaine française et objectif d’égalité : " Cette passion de l’égalité, constitutive de notre identité, reste de nos jours le meilleur guide pour l’action".
le lien entre projet républicain et construction d’outils de solidarité, de lien social : " Quand on demande aux Français ce qui, pour eux, symbolise le mieux la France, ce qui vient en premier ce ne sont ni les frontières ni la langue, c’est le drapeau tricolore et la sécurité sociale. L’emblème de la République et les outils de la solidarité : voilà ce qui cimente en premier l’appartenance commune".
- le rôle de l’Etat comme garant du social et du national par le "pacte républicain" : " Chez nous, on le sait, le social et le national marchent ensemble et c’est l’Etat qui est garant de leur alliance. Ce pacte républicain est aujourd’hui malmené, affaibli, parfois même frontalement remis en cause. Or les Français y sont attachés mais se demandent s’il est encore viable, et si oui, comment l’actualiser. Au nom de quelles valeurs, pour quelles sécurités nouvelles, en vue de quels équilibres ?"
- la différence entre réponses de gauche et réponses de droite aux problèmes posés aux français. Elle n’a malheureusement pas toujours tenu cette ligne par la suite : " A toutes ces questions et à bien d’autres qui tenaillent les Français, à tous ces problèmes qui ne sont ni de droite ni de gauche - ce sont des problèmes, tout simplement - il y a bien des réponses de droite et des réponses de gauche. Sur l’emploi stable, sur l’avenir de l’école, sur l’avenir des retraites, sur la santé, l’environnement, les conditions de travail, le logement, les transports, la culture, la sécurité publique et la lutte contre toutes les formes d’insécurité et de violence, dont le niveau jamais atteint est la marque de la faillite de la droite, oui, il y a des réponses efficaces et de gauche !
" Le clivage droite-gauche n’a jamais été aussi pertinent qu’aujourd’hui, jamais aussi actuel. C’est à nous, à l’écoute des inquiétudes et des espoirs des Français, de construire avec eux et forts des orientations de notre projet socialiste l’alternative crédible à la politique de la droite dont le pays a besoin. Car les Français ne veulent pas d’une fausse rupture. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un vrai changement, appuyé sur un impérieux devoir d’invention, afin de construire le progrès pour tous et le respect pour chacun.
" La droite et la gauche, cela vient de loin : de la naissance de la République. Cela structure de longue date deux visions du monde, deux attitudes opposées face au désordre des choses et aux injustices, deux conceptions du rôle de la puissance publique.
" Pour la droite, au fond, les inégalités sont naturelles, elles sont le prix à payer pour le dynamisme du marché et chacun, d’où qu’il parte, est seul responsable de son point d’arrivée.
" Pour nous, l’égalité ne se borne pas aux droits théoriques des citoyens devant la loi : le combat contre l’inégalité des chances et contre sa reproduction héréditaire est au cœur de notre engagement. Pour nous, « il faut subordonner , comme l’écrivait Jaurès, les lois brutales de la concurrence aux lois supérieures de la vie » et donner à chacun les moyens de prendre effectivement son existence en main. Voilà pourquoi, pour nous, la liberté et la responsabilité individuelle, qui sont aussi des valeurs de gauche quoique parfois trop délaissées, appellent le renforcement des solidarités et des garanties collectives et non pas leur affaiblissement. C’est cela qui nous distingue de la droite.
- la référence au socialisme et au mouvement ouvrier représente évidemment une grosse différence entre le candidat de l’UMP et la candidate du Parti Socialiste : " Le socialisme, c’est une histoire et une mémoire que nous avons reçues en héritage. C’est une lignée dont nous sommes fiers. Nous savons ce que les conquêtes sociales doivent aux luttes du mouvement ouvrier. Nous savons ce qu’il en a coûté de courage, de ténacité et de solidarités pour arracher une à une les premières lois sociales et aussi ce droit de grève, désormais garanti, mais qu’on voudrait, à droite et sous les acclamations du Medef, remettre en cause. Ces luttes, si elles ont changé d’objectif, sont toujours d’actualité et plus que jamais nécessaires à l’échelle de la planète.
" En célébrant cette année l’anniversaire du Front Populaire, nous nous souvenons de l’immense espoir de dignité et de vie meilleure qui souleva alors la France du travail. Une certaine droite de l’époque s’indigna des bals improvisés dans les usines. Mais le combat n’est pas moins respectable ou moins juste quand le plaisir et la fête sont aussi de la partie !"
- même dans la définition de la nation et de son rôle, le discours de Ségolène Royal ne peut être assimilé à celui de Nicolas Sarkozy " Je crois que la nation, dans le monde d’aujourd’hui, est protectrice des individus et doit apporter à chacun le renfort dont il a besoin pour maîtriser sa vie. Cette nation remplissant son devoir à l’égard de tous ses membres, je ne la veux pas frileuse, apeurée, défensive, doutant d’elle-même, mais au contraire, porteuse d’un projet collectif et solidaire, d’un devoir d’invention qui lui donne tout son sens et tout son allant ! Imaginer la France, c’est vrai, ne va plus de soi et nous devrons le faire ensemble. Mais ne lui renvoyer que l’image de son déclin et la sommer sans cesse de renoncer à son « exception » pour se banaliser et s’aligner sur les pays où, paraît-il, le marché sans entrave pourvoirait au bonheur de tous, c’est rendre à la France un bien mauvais service et attiser l’exaspération des Français... Imaginer la France ne va plus de soi parce qu’elle s’est beaucoup transformée, pluralisée, diversifiée et colorée sans encore admettre totalement ce qu’elle est devenue. Pour en tirer parti et fierté, la France, je vous le dis, doit achever de reconnaître comme ses enfants légitimes ceux dont les familles sont venues d’ailleurs et qui sont aujourd’hui des Français à part entière quoique toujours exposés aux discriminations. Oui, la France doit non seulement les reconnaître comme ses enfants légitimes, mais s’appuyer sur eux comme sur tous ses enfants..."
" La France doit écouter ce qu’ils lui disent, notamment les moins nantis. Elle doit même comprendre ce qu’ils ne lui disent pas. Jusqu’à quand parlera-t-on de Français « de souche » comme si les autres étaient... de feuillage ou de branchage ?"
- sur des questions historiques centrales concernant la nation, le discours de Ségolène Royal est également différent de celui de Sarkozy :
L’honneur de la République, la fidélité de la France à ses idéaux, c’est aussi ... une France qui reconnaît, en 2001, l’esclavage comme crime contre l’humanité. C’est une France qui demande, à juste titre, pardon pour la Rafle du Vel d’Hiv’ et le régime de Vichy. C’est une France qui refuse de reconnaître des « aspects positifs » dans la colonisation, système de domination et d’asservissement..."
Le discours de Ségolène Royal sur la nation présente des différences évidentes avec celui de Sarkozy. Ceci dit, il lui ressemble sur un point : il s’agit d’un outil de communication, non d’un aspect d’un projet politique socialiste pour la France et le monde du 21ème siècle. Pourtant, en partant de son propre discours, que de batailles politiques claires pourraient être menées, par exemple contre les nouveaux émigrés de Coblence qui placent leur fortune dans les paradis fiscaux. Mais... Ségolène Royal se veut porteuse d’une France "juste", sans antagonisme de classe... alors elle s’époumone comme une amazone aux quatre coins de l’hexagone, à la télé ronronne sur la couche d’ozone, présente son profil comme une icône. Elle me rappelle trop Jospin "Mon projet n’est pas socialiste".
Sur l’ensemble de sa campagne, la réponse de Ségolène Royal à la question de la nation me paraît avoir porté sur quatre axes :
- différencier nation et nationalisme "Je ne fais aucune confusion entre la nation, dont on doit être fier et dont un chef d’Etat doit conduire chaque Français à être fier, et le nationalisme"
- dénoncer comme ignoble la proposition de Sarkozy d’un ministère de l’identité nationale et de l’immigration
- pointer comme bilan du vote non au TCE "une question existentielle sur le point de savoir si la France allait se diluer dans l’Europe". Selon elle, les Français pourront "d’autant plus fortement se tourner vers l’Europe et regarder la mondialisation sans peur s’ils ont la conviction que le chef de l’Etat saura préserver la nation dans ce qu’elle a de plus précieux, c’est-à-dire ses solidarités et sa sécurité sociale et en même temps qu’il ne fera pas de la nation un outil de repli sur soi, de nationalisme, de racisme, de lutte contre toutes les formes de différence".
- valoriser les symboles identitaires nationaux ( hymne, drapeau).
Dans son discours de Vitrolles comme dans d’autres interventions, Ségolène Royal a marqué sa différence avec Nicolas Sarkozy et le discours traditionnel de droite sur cette question de la nation. Probablement prise dans des objectifs médiatiques à court terme, il me semble qu’elle a réagi autrement après le discours de Caen durant ces dernières semaines.
Ce qui en est surtout ressorti publiquement, c’est son insistance sur les symboles nationaux : la Marseillaise et le drapeau. Il est évidemment juste et important de ne pas les laisser à la droite. Cependant, je ne suis pas certain que la façon dont elle a fait passer son message, y compris d’un point de vue électoraliste, soit très positif.
Sur le drapeau
agiter le drapeau bleu, blanc, rouge à l’entrée des meetings, dans les salles, sur l’estrade... de cette façon, comme emblème de campagne retransmis par toutes les télés, chaque soir, dans chaque maison
appeler chaque français à en posséder un dans son foyer
, c’est prendre le risque de conforter le discours de Sarkozy, plus cohérent dans l’identification de la grandeur de la France immaculée, unie et éternelle à l’étendard tricolore.
Sur la Marseillaise
Olivier Besancenot s’est lancé dans une critique de Ségolène Royal sur la Marseillaise après le discours de celle-ci à Marseille le 22 mars. Elle en a pourtant parlé avec des mots qui ne méritaient ni une telle ire ni de l’identifier aux propos de Sarkozy :
" La Marseillaise, c’est le chant de la lutte contre toutes les formes de tyrannie, c’est le peuple qui s’est levé contre les forces de l’Ancien Régime, c’est le chant qui a été repris dans tous les pays où il a fallu secouer le joug de l’oppression. C’est le chant que Louise Michel faisait chanter à ses élèves tous les matins et tous les soirs, et à chaque fois, elle qui avait connu la prison et les privations de liberté, à chaque fois, disait-elle, qu’elle faisait chanter la Marseillaise à ses élèves, elle ne pouvait pas s’empêcher de pleurer.
" Alors, ne faisons pas de contresens sur ce chant, la Marseillaise. Comprenons vraiment le fond et la force historique de ses paroles. Ce n’est ni un chant sanguinaire ni un chant xénophobe, non, c’est le chant de toutes les libertés, de ceux qui risquent leur vie pour défendre les libertés, c’est le chant de républicains, c’est le chant que je vous propose, ici, à Marseille, de chanter tous ensemble pour ne jamais oublier que le message universel de la France à travers le monde est plus que jamais d’actualité : la liberté, l’égalité et la fraternité.
A nous, la Marseillaise !"
Je partage globalement ce point de vue à deux conditions :
* ne pas oublier les avanies perpétrées sous le drapeau bleu, blanc, rouge et la musique de la Marseillaise
* préciser les implications précises de liberté, égalité, fraternité pour le monde d’aujourd’hui
Olivier Besancenot a choisi de critiquer Ségolène Royal d’une façon qui évacue le fond politique.
A partir du moment où il proclame " Il y a mieux à faire que ... revisiter les racines de la révolution française", il se prive d’une critique possible de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal du point de vue de la tradition républicaine progressiste et universaliste ; aussi, il oppose simplement nation à internationalisme.
A partir du moment où il proclame que sa carte d’identité, c’est sa fiche de paie, il se prive
* d’une part d’un constat simple, être français, c’est avoir une carte d’identité française
* d’autre part de la critique essentielle à porter au discours de Sarkozy à Caen à savoir l’ "oubli" de ce qui fonde l’intérêt de la nation pour des républicains : la citoyenneté, la souveraineté populaire, la prise en compte politique de l’intérêt public, la construction du lien social, la garantie collective des droits individuels...
Surtout, la Constitution de l’An III, Robespierre comme de grands moments historiques ultérieurs ( en particulier la Commune et la Résistance) faisaient des fondements du lien social (pouvoir manger, se loger, être soignés, élever et éduquer les enfants, avoir accès à la culture et aux vacances...) la condition de la nation. C’est sur ce terrain qu’il faut, me semble-t-il, prendre en compte les droits des immigrés sur notre sol comme condition de leur bonne intégration au collectif humain du pays. C’est sur ce terrain que la droite est en difficulté.
Olivier Besancenot a choisi au contraire un positionnement médiatique de refus des symboles nationaux ( Marseillaise, drapeau et même carte d’identité) au profit de symboles de l’identité internationaliste ( drapeau rouge, Internationale).
Que mes amis du NPA ne prennent pas ma remarque comme une méchanceté mais comme une réflexion amicale : l’évacuation des caractéristiques du politique dans notre pays par Besancenot me paraît faire système avec une forme d’évacuation du politique au profit de l’idéologique partidaire, déjà notable depuis longtemps chez Alain Krivine.
Personnellement, qu’un meeting de Ségolène Royal se termine par la Marseillaise ne me crée pas de problème pour trois raisons :
Premièrement, les Communards comme les insurgés russes de 1917 l’ont chantée ; elle est souvent vécue hors de France comme le dernier hymne révolutionnaire. Plusieurs vers sont porteurs d’un républicanisme universaliste qui a préparé l’internationalisme. .
" Vive à jamais la République !
Anathème à la royauté !
Que ce refrain, partout porté,
Brave des rois la politique".
Deuxièmement, à l’heure où les acquis sociaux et services publics, héritages positifs de la spécificité républicaine française, sont la cible d’une attaque en règle du capitalisme financier transnational, il me paraît contreproductif d’en rajouter dans la surenchère contre des symboles historiquement liés à cette spécificité républicaine française.
Troisièmement, on ne peut séparer ce chant du contexte dans lequel il est apparu à savoir la levée en masse de 1992 à 1994, la Convention montagnarde première expérience humaine durant laquelle la classe bourgeoise a perdu la maîtrise du pouvoir.
Plus globalement, je n’ai pas de problème avec ma citoyenneté française. Ma carte d’identité n’est pas seulement ma fiche de paie. Le 14 juillet représente une fête nationale à célébrer à notre façon.
Les dirigeants de la LCR ont dû considérer nécessaire de justifier théoriquement la position de leur candidat. Daniel Bensaïd s’en est chargé dans le journal Rouge.
" Les symboles nationaux ne disent pas aujourd’hui la même chose à des citoyens français, de naissance ou naturalisés, qui ont à bâtir dans la lutte un avenir commun à partir d’histoires différentes et parfois opposées. Les imposer autoritairement, c’est ériger une norme artificielle, dont la conséquence risque d’être une division accrue, un sentiment de rejet ou d’exclusion, une méfiance réciproque, dont peuvent se nourrir les fermetures communautaires que l’on prétend redouter.
" La grande majorité des immigrants de l’entre-deux-guerres avaient en commun une histoire (au demeurant fort tumultueuse et fort peu pacifique) de l’Europe. Celle des immigrants de l’après-guerre provient d’anciennes colonies d’Afrique ou du Maghreb. Exiger de manière normative qu’ils adhèrent, par-delà la fracture coloniale, à l’histoire de la France prise en bloc, c’est leur demander, plus sournoisement que ne prétendit le faire la loi sur les programmes scolaires, d’adhérer à l’histoire des vainqueurs, et d’avaler sans broncher, par symbole interposé, les enfumades du père Bugeaud, les massacres de Sétif, les guerres coloniales, leurs humiliations et leurs tortures.
" Toutes ces questions, souvent douloureuses, mériteraient un examen historique et une discussion sérieuse sur les notions d’identité, d’appartenance, de communauté, ou sur ce que signifient les notions de peuple et de nation à l’heure de la mondialisation. En faire des thèmes passionnels de campagne électorale, propices aux surenchères démagogiques, est irresponsable. C’est investir des symboles contradictoires, dont le sens varie selon le contexte, de trop d’honneurs, au risque de leur valoir en retour trop d’indignités. C’est sacraliser ce qui doit être traité historiquement, de manière profane, sans prières ni crachats."
Cet article centré sur la question de l’intégration des immigrés dans la communauté nationale se situe en fait sur une autre longueur d’onde que le discours de Besancenot.
Il justifie le refus du drapeau tricolore et de la Marseillaise par le souhait de ne pas imposer une norme artificielle à des Français naturalisés ; c’est très peu convaincant et assez illogique...
La vision de la France portée par Nicolas Sarkozy implique d’ " Exiger de manière normative des immigrants qu’ils adhèrent, par-delà la fracture coloniale, à l’histoire de la France prise en bloc". Mais tel n’est pas le cas pour la "France colorée" explicitée par Ségolène Royal.
Daniel Bensaïd insiste sur la difficulté présente de "bâtir dans la lutte un avenir commun" pour finir en préférant laisser ce sujet de la nation aux historiens. Il invite plus à prendre du recul et approfondir la réflexion qu’à répondre politiquement aujourd’hui et maintenant. Je reconnais cependant que le dernier paragraphe introduit les vraies questions sur lesquelles la gauche devrait travailler sérieusement.
a) Ma chanson préférée n’est pas non plus la Marseillaise. Comme chantaient les Sunlights dans les années 60, elle a " trop fait pleurer le coeur des pauvres mères Quand leurs enfants sont morts..." Elle a résonné lors de trop de tueries. Elle a trop servi d’identité à des groupes nationalistes, mais leur en laisser le monopole serait une très grosse faute politique.
b) J’ai longtemps participé aux côtés d’anciens Résistants à des cérémonies du 8 mai où la Marseillaise était associée au Chant des Partisans ; jamais je n’ai entendu de critique sur ce point. Pour eux, la Marseillaise était le chant révolutionnaire des soldats de l’an II devenu l’hymne national par la consolidation de la République. Je les ai entendus par ailleurs entonner la Jeune Garde comme Je chante pour les gueux ou Ay Carmela.
c) Les slogans d’Olivier Besancenot sur la Marseillaise et le drapeau tricolore sont sans cesse répétés en même temps que l’ appel à l’union de la "gauche radicale", union qui doit "durer et ne pas péter à la première échéance électorale venue".
La concomitance de ces deux axes dans la campagne de la LCR pose évidemment problème. Les propos d’Olivier Besancenot sur la Marseillaise, la Révolution française et la carte d’identité (citoyenneté) me paraissent adressés à la seule extrême gauche aux dépens d’une volonté de s’adresser à tout le peuple français, aux dépens d’une volonté d’unifier et éduquer l’ensemble du salariat et des couches populaires françaises. Au moment où il est crédité de 5% dans les sondages, je suis surpris par cette attitude.
d) J’avais rédigé le billet d’humeur sans prétention ci-dessus le 29 mars. Puis j’ai voulu en faire un article approfondi avec pour titre " Sarkozy, Royal, Besancenot, la Marseillaise, le drapeau et la Nation". Pris par la préparation de la journée de Firmi en défense des services publics, le temps a passé. Avant que l’article ci-dessus ait perdu tout intérêt, j’ai préféré le compléter un peu et le mettre en ligne.
Jacques Serieys (article complété le 7 avril 2007, mis en ligne le 8)
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