Et si on éliminait le peuple français ? (réaction à Elie Cohen)

mardi 3 mai 2022.
 

Monsieur Elie Cohen voilà de nombreuses années que je vous écoute sur toutes les chaînes de radio et de télés. Vous en êtes un invité permanent. Il est vrai que, bien que ne partageant pas votre vision de l’économie, je dois reconnaître que, parmi les économistes libéraux, vous êtes sans doute le plus brillant, doté d’une grande agilité intellectuelle. Vous n’en êtes que plus redoutable.

Pour l’heure, je réagis à votre prestation sur BFM, dans l’émission de Ruth Elkrieff, le 23 décembre 2013.

http://robertmascarell.overblog.com...

Votre dépit faisait peine à voir. Ah, si le peuple français n’existait pas, que la France serait belle et guérie. Mais voilà-t-il pas qu’il trimballe trois fausses croyances, selon vos dires.

1/ Il croit qu’on ne taxe pas assez le capital.

2/ Il croit payer des impôts sur la consommation particulièrement élevés.

3/ Il ne sait pas que le principal impôt ce sont les charges patronales payées sur le travail, qui font que le coût du travail en est considérablement alourdi.

Evidemment, vous n’avez pu vous empêcher de nous comparer à d’autres pays. Même qu’on est le pays où le capital est le plus taxé, les impôts sur les sociétés les plus élevés, les impôts sur la consommation les moins élevés. Et les charges sociales patronales, je ne vous en parle même pas.

Vous en voulez beaucoup à ces Français qui disent que l’urgence c’est de taxer le capital. Textuel.

Bref, la France est malade de son peuple.

Vos remèdes ?

• Augmenter la TVA, parce que la France n’a plus de marge de manœuvre en matière fiscale, dites-vous.

• Transférer les charges sociales patronales vers la CSG, ou la TVA, ou l’impôt sur le revenu.

• Diminuer les dépenses publiques.

Rien d’original, rien qui ne s’écarte de la doxa libérale. Evidemment, le postulat de départ, vous ne l’avez que sous-entendu dans cette émission, mais dit très souvent ailleurs, c’est que la France est en crise.

Reproche pour reproche, nous sommes un certain nombre de Français qui en veulent beaucoup aux économistes de votre famille libérale de travestir la réalité de notre économie, sans jamais être mis face à des économistes contradicteurs à la radio comme à la télé.

Tout d’abord, la France est-elle en crise ? A cette question, j’ai répondu le 9 novembre 2012 dans un article intitulé : « La crise ? Quelle crise ? » publié dans mon blog.

Un an après, ce texte me paraît avoir gardé toute sa pertinence.

Jusque-là, j’ai réagi à votre prestation sur BFM le 23 décembre 2013, d’une manière disons globale. Maintenant, je vais réagir plus point par point.

Vous regrettez que le peuple français croit qu’il paie trop d’impôts sur la consommation et que les revenus du capital ne sont pas assez taxés.

Les statistiques officielles semblent donner raison au peuple. Vous n’êtes pas sans connaître le rapport remis en mai 2009 au président de la République par le directeur général de l’INSEE, Monsieur Cotis.

Dans ce rapport, il y est parfaitement établi que, à son point culminant en 1983, les rémunérations salariales représentaient 76 % de la valeur ajoutée, alors qu’en 2009, elles ne pesaient plus que 66 %, soit un transfert de 10 % vers le capital.

Vous ajoutez, en outre, que l’impôt sur les sociétés est plus élevé en France que partout ailleurs. C’est à peu près vrai en Europe, pas dans le monde, notamment au Japon et aux Etats-Unis, où les entreprises sont plus taxées. Reste qu’il est pratiquement impossible de comparer. Au taux normal d’imposition sur les sociétés, chaque pays ajoute des impôts aux taux et aux assiettes particuliers.

Pour la France, par exemple, votre affirmation est fondée sur la prise en compte du taux d’imposition normal de 33,33 %, auquel vous ajoutez probablement d’autres contributions portant le taux global à 38 %, mais vous ne tenez pas compte de tous les procédés d’optimisations fiscales largement utilisés par les grandes entreprises, sans parler de toute l’évasion fiscale, illégale par définition (paradis fiscaux).

Les dizaines de milliards d’euros soustraites au fisc français constituent une des marges de manœuvre fiscale dont, pourtant, vous dites que la France est démunie.

Quant à la course à l’échalote à laquelle vous vous livrez, sur le point de savoir qui est le pays le plus taxateur des entreprises, elle est puérile. En terme de compétition, il y a toujours un premier et un dernier. Tel qui est premier aujourd’hui peut devenir dernier demain, et réciproquement. Lorsque la chose advient, que fait le deuxième qui devient le premier ? Dans votre logique, il fait tout pour laisser sa place. Et ainsi de suite. Jusqu’où ? Jusqu’à ce que les entreprises ne paient plus d’impôt, nulle part ?

Votre raisonnement me fait irrésistiblement penser à l’irremplaçable Raymond Devos, dans son sketch sur les deux bouts d’un bout de bois. Qu’arrive-t-il quand vous les avez coupés. Eh bien le morceau de bois coupé a toujours un bout à chaque extrémité. Et le nouveau morceau de bois né de la coupe du premier a lui aussi un bout à chaque extrémité. Bref, c’est une histoire sans fin.

J’en viens maintenant à une autre ignorance, selon vous, du peuple français : il ne sait pas que le principal impôt ce sont les charges patronales payées sur le travail, qui font que le coût du travail en est considérablement alourdi.

Tout d’abord, un point d’histoire, ce que vous appelez les charges patronales, c’est du salaire différé des salariés. Les diminuer c’est en réalité réduire leur salaire. Là où vous avez raison, c’est que ces cotisations abondent le coût du travail, au même titre que le salaire immédiatement perçu par les salariés et que les cotisations salariales.

Mais coût pour coût, excusez le mauvais jeu de mot, pourquoi ne vous fixez-vous que sur le coût du travail ? Pourquoi ne vous intéressez-vous pas au coût du capital ? Pourquoi ne dites-vous pas que la part de la richesse produite, prélevée par le capital (c’est-à-dire versée en dividendes), a triplé depuis 30 ans ? Elle était de 3,2% du PIB en 1980, de 5,6% en 1999, elle est passée à 9,3% du PIB en 2011 (J’ai déjà utilisé cette statistique dans mon article « La crise ? Quelle crise ? » inséré plus haut dans ma réaction à votre prestation sur BFM, il y a deux jours).

Je conclus sur la réduction des dépenses publiques que vous et vos amis des Gracques considérez absolument nécessaire, si la France veut sortir de la crise (je rappelle que ce que vous et vos pairs baptisent crise économique de la France n’est autre qu’une crise de la répartition).

A supposer qu’il faille les réduire. Quelles coupes préconisez-vous ? Dans quel secteur d’activité ?

Vous semblez oublier que la notion de service public a, en France, une longue histoire car c’est le vecteur de l’intérêt général. Son objectif n’est donc pas la seule rentabilité, mais l’accomplissement de missions diverses ressortissant à l’idée que le pouvoir politique et la société se font de l’intérêt général.

En janvier 2010, Anicet Le Pors, ex-ministre de la Fonction publique sous le premier gouvernement de Mitterrand, a écrit, dans un article très documenté que : « Les pays qui ont engagé des réformes budgétaires restrictives de l’emploi public au cours des dernières années ont, pour la plupart d’entre eux, dû réviser leur politique. Si l’Allemagne a enregistré une baisse de ses effectifs, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, ont connu une vive hausse (800 000 agents publics britanniques recrutés entre 1997 et 2006). Après une forte baisse, la Suède a suivi le même mouvement. Le Canada, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Japon comptent plus de fonctionnaires en 2006 que vingt ans auparavant. On observe en outre que dans la plupart des pays précités, la baisse de la masse salariale des fonctionnaires est approximativement compensée par la hausse des coûts de la sous-traitance et de l’externalisation des missions de service public au secteur privé.

Y-a-t-il trop de fonctionnaires comme on l’entend dire parfois ? Le raisonnement pourrait être aisément critiqué car les mêmes qui soutiennent qu’il y a y a trop de fonctionnaires en général se plaignent qu’il n’y en ait pas assez dans le détail. L’étude précitée montrait que le nombre d’agents publics (en entendant par là les salariés financés par prélèvements obligatoires pour éviter les comparaisons basées sur des statuts différents d’un pays à l’autre) pour 1000 habitants plaçait la France en position moyenne dans l’ensemble des pays développés, avec 93 de ces emplois, entre un minimum de 41 au Japon et un maximum de 154 au Danemark. Il n’y a pas de « nombre d’or » des effectifs de la fonction publique, mais il est vrai qu’une gestion prévisionnelle des effectifs, des compétences et des emplois serait nécessaire…. »

En tout état de cause, à supposer qu’il y ait des fonctionnaires en surnombre, sachez que des gens comme moi, à qui vous dites en vouloir beaucoup et qui évidemment sont plus bêtes que leurs pieds, préfèrent payer des fonctionnaires « inutiles » que des chômeurs.


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