Le « réformisme » prôné par Manuel Valls est un contre-réformisme

dimanche 3 novembre 2013.
 

J’apprends par l’Humanité du 1er septembre que Manuel Valls se réclame d’un « réformisme assumé et d’une République intransigeante ». Laissons de côté la République, qu’il met à mal, et contentons-nous de parler de son « réformisme ». Car c’est là une imposture sémantique, comme on dit, laquelle ne le caractérise pas lui seulement, mais caractérise la majeure partie de la classe politique et les médias dominants, auxquels l’Humanité fait heureusement exception. Car il faut préciser une chose essentielle, dont la méconnaissance contribue à la confusion des débats à ce sujet  : il y a en réalité trois réformismes.

Le premier est un réformisme de la méthode  : on maintient la fin, celle d’une transformation révolutionnaire, c’est-à-dire complète, du système capitaliste, mais on décide de la faire par des réformes successives, accompagnées en permanence par la sanction du suffrage universel, donc sous une forme démocratique  : c’était la position de Jaurès, partisan du communisme, il faut le rappeler, mais partisan aussi d’un «  évolutionnisme révolutionnaire  » dont l’idée lui a été inspirée, on ne le sait pas assez, par Marx lui-même préconisant, en matérialiste conséquent hostile à l’utopie, dès 1852, des «  évolutions révolutionnaires  » pour aller au communisme, et dont Engels, à la fin de sa vie, était le ferme et lucide soutien. Il peut donc y avoir, et je le dis, il doit y avoir un réformisme révolutionnaire, dont les partis communistes occidentaux ont été objectivement partie prenante, comme le PCF en 1936, en 1946 ou en 1981, même si leur objectif réel n’a pas été atteint, loin de là.

Mais il y a aussi un réformisme de la fin  : on refuse de changer le système social, capitaliste en l’occurrence, mais on entend malgré tout l’améliorer de l’intérieur, par des réformes progressistes (j’y insiste) visant à apporter un «  mieux  » au monde du travail dans toute une série de domaines  : niveau de vie, droits sociaux, libertés politiques (comme le droit de vote accordé aux femmes), réduction des inégalités de richesse par l’impôt, etc.

Les syndicats ont apporté leur soutien à tout cela, qui aura caractérisé la social-démocratie au XXe siècle dans ce qu’elle a eu de positif. C’est ce réformisme qu’ont adopté, progressivement et inégalement selon les pays (Mitterrand et Olof Palme demeuraient, eux, disaient-ils, des socialistes), les partis sociaux-démocrates membres de la IIe Internationale, au point de s’être transformés aujourd’hui en partis sociaux-libéraux, ce qui n’est pas du tout la même chose et constitue une rupture fondamentale dans la doctrine de ces partis et donc dans leur identité politique effective.

D’où une troisième définition du réformisme, qui constitue l’imposture sémantique fondamentale qu’incarne Manuel Valls mais, plus largement, le PS actuel, laquelle consiste à faire passer pour des réformes, avec le sens positif qui est normalement attaché à ce terme et peut le rendre attractif, ce qui n’est que des contre-réformes  : des réformes, si l’on y tient, mais au sens de transformations régressives (et non progressistes comme ce terme le suggère normalement), qui n’ont d’autre effet, sinon pour but, que de détériorer la condition des salariés dans leur ensemble, qu’ils soient du public ou du privé, au profit du capital. Baisse du niveau de vie, recul de l’âge de la retraite à taux plein, précarisation du statut des travailleurs, diminution effective du droit à une santé gratuite, etc., on n’en finirait pas d’égrener tous les reculs sociaux qui caractérisent le système économique dans lequel nous vivons et auxquels le PS au pouvoir consent activement, faute de vouloir ou de pouvoir penser une alternative courageuse, audacieuse et intelligente (mais le PS n’a pas de penseurs, il n’a que des technocrates de la politique  !) face au capitalisme mondialisé d’aujourd’hui.

Ce dernier n’a donc plus de «  réformistes  », socialistes ou sociaux-démocrates, peu importe le nom ici, contre lui, pour lui résister ou l’améliorer socialement. Le PS lui-même a fait sienne, définitivement, non seulement l’idée que le capitalisme est indépassable, mais qu’il faut accepter ses régressions et simplement éviter le pire.

Le réformisme «  assumé  » de Manuel Valls n’est donc pas un réformisme (aux sens un et deux du terme)  : c’est, bien au-delà de sa politique sécuritaire, un contre-réformisme d’ensemble, c’est-à-dire une politique réactionnaire favorable au grand patronat, qui cède devant ses exigences les plus cruelles pour le monde du travail.

Ne restent, en face de lui, que les communistes et leurs alliés, minoritaires certes, mais dont l’influence est incontestablement en train de remonter un peu partout en Europe. C’est de ce côté-là que se trouve la chance d’un authentique «  réformisme révolutionnaire  » qu’il nous faut, nous, assumer comme tel, à savoir comme le moyen réaliste, patient et démocratique, de faire une vraie révolution communiste.

Dernier ouvrage paru  : Retour à Marx. Pour une société post-capitaliste, Éditions Buchet-Chastel, 2013.

Yvon Quiniou


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message