En route vers une autre République, par Paul Alliès

mercredi 14 février 2007.
 

Le rapport signé de Jean-Pierre BEL, président du groupe socialiste au Sénat et chargé par Ségolène ROYAL de faire la synthèse des différentes propositions « Pour une nouvelle République » marque un tournant dans la trop longue histoire des renoncements du Parti socialiste en matière institutionnelle.

Il reste fidèle au Projet socialiste adopté le 1er° juillet 2006 tout en le précisant utilement sur plusieurs points. Il définit une méthode innovante et un calendrier offensif pour faire adopter par référendum les principales mesures avancées. Celles-ci s’inscrivent pour l’essentiel dans une restauration des pouvoirs du Parlement. Elles ne tranchent certes pas le nœud gordien du présidentialisme dans une V° République foncièrement bonapartiste. Il est question de « modifier profondément les pratiques et l’usage de ses textes » et de « changer la République plutôt que de République ». Mais, pour la première fois depuis 1962, la voie est ouverte à une transformation radicale du régime en place. Le combat pour une 6° République primo ministérielle devra donc continuer mais il commence vraiment maintenant : il prendra une forme plus concrète et plus crédible que jamais si la bataille de cette réforme est gagnée. Elle repose sur quatre bases.

La refondation du parlementarisme.

Le parlementarisme sous des formes rationalisées ou majoritaires a partout conservé une essence que Léon Blum appelait joliment « la vie de ménage », c’est-à-dire une coexistence des pouvoirs publics dans un même cadre fait de droits et devoirs réciproques. En France, cette coexistence est devenue une domination abusive du gouvernement présidentiel sur la représentation nationale. C’est cela que le rapport BEL propose de changer dans cinq domaines.

Le non-cumul des mandats permettra aux parlementaires d’exercer leur fonction à plein temps. Il s’appliquera de manière élargie : aux maires, maires d’arrondissement de Paris, Lyon, Marseille, adjoints au maire, vice-présidents de conseils généraux et régionaux, présidents de commission permanente de ces assemblées, présidents des agglomérations et autres structures intercommunales. L’interdiction concernera tous les parlementaires, députés comme sénateurs. Si rien n’est dit sur la limitation des mandats dans le temps (trois mandat consécutifs prévoyait le Projet socialiste), il est acquis que cette réforme essentielle s’appliquera sans délai dés les élections municipales et cantonales de 2008.

L’introduction d’une dose de proportionnelle dans les élections législatives permettra une représentation des courants minoritaires au sein du Parlement sans qu’ils aient besoin d’accords de coulisses avec les grands partis. 80 députés pourraient être ainsi élus sur ders listes régionales, interrégionales ou nationales. Le rapport laisse ouvert le choix définitif qui passera par un redécoupage de certaines circonscriptions selon des règles transparentes et objectives.

Le Sénat sera rendu plus représentatif des territoires ; tous les Départements assez peuplés pour élire trois sénateurs le feront à la proportionnelle. Le collège des Grands électeurs sera démocratisé, les conseils municipaux en désignant la moitié. Le renouvellement sera intégral tous les six ans. Si le changement de nature du Sénat peut apparaître comme trop limité, un élément essentiel est acquis : la fin de son droit de veto dans la procédure de révision constitutionnelle de l’article 89 qui bloquait jusqu’ici la moindre tentative de réforme du régime. Dans le même sens, il perdra son pouvoir d’obstruction dans la navette avec l’Assemblée Nationale.

Le travail législatif du Parlement sera réorganisé pour qu’il soit plus efficace. Le nombre de commissions sera doublé et certaines lois pourront être adoptées directement par elles moyennant une publicité assurée à leurs délibérations. L’article 49 alinéa 3 ne pourra plus être invoqué que pour l’adoption du budget et des lois de financement de la sécurité sociale. Le vote bloqué sera supprimé. Le recours à l’urgence sera limité à une dizaine de fois par session. Les ordonnances seront interdites si elles touchent aux libertés publiques et leur usage sera strictement encadré dans tous les autres domaines. En cas de carence du gouvernement dans l’application de la loi, le Parlement pourra se substituer à lui. La formule des délégations parlementaires ouvertes à des citoyens tirés au sort sur une liste nationale sera employée pour le suivi et l’évaluation de l’application des lois et de leurs résultats. Enfin le lobbying sera codifié.

Le contrôle du gouvernement par le Parlement sera restauré. Un contrat de législature présidera à la formation du gouvernement lequel demandera obligatoirement l’investiture de l’Assemblée nationale. Il s’engagera sur un programme pluriannuel de réformes incluant son calendrier comme les modes de concertation, débats publics et négociations avec les partenaires sociaux. Le système des questions d’actualité sera revu dans le sens d’une interpellation des politiques ministérielles dans leur ensemble. Le contrôle financier sera renforcé avec le concours de la Cour des Comptes. Tous les services de renseignement de la police ou de la Défense seront sous le contrôle d’une délégation parlementaire spécifique. Les Autorités Administratives Indépendantes dont le nombre va croissant (39 à ce jour) devront remettre un rapport annuel au Parlement et pourront être auditionnées sur la base de celui-ci par la commission compétente. Les engagements du gouvernement dans les instances de l’Union Européenne feront l’objet d’une consultation obligatoire préalable du Parlement. Celui-ci recevra communication des textes les plus importants et pourra émettre un vote sur un mandat d’orientation avant la tenue d’un Conseil des ministres de l’UE. La création d’une délégation parlementaire à la mondialisation permettra d’associer le Parlement aux négociations commerciales internationales sous l’égide du FMI ou de la Banque mondiale. Enfin et pour parfaire le caractère pleinement démocratique de ce contrôle, un statut sera donné à l’opposition qui pourra présider un certain nombre de commissions.

La limitation du présidentialisme.

C’est le mal le plus flagrant dont souffre la V° République. Un Président irresponsable s’est arrogé des pouvoirs bien au-delà de la lettre de la Constitution de 1958. Le gouvernement est ainsi entravé dans la « détermination et la conduite de la politique de la nation » (art. 20). Il en résulte un grave déséquilibre entre les pouvoirs dont la majorité parlementaire est la principale victime. Si le rapport BEL ne tranche pas la question posée par cette dyarchie, il contient des dispositions significatives de réduction des abus les plus criants du présidentialisme.

Le « domaine réservé » de la Présidente sera sous contrôle parlementaire. L’article 35 sera révisé pour permettre une consultation significative du Parlement en matière de Défense : il sera informé de la signature d’accords de coopération militaire ; il sera consulté préalablement à l’engagement des forces armées dans le cadre des conventions existantes ; il émettra un vote d’autorisation pour des actions envisagées sans l’accord du conseil de sécurité de l’ONU. Les chambres pourront voter des résolutions sur des questions internationales. Cela s’ajoutera au contrôle parlementaire déjà évoqué au sujet des services de renseignement et de la politique européenne.

Les pouvoirs de nomination de la Présidente seront réorganisés. Concernant les Autorités Administratives Indépendantes, elle nommera leurs présidents, mais les membres seront élus à une majorité qualifiée par l’Assemblée nationale. Le président du Conseil supérieur de la magistrature pourra être élu de la même manière ; ce Conseil verra ses attributions étendues et ses membres non magistrats seront élus eux aussi par le Parlement à la majorité des 3/5°. Concernant les nominations aux emplois du secteur public concurrentiel, les commissions parlementaires auditionneront les personnes pressenties. D’évidence, une réforme d’ensemble des divers textes en vigueur (art.13 de la Constitution, ordonnance du 28 novembre 1958 et décret du 6 août 1985) devra être accomplie.

Le mandat de la Présidente sera limité à deux quinquennats.

L’extension du champ de la démocratie.

La démocratie représentative doit être modernisée par deux biais : l’introduction de procédures incluant dans son périmètre des pratiques ou des secteurs nouveaux ; l’organisation de formes de démocratie participative.

Le droit de vote et d’éligibilité sera donné aux étrangers non-européens justifiant de 5 à 10 ans de résidence en France. Les votes blancs seront considérés et comptés comme suffrages exprimés.

Les justiciables pourront saisir le Conseil Constitutionnel qui sera complètement réformé : il passera de 9 à 15 membres dont 3 nommés par la Présidente de la république, 9 par l’Assemblée Nationale et 3 par le Sénat, à la majorité qualifiée dans les deux cas. La procédure deviendra contradictoire, publique avec production des opinions dissidentes préalables à la décision.

Le droit de pétition sera reconnu à deux niveaux : pour prendre en compte l’initiative citoyenne de la loi ; un nombre déterminé de citoyens (entre 1 et 4,5 millions) pourra demander l’inscription à l’ordre du jour du parlement d’une question relevant de la compétence de celui-ci. Un même nombre pourra lancer la procédure d’un référendum d’initiative minoritaire selon laquelle un texte, s’il n’était pas adopté par le Parlement, pourrait être soumis à référendum.

La ratification populaire de la réforme.

Ce programme de réforme des institutions n’a de sens que s’il est soutenu par un mouvement large dans l’opinion. On peut aisément imaginer les manœuvres de la droite hégémonique dans des structures comme le Conseil Constitutionnel pour tenter d’empêcher le processus d’aller à son terme. La voie choisie sera donc celle du référendum de l’article 11 qui permet d’éviter le traditionnel veto du Sénat et dont le champ d’application dépend du Chef de l’Etat (comme l’ont admis tous les juristes, « l’article 11 est ce que les pouvoirs publics souhaitent ou veulent ce qu’il soit »). En conséquence la démarche et le calendrier seront les suivants :

La candidate socialiste fera sienne dans sa campagne le projet de réforme et s’engagera sur le référendum, ce qu’elle a fait dans son discours de Villepinte du 11 février 07. Elle énoncera les principes fondateurs des mesures envisagées. Les candidats socialistes aux législatives feront de même. Un mandat constituant aura ainsi été donné à la nouvelle majorité dans le double cadre des élections présidentielles et législatives.

Une fois élue, la Présidente adresse un message au Parlement (art. 19) et le Premier ministre engage sa responsabilité sur, conjointement, un avant-projet précis de réforme constitutionnelle. Le Parlement est convoqué pour débattre de cet avant-projet durant le mois de juillet.

Un Forum consultatif constitutionnel est parallèlement mis en place pour l’organisation du débat constitutionnel. Il est composé d’une cinquantaine de personnes : les représentants de la Présidente de la République et du Garde des sceaux, des responsables d’associations spécialisées sur les questions démocratiques ou constitutionnelles, des citoyens tirés au sort. Le Forum fonctionne en temps réel sur Internet.

En août, le Conseil d’Etat est saisi pour avis selon la procédure d’urgence sur le projet de réforme du gouvernement. Le Parlement débat, conformément à l’article 11 du projet définitif. Le référendum a lieu le dernier dimanche de septembre 2007.

Si cette feuille de route est suivie et tenue, le résultat sera un considérable changement dans la V° République. Le problème à ce jour n’est donc pas de dresser une comptabilité en partie double du rapport BEL avec ses bonus et ses malus. Il est de comprendre qu’il constitue la meilleure synthèse de toutes les contributions qui ont pu être faites à la candidate jusqu’ici. Et qu’il est la transition la plus satisfaisante qui soit pour aller plus loin. La manière dont Ségolène ROYAL exercera son mandat pourra être un autre moment de la grande transformation du régime. Il nous faudra bien un jour rompre avec l’archaïsme d’un système où le président est surpuissant et peut ruiner à sa guise la légitimité démocratique de la représentation nationale. Il faudra par exemple qu’il ou elle donne le droit de dissolution au Premier ministre et qu’il lui soit interdit de le révoquer. Ce sera alors l’avènement d’une autre République, celle qui fera entrer la France dans l’ère des nations européennes ordinairement démocratiques. Cela passe par ce premier train de réformes et plus que jamais par la victoire de Ségolène ROYAL.

par Paul Alliès

Paul Alliès est professeur de science politique à l’Université de Montpellier. Il est par ailleurs membre fondateur et vice-président de la Convention pour la VIe République. Il est l’auteur de "Une Constitution contre la démocratie ? Portrait d’une Europe dépolitisée" (Climats, 2005.) et de "Le grand renoncement. La Gauche et les institutions de la Vème République" (Textuel, 2007).


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