« Pourquoi les Américains sont le peuple le plus violent de la terre » (par Michael Moore)

vendredi 4 janvier 2013.
 

Après avoir regardé vendredi dernier la conférence de presse de la NRA, trompeuse et franchement dingue, il m’est apparu évident que la prophétie des Mayas s’était réalisée. A ceci près que le seul monde qui ait disparu était celui de la NRA. Son pouvoir brutal visant à déterminer la politique des armes dans notre pays, c’est terminé. Notre nation a été écœurée par le massacre du Connecticut.

Ces tueries ne vont pas cesser d’ici demain. Désolé de le dire. Mais au fond de nous-même, nous savons que c’est ainsi. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille cesser de lutter. Après tout, l’élan est de notre côté. Je sais bien que, moi y compris, nous aimerions tous voir le président et le Congrès voter des lois plus restrictives. Une interdiction des armes automatiques ET semi automatiques est nécessaire. Ainsi que celle de chargeurs comptant plus de sept balles. Il nous faut davantage de contrôles, d’examens de santé. Nous devons également pouvoir réglementer la vente des munitions.

Mais, mes amis, autant ce que je viens de suggérer contribuera à faire baisser le nombre de morts par balles (demandez au maire de New York, cette ville où il est pratiquement impossible de s’acheter une arme de poing : le nombre de meurtres par année est tombé de 2200 à moins de 400), autant cela ne mettra pas un terme aux tueries collectives et ne résoudra pas les problèmes fondamentaux qui nous font face. Le Connecticut avait l’un des arsenaux législatifs les plus contraignants en la matière

Cela n’a pas empêché l’assassinat de vingt enfants en bas âge ce 14 décembre.

Concernant Newton, soyons clairs : le tueur avait un casier judiciaire vierge et n’avait jamais été référencé chez un marchand d’armes. Toutes les armes qu’il a utilisées avaient été achetées légalement. Le tueur avait certainement des problèmes psychiques, sa mère avait tenté de l’aider, mais sans résultat. Concernant les mesures de sécurité, l’école de Sandy Hook avait été fermée à double tour AVANT l’arrivée du tueur ce matin-là. Des exercices de simulation avaient eu lieu pour prévenir un tel épisode.

Il y a un petit point bien embêtant que nous les progressistes ne voulons pas aborder : le tueur ne mit un terme à son massacre que quand il vit les flics grouillant dans l’enceinte de l’école, donc quand il perçut des hommes armés. C’est alors qu’il arrêta le massacre et se supprima ; ces officiers de police en armes empêchèrent 20, 40 ou 100 morts. Parfois, les flingues, ça marche. Cela dit, il y avait un shérif adjoint à Columbine le jour du massacre et il ne put rien empêcher.

Je suis navré de soumettre ces éléments dans notre combat pour un changement radical de la législation sur les armes, une nouvelle législation nécessaire mais plutôt cosmétique.

Nos dirigeants approuvent et perpétuent des actions violentes à des fins la plupart du temps immorales. Nous envahissons des pays qui ne nous ont pas attaqués. Nous utilisons régulièrement des drones dans une demi douzaine de pays, en tuant souvent des civils. Pas vraiment de quoi être surpris puisque notre nation est née d’un génocide et qu’elle a été construite grâce à la sueur des esclaves. La Guerre de Sécession a fait 620 00 morts parmi nous. Nous avons « apprivoisé » le Far West avec le pistolet à six coups ; nous avons violé, battu et tué nos femmes, sans merci, à un rythme sidérant : toutes les trois heures une femme est assassinée aux États-Unis, une fois sur deux par son compagnon ou par un ex ; une femme est violée toutes les trois minutes dans notre pays ; une femme est battue toutes les quinze secondes.

Notre pays appartient à ce groupe illustre de nations (Corée du Nord, Arabie Séoudite, Chine, Iran) qui applique toujours la peine de mort. Nous n’avons que faire des dizaines de milliers de nos concitoyens qui meurent chaque année parce qu’ils n’ont pas de couverture sociale ou parce qu’ils n’ont pas accès à un médecin.

Pourquoi faisons-nous cela ? Une réponse simple est : parce qu’on le peut. Chez nous qui sommes aussi des gens animés de sentiments amicaux, il y a un degré d’arrogance qui nous pousse à croire bêtement qu’il y a quelque chose d’exceptionnel en nous qui nous différencie des « autres » pays. Il y a beaucoup de bonnes choses chez nous ; il en va de même en Belgique, en Nouvelle Zélande, en France, en Allemagne etc.

Nous pensons que nous sommes n° 1 dans tous les domaines alors que nos étudiants sont les 17e en sciences, les 25e en mathématiques et que notre espérance de vie est la 35e au monde. Nous croyons que nous sommes la plus grande démocratie de la planète alors que notre taux de participation aux élections est le plus bas de toutes les démocraties occidentales. Nous sommes les plus forts et les meilleurs dans tous les domaines et nous exigeons et prenons tout ce que nous voulons.

Parfois, nous devons nous conduire comme des f** de p** pour obtenir tout cela. Mais si l’un de nous pète les plombs et révèle la nature totalement psychotique et les conséquences brutales de notre violence à Newton, à Aurora ou à Virginia Tech, alors nous sommes « tristes », « nos sentiments vont aux familles des victimes » tandis que nos présidents promettent « des mesures significatives ». Peut-être que le président actuel est sincère cette fois. Il vaudrait mieux. Des millions de personnes en colère ne vont pas lâcher le morceau.

Je demande respectueusement que nous nous arrêtions un instant pour réfléchir à ce qui me semble être les trois circonstances atténuantes qui peuvent nous aider à comprendre pourquoi les Américains sont le peuple le plus violent de la terre :

1) LA PAUVRETE

S’il y a une chose qui nous différencie du reste du monde développé, c’est que 50 millions de nos concitoyens vivent dans la pauvreté. Un Étatsunien sur cinq souffre de la faim au moins une fois par an. La majorité de ceux qui ne sont pas pauvres n’ont plus rien à la fin du mois. A l’évidence, ceci engendre de plus en plus de comportements délictueux. Les emplois du type de ceux de la classe moyenne préviennent le crime et la violence. Si vous ne croyez pas à cela, posez vous simplement la question suivante : si mon voisin a un vrai boulot et gagne 50 000 dollars par an, y a-t-il un risque qu’il pénètre chez moi par effraction, qu’il me tue et embarque ma télé ? Bien sûr que non.

2) LA PEUR, LE RACISME

Nous sommes un peuple extrêmement peureux, si l’on veut bien considérer que, contrairement à la plupart des nations, nous n’avons jamais été envahis (non, 1812 ne fut pas une invasion, c’est nous qui avons commencé). Pourquoi diable avons-nous besoin de 300 millions d’armes chez nous ? Je comprends que les Russes puissent avoir un peu les jetons puisque 20 millions d’entre eux sont morts pendant le Deuxième Guerre mondiale. Mais quelle est notre excuse ? A-t-on peur que les Indiens qui travaillent dans les casinos reprennent le sentier de la guerre ? On a peur que les Canadiens rachètent trop de cafétérias Tim Horton des deux côtes de la frontière ?

Non. La raison est que trop de Blancs ont peur des Noirs. Un point c’est tout. La grande majorité des armes sont achetées par des Blancs qui vivent dans les banlieues résidentielles ou à la campagne. Quand nous fantasmons que nous allons être victimes d’une agression ou d’un bris de clôture, quelle image de l’agresseur construisons-nous dans nos têtes ? Le môme à tache de rousseurs de la maison d’à côté ou quelqu’un qui, s’il n’est pas noir, est à tout le moins pauvre ?

Il serait bon de a) faire de notre mieux pour éradiquer la pauvreté et reconstruire la classe moyenne d’antan, et b) d’arrêter de promouvoir l’image du Noir croquemitaine qui sort de chez lui pour nous taper dessus. Calmez-vous les Blancs et débarrassez-vous de vos flingues.

3) LA SOCIETE DU « MOI-JE »

C’est cette éthique du chacun pour soi qui nous a mis dans une telle panade, et là est notre délitement. Je me débrouille par mes propres moyens ! C’est pas votre problème ! C’est le mien !

Assurément, nous ne sommes plus les gardiens de nos frères et de nos sœurs. Vous tombez malade et vous ne pouvez pas payer l’opération ? Pas mon problème. La banque a saisi votre maison ? Pas mon problème. Vous ne pouvez pas aller en fac ? Pas mon problème.

Et pourtant, un jour ou l’autre, cela devient notre problème, n’est-ce pas ? Enlevez trop de filets de protection et tout le monde finit par en ressentir l’effet. Vous voulez vivre dans ce type de société, une société où vous aurez à bon droit raison d’avoir peur ? Je ne le crois pas.

Je ne dis pas qu’ailleurs ce soit parfait, mais j’ai constaté, au cours de mes voyages, que d’autres pays civilisés estiment que s’occuper de tous et de chacun bénéficie à l’ensemble du pays. Des soins gratuits, des droits universitaires gratuits ou peu élevés, une assistance aux malades mentaux. Et je me pose la question : pourquoi nous, ne pouvons-nous pas réaliser cela ? Parce que dans de nombreux autres pays les gens ne se perçoivent pas comme des entités individuelles et solitaires mais comme les membres d’un groupe, sur le chemin de la vie, chacun existant comme la partie d’un tout. On aide les nécessiteux, on ne les punit pas parce qu’ils ont joui de malchance ou parce qu’ils sont dans une mauvaise passe.

J’en viens à croire que la raison pour laquelle les meurtres par balles dans les autres pays sont si rares est que leurs citoyens ne sont pas affligés de la mentalité du loup solitaire. La plupart ont reçu durant leur éducation le sens du lien, voire d’une solidarité totale. Difficile alors de se tuer les uns les autres.

Voilà quelques réflexions avant de partir en vacances. N’oubliez pas de saluer votre beauf’ de droite pour moi. Même lui vous dira que si vous n’êtes pas capable de gauler un daim en trois balles, et que vous estimez qu’il vous en faut trente, vous n’êtes pas un vrai chasseur, mon pote, et vous n’avez aucun droit à posséder une arme.


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