Tollé général contre le projet d’Ennahda d’appliquer la charia à petites doses en Tunisie

vendredi 19 octobre 2012.
 

Un tollé général a suivi la publication, ces derniers jours, de deux vidéos du leader des islamistes au pouvoir en Tunisie, Rached Ghannouchi, essayant de rassurer les salafistes quant à « une application à petites doses de la charia ».

La surmédiatisation de ces vidéos a fait que le retrait par la commission de synthèse et de rédaction à l’Assemblée nationale constituante de l’article pénalisant l’atteinte au sacré est passé inaperçu. Les vidéos « fuitées » du leader d’Ennahda, M. Ghannouchi, continuent à nourrir la polémique sur la scène politique avec l’« application à petites doses de la charia » et la promesse « d’amender le Code du statut personnel le jour où les islamistes auront le dessus ».

« L’application de la charia doit se faire à petites doses », a explicitement assuré M. Ghannouchi dans son entretien téléphonique avec cheikh Béchir Ben Hassen, l’un des leaders salafistes, ne laissant la place à aucune équivoque possible sur la duplicité du discours des leaders d’Ennahda. Cette deuxième vidéo, diffusée sur les réseaux sociaux, dans la soirée du mercredi 10 octobre, a convaincu les indécis à propos de la duplicité du discours d’Ennahda. Plusieurs avaient, auparavant, crié « au montage » et accusé les extraits publiés de « faire ressortir les propos de Ghannouchi de leur contexte initial », suite à la première vidéo diffusée 24 heures plus tôt. Avec la deuxième vidéo, nul ne peut plus nier la duplicité du discours nahdaoui.

Acquis en danger

S’adressant à « ses enfants », les salafistes, M. Ghannouchi a essayé de « les rassurer sur l’application de la charia » et les a invités à « plus de retenue » et à « ne pas perdre espoir ». « Les choses se feront petit à petit, et ce n’est qu’une question de temps et de patience », a-t-il promis. Propos pouvant alerter les chancelleries occidentales sur la duplicité des islamistes d’Ennahda, même si l’on « ne pénalise pas l’atteinte au sacré ». Le danger est d’autant plus immédiat que le même Ghannouchi a affirmé au cheikh salafiste Béchir Ben Hassan que « la loi est modelée sur le terrain, selon les désirs des plus forts, qui peuvent ne pas respecter les textes ». De tels propos ont fait bondir plusieurs dizaines de membres de l’Assemblée nationale constituante, qui ont crié fort leur crainte que « même la Constitution risque d’être bafouée par de telles personnes qui ne croient pas à la démocratie et complotent contre l’aspect civil de l’Etat ».

Ces députés ont appelé à la dissolution juridique d’Ennahda, tout en insistant sur « des garanties plus solides que la Constitution afin de préserver l’aspect civil de l’Etat ». L’assemblée plénière, réclamée dans l’urgence par 75 constituants concernant ce sujet, risque d’être surchauffée. Par ailleurs, les méfaits des propos de M. Ghannouchi ont également atteint le Code du statut personnel (CSP) et la condition féminine. En réponse à une question du cheikh Béchir Ben Hassan en rapport avec le CSP, dont certains articles seraient, selon les salafistes, contraires à la charia, Rached Ghannouchi a indiqué que « le CSP pourra être amendé le jour où les islamistes auront le dessus et ils pourront donc garder certains articles et enlever d’autres ».

Par étapes

Il ressort des deux vidéos que Rached Ghannouchi a répété plus d’une fois qu’il faut procéder par étapes. « Oui, toute notre stratégie est basée sur la politique des étapes ! », a insisté le leader du parti islamiste. Il a même expliqué comment il faut procéder pour atteindre l’application de la charia en Tunisie : « On veut insuffler cet esprit islamique dans le peuple. Il faut donc prendre le temps d’éduquer les jeunes, de les former et de diffuser dans la société une conscience islamique globale. A ce moment-là, c’est le peuple qui exigera l’application de la charia ! », a-t-il expliqué. Il n’a pas manqué d’ajouter : « Quand on deviendra forts et puissants, on pourra décréter des lois régissant la vie sociale et la famille selon le modèle islamique. »

« De tels propos rappellent ceux du cheikh Abdelfattah Mourou, membre lui aussi de la direction d’Ennahda, à l’adresse du prédicateur égyptien Wajdi Ghenim, lorsque maître Mourou lui a signifié que la tactique des islamistes tunisiens consiste à séparer la jeune génération de celle qui l’a précédée, car cette dernière est déjà gangrenée par la pensée laïque », rebondit Samir Taïeb, juriste et porte-parole d’El Massar (parti politique de l’opposition disposant de cinq membres à l’Assemblée). « C’est une duplicité voulue pour ne pas brusquer la société », conclut-il. Avec la publication de ces vidéos de Ghannouchi sur le rapport à la charia, la position des nahdhaouis risque de devenir plus fébrile. Ils ne peuvent plus parler aussi librement d’état civil et de démocratie, même si l’on essaie de rassurer l’opinion publique par le rejet de l’article pénalisant l’atteinte au sacré. « Les vidéos donnent aux laïcs les arguments recherchés pour justifier leurs attaques de la duplicité d’Ennahda et de son leader Ghannouchi », pense l’historien islamologue Néji Jalloul.

Mourad Sellami


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