Le gouvernement Ayrault a rétabli la plupart des privilèges fiscaux qu’il fait mine de pourfendre

jeudi 25 octobre 2012.
 

Après l’épisode lamentable du défilé des dix ministres socialistes à l’université du MEDEF, les développements de l’affaire des "pigeons" auront été un nouveau signal particulièrement nuisible donné aux milieux d’argent. Un signal de faiblesse qui est un encouragement à la rébellion permanente des gros portefeuilles.

Jamais le mécontentement des puissants n’avait été aussi vite entendu sous un gouvernement de gauche. Le recul du gouvernement sur la taxation des plus-values de ventes d’actions est d’autant plus injustifié que la révolte des "pigeons"’ semble bien avoir été en réalité un complot monté de toute pièce par la finance, la droite et le MEDEF. Voici les éléments que j’ai rassemblés au fil des informations publiées. Si j’en ai disposé, j’estime que le gouvernement les a eues autant que moi et, sans doute, avant, non ? Sa capitulation n’en est que davantage pitoyable ! En regardant de près le fameux collectif de soi-disant "jeunes entrepreneurs innovants" dit "pigeons", on découvre d’abord que le premier initiateur est un entrepreneur français installé à San Francisco ! Il est donc assez mal placé pour faire du chantage à l’évasion fiscale puisque son activité n’est déjà plus taxée en France. Autre découverte : cet initiateur de la pétition internet "foudroyante" des "pigeons" est le frère du responsable de la campagne internet de Sarkozy pendant la présidentielle. On comprend mieux pourquoi l’UMP était aux avant-postes de cette soi-disant "révolte". Enfin, il s’avère que les initiateurs n’ont réussi à faire augmenter leur nombre de soutiens sur internet qu’avec le parrainage personnel et logistique de grands patrons comme Xavier Niel de l’opérateur Free ou Geoffroy Roux de Brézieux de l’opérateur Virgin Mobile. On est donc à mille lieux de la défense des "petites entreprises innovantes". Dans cette histoire les vrais pigeons sont ceux qui y ont cru.

La suite de la polémique l’a confirmé. En effet, alors que la CGPME s’est retiré de la "fronde" après la première reculade du gouvernement, les "pigeons" ont reçu le soutien bruyant du MEDEF et de l’AFEP, organe qui regroupe les principaux patrons du CAC 40. Cette reculade devant les "pigeons" est d’autant plus grave qu’elle intervient après plusieurs autres reculs sur la taxation des revenus du capital. Désormais l’engagement n°14 du projet présidentiel de François Hollande est complètement enterré. Le candidat Hollande y avait repris la proposition du Front de Gauche d’"imposer les revenus du capital comme ceux du travail". Une bataille que nous menons depuis des années et qui m’a valu d’innombrables polémiques avec les amis de l’argent roi dans les médias. Notamment lorsque j’avais relayé les propos du banquier de Natixis Patrick Artus qui affirmait dans le Monde du 15 mai 2011 : "il faut aligner la taxation des revenus du capital sur celle du travail. Cela pourrait rapporter 100 milliards d’euros". Par la suite, cette estimation a été révisée par différents économistes entre 42 et 113 milliards. Rien qu’en prenant la fourchette basse, cela aurait permis d’épargner au pays les coupes dans les dépenses publiques et dans les revenus des travailleurs qu’a prévu le gouvernement dans son plan d’austérité. Il n’en sera rien malheureusement. Car, par une série de reculades discrètes mais nettes, le gouvernement a rétabli la plupart des privilèges fiscaux qu’il fait mine de pourfendre. Voyons cela.

Il y eut d’abord les avantages pour l’assurance vie. Il s’agit d’un véritable paradis fiscal pour les placements. Les revenus d’actions ou d’obligations qui y sont déposées ne sont en effet taxés qu’à 15 % au-delà de 4 ans de détention et 8 % au-delà de 8 ans. De tels taux préférentiels expliquent qu’aujourd’hui les contrats d’assurance vie drainent 75 % des flux de placements en France. Et derrière la masse des 17 millions de Français qui y ont souscrit se cachent les 1 % les plus riches qui en détiennent à eux seuls le quart de l’encours total ! Un rapport de la cour des comptes présenté par son président Didier Migaud expliquait d’ailleurs que "l’incitation fiscale ne bénéficie véritablement qu’à une minorité d’épargnants détenteurs des contrats d’assurance-vie les plus importants. La très grande majorité des ménages – ceux imposés dans les trois premières tranches de l’impôt sur le revenu – ne retire qu’un faible intérêt des dispositions fiscales censées les inciter à détenir leur épargne au-delà de huit ans." Un privilège que Hollande et son équipe s’étaient explicitement engagés à abolir. Ainsi, après une première déclaration en ce sens de Hollande lui-même le 27 février 2012 sur TF1, Michel Sapin avait affirmé le lendemain : "L’assurance-vie sera soumise au barème de l’impôt sur le revenu. Nous ne prévoyons pas de maintenir des abattements exonérant le fruit de ces placements. Par définition, les personnes disposant au total de faibles revenus (salaires ou pensions de retraites, plus fruit de l’épargne) continueront d’être non imposables. Les autres paieront comme tout le monde." Un engagement qui n’a pourtant même pas tenu jusqu’à la fin de la campagne. Avant même d’arriver au pouvoir, Hollande et son équipe avaient en effet annoncé discrètement, via une déclaration de Michel Sapin à l’AFP, que les privilèges de l’assurance vie seraient maintenus. Entre temps, l’équipe de Hollande avait rencontré la Fédération française des sociétés d’assurance, deuxième grand lobby financier du pays après la Fédération française des banques. Ceux-là ont été plus vite et mieux entendus que de vulgaires Sodimédical et autres Pétroplus !

La deuxième reculade fut sur la taxation à 75 % des revenus de plus d’un million d’euro. Là encore les revenus du capital en sont exonérés. L’annonce a été faite par Hollande lui-même après que la première fortune de France, Bernard Arnault, ait protesté contre cette taxation. Ceux qui gagnent plus d’un million en travaillant, façon de parler, seront donc taxés à 75 %. Mais ceux qui gagnent plus d’un million en dormant ne le seront qu’à 45 %. Voire moins compte tenu des autres reculs qui ont suivi.

Lors de la présentation du budget 2013, le gouvernement a continué à communiquer sur la fin des « prélèvements forfaitaires libératoires » qui permettent aux revenus du capital d’échapper à l’impôt sur le revenu. Beaucoup de mes lecteurs ignorent de quoi il s’agit. J’explique. Si vous avez un revenu quelconque, il s’ajoute sur votre déclaration de revenus pour les impôts. Mais si vous avez un revenu par vos actions, cela se passe autrement. Vos profits ne sont pas ajoutés sur votre déclaration d’impôt. Vous payez un pourcentage dessus : au revoir et merci. Pour le nouveau gouvernement, il s’agissait de maintenir un affichage qui sonne bien et qui puisse faire illusion. On apprit donc que ce « prélèvement forfaitaire libératoire » était abrogé. Le coup de communication marcha très bien compte tenu du niveau moyen de sous information des médias. Je me suis vu demander dix fois si j’étais satisfait que « François Hollande taxe le capital comme le travail ». Il suffisait de faire l’effort de demander les détails contenus dans le budget, pour découvrir la vérité. Petit malin ! Quelle que soit la somme que vous gagnez grâce à vos actions en bourse, celle-ci bénéficie d’un abattement spécial de 40 % ! La somme à inclure dans votre déclaration d’impôt est donc 60 % seulement de ce que vous aurez gagné de cette façon. Rappelons que l’abattement appliqué aux salaires ne s’élève lui qu’à 10 %. Le gouvernement a donc effacé un privilège des revenus du capital d’un côté pour le rétablir de l’autre à l’intérieur de l’impôt sur le revenu.

La dernière reculade sur les revenus du capital est enfin celle de l’affaire des "pigeons". Là, ce sont les plus-values de ventes d’action qui sont concernées, c’est-à-dire les gains obtenus entre la valeur d’achat d’une action et sa valeur à la revente. Pour une partie de ces plus-values, le gouvernement a carrément rétabli le prélèvement forfaitaire de 19 % qui les fait échapper à l’impôt sur le revenu. Et pour les autres, le gouvernement a aussi instauré un abattement de 40 %. Fromage et dessert !


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