Reprise et reconversion des entreprises par et avec les salariés

mardi 28 août 2012.
 

par Evelyne Perrin économiste ex-chargée de mission au plan " urbanisme, construction, architecture " membre du conseil scientifique d’Attac

La fermeture programmée de PSA Aulnay (3 000 emplois directs) et les suppressions de 8 000 emplois au total – sans compter les emplois induits – chez PSA posent la question des alternatives concrètes à la fermeture, au moment où le gouvernement fait connaître son plan pour sauver l’industrie française et le secteur automobile.

Après les mines, la sidérurgie, leurs combats historiques, le textile, et en même temps que le raffinage, voici que l’un des derniers volets de notre tissu industriel, l’automobile, part sous nos yeux dans les pays émergents à bas salaires et au marché porteur, en Europe de l’Est, au Maghreb et surtout en Inde, Brésil, Chine. Cette destruction de notre tissu productif se fait, avec la complicité des gouvernements de droite précédents, sous la direction d’entreprises devenues des multinationales et qui, dans leur recherche effrénée du profit, n’ont plus aucune considération pour l’intérêt national. Dans le cas de PSA, cette internationalisation a conduit à créer notamment 3 500 emplois en Slovaquie ; la production réalisée en France, passée de 61,6 % en 2003 à 40,8 % au début de 2012, cède la place à celle réalisée à l’étranger (de 38,4 % à 59,2 %), comme le souligne l’Humanité du 23 juillet.

Que nous restera-t-il bientôt comme industrie et comme emplois si nous ne résistons pas tous ensemble, avec la détermination la plus farouche, contre les plans sociaux et délocalisations différés par Sarkozy et qui explosent tous comme des bombes à retardement ? Ces plans sociaux, présentés sous le couvert de pertes financières, sont en réalité montés de toutes pièces par ces multinationales : on apprend que PSA, qui a touché de l’État français des milliards sous formes de prêts et d’aides, les réinvestit dans ses nouvelles usines en Russie ou ailleurs, préfère rembourser 1 milliard aux banques (le fameux « désendettement »), et multiplie les filiales dans plus de trente paradis fiscaux.

Or il est possible de sauver notre industrie, en la reconvertissant vers des produits innovants, écologiquement soutenables, si nous élaborons des stratégies offensives et mûrement réfléchies. Les salariés des entreprises menacées ou condamnées savent très bien à quel point l’impasse productive dans laquelle leurs directions les ont conduits a été calculée, programmée, froidement, pour justifier les délocalisations. Ils ont en main les éléments de savoir-faire pour bâtir, avec l’aide de chercheurs spécialistes de ce secteur, un contre-projet industriel, à condition de s’unir et de se faire entendre, d’avoir enfin voix au chapitre, c’est-à-dire de prendre le pouvoir, afin de décider collectivement de leur sort avec l’aide des collectivités territoriales et du nouveau gouvernement.

Pourquoi ne pourraient-ils le faire quand on sait que des salariés ont repris et reconverti leur entreprise ces dernières années, aussi bien en France que dans d’autres pays, comme les salariés de Continental Mexico, qui aujourd’hui réembauchent ? Ces cas ont été évoqués en octobre 2010 lors de la conférence de Stuttgart « Crise et reconversion de l’industrie automobile », organisée par la Fondation Rosa-Luxemburg, Die Linke (équivalent en Allemagne du Front de gauche) et Attac Allemagne. Pourquoi ne s’en inspire- t-on pas ?

Ayant mené moi-même, à l’hiver 2009- 2010, une vaste enquête sur les luttes des salariés contre les fermetures et plans sociaux dans 35 entreprises en France ( Haute Tension : les luttes des salariés contre les plans sociaux 2008-2010 , consultable sur Internet), j’ai pu constater le sérieux des contre-projets de reconversion élaborés par les salariés et leurs syndicats, par exemple à la raffinerie Total des Flandres de Dunkerque, à Philips Dreux, chez Molex. Si ces projets viables n’ont pas vu le jour, ce fut en raison de l’opposition du gouvernement sarkozyste, à la solde de la finance internationale. Or, des luttes importantes ont réussi à retarder ou empêcher des fermetures et des suppressions d’emplois, comme chez Ford Blanquefort, Goodyear Amiens, Freescale Toulouse, pour ne citer que ces exemples… Les cas de reconversion partielle arrachée par les salariés, à Heuliez en Poitou-Charentes, ou à Bosch à Vénissieux, montrent que la reconversion sociale et écologiquement soutenable est possible. Seuls les salariés et leurs syndicats peuvent l’imposer, mais ils doivent être soutenus par l’État et les collectivités territoriales concernées.

Des chercheurs se sont depuis longtemps penchés sur l’avenir de notre industrie et sur sa relocalisation, mais aussi sur la nécessité de redonner voix au chapitre aux salariés qui en produisent la richesse (citons le dernier ouvrage de Gabriel Colletis, de l’université de Toulouse, l’Urgence industrielle, paru en 2012 aux éditions Le Bord de l’eau).

Je salue les efforts de monsieur Arnaud Montebourg, ministre du si bien nommé Redressement productif, à qui je souhaite de réunir les conditions pour aller jusqu’au bout dans le sauvetage et la reconstitution de notre tissu productif. C’est maintenant ou jamais qu’il faut marquer un coup d’arrêt aux délocalisations et à la destruction de notre industrie et de nos emplois de demain. Sinon, dans vingt ans, nos enfants devront-ils s’expatrier en Chine… et y travailler comme sans-papiers à leur tour ?

Je propose donc que ce gouvernement volontariste organise d’urgence un cycle de rencontres de travail entre les syndicalistes de PSA et les chercheurs spécialisés dans le secteur automobile, afin d’élaborer avec les salariés, et avec l’aide des collectivités territoriales concernées, un contre-projet industriel écologiquement soutenable et permettant de garder notre industrie. Car il est bien évident que donner encore des milliards au secteur automobile pour que cet argent – celui du contribuable – soit utilisé aux seules fins d’un capitalisme financiarisé et mondialisé et parte dans les nouvelles usines ouvertes en Europe de l’Est, en Chine ou en Inde, ne nous sera d’aucun secours.

Bien entendu, cela suppose que paraissent rapidement les lois et décrets annoncés par ce nouveau gouvernement, permettant aux salariés de reprendre leur entreprise en cas de fermeture et mettant en place un droit suspensif sur les licenciements, ceux-ci la plupart du temps motivés par des stratégies financières internationales, comme le rappelle dans l’Humanité du 26 juillet Mohammed Oussedik, secrétaire en charge de l’industrie à la CGT. De même, toute nouvelle aide de l’État devrait être conditionnée à des engagements de maintien des emplois, quitte à former et reconvertir les salariés.

Enfin, aucun projet industriel ne devrait être négocié avec le patronat sans la participation active de ceux qui produisent, les salariés et leurs représentants syndicaux. Il est temps de réagir tous ensemble, salariés, citoyens, chercheurs, élus, car ce combat est aussi celui de l’avenir de nos enfants.

Evelyne Perrin


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