Entretien du Monde avec Pierre Laurent (PCF)

mardi 3 juillet 2012.
 

1 Bertrand : Jean-Luc Mélenchon parle de "carence de direction politique" dans votre parti, que répondez vous ?

Pierre Laurent : D’abord, il a parlé de carence de direction politique dans le Front de gauche, à propos des élections législatives. Je pense que chacun devrait faire attention aux déclarations à l’emporte-pièce sur nos résultats dans ces élections. Nous avons progressé en voix et en pourcentage, et notre recul en nombre de députés est d’abord dû à l’injustice du système électoral et aux effets d’une présidentialisation aggravée des comportements politiques. C’est donc un sujet de réflexion pour toutes les femmes et tous les hommes de gauche.

Nous avons enregistré ce progrès y compris dans la plupart des circonscriptions où nous perdons un député sortant. Je crois moi aussi que nous avons manqué de lisibilité nationale dans ces élections législatives. Mais contrairement à Jean-Luc, je ne pense pas que la campagne menée localement par nos candidats, a fortiori dans les circonscriptions sortantes, soit en cause.

2 Jeanne : Croyez vous comme Mélenchon que les communistes ont tenté individuellement de "sauver leur peau" ?

C’est contraire à toute la réalité de la campagne, qui a été menée collectivement au nom du Front de gauche. Si on veut sérieusement s’interroger sur les électeurs qui avaient voté pour nous à la présidentielle et qui ne l’ont pas fait aux législatives, il faut chercher les raisons ailleurs.

Une partie d’entre eux ont sans doute considéré, à tort, que l’essentiel avait été fait en votant contre Nicolas Sarkozy. La présidentialisation excessive des comportements électoraux ne nous épargne pas. Par ailleurs, d’autres électeurs ont sans doute eu du mal à comprendre comment nous entendions être utiles à la réussite d’une politique de gauche dans la nouvelle situation créée par l’élection de François Hollande.

Ils ont du coup estimé que la seule question posée était de lui donner une majorité, en sous-estimant ce que nous voulions mettre en valeur : la qualité de cette majorité parlementaire et l’importance de compter ou non en son sein un groupe Front de gauche. C’est une leçon qu’il faudra retenir pour les batailles à venir.

3 Aline : Comment décryptez vous les attaques de Jean-Luc Mélenchon ?

A l’issue d’une période électorale aussi intense, il est normal que toutes les formations du Front de gauche tirent les leçons des scrutins et confrontent leurs idées sur la suite à donner.

Que s’expriment des opinions différentes au sein même du Front de gauche n’est pas en soi un problème. En revanche, je pense que chacun devrait se garder de réactions caricaturales, voire insultantes, sur la campagne de nos candidats.

L’exigence de confrontation n’exclut pas la solidarité et surtout, impose que nos jugements soient étayés sur des analyses approfondies et non des racontars. Je souhaite, j’espère que cela sera le cas très vite, que ces premières réactions laissent la place à ce nécessaire travail d’analyse dont nous avons besoin pour relancer de plus belle la dynamique conquérante du Front de gauche.

4 Annick : Le parti communiste ne doit-il pas reprendre de l’espace vis à vis de Jean-Luc Mélenchon le soliste ?

Le Parti communiste ne s’est jamais senti à l’étroit dans le Front de gauche. Depuis le début, cette construction politique est une construction que nous avons voulue collective. Evidemment, l’élection présidentielle l’a personnalisée à l’excès.

Nous le savions, puisque nous réclamons au Front de gauche le dépassement de ce système et une VIe République. L’essentiel est maintenant que le Front de gauche retrouve le visage collectif qui a fait son succès et qui peut permettre le développement de sa démarche de rassemblement. Le Parti communiste utilisera évidemment, comme il l’a toujours fait, sa liberté de parole pour favoriser cette démarche unitaire.

5 Stéphane : Le Front de gauche est-il dans la majorité ou est-il une opposition de gauche au Parlement ?

Je considère que le Front de gauche est une des composantes de la majorité de gauche que le peuple a formée en permettant les victoires électorales aux élections présidentielle et législatives. Sans la contribution du Front de gauche, ces victoires n’auraient pas été possibles.

En même temps, nous ne nous reconnaissons pas dans la vision gouvernementale qui consiste à tirer un trait d’égalité entre cette majorité de gauche dans le pays et la composition du gouvernement. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de ne pas participer à ce gouvernement.

La seule feuille de route de ce dernier est le programme du candidat socialiste du premier tour, alors que la majorité qui a permis son élection au deuxième est plus diverse que cela.

Nous sommes donc au Parlement une composante active de la gauche, qui garde sa liberté de parole et de vote.

6 Jaures : Quelles sont selon vous les raisons de votre échec face au FN ?

L’échec face au Front national est d’abord celui du système politique actuel. C’est l’enfoncement et le consensus autour de politiques d’austérité et de régression démocratique qui favorisent le désespoir populaire. Le Front national exploite ce désespoir pour promouvoir des solutions de repli xénophobe. Le phénomène n’est pas national, mais il est en ce moment européen.

Le Front de gauche, au contraire, est pour le moment l’une des seules forces qui ait décidé d’engager sur le fond et dans la durée le combat pour faire reculer ces idées.

Nous avons commencé à marquer des points en permettant, par exemple, que la contre-offensive sur le terrain des idées se déploie dans le monde du travail. Mais nous ne sommes qu’au début d’une longue bataille, que nous ne prétendons pas avoir aujourd’hui remportée.

7) Yoann Jacquet : Comment jugez-vous la hausse de 2 % du smic par le gouvernement ?

Pierre Laurent : L’annonce d’une augmentation du smic de 2 % est un sévère coup de froid pour tous ceux qui espéraient un tournant dans la politique salariale. Ce n’est pas une bonne nouvelle, non seulement pour toutes celles et tous ceux qui sont privés d’une juste rémunération de leur travail - et je pense singulièrement aux femmes qui représentent l’essentiel des smicards et des bas salaires -, mais aussi pour l’économie nationale, qui ne se redressera pas sans une véritable relance salariale.

Le Front de gauche ne lâchera pas sur cette question. Nous serons vigilants sur ce qui sortira de la conférence sociale de la mi-juillet.

Et nous sommes déterminés à engager une campagne nationale d’explication et de mobilisation sur les questions des salaires et du pouvoir d’achat, qui restent pour nous une priorité absolue.

8) Henri De Gourges : Quelle est votre position concernant le vote de la confiance au gouvernement, sachant que Jean-Luc Mélenchon s’est prononcé pour l’abstention au nom du Parti de Gauche ?

Nos deux groupes parlementaires se réuniront dans les jours à venir pour arrêter leur position. C’est d’abord à eux de le faire. Il convient de connaître pour cela le détail des orientations de la déclaration de politique générale qui sera faite par le premier ministre. Il faut apporter à cette question une réponse précise et non une réponse de posture.

A titre personnel, et compte tenu de ce que je connais aujourd’hui de ces orientations, je penche également en faveur d’une abstention.

9) Yoann Jacquet : Que répondez-vous au PS qui explique le manque d’ambition de ses décisions sociales par la nécessité du retour à l’équilibre budgétaire ?

C’est le cœur du débat que nous avons avec le Parti socialiste depuis des mois. Le prétendu retour à l’équilibre budgétaire qui sert en ce moment à justifier dans toute l’Europe les politiques de réduction des dépenses publiques est un leurre.

En Grèce, en Espagne, en Italie, au Portugal, la mise en œuvre de telles politiques a débouché sur l’aggravation des déficits et non sur leur résorption. Tout simplement parce qu’on ne sortira pas de la spirale actuelle en enfonçant les économies dans la récession. L’investissement public, s’il est correctement contrôlé et orienté, est indispensable à la sortie de crise.

De surcroît, rien n’oblige, à part les exigences drastiques des marchés financiers, à revenir en quelques années sur un rythme d’enfer à l’équilibre zéro, alors que nous vivons dans des situations de déficit depuis des dizaines d’années. Il faudrait étaler le redressement et le construire sur des bases saines de relance de l’activité, et non sur l’austérité.

Nous proposons une logique effectivement inverse à celle qui est mise en œuvre actuellement, en mariant relance sociale et nouveau type de développement.

10) Quentin : Quelle est la position du PCF concernant l’interdiction de la prostitution, sujet que la ministre du droit des femmes a soulevé ?

Nous sommes favorables à une politique d’abolition de la prostitution, que nous inscrivons plus globalement dans la lutte contre toutes les violences faites aux femmes et contre toutes les marchandisations de leur corps. Cette mesure fait partie de la charte établie par l’ensemble des associations féministes que nous avons signée au nom du Front de gauche et de notre candidat Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle.

Il n’est pas question pour nous de renoncer à cet engagement, que nous portions nous-mêmes depuis longtemps dans des propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale. C’est une question éthique fondamentale.

Yoann Jacquet : Comment réagissez-vous à l’entrée de deux candidats soutenus par le FN à l’Assemblée nationale ?

J’en compte même trois avec Jacques Bompard, élu sous le sigle de la Ligue du Sud dans le Vaucluse. C’est le signe d’une inquiétante banalisation des idées du Front national, à laquelle l’UMP a très ouvertement contribué. Ce n’est pas un hasard si les meilleurs scores et l’élection de députés Front national sont intervenus dans des départements du sud de la France où les dirigeants de l’UMP, sous le label Droite populaire, ont mené campagne sur les mêmes thèmes que le FN.

Maintenant, cela impose aux forces démocratiques de réfléchir aux causes de cette situation et à la nature de la bataille idéologique qui doit être amplifiée auprès des électeurs qui cèdent de plus en plus facilement à ces thèses.

Eric Nunès


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