Non au coup d’état de la Banque centrale européenne

dimanche 21 août 2011.
 

Jean-Claude Trichet, son président, s’institue superpréfet des gouvernements. Il leur ordonne de durcir immédiatement leur politique d’austérité. L’Allemagne propose que, sans consultation des États, un conseil puisse sanctionner les traînards.

L’Italie et l’Espagne sont averties  : le superpréfet Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, les a à l’œil. Hier, sur Europe 1, il a de fait officialisé l’existence de la lettre « secrète » qu’il a cosignée avec son successeur, Mario Draghi, adressée à Silvio Berlusconi, indiquant de manière très détaillée au président du Conseil italien le programme politique qu’il doit suivre pour regagner immédiatement la confiance des marchés financiers. « Nous avons demandé de manière extrêmement claire dans les derniers jours au gouvernement italien de prendre un certain nombre de décisions qui ont été prises, et d’accélérer en particulier le retour à une situation budgétaire normale », a-t-il déclaré. Le dirigeant de l’institution monétaire ne s’en est pas tenu là. Il a ajouté  : « Nous avons demandé la même chose au gouvernement espagnol », et pour que personne ne se tienne pour quitte, il a conclu par ces termes  : « Nous avons demandé à l’ensemble des gouvernements européens, les 17, d’accélérer les décisions qu’ils ont prises le 21 juillet », date du dernier sommet européen de crise au cours duquel les pays de la zone euro ont décidé d’un deuxième plan pour la Grèce et d’un élargissement du champ d’intervention du fonds européen de stabilité financière.

Ce véritable putsch (le Figaro d’hier n’hésitait pas à titrer  : « La BCE met de facto l’Italie sous tutelle »), qui a conduit pour la première fois la Banque centrale européenne à dicter précisément à un gouvernement le programme politique qu’il doit suivre, a été encouragé par la déclaration commune d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, dimanche dernier. Dans ce texte, les deux dirigeants soulignaient que le retour de l’Italie à l’équilibre budgétaire en 2013 était d’une importance « fondamentale », et ils exigeaient une « mise en œuvre rapide et complète » des mesures d’austérité déjà annoncées par Silvio Berlusconi mais qu’il envisageait d’étaler dans le temps.

Un conseil qui déciderait sans consulter les gouvernements...

Pour qu’il n’y ait aucun doute sur l’origine de ces pressions, l’Allemagne a proposé, hier, d’institutionnaliser cette surveillance bureaucratique et supranationale des politiques budgétaires, en suggérant, par la voix du ministre de l’Économie et vice-chancelier, Philipp Rösler, la création d’un « conseil de stabilité » qui pourrait suivre la mise en œuvre des mesures d’austérité et éventuellement sanctionner les mauvais élèves sans consultation des gouvernements ni des parlements nationaux et européen. « Cela ne suffit pas d’accorder des aides, a-t-il affirmé, nous avons la responsabilité de mettre sur pied un nouveau pacte de stabilité pour l’Europe », le pacte euro plus. Ce « conseil », dont il n’a pas indiqué la composition éventuelle, pourrait, « dans les cas extrêmes », décider sans consulter les gouvernements de l’utilisation dans un pays donné des fonds structurels européens, a-t-il précisé. Philipp Rösler s’est également prononcé en faveur de l’adoption, « le plus rapidement possible », par tous les pays de la zone d’un plafonnement de l’endettement inscrit dans la Constitution, comme l’a fait l’Allemagne.

Le gouvernement allemand, très hésitant à l’égard du deuxième plan pour la Grèce et vis-à-vis de la décision de la BCE de racheter des titres de dette publique italienne et espagnole, demande qu’en contrepartie, des mesures draconiennes soient adoptées dans ces pays afin de réduire encore la dépense publique et d’accroître la pression sur les droits sociaux. Compte tenu que plusieurs pays européens sont déjà entrés en campagne électorale ou vont l’être (Espagne, France, Italie), Berlin veut prendre des garanties avant même les scrutins et corseter le débat politique ainsi que le vote des citoyens. Une réponse de la bergère au berger a d’ailleurs été donnée hier par la porte-parole du gouvernement français, Valérie Pécresse, qui a déclaré que « s’il faut faire davantage d’efforts (pour garder la confiance des marchés), nous ferons davantage d’efforts ».

Un forcing contre la démocratie et les droits des peuples

Comment expliquer ce forcing allemand soutenu de manière suiviste par Paris  ? Au cœur de la tourmente financière actuelle, et face au dollar et à la politique américaine, il s’agirait d’assurer la rentabilité des capitaux européens qui était parvenue à se redresser avec la reprise de la croissance et qui est de nouveau menacée par les signes de baisse de l’activité économique sur le continent et aux États-Unis. Mais cette façon de tenter de sécuriser les marchés ne peut qu’accroître l’insécurité des populations déjà frappées par la baisse des dépenses publiques utiles et par le chômage, la précarité et les politiques salariales restrictives.

Enfin, ce n’est pas ce forcing contre la démocratie et les droits sociaux des peuples qui peut relancer la croissance qui, dès lors qu’elle est réalisée en quantité et en qualité, constitue le meilleur remède contre les risques de krach financier.

Pierre Ivorra, L’Humanité


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