En Europe, une certaine gêne s’installe face à la « mise sous tutelle » d’Athènes
C’est l’une des clauses les plus dures imposées à la Grèce par la zone euro. Afin d’obtenir un troisième plan d’aide, le gouvernement grec a dû s’engager à « consulter les institutions [créancières] et convenir avec elles de tout projet législatif avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement ».
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, est même tenu de revenir sur les décisions prises depuis son arrivée au pouvoir, comme la réembauche de fonctionnaires licenciés, « puisqu’elles constituent, selon le compromis, un retour en arrière par rapport aux engagements pris au titre du programme précédent ». En clair, l’accord arraché au petit matin, lundi 13 juillet, limite de façon drastique la souveraineté de la Grèce, au point de susciter de vives critiques de la part des forces eurosceptiques, qui crient sans surprise au « coup de force », mais aussi de courants nettement plus pro-européens.
Une « Kommandatur » à Athènes
« Le dommage fait à l’intégration européenne est énorme et sera peut-être irréversible, dénonce Philippe Lamberts, le coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. On a préservé l’unité de l’euro, mais en sacrifiant la démocratie. » Il ne cache pas la consternation qui a saisi ses troupes : « Les europhobes auront dès lors beau jeu de dire que la démocratie et l’Europe ne sont pas compatibles. » « Il a été décidé d’implanter à Athènes une Kommandantur, sans y envoyer les parachutistes, c’est un attentat contre la démocratie », ajoute-t-il encore. Son collègue allemand, Sven Giegold, parle d’une « mise sous tutelle étatique », susceptible de constituer un grave accroc aux valeurs fondamentales du continent.
De fait, l’ampleur des restrictions « démocratiques » est inédite. Depuis 2010, chaque pays européen sous programme d’aide a perdu un peu de sa souveraineté au profit de ses créanciers, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission de Bruxelles. « C’est pour cela que Mario Monti [l’ex-président du Conseil italien] a refusé toute aide, en dépit des pressions de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel, soucieux, fin 2011, d’éviter la contagion », rappelle Sylvie Goulard, eurodéputée MoDem.
Deux Etats un temps sous perfusion – l’Irlande et le Portugal- ont d’ailleurs tout fait pour revenir au plus vite sur les marchés afin d’échapper à la tutelle de la « troïka » des bailleurs de fonds, les « hommes en noir » mandatés pour évaluer tous les trimestres les performances des pays sous assistance.
« Horribles » restrictions
Mais ce qui est imposé à la Grèce prend des proportions inédites : il ne s’agit plus d’un contrôle a posteriori, mais ex ante. Pour les capitales européennes, Berlin en tête, l’idée est de copiloter les choix du pays, afin de restaurer une confiance détruite par des mois de blocage avec le gouvernement Tsipras.
Pour Mme Goulard, c’est avant tout la rupture des pourparlers lors du référendum qui a incité les bailleurs de fonds à réduire à ce point les marges de manœuvre d’Athènes : « Il existe un doute énorme sur la capacité de redressement du pays après cinq ans de vains efforts, et sur sa volonté d’appliquer tout nouvel accord. »
L’exaspération des créanciers ne suffit pas à convaincre Yves Bertoncini, le directeur de l’Institut Jacques Delors. Les restrictions faites à la Grèce sont « horribles, dit-il. On est passé aux prêts sur gages, un peu comme au mont-de-piété, où les gens vont déposer les bijoux de famille ». A l’en croire cependant, la démarche « n’est pas antidémocratique », dans la mesure où le Parlement grec est libre de se prononcer, et peut obliger M. Tsipras à reconfigurer sa coalition au gré des votes sur les réformes attendues mercredi 15 juillet.
Le leader de Syriza pourrait ainsi se séparer d’une partie de ses alliés et se tourner vers des formations favorables au mémorandum qu’il dénonçait au moment de son élection. « Ce qui est en cause, c’est la souveraineté d’un pays soumise à des conditions tatillonnes. » « Nous n’avons pas construit l’Europe pour faire l’Europe-FMI, ni pour mettre les peuples sous curatelle », juge M. Bertoncini.
« On ne peut se contenter d’un tel dispositif », dit Sylvie Goulard. D’après l’élue libérale, il est temps de cesser d’opposer démocratie européenne et nationale, comme cela est trop souvent le cas depuis le début de la crise des dettes au sein de l’union monétaire. « L’une ne va pas sans l’autre », dit-elle. L’eurodéputée propose que M. Tsipras, tout comme les créanciers d’Athènes, soient auditionnés régulièrement par le Parlement européen.
Philippe Ricard Journaliste au Monde
Que contient l’accord avec la Grèce ?
L’accord négocié à l’arraché, hier matin, doit permettre la mise en œuvre d’un troisième programme d’aide à la Grèce, qui pourrait représenter de 82 à 86 milliards d’euros, dont 10 à 25 milliards d’euros pour les banques. S’il affiche comme préalable « la confiance avec les autorités grecques » et prend soin de préciser en préambule que « la maîtrise du processus revient aux autorités [d’Athènes] », le texte exige des efforts rapides de la part du gouvernement, prérequis indispensable pour l’ouverture d’un « protocole d’accord ». De l’avis de la plupart des observateurs, il s’apparente à une quasi-mise sous tutelle du pays par ses créanciers.
Privatisations à grande échelle
Le gouvernement grec est prié de « mettre en œuvre un programme de privatisation nettement plus étoffé, avec une meilleure gouvernance », à travers la création d’un fonds ad hoc. Devraient être concernés, les aéroports, les infrastructures et probablement des établissements bancaires, ainsi que le réseau de distribution électrique. Ce fonds devra générer 50 milliards d’euros, dont la moitié servira à recapitaliser les banques grecques au bord de l’asphyxie financière. 12,5 milliards iront au désendettement et 12,5 milliards à des investissements. Ce fonds sera basé en Grèce et géré par les autorités grecques, sous la « supervision » des autorités européennes – et non au Luxembourg comme le prévoyait le texte présenté à l’Eurogroupe, sous l’impulsion de l’Allemagne.
Réformes structurelles
Les créanciers exigent « un ambitieux programme de réformes des retraites « et des réformes plus importantes du marché des produits », notamment dans les domaines des soldes, de l’ouverture des commerces le dimanche et de la propriété des pharmacies et des boulangeries. Ils exigent également une « modernisation » et un « réexamen rigoureux » du marché du travail afin d’« aligner les politiques de l’emploi sur les standards internationaux et européens », notamment en matière de négociations collectives, d’action syndicale et de licenciements collectifs.
Réformes fiscales et administratives
D’ici au 15 juillet, la Grèce devra « rationaliser le régime de TVA » (qui comprenait de multiples exceptions, notamment un taux plus avantageux sur les îles grecques) et élargir son assiette fiscale, afin d’en accroître les recettes. Athènes devra aussi « assurer l’indépendance juridique de l’institut statistique ELSTAT » et « mettre en place une autorité fiscale indépendante et un mécanisme de réduction automatique des dépenses en cas de ratage des objectifs budgétaires ». En sus, d’ici le 22 juillet, la Grèce devra « adopter un code de procédure civile » à même d’« accélérer considérablement les procédures judiciaires et [de] réduire les coûts dans ce domaine ». Athènes devra aussi transposer en droit grec la directive sur le renflouement des banques, adoptée par le Parlement européen en avril 2014.
Plus généralement, Athènes devra « moderniser (…) l’administration publique grecque » et notamment la « dépolitiser » à travers un programme spécifique, à présenter d’ici le 20 juillet. Le gouvernement devra aussi en réduire le coût.
Relations avec les créanciers
La Grèce devra enfin « normaliser les relations avec les Institutions [la Commission et la Banque centrale européennes et le Fonds monétaire international (FMI)], y compris lors du travail sur le terrain à Athènes ». Ces institutions auront un droit de regard sur certains projets de lois ou de référendum. Le FMI continuera d’être associé au programme grec (y compris au-delà de l’échéance de mars 2016, date à laquelle il devait s’achever). Il s’agit là en effet d’un prérequis indispensable à toute assistance financière de la part du Mécanisme européen de stabilité.
Athènes devra, enfin, revoir certaines des mesures adoptées par le gouvernement d’Alexis Tsipras qui sont contraires aux engagements des précédents gouvernements grecs, comme le fait d’avoir réembauché des fonctionnaires licenciés.
Audrey Tonnelie
Journaliste au Monde
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