Henri Rochefort : de l’extrême gauche à l’extrême droite, un exemple de personnalité éminente mais vide de convictions profondes

samedi 15 janvier 2011.
 

Portraits de communards

Henri Rochefort (1831-1913) L’encre comme ferment de la révolte (7)

Par Grégory Marin

Les écrits de cet auteur polémiste farouchement républicain ont fortement contribué à faire émerger la Commune. Exilé plusieurs fois, emprisonné, il est un des seuls déportés à s’être évadé de Nouméa.

Le 27 mars 1874, six hommes dépenaillés atteignent les rivages australiens. À leur tête, Henri Rochefort, qui inscrit dans l’histoire la seule évasion réussie du bagne de Nouvelle-Calédonie. Les six communards viennent de réaliser un exploit (1). Le peintre Manet l’immortalisera dans l’Évasion de Rochefort, en 1881. Le journaliste républicain était arrivé à Nouméa à peine quatre mois plus tôt, le 8 décembre 1873, à bord du Virginie, dans le même convoi que Louise Michel. Avec la ferme intention de s’en échapper dès que possible. Car, écrit-il, « l’arbitraire le plus incroyable règne ici. On y fait tout, même la traite des Nègres ». Heureusement, pourrait-on dire, il a eu le temps de se préparer  : trimballé de cellule en cachot depuis mai 1871, il avait tracé avant sa déportation, aidé par ses frères francs-maçons, les grandes lignes de son évasion. Sur la presqu’île de Ducos, il a eu quatre mois pour en étudier les détails avec ses amis Paschal Grousset et Olivier Pain.

Revenu en héros en 1880 en France, après l’amnistie, sa reconnaissance en tant qu’accoucheur de la Commune aurait pu lui valoir les honneurs. Accueilli au cri de « Vive Rochefort  ! Vive l’amnistie  ! Vive la République  ! », il est porté en triomphe de la gare de Lyon à la Bastille. « Le peuple de Paris a une idole », écrivait le Constitutionnel, organe officieux du pouvoir, le 12 juillet 1880  : « Il aurait pu sur l’heure, sans la moindre bataille, prendre la place de M. Grévy (le président du Conseil – NDLR). »

On prête à Rochefort une vingtaine de duels car, querelleur sur papier, il est toujours prêt à défendre son honneur « sur-le-champ », souvent pour répondre d’un article jugé injurieux par tel ou tel proche de Napoléon III. À l’épée ou au pistolet, il y défend « la République contre l’Empire ». Lycéen en février 1848, il avait fait le mur du collège Saint-Louis avec ses camarades pour « travailler à renverser Louis-Philippe », et se « découvre républicain », note Marcel Baschet dans sa biographie (2). Le 2 décembre 1851, le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte le conforte dans son idéal républicain, d’autant qu’il échappe de peu aux fusillades. Employé de l’Hôtel de Ville, il entame en 1854 une carrière littéraire (il écrira seize pièces) et journalistique.

Dès 1855, de la Chronique parisienne, qu’il fonde avec Jules Vallès, au Figaro, « sa plume court, griffe le papier, griffe les gens et, ce qui est plus grave, fait de longues estafilades à ceux qui gouvernent et dirigent », écrit Marcel Baschet. C’est à la Lanterne, « journal politique hebdomadaire », qu’il fonde en 1867, que son combat sera le plus vif. Dès son premier éditorial, il donne le ton  : « La France contient, dit l’Almanach impérial, 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. » Avec 100 000 exemplaires vendus, le journal devient la bête noire du régime. Il le restera, de son exil belge, à la suite d’une condamnation pour délit d’excitation à la haine et mépris du gouvernement, jusqu’en 1869.

Le 19 décembre 1869, il fonde la Marseillaise, dont les rédacteurs (Eugène Varlin, Jules Vallès, Paschal Grousset) s’engageront dans la Commune. Les obsèques, à Neuilly, de Victor Noir, un de ces journalistes tué par le prince Pierre Bonaparte, fils du cousin germain de Napoléon le Petit, illustrent la colère du peuple  : « 100 à 200 000 personnes », selon Joël Dauphiné (3) veulent marcher sur Paris. Rochefort, alors député, les en dissuade. Mais le feu de 1871 couve… Bonaparte ne sera pas inquiété. Rochefort et les dirigeants de la Marseillaise écoperont de six mois de prison. Justice de classe. Le 9 février, Rochefort est incarcéré à Sainte-Pélagie. Il y jouira d’un « régime de faveur », se débrouillant pour alimenter la Marseillaise en articles signés Dangerville. Il passera en prison une partie de la guerre de 1870  : le 3 septembre, l’empereur prisonnier, Rochefort est libéré par la foule.

Nommé au gouvernement de défense nationale, il fait libérer les prisonniers politiques et rappelle Victor Hugo de son exil. Il démissionne vite, refusant la création d’un comité de salut public, mais est nommé président de la commission des Barricades. Sur ses heures creuses, il crée le Mot d’ordre. La plume est toujours acide  : « Je ne suis pas fâché (…) de voir arriver à la Chambre autant de généraux. Ils nous expliqueront sans doute quels moyens spéciaux ils ont employés pour avoir été ainsi constamment battus. » Le 18 mars 1871, il siège à l’Assemblée, à Bordeaux, et rate les premiers jours de l’installation de la Commune. Il rejoint la capitale le 2 avril et reprend le Mot d’ordre en main, aux dépens de Thiers, ce « sanglant Tom Pouce », et de ces « Seine-et-Oisillons » de Versaillais qui ordonnent des exécutions aveugles de communards. C’est « pourtant le même », note Joël Dauphiné, qui « applaudit aux efforts » entrepris par « la Ligue de l’Union républicaine pour les droits de Paris » ou qui soutient ses frères francs-maçons en vue d’une « médiation entre les deux camps ». Qui dénonce l’incompétence militaire des chefs de la Commune, mais s’élève contre la suppression des journaux, ou contre la peine de mort, de quelque bord qu’elle vienne. Pour lui, « il y a deux sortes de bergers parmi les pasteurs des peuples  : ceux qui s’intéressent à la laine et ceux qui s’intéressent aux gigots. Aucun ne s’intéresse aux moutons ».

A-t-il vraiment été communard  ? La fin de sa vie, dérivant lentement vers l’extrême droite (boulangiste, puis antidreyfusard), pourrait faire douter les historiens. Pas ses contemporains qui lisaient ses brûlots anti-impérialistes. Il a d’ailleurs suffi qu’il quitte Paris, le 19 mai 1871, pour être arrêté, à Meaux, et remis aux versaillais, qui n’hésitèrent pas à l’envoyer au bagne, au même titre que les communards les plus acharnés.

(1) Que Rochefort racontera par des articles pour le New York Herald et un livre, l’Évadé, roman canaque, en 1880.

(2) Henri Rochefort, 1908.

(3) Henri Rochefort  : déportation et évasion d’un polémiste, éditions l’Harmattan, 2004.

Grégory Marin


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message