Derrière les slogans électoraux du RN se cachent une idéologie et une vision du monde relativement cohérentes. Elles s’articulent sur des thématiques qui trouvent un écho dans la population. C’est l’objet de cette analyse.
Cette étude de l’idéologie du RN fait suite à notre première partie qui traitait surtout de l’historique du Rassemblement National.
Cette deuxième partie de l’analyse de la stratégie de conquête du Front National fait suite à la première partie déjà publiée : http://www.gauchemip.org/spip.php?a...
Elle précède une troisième partie :
Analyse de la stratégie de conquête du Front National (suite et fin)
IV -L’idéologie du Rassemblement National.
Cette stratégie de conquête ne s’appuie pas uniquement sur des slogans électoraux attrape-tout mais sur une vision relativement structurée du monde, sur un système idéologique dont la construction s’est faite au cours des 35 dernières années et dont les racines sont plus anciennes encore.
Des propos récents de Marine Le Pen confirment cela : " A l’inverse des autres formations politiques, j’allais dire politiciennes, nous nous le savons, le combat que nous menons et que nous allons mener n’est pas seulement un combat politique. C’est plus que cela. C’est un combat de civilisation, c’est un combat pour nos valeurs." (Source : http://www.frontnational.com/?p=2262 )
Nous allons passer en revue les notions qui sous-tendent ces thèmes idéologiques et voir en quoi ils sont en résonance avec les préoccupations d’une fraction croissante de la population, compte tenu du contexte socio-économique et idéologique du néolibéralisme qui se développe depuis les années 1970.
Nous citerons des extraits du programme du Front National puis RN pour illustrer plus concrètement cet inventaire. Il est accessible à : http://www.frontnational.com/pdf/pr...
Nous ne nous attarderons pas ici sur les problèmes d’étiquette ou de terminologie concernant le Front National. À ce propos, on se peut se reporter au paragraphe : Ligne politique de l’article de WAPEDIA sur le FN http://wapedia.mobi/fr/Front_nation...)
Cette controverse donne lieu à toutes sortes de prises de positions.
Rappelons, par exemple, que Lionel Jospin considérait que le FN n’était pas un parti fasciste. On peut se reporter à la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=F5BX...
Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a étayé le raisonnement qui l’a poussé à qualifier Marine Le Pen de "fasciste". "C’est très typique de l’attitude du Front national qui ne cesse de dénoncer les syndicats comme corrompus, comme vendus au patronat. Deuxièmement, c’est une vision de l’organisation de la société par corporation. Voilà ce qu’est le fascisme historiquement".
1- La notion d’ordre est tout à fait centrale dans le réseau idéologico - conceptuel de tout mouvement d’extrême droite.
A- L’ordre selon le Front National
"La société n’est pas le produit du contrat, mais le fruit d’un Ordre. II y a, en effet, dans la continuité des civilisations et des peuples, une harmonie préétablie, reflet de la Création, que les Grecs appelaient Cosmos, qui signifie Ordre. Le non-respect de cet ordre par le matérialisme scientifique conduit à la barbarie. Tourner le dos à l’Ordre qui permet la Vie c’est choisir, ainsi que l’a rappelé le Pape Jean¬Paul II, la « culture de mort »...." Cette notion d’ordre implique le primat des agents de cohésion sociale, d’ordre social.
1. 1 - D’où l’importance du culte du chef charismatique et du principe d’Autorité.
L’autorité paternelle, donc le paternalisme, est la matrice de l’autorité sociale ou politique. "L’archétype naturel du pouvoir socio-politique est l’autorité paternelle, parce que l’archétype de la société civile, comme l’a vu Aristote, est la famille". Les pouvoirs autoritaires, voire dictatoriaux dans certaines circonstances, sont ainsi privilégiés ou non remis en cause.
Ainsi, le parlementarisme source de conflits et des déséquilibres politiques et remettant en cause l’autorité du chef est généralement minimisé ou combattu, sauf durant les périodes et les contextes où l’extrême droite pense pouvoir profiter du fonctionnement des Parlements, ce qui est le cas aujourd’hui. Pour le FN on peut ainsi lire dans son programme : " Les droits du Parlement seront étendus." Cette modification de position tient aussi au fait que les organismes internationaux et structures supranationales remettent en cause la souveraineté nationale.
1. 2 - La famille est la cellule génératrice de l’ordre social par transmission du lignage, des règles et des traditions.
1. 3 - Mais l’ordre social ne saurait exister sans un ordre spirituel :
"L’histoire des peuples du monde entier l’atteste : une civilisation ne peut durer sans se référer à un ordre spirituel qui dépasse les individus, ordre qu’ont à garder, en dépit des vicissitudes humaines, les institutions politiques et sociales. Ce sont elles qui donnent sa légitimité à l’autorité comme elles en bornent les pouvoirs." C’est dans l’ordre du divin qu’il faut chercher le principe supérieur de tout ordre : "Le monde a besoin, pour ne pas s’enfoncer dans des ténèbres sans retour, que soit gardée, vivante et ferme, la mémoire de l’Incarnation." Les philosophies utilisées par les mouvements d’extrême droite sont donc spiritualistes et rarement matérialistes.
D’où la référence au christianisme et préférentiellement au catholicisme. D’ailleurs, dans son discours à Évian, Marine Le Pen affirme : " La planète est un don de Dieu". Conjointement à l’ordre divin, on trouve l’ordre naturel, une forme de naturalisme en quelque sorte : " Face à ce néototalitarisme marchand d’où émergent une profonde décroyance et une société anomique (sans valeurs communes), nous opposons une conception du monde respectueuse de l’ordre naturel, des peuples et de l’homme." (Marine Le Pen-Discours d’Évian)
La relation entre sacré, religion et politique est assurée par la représentation centrale de l’ordre. "L’ordre est toujours d’institution divine, quelque imparfait et injuste qu’il puisse être. Les uns en tireront des avantages plus grands que les autres. Il ne peut en être autrement. Il y aura les riches qui jouiront des biens de cette terre, et qui vivent dans l’opulence ; il y aura les pauvres qui se verront privés de tout et qui passent leur vie dans la misère. Il faut qu’il en soit ainsi, si on veut qu’il y ait du tout de l’ordre. « Il fallait donc qu’il y eut une diversité de conditions, et surtout il fallait qu’il y eut des pauvres, afin qu’il y eût dans la société humaine de la subordination et de l’ordre » , dit le Père Bourdaloue. C’est l’ordre qui importe avant tout, et non les avantages plus ou moins grands que pourront en tirer tel individu ou telle classe en particulier. Aussi le chrétien devra-t-il s’abstenir soigneusement de tout ce qui pourrait déranger l’ordre établi. ( Les origines de l’esprit bourgeois en France P282 de Groethuysen. Ed. Tel Gallimard) Ce texte montre bien comment s’articule l’ordre et le divin notamment dans le catholicisme et explique pourquoi les catholiques pratiquants votent majoritairement à droite et les plus intégristes votent FN.
Néanmoins ce serait une erreur d’affirmer que l’Eglise catholique, l’épiscopat français sont en accord avec les idées du Front National. En réalité, les relations entre le FN et l’Eglise sont le plus souvent orageuse.
"Entre temps, la nouvelle droite semble avoir trouvé dans le Front National de Jean-Marie Le Pen un relais politique puissant. Individuellement ou collectivement, les évêques français ne cessent de dénoncer les thèses du Front National à partir de la campagne des européennes de 1984. A l’occasion de la venue de Jean-Marie Le Pen à Lyon le 6 janvier 1985, le père Delorme et le pasteur Costil appellent à un jeûne comme moyen de ”résistance spirituelle” aux idées du Front National. Le président de la Cimade et le curé des Minguettes lancent un appel ”La France en danger de fascisme idéologique”. De son côté, le père Chirat célèbre une messe selon le rite Saint Pie V le matin du rassemblement frontiste" (source : http://theses.univ-lyon2.fr/documen... )
1. 4 - L’ordre moral, rempart contre la débauche des moeurs, le non-respect des autres, le non-respect des hiérarchies, est aussi une manifestation de ce principe d’ordre.
1. 5 - Les forces de l’ordre militaire et policier sont considérées comme fondamentales pour lutter contre le désordre politique ou social. La force n’a pas à être marginalisée au profit de la discussion. Celle-ci se manifeste souvent par des symboles de virilité.
Ce n’est donc pas par hasard que Jean-Marie Le Pen se soit engagé dans un régiment de parachutistes pendant la guerre d’Indochine.
1. 6 - L’ordre social est fondamental.
Manifestations, grèves sont considérées comme des atteintes à la "paix civile", paix civile qui est censée refléter l’harmonie de l’ordre social établi. La délinquance est aussi facteur de désordre social et doit être sévèrement réprimée.
" Une lutte impitoyable sera menée contre la corruption et les corrompus sévèrement châtiés. Les élus coupables seront inéligibles."
Les faits divers de délinquance étant rapportés journellement par les médias alimentent en permanence l’activation de ce principe d’ordre social établi.
Les causes économiques des désordres sociaux ne sont jamais analysées en profondeur : on préfère des explications d’ordre psychologique, morale, etc. à des explications d’ordre économique considérées comme matérialistes et donc à bannir.
L’ordre social doit être assuré par un État régalien fort, dans la tradition libérale de Hobbes.
Celui-ci a aussi la charge d’anticiper les troubles sociaux par un système efficace de surveillance des citoyens.
1. 7 - La hiérarchie sociale
L’ordre se concrétise par une multitude de hiérarchies. Ces hiérarchies assurent à la fois une structure ordonnée et une reconnaissance sociale aux différents acteurs de la société.
Une hiérarchie importante est celle du classement professionnel et des salaires assurés par les qualifications.
La hiérarchie implique qu’il existe toujours un inférieur (ou subordonné) et un supérieur. La relation hiérarchique ne peut être une relation d’égalité. D’où du point de vue cognitif, une difficulté à penser la notion d’égalité et d’où l’anti - égalitarisme.
1. 8 - L’anti égalitarisme et identitarisme différencialiste.
Nous entendons ici par égalitarisme l’exigence d’égalité telle quelle a été définie dans la déclaration des droits de de l’homme et du citoyen de 1789 : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" que précise la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits." et non pas la fiction d’une société totalitaire où tous les individus vivraient de la même manière.
La relation d’ordre implique une discrimination entre les éléments d’un ensemble et exclut toute confusion ou mélange. L’identité et l’identification des éléments sont respectées par cette relation d’ordre alors que la relation d’égalité, en posant l’équivalence entre deux éléments, fait perdre à chacun de ses éléments son identité propre ou plus exactement l’unicité de son identité. Du point de vue formel, mathématiquement, la relation d’inégalité est antisymétrique alors que celle d’égalité est symétrique.
L’obsession identitaire et anti - égalitaire est donc cognitivement liée à la toute-puissance de l’Ordre.
Les individus, éléments - atomes doivent rester discernables, identifiables par leur statut social, culturel, ou autres.
Les individus sont dissemblables.
Le métissage qu’il soit biologique , culturel ou ethniques est donc à proscrire ou est considéré comme dommageable.
Le différentialisme mentionné dans le premier paragraphe se développe au FN depuis la fin des années 1980 sur le registre culturel et ethnique.
1. 9 - L’ordre individuel : anti-individualisme utilitaire.
Chaque individu est unique. Il "vient au monde" avec ses potentialités innées spécifiques. Sa réalisation ne relève pas essentiellement de l’immersion sociale mais de ses possibilités propres de développement, de son énergie créatrice. Cette conception ne diffère pas fondamentalement de celle de la philosophie libérale classique.
La nature humaine est d’origine métaphysique : " L’organisation humaine... est le moyen prédéterminé qui permet à l’homme de répondre à sa nature, c’est-à-dire à son origine transcendantale et à sa fin d’animal social". (Programme du FN)
Mais en même temps, l’individu ne doit pas être considéré comme un simple instrument de production ou de consommation, un simple instrument d’utilité économique. Il doit s’épanouir dans sa famille et s’inscrire dans une communauté nationale.
L’ordre individuel s’inscrit dans l’ordre moral : " Nous refusons de croire que l’épanouissement individuel se mesure à la capacité de consommer et se trouve ses fondements dans un hédonisme malsain" (Marine Le Pen . Discours d’Evian)
1. 10 - Le décadentisme.
La décadence de notre société est souvent mentionnée. Elle constitue une sorte de synthèse et d’aboutissement des désordres mentionnés précédemment.
"... seul le FN « dénonce les causes de notre décadence ». Faute d’une « révolution patriotique » qu’il appelle de ses vœux, « cette décadence ne durera pas aussi longtemps que celle de l’Empire romain », a-t-il dit (Jean-Marie Le Pen) .
Source : http://www.lefigaro.fr/politique/20...
1. 11 - Lorsque l’ordre social est menacé, il est nécessaire, d’après cette idéologie, de trouver un bouc émissaire.
Selon le paléographe René Girard, le sacrifice du bouc émissaire dans les sociétés primitives fonde l’ordre social. (Voir : http://www.philo5.com/Les%20vrais%2... ).
Pour l’extrême droite, ce bouc émissaire varie suivant les époques : le juif, l’arabe, le communiste, le franc-maçon, le technocrate... En outre, désigner un bouc émissaire a un avantage considérable : il permet de trouver des "explications" très simples et immédiates à toutes sortes de désordres économiques et sociaux qui peuvent être complexes à analyser par des moyens rationnels.
L’ordre social peut être aussi menacé par un complot intérieur ou international : ainsi, le conspirationisme peut avoir des liens avec le mouvement d’extrême droite.
La désignation d’un ennemi intérieur (après les communistes, les islamistes) et d’un ennemi extérieur (après l’URSS communiste les USA mondialiste) sont des procédés traditionnels de l’extrême droite.
B - Réceptivité de la notion d’ordre dans la population.
Il n’est pas inutile de se référer à un précédent historique : "Michel Winock a montré que le développement des mouvements d’extrême droite est toujours lié à un contexte de crise. Ils utilisent donc à des fins personnelles les tensions qui déchirent le corps social et politique, et proposent de rétablir le consensus en établissant un pouvoir fort, un ordre nouveau fondé sur l’ordre naturel contre le désordre établi, la réforme de l’économie capitaliste et l’élitisme. Ainsi les effets de la crise économique et l’aggravation de la crise politique des années 30 vont permettre à ces mouvements politiques d’accroître leur activité en Europe où les dictatures connaissaient un essor considérable depuis la fin de la première guerre mondiale." (Le Front national et le droit. par B.Villalba, X.Vandendriessche, S.Bourrel.PUF. Septentrion)
Le développement de l’ultralibéralisme depuis le début des années 1970 a provoqué des dégâts multiformes considérables dans les domaines économique, sociaux, culturels, sociétaux, psychologiques, moraux, environnementaux, etc.
L ’aggravation de la situation de décade en décade conduit à des régression sociales sans précédent depuis la Libération.
On peut se reporter à l’ouvrage de Jacques Généreux : La grande régression. (Éditions du Seuil)
Examinons, point par point, comment les thèmes précédents trouvent écho et répondent à une demande d’une partie croissante de la population.
1. 1 - Le principe d’autorité est battu en brèche dans différentes sphères de la société : dans la famille où le père n’est plus le chef incontesté, à l’Ecole où la terminologie Maître devient obsolète, dans l’entreprise où la gestion coopérative par objectifs remplace l’autorité paternaliste, dans l’Eglise où surviennent périodiquement crises et critiques. Même les représentants de l’ordre public se font insulter et les commissariats caillassés. L’autorité judiciaire est aussi gravement atteinte : le juge d’instruction est l’objet de critiques tendant à sa disparition, l’insuffisance chronique et considérable de moyens fragilise gravement l’institution judiciaire.
Au plus haut sommet de l’État, la fonction présidentielle sombrant dans le marketing politique est discréditée . L’autorité de l’État est aussi très affaibli par la multitude de ses dysfonctionnements dus à une politique ultralibérale de "privatisation de l’État", pour reprendre une formulation de Jacques Généreux. On pourrait multiplier encore les exemples.
De nombreuses hiérarchies sociales comme les qualifications professionnelles, ne sont plus respectés.
Nombreuses familles se fragmentent et ne peuvent plus faire acquérir les règles de sociabilité à leurs enfants.
Dans les grosses sociétés, le responsable de l’entreprise n’est plus clairement identifiable (tant pour le producteur que pour le consommateur), surtout lorsqu’il s’agit d’une multinationale : les responsabilités et la propriété sont réparties sur une multitude d’actionnaires majoritaires. La hiérarchie simple et pyramidale n’est plus ici visible.
Les affaires de corruption des hommes politiques par des groupes industriel ou financier se sont multipliées.
L’indépendance des experts des institutions publiques par rapport aux groupes privés n’est plus assurée : on assiste à une confusion de l’intérêt public et de l’intérêt privé au profit des multinationales.
La succession des crises financières depuis les années 80 témoigne d’un désordre économique croissant. L’empilement des lois sans possibilité d’application réelle, les remises à l’ordre multiples du pouvoir par le conseil constitutionnel, le conseil d’État, la Cour des Comptes témoigne d’un désordre institutionnel ou pour le moins d’une incompétence médiatisée des dirigeants. Les coupes sombres dans les services publics s’accompagnent de dysfonctionnements multiples créant des tensions entre travailleurs et citoyens.
1. 2 - Même si la famille reste pour la majorité des Français une institution fondamentale celle-ci est extrêmement fragilisée. D’abord le mariage ne constitue plus l’unique forme légale de la vie en couple et le divorce est non seulement devenu banal mais aussi fréquent.
Même Jean-Marie Le Pen a divorcé une fois et sa fille Marine 2 fois.
Le nombre de familles monoparentales a considérablement augmenté : elles sont 2,5 fois plus nombreuses qu’en 1968. Actuellement une famille sur cinq est monoparentale et 2,8 millions d’enfants vivent dans une telle famille. Les mères de ces familles "sont souvent dans une situation moins favorable sur le marché du travail. Elles doivent en effet surmonter à la fois les contraintes liées à leur situation de mères seules – la garde d’enfants en particulier – et l’impossibilité de compter sur le revenu d’un conjoint pour subvenir aux besoins de la famille" (source : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip... )
La violence sociale n’épargne pas la famille : Selon l’association SOS Femmes, au moins deux millions de femmes sont victimes de violences conjugales en France et 400 meurent chaque année sous les coups de leur conjoint, soit plus d’une femme par jour.
Depuis 1996, les mauvais traitements à enfants de moins de 15 ans, recensés par la police et la gendarmerie, ont plus que doublé en France, pour atteindre 13 496 cas en 2006. Et ces chiffres sous-estiment probablement la réalité. Les difficultés professionnelles, le stress au travail, etc. ont évidemment un impact non négligeable sur la famille.
Mais la famille traditionnelle reste toujours un refuge pour les jeunes adultes ayant à surmonter des difficultés sociales importantes. En 2005, environ 56 % des jeunes âgés de 18 à 29 ans ne vivent plus chez leurs parents et 17 % vivent dans la pauvreté, contre 13 % pour la population générale. (source : http://www.insee.fr/fr/themes/docum... )
En raison du coût de l’immobilier, d’éclatement du ménage, du chômage, de problèmes de santé, etc. l’INSEE, dans sa dernière enquête logement, dénombre 415 000 majeurs de retour chez leurs parents. (Source : http://www.lefigaro.fr/actualite-fr... )
Le coût du logement devient un problème de plus en plus important du fait que le prix du logement ancien, par exemple, a augmenté trois fois plus vite que celui des revenus de 1990 à 2008 et sur la même période, les loyers ont augmenté 1,5 fois plus vite que l’inflation. (Source : pourquoi le logement coûte de plus en plus cher aux Français. L’Expansion http://lexpansion.lexpress.fr/immob... )
Selon l’INSEE, le fait d’avoir des enfants appauvrit un couple financièrement : "... avec une moyenne de 25 020 euros annuels en 2007, les personnes vivant en couple sans enfant jouissent en moyenne du niveau de vie le plus élevé. ». A l’opposé, « à partir de deux enfants dans le ménage, les niveaux de vie des personnes sont nettement plus bas : 21 040 euros en moyenne pour ceux vivant en couple avec deux enfants et 18 420 euros pour ceux avec trois enfants ou plus" (source : http://www.marianne2.fr/C-est-offic... ).
Évidemment, ces difficultés sont exploitées au maximum par la politique familialiste qui apparaît dans le programme du FN.
1. 3 - "L’ordre spirituel" est lézardé de toutes parts. Nous sortons de l’ère des certitudes. Déjà, le développement de la physique et des mathématiques au cours du XXe siècle a complètement remis en cause la notion de déterminisme (principe d’incertitude de Heisenberg) et de vérité formelle (théorème de Gödel). Les grandes idéologies (libéralisme, marxisme notamment), les principales philosophies, le christianisme sont aussi remises en cause.
Les modèles politiques construits à l’Ouest comme à l’Est se sont effondrés. L’ère des certitudes est terminée
Il résulte de cette situation une absence de repères clairs, une absence de projet politique cohérent et crédible.
S’installe alors une brume idéologique, un flou dans la pensée propice aux manipulations, aux amalgames, aux confusions mais propice aussi à la restauration de modèles archaïques sécurisants. Le retour du religieux, après un siècle de mise à l’écart est donc possible.
Du même coup, on remet sur le tapis le problème de la laïcité.
1. 4 - L’ordre moral est aussi mis à mal : corruption des hommes politiques, paradis fiscaux, augmentation et diversification de la délinquance. Cet aspect est particulièrement exploité par les médias.
Dans le cadre d’une internationalisation du capital et des échanges dissolvant les états modernes, Marine Le Pen explique que l’absence de morale d’État conduit à la situation suivante :
" L’absence de morale d’Etat mènera des parts entières de territoires à tomber aux mains de maffias ou de non-états terroristes (c’est déjà le cas avec les zone tribale au Pakistan, ports pirates en Somalie, ou plus proches de nous certaines zones de non droit…)" (Discours d’Évian)
1. 5 - L ’obsession des problèmes de sécurité est telle que certains médias vont jusqu’à établir un palmarès de l’efficacité policière ville par ville (source : le Figaro http://www.lefigaro.fr/actualite-fr... ). Mais le nombre de policiers par habitant reste en France le plus élevé d’Europe. :1 pour 251 habitants en France, 1 pour 303 en Allemagne et 1 pour 380 au Royaume-Uni. Source : http://clap33.over-blog.com/article...
D’autre part, 62% des Français déclaraient avoir une bonne opinion générale de l’action de l’Etat dans le domaine de la police et la gendarmerie (BVA, novembre 2009), soit le meilleur score devant la santé publique (56%) ou l’éducation nationale (45%). (Source : http://www.delitsdopinion.com/1anal... )
1. 6 - L’ordre social se désagrège sous l’action de la violence sociale imposée par l’ultralibéralisme. Le travail, pilier important de l’ordre social, perdre son sens du fait qu’il ne sert plus qu’à "faire du chiffre". Les dégradations des conditions de travail et de rémunération engendrent des conflits sociaux à répétition.
Les solidarités collectives sont sans cesse remises en cause par des mesures techniques et juridiques tendant individualiser toujours plus l’activité professionnelle. Cela aboutit à une atomisation de la société où la notion de bien commun fini par s’estomper.
L’un des piliers de l’ordre social capitaliste est la propriété de l’entreprise. Or cette notion de propriété devient floue, incernable. Ainsi, on peut lire dans le magazine Les Échos le titre : "A qui appartient une entreprise ?" se référant à une étude sur le sujet. Et on lit dans l’article : "Mais alors, qui est le propriétaire d’une entreprise ? Pour les auteurs de l’étude, personne !" (Article complet à : http://www.lesechos.fr/competences/... )
Le désordre social généralisé est ainsi exprimé par Marine Le Pen dans son discours d’investiture : " l’injustice généralisée et la tyrannie du désordre et de la violence, le saccage de nos paysages et de notre qualité de vie," et on lit, dans le même texte, que le désordre, très insuffisamment réprimé par l’État, devient une oppression : " N’en doutons pas ! Nous vivons l’oppression du désordre ; Péguy ne disait-il pas que « seul l’ordre fait la liberté »."
1. 7 -Les hiérarchies sont remises en cause par des exigences de rentabilisation du capital et par la crise de l’autorité. Les déclassements professionnels deviennent monnaie courante, provoquent ressentiment et frustration. Les "déclassés" deviennent de plus en plus nombreux chez les cadres.
"En 1984, un an de salaire de cadre permettait d’acquérir 9 m2 de logement, contre seulement 4,5 m2 en 2006 », note Louis Chauvel, ajoutant que « sur cette même période, le salaire des cadres a progressé de 8 %, alors que le coût de l’immobilier a bondi de 100 % ». Résultat : « Nous sommes en train de revenir à une société patrimoniale dans laquelle l’accès à d’autres formes de revenus est plus déterminant que le salaire. Ce qui se traduit inéluctablement par une dévalorisation du travail, même qualifié. Le désengagement des cadres ne fait que commencer..." (Source : http://archives.lesechos.fr/archive... ).
En fait il a commencé depuis la fin des années 1980 où le capitalisme actionnariale succède au capitalisme managérial. L’ingénieur est relégué au second rang et l’actionnaire devient roi.
Par ailleurs, 53 % des salariés français sont mécontents de leur rémunération et 52 % sont également déçus de leurs perspectives d’évolution professionnelle. (Source : http://www.lexpress.fr/emploi-carri... )
Marine Le Pen sait exploiter ce déclassement professionnel qui se généralise en affirmant : " Sachons-l, dans le nouvel Empire, les perspectives professionnelles pour nos enfants c’est d’être femme de ménage, guide de musées ou pousseur de chaises roulantes" (http://www.frontnational.com/?p=2262 )
Le prestige lié au statut s’efface avec le temps et la massification. Ainsi le médecin, l’enseignant, le juge deviennent des travailleurs comme les autres.
Le respect du savoir n’est plus de mise : l’obtention d’un prix Nobel ou de la médaille Fields (équivalent du prix Nobel en mathématiques) ne fait jamais les grands titres des journaux ou d’une émission spéciale à la télévision. Qui sait par exemple, que sur les 16 médailles Fields attribuées depuis 1950 dans le monde, 8 ont été obtenues par des Français, classant ainsi la France comme ayant la meilleure école mathématique du monde ? (Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A... )
Ce sont les champions des activités lucratives qui tiennent le haut du pavé : stars du showbiz, stars sportives, traders, les scores boursiers du CAC 40. Ceci est cohérent avec les taux d’audience des chaînes de télévision : 25 % pour TF1, 2 % pour Arte ; 12,5 % pour RTL (audience la plus élevée des radios), entre 1,5 % à 2 % pour France Culture. Alors qu’il est courant d’entendre l’expression "modèle social français", personne n’oserait parler de : "modèle culturel français" !
La France ne peut plus ainsi être donnée en exemple ...
Et que dit le programme du FN à ce sujet : " Des observateurs étrangers, plus perspicaces souvent que bien des Français, ont relevé la vocation naturelle de la France à donner à son action la dimension de l’exemple". Dans la hiérarchie des nations, la France devrait être placée à la pointe de la pyramide selon le FN !
Marine Le Pen sait aussi exploiter cette remise en cause des statuts en la croisant avec la critique des élites : par exemple, dans son discours d’investiture, on peut lire : " Dans ce grand désordre institutionnel, certains magistrats dont le rôle est d’appliquer la loi se croient autorisés à l’interpréter abusivement, réveillant ainsi le spectre des parlements de l’Ancien régime et du gouvernement des juges."
1. 8 - Concernant le principe d’inégalité, le travailleur pauvre qui prend son train à 6h du matin accepte mal d’avoir un revenu égal à un chômeur ou un RMIste qui reste couché.
L’assuré social qui n’est jamais malade accepte de plus en plus mal de payer autant de cotisation qu’un assuré social qui est toujours malade. Ressentant négativement un traitement égal, ces gens peuvent être sensibles aux sirènes inégalitaires du FN. Les inégalités patrimoniales liées notamment à l’héritage ne sont pas l’objet d’une préoccupation principale des Français.
Mais au-delà de ces cas particuliers, il est instructif de se reporter à une étude - sondage de l’IFOP réalisé en avril 2010 concernant la perception des inégalités sociales dans 12 pays (dont huit Européens et quatre qui ne le sont pas : États-Unis, Brésil, Australie, Chine).
On constate que : 73 % des Français considèrent vivre dans une société injuste (troisième du classement des 12 pays), 80 % considèrent que les inégalités se sont aggravées depuis 10 ans (deuxième du classement).
Concernant la hiérarchisation de ces inégalités, les Français considèrent que vient en premier lieu l’inégalité des salaires (69 %, deuxième du classement), au second rang l’accès au logement (39 %, deuxième du classement), l’accès aux soins (29 %, sixième du classement). Remarquons que l’inégalité relative au patrimoine arrive au dernier rang des six critères retenus, avec 15 % (neuvième du classement). Enfin, deux tiers des Français considèrent que l’on peut lutter efficacement contre les inégalités sociales si l’on s’en donne les moyens. (Cinquième au classement) Étude complète à : http://www.ifop.com/media/poll/1191... Ainsi, pour ce thème des inégalités, le FN n’est que partiellement en accord avec la population : c’est là qu’apparaît le plus son caractère de classe.
1. 9 - Concernant l’anti individualisme instrumental, on peut relever cette phrase de Marine Le Pen : " L’homme est jetable parce que dans cette société où le « je » l’emporte sur le « nous », la solidarité n’a plus sa place. La société mondialisée c’est une juxtaposition de solitudes individuelles et de drames humains souvent silencieux." Ou encore : "... Or, derrière cette glorification de l’individu roi transparaît aisément une conception peu respectueuse des personnes reléguées au rang d’instrument aux services des marchés.
Cet individualisme se paye par une désocialisation c’est-à-dire un isolement personnel propice à tous les asservissements."... "Nous sommes les défenseurs d’une conception qui replace le « nous » avant le « je ». On constate ainsi que l’identité individuelle doit prendre sa source au sein d’une communauté (de la famille la nation).
La référence à la solidarité n’a rien d’étonnante puisque le solidarisme nationaliste est l’une des composantes de l’extrême droite. Ce thème trouve aussi, par exemple, une résonance chez l’ouvrier qui constate qu’il est réduit à une colonne de chiffres dans une mémoire d’ordinateur ou chez le consommateur qui constate que certains fabricants n’ont aucun scrupule à mettre sur le marché des produits et même des aliments nuisibles pour la santé. Plusieurs reportages ont témoigné de ces faits à la télévision.
1. 10 - Le bouc émissaire actuel est le musulman ou l’islamiste.
"Prenons le thème de l’islamophobie : il a commencé à se structurer dans l’extrême droite radicale avec la guerre en ex-Yougoslavie, puis s’est lentement diffusé et normalisé après le 11-Septembre." (http://www.gauchemip.org/spip.php?a... ).
D’autres sources peuvent être relevées : " Selon Thomas Deltombe il y a « trois éléments clés de la peur de l’islam : le traumatisme de la guerre d’Algérie, la visibilité de la religion musulmane et la crainte de l’islamisation des modes de vie »qui auraient repris de la vigueur avec l’émergence du terrorisme islamique dans les années 1990 en France (campagne terroriste des Groupes islamiques armés, ou GIA algériens) et après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis." (http://fr.wikipedia.org/wiki/Islamo... ).
Depuis plusieurs années maintenant, le pouvoir politique relayé par les médias ne cesse d’organiser des débats réactivant les problèmes réels ou imaginaires posés par la présence de l’islam en France et en Europe. Bruno Mégret et Philippe de Villiers avait déjà utilisé cette thématique dans leur campagnes électorales.
La désignation de boucs émissaires n’est jamais sans incidence sur "la paix civile" comme en témoigne par exemple une succession d’actes islamophobes commis à Reims (http://www.lefigaro.fr/actualite-fr... )
C - Critique de la conception de l’ordre développé par le Front National.
1 - L’ordre et le désordre dans les sciences contemporaines.
La conception précédente, qui peut être considérée comme antique, est extrêmement simpliste pour ne pas dire naïve. Ignorant les apports de la science contemporaine, la conception d’ordre du FN est de nature métaphysique.
Il ne s’agit pas ici de nier l’existence d’un ordre dans l’univers et dans la vie des sociétés mais de donner à la notion d’ordre un contenu non métaphysique et qui soit compatible avec les données des sciences contemporaines.
Chacun a bien sûr le droit de se référer à un ordre cosmique et humain d’origine surnaturelle, religieuse. Mais dans ce cas, cet ordre cosmique prend différentes expressions selon la religion considérée. Par exemple, les taoïstes ont développé une cosmogonie très cohérente. Mais même, en adoptant le point de vue du christianisme, celui-ci comprend de nombreuses variantes : on compte environ 33 000 confessions chrétiennes différentes dans le monde. Et se réclamer d’une religion ne garantit en rien l’ordre social comme l’Histoire a pu le montrer avec les guerres de religions.
Ni la conception finaliste (tout ordre aurait une fin), ni la conception naturaliste (tout ordre obéit à des lois déterministes de la nature) ne sont maintenant compatibles avec les données scientifiques tant expérimentales que théoriques. (Voir par exemple : Ordre et désordre. Le point de vue philosophique par B. Piettre) http://www.u-picardie.fr/labo/curap... )
En absolutisant l’ordre et en l’opposant mécaniquement au désordre, le FN développe une vision totalement dépassée.
En effet, on sait maintenant que l’ordre et le désordre non seulement coexistent dans la plupart des phénomènes mais se transforment l’un en l’autre.
La théorie du chaos, l’étude des systèmes dynamiques non linéaires nous nous apprennent que des lois parfaitement déterministes peuvent engendrer des phénomènes chaotiques compte tenu des différences de conditions initiales même infinitésimales et du nombre de variables mises en jeu. Inversement, un système chaotique peut évoluer vers un état stable structuré (chaos déterministe et attracteurs étranges).
La théorie de l’auto organisation et de l’émergence montre que des structures désordonnées et aléatoires peuvent engendrer des structures ordonnées et stables. Cette théorie a des implications importantes en biologie et en intelligence artificielle, par exemple. La complexité croissante de la matière mise en évidence avec les théories de l’évolution des espèces vivantes trouve maintenant des explications sans faire intervenir une intelligence divine comme a pu le faire par exemple le Teilhard de Chardin.
La mécanique quantique nous montre, avec l’utilisation du calcul des probabilités au niveau microscopique, que le désordre sub-atomique pouvait se transformer, par réduction du paquet d’ onde en structures ordonnées au niveau macroscopique.
Il y a donc une dialectique de l’ordre et du désordre qui échappe totalement aux fondements philosophiques de l’extrême droite.
2 - La dialectique de l’ordre et du désordre dans les sociétés.
Au niveau des phénomènes humains, il en est de même : l’ordre côtoie le désordre.
L’excès d’ordre implique le désordre. L’excès de désordre implique l’ordre. Prenons par exemple le principe d’autorité. Il est parfaitement exact que l’autorité est en crise depuis plus de 30 ans dans les sociétés occidentales. Mais l’Histoire nous a montré que l’excès d’autorité - l’autoritarisme - conduisait au désordre, à la violence intériorisée ou extériorisée. Un film comme Le ruban blanc (palme d’or au festival de Cannes de 2009) montre avec précision comment une société rigoriste, très paternaliste engendre la violence chez les enfants notamment.
L’excès d’ordre imposé conduit à l’ordre négocié et inversement.
Tout est donc question de mesure, de dosage ce qui est facile lorsque l’on a compris le dialectique ordre/désordre. Mais il ne suffit pas de dénoncer tel ou tel désordre néfaste, de dénoncer par exemple, la "marchandisation de notre culture, le règne déchaîné de l’argent,..." (Discours d’investiture), encore faut-il en analyser les raisons profondes.
3 - L’ordre social de classes générateur de désordre ignoré par le FN.
Or le Front National ne fait que constater les désordres, les dénoncer superficiellement pour les exploiter électoralement, et ne s’attaque jamais aux causes fondamentales qu’il ne peut voir ou se refuse à voir : l’existence dans nôtre société de deux grandes classes antagoniques, l’une dominante, l’autre dominée, la classe dominante utilisant tous les moyens économiques et idéologiques pour accroître sa richesse et ses privilèges, moyens comme, par exemple , les délocalisations, la privatisation des services publics et, la classe dominée, essentiellement constituée de salariés et de travailleurs indépendants subissant les effets dévastateurs de cette domination et exploitation.
Ces classes ne sont évidemment pas des blocs monolithiques et peuvent être analysées avec des divisions et contradictions internes mais cela ne change rien à la logique de domination de base qui est en fait responsable directement ou indirectement, pour l’essentiel, des différents désordres sociaux mentionnés ci-dessus. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe aucune part de responsabilité individuelle dans la délinquance par exemple : c’est évident mais à trop vouloir individualiser les problèmes on finit par perdre de vue l’essentiel.
Mais une telle analyse classiste échappe complètement au Front National pour des raisons que nous verrons en détail ci-dessous : son anti - matérialisme notamment dans le domaine économique et son anti intellectualisme. En réalité, le FN, comme d’ailleurs une bonne partie de la droite, nie l’existence de cette division de la société en classes sociales et nie encore plus l’existence d’intérêts antagoniques pouvant exister entre elles.
Que le groupe de prédateurs dominant soit constitué de seigneurs féodaux de l’Ancien régime, d’oligarques capitalistes propriétaires du capital, des moyens de production et d’échange, ou d’oligarques dits communistes s’étant accaparé de l’État et contrôlant bureaucratiquement les moyens de production , qu’importe : cette division est pour le FN arbitraire et non opérationnelle et de fait échappe à son entendement.
Les fauteurs systémiques de désordre peuvent dormir tranquilles et continuer leurs saccages : la droite et particulièrement l’extrême droite trouveront toutes les explications possibles et imaginables pour masquer leurs responsabilités de classe prédatrice : manque de morale et avidité de certains patrons voyous et de certaines banques, abandon du patriotisme économique, spéculation excessive ou mal gérée des opérateurs financiers, concurrence insuffisamment régulée, mondialisme, fiscalisme, etc.
Ces "explications" ne sont pas forcément complètement fausses mais ne constituent que des explications mineures, marginales au regard des conséquences directes ou indirectes de la division de la société en classes. Le fait que l’État puisse être instrumentalisé par cette classe dominante, via ses serviteurs politiques, pour défendre des intérêts privés et non l’intérêt général, échappe à l’analyse du FN : mieux vaut accuser les technocrates, les ronds-de-cuir, "le trop de fonctionnaires" que de mettre en évidence les causes réelles des dysfonctionnements étatiques et du déficit du budget de l’État.
4- Dans une perspective électoraliste, les explications du désordre par le FN relèvent de la brève de comptoir.
Mais ces "explications" restent encore bien trop intellectuelles pour faire du chiffre électoral : les "explications" les plus fréquentes relèvent des brèves de comptoir : il n’y a du chômage car il y a trop d’immigrés et les gens ne veulent pas travailler ou sont trop difficiles, l’État est endetté à cause du travail au noir, à cause d’un assistanat qui entretient les fainéants et pousse à la paresse les courageux ; il y a trop de fonctionnaires : ça peut fonctionner aussi bien, même mieux avec moins, les ministres sont trop payés et les voitures de fonction ça coûte cher, les immigrés coûtent trop cher à l’État. Il n’y a pas assez d’emplois car les patrons sont étranglés par des charges sociales insupportables, harcelés par le fiscalisme, etc.
Que l’ex directeur des affaires sociales du Medef, Éric Verhaeghe, explique que les 30 milliards d’euros d’allégements fiscaux accordés aux entreprises chaque année n’ont quasiment pas créé d’emplois , ne change rien au discours du FN car ces clichés erronés doivent être maintenus pour des raisons de clientélisme électoral et aussi parce que genre d’argumentaire doit rester accessible au plus grand nombre, être le plus simple possible, s’articuler sur l’affectif et non la raison.
5 - L’alibi identitaire pour masquer les rapports de classe et les causes économiques du désordre.
En outre, la notion de désordre économique engendré par le système capitaliste ne fait pas partie de la tradition de pensée de l’extrême droite sauf pour quelques franges marginales. À une logique de classes, le FN substitue une logique identitaire qui n’est pas sans impact dans une société où se développe le délitement social
Certes depuis les années 1990 avec une relance en 2010, le libre échangisme et les délocalisations sont à juste titre dénoncés par le FN, mais la chaîne causale s’arrête là : ces mots ne restent que des abstractions économiques. Le FN ne remonte pas jusqu’au bout de la chaîne causale et ne pose jamais la question : à qui profite cette politique économique de prédation ? Le faire serait se placer dans une perspective de classes.
Les grandes inégalités de revenus ne sont jamais remises en cause, aucune redistribution équitable des richesses produites n’est invoquée car l’ordre social établi inégalitaire de classes n’est en fait pas remis en cause par le FN. C’est la raison pour laquelle, l’extrême droite constitue toujours une alternative politique possible pour la grande bourgeoisie lorsque les partis traditionnels de droite ou réformistes ont perdu leur crédibilité pour la majorité du corps électoral.
6 - Le FN peut être un recours politique de la grande bourgeoisie pour maintenir son hégémonie génératrice de désordres économiques et sociaux.
Dans le passé, dans tous les pays du monde où le capitalisme s’est implanté, la grande bourgeoisie, en cas de menace "rouge", dans un contexte politique où les partis de droite traditionnels ou sociaux-démocrates risquent d’être battus électoralement par un parti ou une coalition anticapitaliste - ce qui survient souvent en cas de crise économique grave -, n’hésite pas à faire la promotion du parti d’extrême droite, voire fasciste, disponible pour que celui-ci sauve le système et préserve les intérêts de la classe dominante.
Mais il ne faut pas tomber pour autant dans la caricature car certains partis d’extrême droite, comme les partis national - révolutionnaires, ne défendent pas forcément en tout point ce qu’attendent les capitalistes : le libre échangisme par exemple. Mais mieux vaut, pour la classe dominante, faire des concessions que de perdre son hégémonie économique et ses grands privilèges.
7 - Le désordre au Front National.
Accoudé à un comptoir, on peut se poser la question suivante : lorsque le FN préconise l’ordre social, la discipline, l’intégrité morale, respecte-t-il ces principes chez lui ? Le FN est-il un modèle organisationnel d’ordre ? On peut en douter. Il serait trop long de relater ici tous les conflits internes et les fragmentations du FN depuis sa création, mais il suffit de se référer par exemple à la suspension de Carl Lang et de Jean-Claude Martinez relatée dans le journal Libération pour se faire une petite idée des problèmes de discipline qui se sont posés au Front National. http://www.liberation.fr/politiques...
2 - La notion d’immobilité. Après l’ordre, la seconde conception idéologique du FN est celle de l’immobilité qui se décline en plusieurs variantes.
2. 1 - La permanence et l’éternité.
"Sous l’universel changement qui nous abuse ou nous enivre, se cache une grande et profonde loi d’immobilité ou, tout au moins, d’équivalence compensatrice dans l’oscillation des divers changements." L’homme ne peut changer les lois de l’univers. " La volonté de l’homme sera toujours impuissante à modifier la structure de l’univers. » Dans cette optique, en considérant comme faits de nature les rapports sociaux, on ne peut changer les structures fondamentales qui sous-tendent l’ordre social existant. D’ailleurs : " Dans l’ordre de la nature, la Patrie, cité terrestre des hommes, est à la fois lieu d’enracinement - patria, la terre des pères - et cadre de vertus valables quels que soient le lieu ou l’époque. On retrouve aussi ici la thématique de la "France éternelle."
2. 2 - La stabilité.
"L’art politique consistera donc à choisir le stable au détriment de l’éphémère, le défini au détriment du vague, le rigoureux au détriment du séduisant" "Les Français doivent pouvoir vivre dans la tranquillité." "II faut libérer les Français de la peur et restaurer la paix civile." En faisant un emprunt critique à Jacques Attali, Marine Le Pen affirme " le règne de l’éphémère, du jetable, du court terme, la consécration de valeurs malléables, customisées au bon vouloir des individus, l’ère du zapping généralisé..." (http://www.frontnational.com/?p=2262 )
2. 3 - La continuité.
"La constitution des sociétés politiques doit donc être ordonnée à un seul et même critère : la continuité spirituelle et physique de la communauté nationale. " "L’homme d’État français doit assurer la continuité des valeurs collectives pour lesquelles d’innombrables Français ont peiné et se sont sacrifiés au long des siècles".
2. 4 - traditionalisme.
L’attachement aux origines, aux racines et parfois la référence à un âge d’or caractérise cette idéologie attachée à la tradition.
"Le premier devoir du Politique est donc de gouverner conformément aux valeurs fondatrices de la Cité dont il a la charge". En suspension " Les Français ont une civilisation millénaire exceptionnelle. Ils doivent en garder les bienfaits.C’est pourquoi la nationalité française doit être acquise, pour l’essentiel, par le biais de la filiation"
"S’inscrivant, dès les origines, dans "le temps long de l’histoire" où l’évènement prend dimension de symbole - Clovis reçut en 508 de l’empereur romain d’orient Anastase les codicilles du consulat -, la France possède un système de valeurs qui embrasse le temps et l’espace."
Cette référence à Clovis n’est pas le fait du hasard : en 1996 fut célébré, par les intégristes de Mgr Lefebvre et les traditionalistes catholiques, le 15e centenaire de la conversion de Clovis qu’ils considèrent comme le baptême de la France.
René Rémond, dans son ouvrage : "Les droites aujourd’hui", indique : Mgr Lefebvre " n’a pas fait mystère de sa sympathie pour le leader du Front national : dans une autre interview accordée au quotidien Présent en date du 17 avril 1985 il disait de Jean-Marie Le Pen : « Dans la mesure où il défend la loi de Dieu, le Décalogue qui doit en principe conduire les peuples et être à la base de toutes les sociétés on ne peut que l’encourager et être avec lui ».
Non que ces catholiques intégristes- souscrivent à toutes les positions de Jean-Marie Le Pen dont plus d’un thème heurte leurs convictions - mais à qui d’autre pourraient bien aller leurs voix ?..." (P132) Le Front National est proche des catholiques traditionalistes qui ne partagent pas forcément les positions sociales du Saint-Siège (notamment sur l’immigration).
Le catholicisme traditionaliste assure un lien idéologique entre l’ordre moral et la tradition et permet à l’extrême droite d’avoir une assise spiritualiste et non matérialiste.
Dans un autre registre, des mouvements défendant la pêche, la chasse, l’identité des terroirs enracinés dans une tradition séculaire, peuvent avoir une propension à orienter leurs voix vers le FN.
Ces quatre déclinaisons de l’immobilité constituent les fondements idéologiques du conservatisme social et politique du Front National. La peur du changement, la peur de perdre, la peur des ruptures (changements brutaux ou mutations) en constituent le versant psychologique et l’efficacité affective
Il est évident que dans un contexte de changement permanent et rapide des technologies, accompagné de mutations technologiques, dans un contexte de précarisation généralisée de l’emploi où les mots : mobilité, adaptabilité, flexibilité deviennent harcelant, les thèmes précédents trouvent une résonance accrue dans une large part de la population.
3 - L’équation sécuritaire.
La conjonction des deux notions précédentes conduit à celles de sécurité. Ordre + immobilité = sécurité. Bien entendu, cette équation peut se décliner à l’aide de l’un des dix thèmes concernant l’ordre et l’un des quatre thèmes concernant l’immobilité. Cette équation entre en résonance sociale dans un contexte où apparaît son négatif :
désordre + changement = insécurité.
Prenons par exemple une situation d’insécurité sociale. Déclassement professionnel + changement d’emploi = précarité.
Prenons maintenant un exemple lié aux services publics. Désorganisation des services hospitaliers + non continuité des soins = insécurité sanitaire.
Prenons un exemple concernant la civilité, le respect des règles. Non-respect du code de la route + détérioration de la qualité de la chaussée = insécurité routière.
Exemple concernant la protection civile dans le cas des centrales nucléaires. Désordre dans la maintenance + diminution des normes de sécurité = insécurité nucléaire.
On pourrait ainsi multiplier les exemples dans tous les domaines de l’activité sociale, politique, économique de la société.
Précarité de l’emploi à tous les niveaux de qualification, incertitudes sur les retraites, endettement des familles et de l’État, incertitudes pour la conservation de logements trop coûteux, changements dans les modes de vie, etc font écho à cette équation sécuritaire.
Cette instabilité s’accompagne donc d’insécurités multiples qui meublent chaque jour les bulletins d’information de la radio et de télévision. L’insécurité touchant les biens et les personnes causée par la délinquance occupe évidemment une place de choix.
Cette insécurité généralisée engendre une anxiété, voire une peur latente. Le monde devient alors hostile, source d’inquiétudes multiples et la méfiance s’installe.
Contrôles d’identité notamment dans les centres commerciaux, portes blindées, portails à code et interphones dans les immeubles, cartes à puce, chiens de garde et d’attaque, alarmes en tout genre, vidéosurveillance, radars routiers, contrôles de police et multiplication des gardes à vue, etc. montre combien notre société n’a plus confiance en elle-même et vit dans un climat de peur latente. Même la justice, qui devrait inspirer un sentiment de sécurité pour tout citoyen honnête devient un objet de crainte : on parle maintenant, à longueur de colonnes, d’insécurité juridique !
À cette esquisse d’inventaire s’ajoute les insécurités climatiques : inondations, tempêtes, perturbations causées par le réchauffement climatique, volcanisme, séismes, etc. Là encore, les médias sont très mobilisés. Et comme cerise sur ce gâteau explosif : les attentats terroristes réels est hypothétiques. (menaces)
Dans un tel contexte d’insécurité multiforme et relayée journellement par les médias, l’équation précédente rend opérationnel le discours du Front National. Celle-ci a déjà montré son efficacité puisqu’elle a été une clé de la réussite de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles de 2007.
Cette notion de sécurité couplée à celle d’antimatérialisme (voir paragraphe suivant) conduit à minimiser les réalités économiques et à déplacer l’insécurité économique vers l’insécurité morale, voire idéative. L’analyse sociétale supplante l’analyse économique.
"L’insécurité économique déchaînée par le nouveau capitalisme a conduit une partie du prolétariat et des classes moyennes à chercher la sécurité ailleurs, dans un univers moral qui, lui, ne bougerait pas trop, voire réhabiliterait des comportements plus anciens, plus familiers." (Serge Halimi, préface au livre : Pourquoi les pauvres votent à droite de Thomass Frank).
4 -Antimatérialisme.
Le mot anti matérialisme est à prendre dans ses deux sens : sens commun (anti consumérisme) et sens philosophique (spiritualisme par opposition à matérialisme).
"Le rejet du matérialisme économique constitue une thématique centrale chez les jeunes militants frontistes. Mais à l’instar du rejet des classes sociales, il n’est pas question de prôner un discours d’inspiration égalitariste. Matérialisme s’oppose ici à spiritualisme. Le matérialisme économique est condamné en ce qu’il détourne les individus des vraies valeurs spirituelles de la nation.
Dans le discours des militants, la consommation est associée à la mondialisation économique et au cosmopolitisme, jugés responsables de la destruction des cultures nationales. Il s’agit donc de lutter tout autant contre le capitalisme libéral que contre le clivage de classes. Mais ces deux phénomènes ne sont pas pour autant déduits l’un de l’autre. Et il n’est pas question de combattre le capitalisme pour en finir avec le dualisme de classes." (La nouvelle extrême droite : enquête sur les jeunes militants du Front National par Sylvain Crépon)
Mais ceci n’est pas du tout nouveau. Ariane Chebel d’Appollonia, dans son ouvrage : L’extrême droit en France de Maurras à Le Pen, en parlant des jeunes intellectuels d’extrême droite des années 1920 - 1930, indique : "Leur attitude est d’abord celle du refus puisque les éléments-clés de ce courant sont l’anticapitalisme, l’anti matérialisme, l’anti américanisme... Ces jeunes intellectuels, groupés autour de plusieurs revues, ont d’autre part la prétention de briser les cadres préétablis, en transcendant le clivage droite gauche ou opposition entre capitalisme et marxisme. » . . L’extrême droite, comme nous l’avons déjà dit, se refuse, généralement à utiliser des explications d’ordre économique à des événements historiques. Ceux qui le font peuvent être alors traités de marxistes. Ainsi pour le FN, les manuels d’histoire utilisés dans l’enseignement sont de ce fait jugés marxisant voire marxistes. C’est la férocité, le génie, la passion, les illusions, la volonté de puissance, le désir de prestige, la cupidité, l’intelligence ou la stupidité, l’allégeance, la trahison, les grandes idées, les grands chefs, etc. qui font l’Histoire. L’économie n’a qu’un rôle marginal.
Cette manière de voir est évidemment aux antipodes du matérialisme historique qu’il soit marxiste ou non. Un tel aveuglement ou réductionnisme ne permet pas une intelligibilité correcte des rapports sociaux, des structures sociales, des problèmes économiques, etc.
Il ne suffit pas de répéter : il faut réindustrialiser la France, relocaliser les entreprises, voire nationaliser tel ou tel secteur, en empruntant ces thèmes à la gauche ou aux instituts de sondage, encore faut-il que ce discours soit étayé par une vision économique globale, réaliste et cohérente.
Être matérialiste ne signifie pas qu’il faut faire abstraction des facteurs psychologiques, des représentations imaginaires qui animent les acteurs sociaux. Le psychologisme ramène tout aux explications psychologiques, à l’opposé, l’économisme ramène tout aux interprétations économiques : dans les deux cas la réalité échappe alors à l’analyse. Or, il est tout à fait possible d’analyser les faits historiques, économiques, culturels, sociaux d’une manière matérialiste sans échouer dans ces deux extrêmes. La vision du matérialisme par le Front National est donc simpliste et caricaturale. Cet anti matérialisme prend aussi la forme de substantialisme ou d’essentialisme. Par exemple on parle de Pouvoir, d’État, de Nation, de Force, d’Ordre, d’Identité, etc. en faisant de ces notions des entités désincarnées, des idées coupées des enjeux économiques et des rapports de classes. La condamnation de la démarche matérialiste par l’extrême droite résulte donc d’un dogmatisme idéologique qui vient de loin.
Le recours récent du FN à des économistes procède plus d’un bricolage préélectoral que d’une démarche analytique cohérente. D’ailleurs, la plupart des économistes cités, se défendent de partager le "programme économique" du FN. ( http://www.slate.fr/story/36809/pro... ). Autre exemple de bricolage : l’idée "sociale" de supprimer le RSA attribué à plus de 1 million de bénéficiaires, et ce, pour donner un coup d’arrêt à "l’assistanat" : cette idée n’est pas une idée Le Pen mais une idée du conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Mais il est vrai que ce conseiller du président a été journaliste et même responsable de rédaction au journal d’extrême droite Minute et a été aussi conseiller de Jimmy Goldsmith et de Philippe de Villiers (source : wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Patric... ) Cet anti matérialisme empêche donc le Front National d’avoir une vision économique d’ensemble cohérente.
5 - Anti intellectualisme, antiélitisme et éloge de la force.
Nous utiliserons un document intitulé La « vision du monde » du Front national : Quel devenir après le départ de Jean-Marie Le Pen ? Publié par Sciences-Po Paris et le CEVIPOF (CNRS) http://www.cev en ipof.com/fichier/p_publication/729/publication_pdf_cevipof.la.vision.du.monde.du.fn.pdf
Les citations sont étayées dans ce document par de nombreuses notes que l’on ne reproduit pas ici mais qui sont disponibles dans le texte original. On peut lire dans le programme du Front National.
"Les "élites" de notre pays, publiques ou économiques, se conduisent trop souvent comme si la société n’était qu’un champ d’expérimentation sans conséquence pour ceux qui la composent : "Ils considèrent les hommes dans leurs expériences comme ils le feraient ni plus ni moins de souris dans une pompe à air ou dans un récipient de gaz." De là, leur adhésion à toutes les utopies successives, libéralisme, socialisme, marxisme, tiers-mondisme, mondialisme. L’idéologie des droits de l’homme, ultime paradigme d’une intelligence en péril de mort, en l’enfermant sur lui-même, en a fait un être "unidimensionnel"
On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite, alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages." (http://www.frontnational.com/pdf/pr... ) Cet anti intellectualisme est l’une des neuf caractéristiques de l’idéologie extrême droite selon Michel Winock (2004), les intellectuels n’ayant « aucun contact avec le monde réel » selon l’expression de Pierre Poujade. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Extr%C... ).
Néanmoins, cet anti intellectualisme affiché, surtout à l’encontre des intellectuels qui ne partagent pas la vision du monde de l’extrême droite, ne correspond pas forcément à une pratique permanente. Le travail intellectuel réalisé par le GRECE ou le Club de l’Horloge, par exemple, la récupération de certaines données des sciences sociales comme l’anthropologie de Lévi-Strauss (voir l’ouvrage : Les sciences sociales au prisme de l’extrême droite. http://shop.upsylon.com/cgi-bin/lib... ), montrent que c’est anti intellectualisme doit être relativisé et qu’il est surtout utilisé à des fins démagogiques et électorales. N’oublions pas que la plupart des cadres du Front National ont fait des études de droit et de sciences politiques. Par exemple, Jean-Claude Martinez, est agrégé en droit et en sciences politiques. Marine Le Pen est titulaire d’un DEA de droit et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et est devenue avocate au barreau de Paris. Ces gens là sont donc aussi des"intellos" par leur formation ou leur profession ! Un discours politique anti intellectualiste peut exercer sur une certaine frange de la population en déshérence une fascination (notamment chez des jeunes en échec ou rupture scolaire grave) en privilégiant la force brute à la discussion "d’intellos". Ainsi, certains skinhead d’extrême-droite trouveront-ils refuge au FN. (Voir wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Skinhead ) L’anti intellectualisme combiné à l’antimatérialisme constitue la matrice idéologique de l’anti marxisme.
Le mépris des intellectuels est à mettre en correspondance avec l’éloge des militaires.
Pour le FN, les rapports internationaux sont conçus exclusivement comme des rapports de force.
"Cette vision belliqueuse des relations extérieures ne pourrait se comprendre sans référence à l’image positive de la guerre qu’entretiennent les dirigeants du FN. Ces derniers défendent en effet ce que le sociologue Alain Bihr appelle « une conception eupolémologique de l’existence ». Celle-ci transparaît dans l’éloge aux vertus guerrières et l’hommage constant rendu aux militaires, considéré par Jean-Marie Le Pen comme « l’élite » du peuple qui « symbolise le mieux l’unité, la grandeur et la force »". (Source : la vision du monde... http://www.cev en ipof.com/fichier/p_publication/729/publication_pdf_cevipof.la.vision.du.monde.du.fn.pdf )
La société capitaliste consumériste qui exacerbe l’individualisme de l’avoir par sa publicité omniprésente engendre, notamment chez les jeunes, un fort sentiment de frustration ou d’injustice étant dans l’incapacité de se payer les biens de consommation convoités. Cette frustration peut engendrer une violence intérieure, des actes de délinquance (vols, trafics en tout genre, etc.). Ces comportements provoquent à leur tour l’exaspération des personnes qui en sont victimes, exaspération qui peut se transformer en violence. Ainsi, là encore, cette thématique peut trouver un écho favorable dans une certaine frange de la population notamment la plus défavorisée. Apparaissent ainsi, par exemple, des groupes d’autodéfense.
6 - Différentialisme identitaire.
6. 1 - Différentialisme ethnique.
C’est Alain de Benoist qui est à l’origine de la théorisation du concept d’ethno-différentialisme , de celui d’Identité , du concept d’enracinement dans les années 1970. Il fut principal animateur de la nouvelle droite et fondateur de la revue du GRECE, Nouvelle Ecole en 1968. (Pour connaître l’itinéraire de cet acteur important dans le redéploiement idéologique de l’extrême droite, voir son itinéraire complexe à : http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_... )
Selon le Front National, le mélange d’ethnies à l’intérieur d’une même communauté ou d’un même État est source de conflits incessants. "En revanche, l’homogénéité ethnique des nations leur permet de coexister à condition que chacune soit dotée d’un territoire propre. La composante territoriale de la nation est ainsi tout à fait essentielle, au point de considérer celle-ci comme une entité territorialisée, et de confondre instinct national et instinct territorial."
L’évocation des mouvements migratoires en des termes catastrophistes traduit la hantise du métissage des peuples, qualifié par le Front national de « génocide », qui a lieu « par le mélange, plus que par l’extermination pure et simple »80. Là encore, force est de replacer cette vision dans la tradition d’extrême droite qui depuis la fin du XIXe siècle analyse le « brassage » des populations comme la cause de leur dégénérescence et de l’altération de leurs qualités respectives. C’est le Comte Arthur de Gobineau qui expliquait déjà en 1853 que les mélanges « abaissent […], énervent […], humilient, […] étêtent dans ses plus nobles éléments » l’humanité, qu’ils conduisent « à la plus complète impuissance, et mènent les sociétés au néant auquel rien ne peut remédier." (Source : La vision du monde du FN ...)
Ce différentialisme implique que la notion d’Humanité et d’Homme, en général, sont des abstractions vides de sens ayant un caractère universel. Le différentialisme s’oppose à l’universalisme.
"L’identité n’est pas pour moi une essence unidimensionnelle, mais une substance plurielle qui ne cesse de se transformer : elle ne définit pas ce qui ne change jamais, mais ce qui constitue notre façon singulière de changer. Elle ne peut s’énoncer uniquement par elle-même, mais appelle par définition une relation avec l’autre : tout sujet a besoin d’un autre pour se constituer (non pas d’un autre lui-même, mais d’un autre qui différe de lui), et c’est en cela que toute identité est dialogique. L’identité, en fin de compte, est une narration de soi destinée à structurer l’imaginaire symbolique – cet univers aujourd’hui menacé par le déferlement des valeurs marchandes" (source : interview Alain de Benoist par Vox NR en 2007 http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/E... )
On retrouve, comme indiqué plus haut, une conception substantialiste, essentialiste malgré ses connotations "progressistes". Ceci est à rapprocher d’une phrase du programme du FN : " L’idéologie des droits de l’homme, ultime paradigme d’une intelligence en péril de mort, en l’enfermant sur lui-même, en a fait un être "unidimensionnel" (titre du principal ouvrage du sociologue gauchiste américain des années Soixante, Herbert Marcuse)."
On constate ici l’alchimie de parasitage des concepts opérés par l’extrême droite : d’un côté, vision de droite : substantialisme, dénonciation de l’idéologie des droits de l’homme et de l’autre une vision de gauche : dénonciation de l’homme unidimensionnel et des valeurs marchandes, mobilité de l’identité et ouverture sur l’autre.
Mais une conception socialiste républicaine souscrit à la déclaration universelle des droits de l’homme et d’autre part considère l’identité non pas comme une substance, même changeante, mais comme une construction historique s’inscrivant dans un réseau social complexe et évolutif : famille, école, relations professionnelles, relations amicales, culture nationale, culture d’autres pays, etc. et certainement pas réduite à la simple ouverture d’une relation duelle.
En réalité le concept d’ethnie ne va pas de soi et est extrêmement discutable. Il a été instrumentalisé à maintes reprises dans l’Histoire. Par exemple : "L’ethnie est apparue comme un concept opératoire afin de morceler des sociétés multiculturelles. Ainsi, en Afrique du Sud, afin d’asseoir le pouvoir des blancs, le pays a été subdivisé en une multiplicité de « minorités ethniques » et cela afin de neutraliser les revendications d’une population privée de ses droits les plus élémentaires. En s’appuyant sur un « développement séparé », censé respecter la différence de chacun, l’apartheid a institué un état morcelé et inique, fondé sur un morcellement considérable de la population (C. Meillassoux et C. Messiant, Génie social et manipulations culturelles en Afrique du Sud, 1991). L’ethnologie contemporaine ne va pas cesser, en conséquence, de revenir sur ce parti pris qui chosifie et immobilise la dynamique des sociétés humaines." (Source : Ethnie, Ethnicité, Ethnocentrisme, etc. http://socio.univ-lyon2.fr/IMG/pdf_... Une analyse de cette notion d’ethnie est faite dans ce document).
6. 2 - Différentialisme culturel.
De même le métissage culturel est considéré par le FN comme source de décadence, de désagrégation des identités. Pourtant, toute l’Histoire de l’humanité montre combien les cultures des différents peuples ont pu interférer, s’influencer mutuellement et que la notion de pureté culturelle est une simple fiction. Les langues elles-mêmes se sont construites par un brassage de différentes influences linguistiques régionales et de pays différents. Il en est de même en général des différentes productions culturelles : musique, architecture, peinture, etc.
6. 3 - Différentialisme religieux.
"Dans les propos du FN, le monde blanc est intimement associé à la chrétienté, de sorte que la menace de mort qui pèse sur l’identité occidentale a aussi une dimension religieuse. Le principal assaut vient de l’Islam, analysé comme une religion conquérante qui a toujours considéré l’Europe, aux dires de Jean-Marie Le Pen, comme « une aire d’expansion ou de champ d’exercice aux disciples du prophète ». D’autre part, il s’agit d’une religion « d’essence totalitaire » qui diffère en tout point du christianisme et qui connaît de surcroît depuis les années 90 un réveil marqué par le « retour aux sources religieuses et culturelles ainsi que [par] une violente prise de conscience anti-européenne ». Enfin, le défi que l’Islam représente pour le monde chrétien est aussi démographique du fait de la très forte expansion numérique du monde musulman qui devrait le conduire à « constituer 40 p. cent du genre humain au cours du XXIe siècle »" (La vision du monde du FN ...)
6. 4- Différentialisme racial.
"La vision des peuples proposée par le FN prend cependant ses distances vis-à-vis du racisme biologique à partir des années 80, pour épouser une rhétorique raciste plus moderne qui n’abandonne pas une once de ses convictions sur l’existence d’inégalités originelles, mais les camoufle derrière une rhétorique valorisant les différences irréductibles entre peuples et la nécessaire préservation de leur identité respective. Le FN insiste alors sur la spécificité et l’irréductibilité des identités." (La vision du monde...)
6. 5 - Différentialisme national.
Il aboutit au nationalisme (voir point suivant). Il se traduit par une opposition à tout système d’intégration politique ou juridique supranational.
7 - Le nationalisme.
Cette conception est centrale pour le FN et les petits partis connexes. Elle est placée ici en cette position car est reliée aux conceptions précédentes. La nation doit constituer le cadre de toute décision politique. Ainsi on peut lire dans le programme du FN : " Toute décision politique doit, par conséquent, trouver son inspiration dans les valeurs nationales pour y trouver, non un modèle tout fait, mais une ligne directrice ferme et claire" " La voie nationale rétablit la France dans sa grandeur et les Français dans leurs droits. Elle unit la liberté et la sécurité au sein du cadre national"
7.1 - Conception naturaliste et darwinienne de la nation
"La nation est donc perçue comme une donnée naturelle, et par conséquent éternelle. Cette définition rappelle celle formulée par le nationaliste et fondateur de l’Action française, Charles Maurras, qui considérait déjà la nation comme « le plus vaste des cercles communautaires », enracinant les individus dans « la terre de [leur] père ». L’homme y est donc charnellement lié dès sa naissance sans qu’il puisse s’y soustraire. C’est pourquoi Yvan Blot affirme que les nations sont des entités organiques, qui se sont formées « par le jeu des affinités naturelles » et qu’elles sont « le reflet d’un ordre supérieur à la volonté des individus ». Ce lien charnel et naturel entre les hommes et leur nation d’origine explique l’existence d’un instinct national qui pousse chaque communauté à se constituer en Etat nation. Il s’agit d’un besoin irrésistible qui rend vaine toute tentative de résistance. Dans ces conditions, le Front national juge les Etats multinationaux condamnés par l’histoire puisque ceux-ci forcent la nature et demeurent des constructions artificielles qui débouchent inévitablement sur la guerre.... Cet instinct national explique également pourquoi il ne peut être dompté et pourquoi les individus sont prêts à lutter jusqu’à la mort pour l’indépendance de leur nation.... La force de mobilisation extraordinaire des nations relève également du fait qu’elles sont pour le Front national le produit d’une histoire et d’une culture qui fondent leur dimension ethnique " "... Cette perception relève en définitive d’une philosophie darwinienne de l’existence qui postule que la vitalité d’un peuple tient à sa capacité à lutter pour sa survie et à s’imposer aux autres". ( La vision du monde du FN) Cette conception est reliée à la notion de continuité et de permanence vues précédemment : " La constitution des sociétés politiques doit donc être ordonnée à un seul et même critère : la continuité spirituelle et physique de la communauté nationale." (Programme du FN)
7.2 - Conception hobbesienne de l’État.
Selon les idées exposées par le philosophe Hobbes, dans son ouvrage Le Léviathan.
l’État est l’instrument que se donne une vaste communauté pour empêcher que ses membres s’entre-tuent et se combattent en permanence. Il assure ainsi la cohésion sociale. Cela repose sur l’idée que chaque individu est par nature essentiellement un prédateur pour tout autre individu. L’homme est un loup pour l’homme. Cette conception très réductrice est l’un des piliers de la philosophie politique libérale depuis quatre siècles. Les libéraux étendront cette vision à l’économie en privilégiant la compétition, la concurrence, la guerre économique.
Le FN, parti de droite extrême, partage cette vision de l’État. D’où l’importance de ses trois fonctions régaliennes (police, armée, justice), de la coercition de la force et de la loi pour assurer la cohésion et l’ordre. Et d’où aussi le caractère accessoire de son rôle contemporain de protecteur social. Certains libéraux intégreront une conception plus sociale de l’individu en tenant compte de la coopération - parfois forcée - existant entre les individus. Ceux-là parleront, en économie, de coopération compétitive...
7.3 - Patriotisme.
" Depuis des siècles notre patrie, la terre de nos pères, a un visage familier. Elle est pleine de commodités pour ses habitants, elle a des racines concrètes faites d’équilibres subtils, un patrimoine intellectuel et sensible encore largement présent dans les usages de notre vie quotidienne. Si elle attire autant, c’est qu’elle possède cette "différence" qu’on n’a pas chez soi ou qu’on a vainement cherché ailleurs. C’est vers cet "héritage" que nous devons nous tourner pour retrouver ce sens des réalités qu’ont perdu les politiques contemporaines" (programme du FN).
On retrouve ici la référence au territoire et la filiation et un différentialisme national.
En réalité, la notion d’identité nationale se construit à partir d’une certaine vision historique du passé mélangeant faits réels, représentations imaginaires, mythes. Elle dépend de la grille idéologique de lecture. Elle ne peut donc être considérée comme un absolu.
7.4 - Souverainisme.
" L’indépendance de décision et d’action des nations est une donnée éternelle pour le FN. Or celle-ci est mise en cause depuis les années 90 par ce qu’il nomme « le Nouvel ordre mondial », auquel participent l’Union européenne, les diverses organisations internationales et l’idéologie « cosmopolite » véhiculée par les Etats-Unis59. Aussi dès la fin de la guerre froide, le Front national dénonce-t-il ce nouvel affrontement à l’échelle internationale, opposant d’un côté les tenants du « mondialisme » qui n’ont que mépris pour la souveraineté des nations, et de l’autre les partisans de la préservation des identités nationales dont il se prêtant le fer de lance.... La chute du Mur de Berlin a en effet bouleversé les rapports de force internationaux et rendu le discours du FN, focalisé jusqu’à la fin des années 80 sur le « péril rouge », obsolète.... Désormais, le nouvel ennemi de la cause nationale prend l’apparence du mondialisme, accusé de se construire « contre la souveraineté des peuples et l’indépendance des nations »." (La vision du monde du FN)
7. 5 – Expansionnisme (dont le colonialisme)
"La composante territoriale de la nation est ainsi tout à fait essentielle, au point de considérer celle-ci comme une entité territorialisée, et de confondre instinct national et instinct territorial. Cette sacralisation du territoire national justifie la place prioritaire accordée à sa défense dans le discours politique du FN et la valorisation du « sacrifice » que constitue la mort pour la patrie. Cet acte sacrificiel est à ce point fondateur que Jean-Marie Le Pen a pu affirmer que l’on pouvait aussi devenir Français « non par le sang reçu mais par le sang versé ». Cet enracinement des nations dans un territoire n’exclut pourtant pas la perspective de conquête au nom de « la dure loi pour la vie et l’espace ». Le FN n’est donc pas hostile, loin s’en faut, aux guerres de conquête puisqu’il est légitime, selon Jean-Marie Le Pen, que « les meilleurs, c’est-à-dire les plus aptes, survivent et prospèrent autant qu’ils le demeurent »" (La vision du monde...)
Rappelons que les principales recrues du Front National à ses débuts étaient des partisans de l’Algérie française. Ce passé colonial suscite encore les passions de certains membres de la droite et de ’ extrême droite comme le montrent les interventions et les réactions de ceux-ci à la projection du film intitulé "Hors-la-loi" lors du dernier festival de Cannes. (http://www.raslfrontrouen.com/actua... )
7. 6 - Anti immigrationisme.
Le différentialisme ethnique couplé au nationalisme engendre un rejet de l’immigration.
" L’évocation des mouvements migratoires en des termes catastrophistes traduit la hantise du métissage des peuples, qualifié par le Front national de « génocide », qui a lieu « par le mélange, plus que par l’extermination pure et simple ». Là encore, force est de replacer cette vision dans la tradition d’extrême droite qui depuis la fin du XIXe siècle analyse le « brassage » des populations comme la cause de leur dégénérescence et de l’altération de leurs qualités respectives. C’est le Comte Arthur de Gobineau qui expliquait déjà en 1853 que les mélanges « abaissent […], énervent […], humilient, […] étêtent dans ses plus nobles éléments » l’humanité, qu’ils conduisent « à la plus complète impuissance, et mènent les sociétés au néant auquel rien ne peut remédier »." ( La vision du monde du FN)
Ce genre de croyance engendre la peur de l’étranger et peut conduire à une xénophobie agressive. La peur de l’effondrement démographique et de l’afflux d’immigrés "prolifiques" est une constante du FN : " La relève des générations n’est plus assurée depuis 1974 : avec 780 000 naissances en 2000 (françaises mais aussi étrangères), il ne naît plus assez d’enfants par femme pour assurer le maintien de la population française de souche.... La persistance de ce déficit, déjà incompatible avec la survie de la nation, s’accompagne en outre de l’installation sur notre sol de populations immigrées dont le taux de natalité (entre 2,8 et 4,8) est, en moyenne, double de celui des femmes françaises de souche." (Programme du FN). Mais cet effondrement procède plus du fantasme que de la réalité. Ainsi un article du Figaro titre : "La fécondité à un niveau record. Avec un taux de 2,01 enfants par femme en 2010, les Françaises n’ont jamais eu autant de bébés depuis trente-cinq ans." (http://www.lefigaro.fr/actualite-fr... )
La politique de Nicolas Sarkozy qui s’inspire pourtant des positions du FN est très en retrait, selon Marine Le Pen, de ce qu’il faudrait faire. " La loi sur l’immigration actuellement débattue au Parlement ne mérite pas plus qu’on s’y arrête que les 4 lois qui l’ont précédée sur le même sujet ou les 18 lois sur l’insécurité depuis 2002. Cette loi est en effet à simple portée médiatique et se résume en réalité à un amas de mesurettes et de transpositions de directives européennes, cachées derrière des formules électoralistes." (30/09/2010 - http://www.frontnational.com/?p=5887 ) Marine Le Pen, dans le même discours, récupère au compte du FN, un argument généralement utilisé par la gauche, voire des marxistes :" Au-delà des écrans de fumée, la réalité de cette loi est qu’elle transpose en droit français la « carte bleue européenne », qui facilitera l’installation chez nous de travailleurs étrangers qualifiés, ainsi que celle de leurs familles. Une nouvelle fois, on mettra en concurrence nos compatriotes avec des étrangers, et on pèsera ainsi à la baisse sur les salaires. Le grand patronat est comblé." Ce même argument avait été utilisé lors d’un débat avec Mélenchon. Mais il existe, dans la nébuleuse des petits partis d’extrême droite, des arguments de ce type comme dans le courant nationaliste révolutionnaire.
7. 7 - La préférence nationale.
Le thème de la préférence nationale a été théorisé en France par le Club de l’Horloge, dans un livre publié en 1985 intitulé : La Préférence nationale : réponse à l’immigration. Les principaux auteurs de cet ouvrage, encore membres du RPR, de l’UDF ou du Centre national des indépendants et paysans ont intégré le FN quelques mois plus tard,
Or, comme l’a rappelé à plusieurs reprises la Cour de cassation, « dans les thèses du Front national, le racisme et la xénophobie conceptua¬lisés dans la notion « de préférence nationale » amènent à subordonner la défense des intérêts profession¬nels à cette notion. Il en résulte un traitement différencié des intérêts des salariés (…) en fonction de la race, la religion ou de l’appartenance ethnique. (…) la préférence nationale constitue dans son essence un appel à la discrimination interdit par l’article L. 1132-1 du Code du travail, de la Constitution ainsi que de nombreux instruments internationaux ratifiés par la France » On peut se reporter à ce sujet (entre autres) au document argumentaire de la CGT intitulé : Le Front National ou l’imposture sociale (http://fichier.europe1.fr/infos/fra... )
Remarquons aussi que cette conception de préférence nationale du FN s’adresse aux classes sociales défavorisées de l’immigration mais ne semble pas s’appliquer aux classes de la petite et grande bourgeoisie internationale. Ainsi, par exemple le fait qu’un grand nombre de propriétés de Charente-Maritime, du Périgord et d’ailleurs, voire des villages entiers, soient achetés par des étrangers aisés, provoquant ainsi une hausse du marché immobilier et parfois induisant un exode des jeunes ménages dans une autre région faute de pouvoir accéder à des logements de prix accessibles, ne trouble pas le FN. Silence radio aussi quand des émirs, des responsables d’États africains, des membres de la nouvelle nomenklatura russe achètent à prix d’or des châteaux, des immeubles dans les beaux quartiers de Paris ou sur la Côte d’Azur. Pour ce genre de population, l’FN ne parle pas d’occupation, d’invasion et de la nécessité d’avoir un quota pour la vente des terres de France ! On reconnaît ici le caractère de classe de ses positions bourgeoises ou aristocratiques nationalistes.
7. 8 - Le courant nationaliste révolutionnaire : une boîte à idées utiles pour 2012.
Ce courant nationaliste qui partage, entre autres, avec l’extrême droite les idées de nationalisme, de différentialisme identitaire est franchement anticapitaliste - mondialisé mais n’est pas pour autant partisan d’un égalitarisme socio-économique inspiré du marxisme. En réalité il défend un capitalisme productif et patriotique. Il défend néanmoins le modèle social français, un État protecteur. Pour plus de détails sur ce courant voir : http://fr.metapedia.org/wiki/Nation...
Le parti politique le représentant : Troisième voie, fait une analyse très instructive de la stratégie de Marine Le Pen et lui procure des conseils pour doubler la gauche sur sa gauche : Voir : http://www.3emevoie.org/page-d-accu... .
Le Front National sait grappiller et intégrer toutes les "bonnes idées" (électoralement porteuses) existant dans la nébuleuse des courants et petits partis gravitant autour de lui.
Outre la résonance , analysée ci-dessus, de certains thèmes développés par le Front National avec les préoccupations de la population, le contexte politique est particulièrement favorable pour que Marine Le Pen puisse récupérer à son compte des arguments qui autrefois étaient développés par la gauche : l’abandon du PS de ses positions keynésiennes (capitalisme régulé par l’État protecteur remplacé par un libéralisme libre-échangiste), affaiblissement du PCF réduit à 3 %, absence d’unité entre le NPA et le front de gauche qui apparaisse ainsi beaucoup moins crédibles et audibles.
Tout ceci nous conduit naturellement à examiner le nouveau positionnement stratégique du Front National.
Fin de la seconde partie.
Hervé Debonrivage
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