Isabelle Aubret Le destin extraordinaire d’une femme qui chante si bien la vie

mercredi 18 mai 2011.
 

La chanteuse célèbre ses cinquante ans de chanson. Elle revient au Palais des sports avec un spectacle, hommage à Jean Ferrat disparu il y a un an, où elle sera accompagnée d’un grand orchestre de soixante musiciens.

Isabelle Aubret fête ses cinquante ans de chanson. Ce soir et demain, elle sera sur la scène du Palais des sports où elle interprétera ses plus grands succès, de sa voix claire et limpide (Deux enfants au soleil, la Fanette, la Source, Que serais-je sans toi, la Montagne, Ma France, Aimer à perdre la raison, etc.). Accompagnée d’un orchestre de soixante musiciens, elle rendra hommage à Jean Ferrat qui nous a quittés il y a tout juste un an, avec un spectacle baptisé « C’est beau la vie ». La chanson, écrite pour Isabelle par Michelle Senlis, Claude Delecluse et Jean Ferrat, est aussi le titre d’une émouvante autobiographie de la chanteuse qui sort ces jours-ci aux Éditions Michel Lafon, écrite en collaboration avec le journaliste Richard Cannavo  : « Isabelle Aubret, c’est une image et une légende, c’est une star et une inconnue. C’est une vie tout simplement », souligne-t-il dans la préface de cet ouvrage sensible qui retrace le destin extraordinaire d’une enfant du Nord, qui a su devenir l’une de nos plus grandes interprètes, dont les chansons nous accompagnent depuis plus d’un demi-siècle  ! Cinquante ans qu’elle nous enchante et toujours la même force de conviction, la même sincérité à chacune de ses interprétations.

Isabelle, c’est d’abord un parcours hors du commun, celui d’une gosse du plat pays née à Lille le 27 juillet 1938. Thérèse Coquerelle – son nom à l’état civil – est la cinquième d’une famille de onze enfants. Une mère d’origine ukrainienne, un père français qui travaille dans une filature, Isabelle a grandi dans cette région ouvrière où elle a appris à regarder le monde. C’est dans l’usine où son père occupe un poste de contremaître qu’adolescente elle débute dans le monde du travail. Bobineuse à quatorze ans, elle pointe, comme tous les ouvriers de la filature, n’imaginant pas qu’elle deviendra chanteuse. « Isabelle, c’est un petit mec », avait dit d’elle, avec humour et admiration, Jacques Brel. De fait, sa vie est marquée par cette force magnifique, qui ne l’a jamais quittée. Une volonté de vivre qu’elle tient de sa maman, sa « Ti’ mère », qui fut confiée à un orphelinat très jeune, à qui elle adresse quelques belles lignes  : « Unique, courageuse, merveilleuse, infatigable, tous ces adjectifs que je t’attribue me semblent n’exister que pour toi », écrit-elle.

La chanteuse revient ainsi sur son enfance, elle qui a quitté l’école à quatorze ans, au grand dam de sa mère  : « Je lui disais que ce n’était pas grave, se souvient Isabelle, que ce n’était qu’une étape, que mon parcours serait beau, mais elle continuait de pleurer, alors je la prenais dans mes bras. » Il faut dire que la jeune Isabelle est habitée par un rêve depuis que ses parents l’ont emmenée voir Blanche-Neige au cinéma. Plongée dans cette salle obscure, elle imagine son futur  : elle sera comédienne  ! Elle n’a que quatre ans, mais elle exprime déjà le désir d’une vie de spectacle et de lumière, elle qui fut élevée dans une famille modeste, vivant dans une maison sans confort  : « Il n’y avait rien, même pas de tout-à-l’égout  ! Pour aller aux toilettes, il fallait sortir dans le jardin… » Heureusement, l’amour du clan familial est là pour aider à supporter la dureté de l’existence. Dès l’usine, il lui a fallu apprendre à « faire face », sans jamais pleurer, ni demander d’aide à personne  : « Je pense qu’il faut savoir affronter la vie avec ses armes, et ne jamais compter sur les autres pour résoudre ses propres problèmes. » Elle ne se plaindra pas non plus, quand quelques années plus tard, à l’âge de vingt-trois ans, elle fut victime d’un grave accident de la route. Pour l’heure, elle croit en son étoile, suit des cours de chant, se produit dans différents cabarets et galas, en province tout d’abord, puis à Paris. Son avenir lui sourit quand, répondant à une convocation du grand directeur artistique d’alors, Jacques Canetti, elle fait la connaissance pour la première fois de Gérard Meys, son éditeur de toujours, qui à l’époque était garçon de course chez Philips  : « Isabelle était très émouvante. Elle avait quelque chose de féerique, d’attendrissant, quelque chose de fort et de faible à la fois. Et ça, pour un homme, c’est irrésistible  ! » De cabarets en festival d’Enghien ou bals du samedi soir, elle se produit un peu partout, allant jusqu’à remporter le grand prix de l’Eurovision en 1962 avec Un premier amour.

Sa carrière commence à décoller quand arrive ce terrible accident dans la nuit du 
28 au 29 avril 1963. Le corps fracassé, elle est aussitôt hospitalisée à Autun. Les piqûres de morphine l’aideront à combattre la douleur, mais Isabelle revoit encore le tragique événement  : « Cet accident, pour ma vie, a été un désastre. » Elle restera deux jours dans le coma. Elle lutte et là encore elle fait preuve d’une formidable force de caractère qui lui permet de reprendre goût à la vie après plusieurs années de souffrance où elle peut à peine poser le pied par terre. Le destin s’acharne quand en 1982, alors qu’elle présente un numéro de trapèze volant pour le gala de l’Union des artistes, elle fait une chute qu’il lui brise les jambes, l’obligeant à interrompre sa carrière pendant près de deux ans. La souffrance est de nouveau au rendez-vous, mais Isabelle se bat comme un lion et parvient à revenir  : « Cette fois, je ne pouvais pas me déplacer, il n’était même pas question de cannes anglaises. C’était la chaise roulante et rien d’autre. » Malgré les coups durs, elle a toujours gardé cette volonté de chanter la vie. Elle a côtoyé et chanté Aragon, Brel et bien sûr Ferrat, son « frère d’âme »  : « Mon amitié avec Jean Ferrat a été l’une des bénédictions de ma vie », avoue-t-elle. Ferrat qui écrivait  : « C’est par la voix d’Isabelle que volent mes mots, mes notes, mes rêves et mes révoltes. » C’est dire si son spectacle sera un grand moment d’émotion, où l’on réécoutera avec bonheur les chansons du poète disparu le 13 mars 2010. Une occasion merveilleuse de retrouver Isabelle sur scène, plus que jamais heureuse d’interpréter ses plus belles chansons devant son public qui lui est toujours resté fidèle  : « Le bonheur est une chose simple, souligne-t-elle, c’est se sentir bien en compagnie de ceux qu’on aime (...). Le public reçoit d’innombrables émotions et il m’en retourne autant. C’est un échange et une force. Et cette force, je la prends, elle m’est indispensable. »

Concerts  : 18 et 19 mai au Palais des sports, à Paris.

Livre  : Isabelle Aubret. C’est beau la vie, 
chez Michel Lafon. Coffret 3 CD  : 71 chansons de Jean Ferrat, production Gérard Meys.

Victor Hache, L’Humanité


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