"Tout peut changer un jour" (Georges Moustaki)

dimanche 20 mai 2018.
 

A) Mai 68 dans les entreprises en grève

C’est une plongée au cœur d’une histoire qu’offre le nouveau coffret « Georges Moustaki ». Au cœur de celle de l’homme, de la naissance scénique de l’artiste et de la reconnaissance publique du chanteur, d’abord. Georges Moustaki est né le 3 mai 1934 à Alexandrie, de parents grecs, de religion juive, de langue italienne. Il l’a d’ailleurs chanté dans Le Métèque :

Avec ma gueule de métèque

De Juif errant

De pâtre grec

Et mes cheveux aux quatre vents...

Aux quatre vents, ses cheveux n’ont cessé de l’être. A 17 ans, il quitte l’Egypte et arrive en France. Là, il est encouragé par Georges Brassens à écrire ses propres chansons, rencontre Edith Piaf, avec laquelle il vit un idylle qui lui inspire Milord, part en tournée avec Barbara, La longue Dame brune... En mai 1968, il se produit dans des entreprises en grève avec des amis parmi lesquels le guitariste Joël Favreau qui accompagnera aussi Georges Brassens ou Jacques Higelin.

Mai 68 est là. Moustaki est sur les routes. Mais il n’a toujours pas d’album. C’est pourtant au cœur de l’histoire de cette époque aujourd’hui commémorée que plonge, aussi, ce coffret. Le premier disque de Georges Moustaki sort en 1969 ; le 33 tours est reproduit en version originale dans cette boîte de quatre opus. Le deuxième regroupe des archives audio inédites. Les deux derniers donnent à entendre le concert à Bobino en 1970, l’un en version originale, tel qu’il fut enregistré et diffusé, l’autre, plus long, est une version inédite.

B) Une musique de mai 68

L’ambiance de l’époque, les préoccupations qui traversait la société transparaissent au fil des morceaux : mai 68 revient régulièrement dans les paroles. Un exemple ? Le Temps de vivre, dont Georges Moustaki a composé le texte et la musique, commence par ces mots :

Nous prendrons le temps de vivre D’être libres mon amour

Quelques strophes plus tard, il ajoute :

Viens, écoute ces mots qui vibrent Sur les murs du mois de mai Ils nous disent la certitude Que tout peut changer un jour

Car Moustaki a aussi fait siennes des interrogations et réflexions qui habitaient la période de révolte de 68. En introduisant Dans mon hamac, il livre avec une pointe d’humour : « C’est une chanson qui parle du travail, un sujet qui me préoccupe beaucoup ». Et peu à peu, cette chanson et quelques autres font rimer poésie et philosophie : celle du temps libre, du droit à la paresse, du temps de vivre.

Le poète n’en reste pas moins profondément ancré dans l’Histoire. Quand mai 68 contestait l’ordre établi en France ou en Allemagne, d’autres pays s’enfonçaient dans la dictature ; ne serait-ce que sur le continent européen, ils étaient trois : l’Espagne, le Portugal... et la Grèce. En musique, le pâtre grec s’est saisi de cette actualité.

Pendant que je chantais ma chère liberté D’autres l’ont enchaînée, il est trop tard Certains se sont battus, moi je n’ai jamais su Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps, chante-t-il dans Ma Liberté

Ou encore dans Requiem pour n’importe qui :

Il est mort comme du bois sec. Ça pouvait être n’importe qui, Le frère de Théodoraki, Un enfant de Zorba le Grec. Il est mort, je suis en exil Et je meurs un peu avec lui.

C) Un engagement grec

Quand il présente La Pierre, Georges Moustaki rappelle : « C’est une chanson que j’ai écrite avec un compositeur grec qui s’appelle Manos Hadjidakis qui est encore en liberté », s’engageant ainsi dans la critique des emprisonnements arbitraires de ceux qui tentaient de résister. Entre 1967 et 1974, les colonels règnent en maître, muselant la Grèce dans leur dictature. De nombreux intellectuels et artistes doivent s’exiler à Paris notamment, qui accueille nombre de ces réfugiés.

Georges Moustaki rencontre un certain nombre d’entre eux. Comme le poète et compositeur Dimitris Christodoulou qui vient d’être célébré à Athènes, lors d’un concert à Sfiga ; lui a traduit, en grec, Le Métèque. Ou encore le compositeur Mikis Theodorakis, qui est arrivé en France après des mois d’emprisonnement en Grèce. Georges Moustaki adapte en français les quatre Chansons pour Andréas (Enfant de Grèce, Nous sommes deux, On t’a déjà beaucoup menti, et Andréas, dédiées à son camarade de captivité (à voir l’excellent documentaire de Robert Manthoulis consacré à cette rencontre). Il traduira aussi librement L’Homme au cœur blessé, un poème de Manos Eleftheriou mis en musique par Mikis Theodorakis. Et peu à peu, ces chansons et quelques autres font rimer musique et politique.

Mais le coffret célèbre aussi la Grèce dans une des versions du Métèque, pimentée par une introduction au rythme du sirtaki. Il donne à entendre l’âme d’un Moustaki voyageur. Il est une tranche d’histoire qui témoigne que l’homme, né le 3 mai 1934, décédé le 23 mai 2013, avait au bout des lèvres une ode à la liberté, un amour de la Grèce, un engagement musical et une passion pour la vie. Toute la philosophie de cet homme de mai.


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