"Une moitié des hommes veut tout posséder, et l’autre dit qu’il faut... s’entraider. C’est la différence entre la droite et la gauche" Alain Souchon à la fête de L’Humanité

dimanche 30 décembre 2018.
 

1) Entretien avec Alain Souchon On est tous un peu consternés par le monde comme il est

2) Alain Souchon La soif d’idéal 
du plus tendre 
des chanteurs

1) Entretien avec Alain Souchon

"On est tous un peu consternés par le monde comme il est"

Est-ce que le côté à la fois festif et politique d’un lieu comme la Fête de l’Humanité représente un défi particulier quand on est chanteur  ?

Alain Souchon. Je crois que je vais avoir un peu le « traczir »  ! Il y a le contexte dont vous parlez, mais c’est surtout une fête. On y va chanter, sans se poser de questions. C’est romantique, le communisme. On y est attaché. Ça fait partie de la France, de ma jeunesse, du Tour de France, des casquettes Ricard, des ouvriers qui vont au bord de la mer, qui déplient des tables sur le bord de la route, en 4 CV. C’est ça, pour moi, le communisme. Ce sont des gens simples qui espèrent un monde meilleur. Le monde ouvrier, c’est touchant. Tout le monde y est attaché. La Fête de l’Huma, c’est ça.

C’est aussi le rendez-vous 
des « foules sentimentales 
qui ont soif d’idéal »…

Alain Souchon. C’est-à-dire qu’on est tous un peu consternés par le monde comme il est. Consternés par la société ­d’hyperconsommation, de folie. Avoir des marques, des habits comme ceci, aujourd’hui, il y a une espèce de dépendance à l’argent qui est un peu moche, triste. Quand vous parlez avec des gens, le gars qui est intéressant c’est celui qui a du fric. Ce n’est pas  : « Je voudrais être Jean-Paul Sartre, avoir le prix Nobel de littérature ou traverser l’Atlantique à la rame. » C’est « Je voudrais avoir du fric  ! » Ce n’était pas comme ça avant. Qu’il n’y ait plus que le matériel qui compte, c’est tristounet.

Vous avez l’art de capter 
l’air du temps. Aujourd’hui, 
on nous parle de crise. Est-ce un thème qui pourrait faire l’objet d’une de vos chansons  ?

Alain Souchon. C’est vrai que j’aime bien chroniquer notre monde. C’est une tradition française. Jacques Brel, Léo Ferré, Eddy Mitchell, Il ne rentre pas ce soir, ce sont des sensations qu’on a par rapport au monde. C’est important.

Les journaux, la télé sont-ils une source d’inspiration  ?

Alain Souchon. Vous savez, on n’a pas beaucoup d’efforts à faire. Je regarde peu la télévision, juste un peu la nuit, les chaînes « Histoire », je ne suis pas très branché actualités, mais de toute façon, malgré soi, on est informé. L’information est devenue un truc de fou qui vous submerge complètement. On est obligé d’avoir une opinion, de penser à Éric Woerth alors qu’on s’en fiche, à madame Bettencourt. Finalement, moi ce que je retire de tout cela, c’est que « trop d’argent » c’est mauvais pour la santé mentale. L’argent, c’est super, mais trop, je pense que ça tue. L’argent, c’est vachement intéressant, en fait. C’est une espèce de thermomètre de la vie d’un homme. Ça rend idiot, on se prend pour ce qu’on n’est pas, ça rend supérieur, ça démolit la tête, je crois. Et ne pas avoir assez d’argent, ça gâche tout aussi.

Vous qui aimez ciseler 
vos chansons, quels sont les poètes, les auteurs dans lesquels vous appréciez 
de vous plonger  ?

Alain Souchon. Comme on dit, au hasard de la vie, j’ai rencontré Guillaume Apollinaire avec le poème la Loreleï  : « A Baccarat il y avait une sorcière blonde qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde. » Ce « laissait mourir d’amour », c’est tellement beau. Ça m’a scié. Après, vers l’âge de quatorze ou quinze ans, j’ai découvert Léo Ferré, Georges Brassens, ces gens qui m’ont beaucoup plu. C’était l’époque de Claude François, Dalida ; moi, j’étais snob et je me disais ça ne m’intéresse pas. Léo Ferré, Georges Brassens ont chanté les poèmes d’Aragon. Ses poèmes sont profondément chantants. Son attitude politique de vouloir réhabiliter les rimes et l’alexandrin au milieu d’un monde poétique qui ne faisait que tout déstructurer, qui abandonnait les rimes, cette attitude-là m’a paru héroïque. Je trouvais ça beau et en même temps, ça charriait quelque chose de très moderne dans la façon de dire les choses. Tout en étant d’une rigueur classique. La Rose et le Réséda, et tant d’autres poèmes d’Aragon, j’aimais beaucoup cela. Ça m’exaltait. J’ai découvert la musique par les poètes. Avant d’aimer les Rolling Stones, j’ai aimé Victor Hugo et puis Arthur Rimbaud… Après, à quinze ans, je voyais Jacques Brel qui transpirait et chantait « Les bourgeois, c’est comme des cochons… », c’était extraordinaire. En même temps, j’étais un fils de bourgeois moi-même. Ensuite, j’ai beaucoup aimé l’attitude rock’n’roll, ce côté « à tout casser », jeune, cette recherche de la musique pleine d’énergie, avec une parole facile qui gueule et revendique. Une musique qui fait bouger, qui donne envie de danser, une musique qui exalte le corps. J’aimais beaucoup Chuck Berry, il avait de l’humour, une espèce de charme solaire.

Vous êtes quelqu’un de timide, de réservé… Qu’est-ce qui vous a poussé à vous mettre dans la lumière  ?

Alain Souchon. C’est amusant, mais souvent les plus grands artistes sont timides. Et dans la timidité, ils ont cherché une façon de trouver le contact avec les gens. En tout cas, moi, ça s’est passé comme ça. Je ne peux pas rester isolé. J’avais envie des autres.

Laurent Voulzy dit volontiers 
de vous  : « Moi, je vois le verre à moitié plein et Alain, le verre à moitié vide bien souvent. » Vous êtes d’accord  ?

Alain Souchon. C’est un peu ça. J’ai une vision plutôt pessimiste, mais en même temps, j’aime le soleil, les filles qui ont des jupes transparentes et tout ça. Je ne suis pas un hyper-mélancolique noir dans mon coin. Mais le monde est navrant. C’est dans la nature humaine. Il y a une moitié des hommes qui veut tout posséder, et l’autre, au contraire, qui dit il faut partager, s’entraider. C’est la différence qu’il y a entre la droite et la gauche. La droite laisse aller à la nature, c’est-à-dire : « Je veux gagner plus, je veux être plus fort que toi. » La gauche, elle, il me semble qu’elle cherche à réguler un peu le côté sauvage qui est en nous, ce n’est pas la peine de se le cacher.

Vous considérez souvent 
ne pas être « un professionnel en quoi que ce soit ». C’est 
un peu paradoxal pour quelqu’un à qui tout semble avoir réussi  ?

Alain Souchon. Je n’ai pas cherché à réussir. J’étais perdu, vous savez. Je ne savais pas quoi faire de ma vie. Je me demandais ce que je faisais là. Rien ne m’intéressait si ce n’est les chansons, mais ça restait un passe-temps. Je ne me disais pas  : « Je veux être Mick Jagger ou Léo Ferré. » Je faisais un peu de peinture, de menuiserie, des petits boulots pour gagner un peu de ronds. J’avais fait des études secondaires qui ne m’ont mené nulle part. Je n’avais pas de passion dévorante. Je me suis mis à faire des chansons vers l’âge de seize ans, des choses basiques, navrantes. Puis, je suis tombé très amoureux. Je me suis marié, j’ai eu un enfant. Ça a été une révolution dans ma vie. Je me suis dit qu’il fallait que je prenne les choses en main. J’ai fait des chansons que j’essayais de placer. C’est comme ça que j’ai écrit l’Amour 1830 pour Frédéric François. J’ai été voir des éditeurs, puis j’ai signé un contrat de disque chez RCA pour un album. C’est comme ça qu’on s’est connus avec Laurent, qui faisait les arrangements. C’est là qu’est née la chanson J’ai dix ans. Elle a eu du succès et c’est parti comme ça.

Des années plus tard, vous dites avec humour  : « Alain Souchon est chanteur. »

Alain Souchon. Oui, car je n’en reviens toujours pas. Moi qui partais en me disant  : « Qu’est-ce que je viens faire-là  ? » j’ai été choyé par l’existence. J’ai rencontré une femme adorable, j’ai des enfants adorables. J’ai gagné suffisamment d’argent, ce qui m’a permis d’avoir une belle maison où mes enfants amenaient leurs copains. J’ai eu vraiment énormément de chance. J’ai beaucoup aimé travailler la langue française, comme ça, travailler avec Laurent qui est un truc de fraternité où on est là pour l’autre à 100%. Sa façon de voir le monde… J’aime bien, comme il est tellement différent de moi. Laurent, il est solaire, il est plein d’espoir, il aime le monde, les gens. Il est charitable, gentil… C’est agréable, enrichissant.

Entretien réalisé 
par Victor Hache

2) Alain Souchon La soif d’idéal 
du plus tendre 
des chanteurs

Des bobos à l’âme, Alain Souchon n’en a jamais manqué. C’est peut-être ce qui émeut le plus chez le chanteur qui depuis 1974, et la chanson qui l’a révélé, J’ai dix ans, enchante le public grâce à un répertoire plein de tendresse. Amoureux de la vie, il n’y a pas mieux que lui pour mêler légèreté et réflexion. À l’image de Voir sous les jupes des filles dans laquelle il affirme volontiers que « la seule chose qui tourne sur terre, c’est leurs robes légères ». Voilà pour la facette sentimentale et solaire du chanteur. Mais il y a aussi chez Souchon une grande part de mélancolie que l’on retrouve dans ses textes particulièrement bien ciselés qui allient bien souvent clairvoyance et humour.

Alain Souchon n’a plus tout à fait dix ans, mais il garde un regard d’enfant, rêvant d’une société faite de plus d’humanisme et de désir de partage. « On a soif d’idéal », à coup sûr, les paroles de sa chanson Foule sentimentale résonneront comme un hymne sur la Grande Scène de la Fête de l’Humanité où le chanteur se produira pour la première fois cet après-midi. Un grand moment en perspective et un concert exceptionnel qu’il aborde non sans une certaine tristesse devant ce monde qui ne tourne pas rond. Aujourd’hui, constate-t-il avec justesse, « il y a une espèce de dépendance à l’argent qui est un peu moche ». En ligne de mire, le fric, les grands patrons et leurs parachutes dorés à l’heure de la crise, mais aussi de la folie de l’hyper-­consommation dans laquelle on voudrait cantonner les gens, à défaut de leur apporter le bonheur.

Rêveur, faux naïf, parfois un peu désenchanté, Alain Souchon, soixante-six ans, n’a pas son pareil pour dire les maux de notre époque. « Écoutez d’où ma peine vient », chante-t-il. Un registre qui ne manquera pas de rencontrer un large écho à la Fête.

V. H.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message