« La Chine est un modèle d’autosuffisance, mais... »

vendredi 21 janvier 2011.
 

Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter vient d’effectuer en décembre une mission en Chine. Il s’agissait de la première visite à Pékin d’un expert 
indépendant désigné par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU auquel sera soumis un rapport sur la 
situation alimentaire dans les prochains mois. Olivier De Schutter témoigne et évoque ses premières conclusions pour l’Humanité.

Quel était le mandat de votre mission  ?

Olivier De Schutter. Il s’est agi d’analyser les efforts entrepris par la Chine pour garantir le droit à l’alimentation de sa population, d’identifier les défis existants et les mesures fondées sur les droits de l’homme capables de les relever. Malgré des contraintes extrêmement fortes en termes de terres et d’eau disponibles, la Chine parvient à une autosuffisance alimentaire. Elle représente 21 % de la population totale de la planète et possède moins de 9 % des terres cultivables du monde. Pourtant elle est passée depuis 2005 du statut de bénéficiaire de l’aide alimentaire à celui de donateur en misant sur des petites unités de production.

Quelles en sont les raisons  ?

Olivier De Schutter. Les progrès impressionnants réalisés par 200 millions de petits producteurs agricoles possédant en moyenne 0,65 hectare de terre chacun. Ils y parviennent grâce aux soutiens des autorités. Une petite agriculture familiale qui se pratique sur des parcelles réduites peut nourrir la Chine. C’est un exemple dont d’autres pays pourraient s’inspirer. Ça marche en Chine parce que ces petites unités de production sont inscrites dans des collectifs, soit au niveau du village, soit au sein de coopératives paysannes qui reprennent de la vigueur sur une base volontaire et non plus contrainte. Cette intéressante combinaison entre le travail familial et la possibilité pour ces paysans de s’intégrer dans des organisations leur permet d’améliorer leur position de négociation pour la vente de leur récolte, l’accès aux intrants et aussi à l’irrigation et à la mécanisation, etc.

Qu’en est-il des réserves alimentaires chinoises  ?

Olivier De Schutter. La Chine, en raison de son histoire, redoute la pénurie. Cette peur a incité le gouvernement à investir dans l’agriculture et à se doter d’un mécanisme de réserve alimentaire qui est certainement parmi les plus sophistiqués du monde puisqu’il représente environ 40 % de la consommation annuelle de la Chine, soit plus de 200 millions de tonnes de céréales. Le double du niveau de sécurité de 17% recommandé par l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture. Ces réserves permettent de soutenir les prix pour les paysans en période de bas coût et d’écouler les stocks en période de hausse, préservant l’accès à l’alimentation des populations les plus pauvres. L’utilisation de ces réserves alimentaires pourrait être source d’inspiration pour d’autres régions qui cherchent à se protéger contre des marchés internationaux de plus en plus volatils.

Quels sont les principaux défis auxquels le pays doit faire face pour garantir sa sécurité alimentaire  ?

Olivier De Schutter. Principalement la durabilité environnementale et l’égalité sociale. Il existe également un grand fossé entre urbains et ruraux sur la structure de la consommation alimentaire et la nutrition. La Chine s’urbanise et les terres arables diminuent. Depuis 1997, 8,2 millions d’hectares de cette superficie a été perdue. En Chine comme ailleurs, l’abus d’engrais chimiques détruit les sols, l’érosion accélérée par les inondations et la désertification. C’est un problème très sérieux. L’autre problème plus contrôlable se situe à l’échelle locale avec la tentation de développer des projets industriels, des zones urbaines, des routes, qui ne prennent pas toujours en compte la nécessité de maintenir l’autosuffisance de la Chine et par conséquent de compenser toute perte de terre arable par le développement de nouvelle surface cultivable sur sols dégradés.

Est-ce que les efforts déployés sont suffisants  ?

Olivier De Schutter. Les autorités sont conscientes de ces défis et ont défini une ligne rouge à ne pas franchir pour que la surface arable ne se rétrécisse pas davantage. En même temps les pressions locales pour la contourner sont très fortes. L’autre obstacle, sans doute plus difficile à surmonter, est la conception de la modernisation agricole que l’on conçoit par une forte mécanisation, des plantations sur large échelle et sur l’utilisation d’intrants externes considérés comme l’unique moyen de développer l’agriculture. En fait la modernisation agricole, à condition d’être correctement soutenue par le gouvernement, peut se faire tout autrement, en misant sur des petites parcelles productives à l’hectare. Ce qui signifie pour les autorités d’assurer des revenus décents aux paysans.

Avez-vous été entendu  ?

Olivier De Schutter. Je le pense, la Chine a une énorme réserve de main-d’œuvre dans les zones rurales qui ne pourra pas toute être absorbée par l’industrie. Il y a des conditions favorables pour que ce modèle de la petite exploitation familiale soit approfondi. La Chine est aujourd’hui dans une phase de transition. Elle a compris que le développement ne peut se réduire à la seule croissance du PIB. Elle a défini un « concept scientifique de développement » qui signifie être plus attentif aux impacts environnementaux et à l’équité 
sociale. C’est le contenu du 12e plan quinquennal qui va être adopté en mars prochain. Dans le même temps est en cours de discussion le plan pour la réduction de la pauvreté 2011-2020.

Quel lien faites-vous entre sécurité alimentaire et pauvreté  ?

Olivier De Schutter. Il ne suffit pas d’augmenter la production et la disponibilité de nourriture pour résoudre le problème de l’insécurité alimentaire. Les gens n’ont souvent pas accès à la nourriture parce qu’ils sont trop pauvres. On le voit dans des pays développés. Résoudre le problème de la faim, c’est donner des avantages sociaux. Des progrès remarquables ont été réalisés en Chine contre la pauvreté. On est passé de 652 millions de pauvres absolus en 1981 à 135 millions en 2004. Il reste cependant, selon un rapport de novembre 2009, des poches d’insécurité alimentaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il y ait de la famine.

Entretien réalisé par 
Dominique Bari


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