Le Choc des civilisations anti-chinois, des Etats-Unis à Paris

vendredi 25 avril 2008.
 

Ce lundi, Libération consacre un article à plusieurs manifestations de Chinois en défense de leur pays. Il signale que Pékin a exigé des excuses de la chaîne américaine CNN après des remarques "jugées offensantes" d’un de ses commentateurs "qui avait qualifié les exportations chinoises de ’camelote avec de la peinture au plomb’". Mais en réalité la journaliste ne cite qu’une toute petite partie des propos du chroniqueur de CNN, un dénommé Cafferty, et n’en reprend que les éléments les plus anodins. Car entre autres choses, Cafferty a déclaré à l’antenne que les Chinois d’aujourd’hui n’avaient pas cessé d’être "la même bande de casseurs et de voyous que pendant ces cinquante dernières années". Cet "oubli" occulte la montée des discours anti-chinois aux Etats-Unis. Celle-ci doit pourtant être prise très au sérieux si l’on veut faire une analyse raisonnée des enjeux de la tension créée actuellement avec la Chine.

Car les propos de Cafferty ne sont pas un dérapage isolé. Un nombre croissant de responsables américains dénoncent la montée en puissance de la Chine, alimentant des campagnes d’opinion de plus en plus violentes contre les Chinois. Il s’agit bien de campagnes "antichinoises", au contenu xénophobe sans ambiguïté. Précisons en effet à l’usage des sceptiques qu’il ne s’agit pas de critiquer la politique environnementale de la Chine, ce qui serait paradoxal de la part du principal responsables de l’effet de serre sur la planète, ou encore son recours à la peine de mort, ce qui serait là aussi assez curieux de la part d’un pays qui n’hésite pas à l’appliquer aux mineurs. Ni d’agir contre les délocalisations, car il faudrait s’en prendre aux entreprises américaines qui ont voulu au nom de la mondialisation libérale transformer la Chine en vivier de travail bon marché. Non, il s’agit bien de créer les conditions d’un affrontement avec la Chine dans le droit fil de la théorie du choc des civilisations.

Dès son livre "Le Choc des civilisations", inspirateur de la politique étrangère américaine, Samuel Huntington annonçait l’affrontement entre la civilisation occidentale, dite "de Davos" et deux ennemis principaux, la "civilisation islamique" et la "civilisation confucéenne", c’est-à-dire précisément la Chine.

Selon lui, un affrontement avec la Chine est inévitable car inscrit dans des déterminations culturelles indépassables. "L’ethos confucéen dominant dans de nombreuses sociétés asiatiques valorise l’autorité, la hiérarchie, la subordination des droits et des intérêts individuels, (...) et, de façon générale, la suprématie de l’Etat sur la société et de la société sur l’individu. (...). Ces attitudes contrastent avec la primauté, dans les convictions américaines, accordée à la liberté, à l’égalité, à la démocratie et à l’individualisme, ainsi qu’avec la propension américaine à se méfier du gouvernement, à s’opposer à l’autorité, à favoriser les contrôles et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les droits de l’homme." L’affrontement ne peut être évité : il doit donc être préparé.

Les thèses d’Huntington ne sont pas de simples hypothèses universitaires. Elles formatent concrètement la vision américaine du monde. Par exemple, ce sont elles qui fondent les propos du candidat républicain Mc Cain quand il dit que les GI’s doivent rester en Irak "pendant cent ans", comme les Etats-Unis sont restés en Allemagne et au Japon après la seconde guerre mondiale, car l’Irak est le "front central" de la lutte contre l’"extrémisme islamique", "défi essentiel de notre temps". Ce sont elles qui guident les boutefeux américains qui veulent la guerre avec l’Iran (comme Mc Cain là encore, chantonnant lors d’une réunion publique "Bomb, bomb, bomb Iran !" sur l’air d’un succès des années 1960).

La nouveauté est que cette orientation inspire désormais le président de la République Française. On se souvient de propos identiques à ceux de Mc Cain, dans son discours aux ambassadeurs, faisant de la lutte entre "l’Islam et l’Occident" le principal défi de la diplomatie française. Désormais il endosse la vision américaine du conflit avec la Chine. Comment expliquer autrement sa soudaine annonce d’un éventuel boycott de la cérémonie d’ouverture des jeux à Pékin ? Le Tibet ? Mais aucun gouvernement au monde ne demande l’indépendance ni même l’autonomie renforcée du Tibet, aucun ne reconnaît le "gouvernement tibétain en exil" du Dalaï Lama. L’emballement médiatique et la volonté de remonter dans les sondages ? Vu la crise au sommet de l’Etat, on ne peut pas l’exclure. Mais Sarkozy est capable au même moment de contredire l’opinion sur la question des allocations familiales, des frais optiques non remboursés, du prix du gaz à nouveau augmenté... La politique chinoise de la France ? Son attitude est un contre-pied total, non seulement avec le lien franco-chinois inauguré dès Mao et De Gaulle, mais aussi avec sa propre attitude lors de son voyage en Chine au cours duquel il avait choisi de ne pas évoquer la question des droits de l’homme. Non, en dissimulant la volonté américaine relayée par Sarkozy de nourrir un choc des civilisations, pour mieux peindre un paysage "tout noir, tout blanc" à ses lecteurs, Libération escamote un déterminant décisif de la crise actuelle.


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