Ces derniers mois ont ouvert une nouvelle phase de crises, marquée par des turbulences multiples et une profonde instabilité. Il convient d’en prendre la mesure pour adapter nos grilles de lecture et, dans la perspective des affrontements à venir, définir les propositions politiques à avancer.
Les mobilisations sociales qui se développent dans un certain nombre de pays européens en riposte aux politiques d’austérité des gouvernements et du FMI, auxquelles le mouvement français sur les retraites a donné une portée inédite, témoignent d’un développement massif, et en grande partie imprévu, des luttes de classes. Celui-ci met en grande difficulté les gouvernements en place. En France, le pouvoir sarkozyste, s’il a réussi à imposer sa contre-réforme, sort profondément délégitimé de cette épreuve de force. Cela au moment où la spéculation financière, selon une logique de chute des dominos, attaque les uns après les autres les différents Etats dont la situation économique est fragilisée par le poids de la dette et la situation de certaines banques : hier la Grèce, aujourd’hui, l’Irlande, demain le Portugal, puis ensuite peut-être l’Espagne, avec alors une dynamique incontrôlable touchant la France…
Eclate ainsi brutalement une crise de l’euro qui menace la construction européenne elle-même. La crise financière est alimentée par l’incapacité et l’absence de volonté politique des différents gouvernements européens à apporter des réponses cohérentes et communes à la situation, ceux-ci préfèrent se replier sur des réponses nationales, voire nationalistes, pour justifier les politiques d’austérité qu’ils infligent aux peuples.
Nous entrons donc dans une situation à hauts risques, qui va placer le mouvement ouvrier devant des défis majeurs.
Le modèle néolibéral est en faillite, et de ce fait les contradictions de la mondialisation capitaliste se développent. Mais aucune perspective crédible n’émerge comme possible alternative, que ce soit en termes de modèle différent de capitalisme ou de rupture avec celui-ci.
Du coup la logique financière et spéculative reste dominante, sans contrôle ni régulation, contrairement aux engagements pris précédemment par les gouvernements, avec les menaces récurrentes qui en résultent pour le système financier mondial (les banques et les monnaies).
Le monde se voit soumis à des dynamiques de désagrégation : écarts croissants entre les puissances capitalistes traditionnelles (E-U, U.E., Japon) et les puissances montantes (Chine, d’abord, et aussi Inde, Brésil…). L’U.E. est de plus en plus travaillée par des dynamiques de dissociation. Entre une Allemagne tentée de jouer son propre jeu à l’échelle mondiale et les « PIIGS » menacés de naufrage, aucun pays n’apparaît en capacité de faire prévaloir une perspective commune offrant un projet européen.
Dans ces conditions, des facteurs profondément régressifs tendent à s’imposer :
° La montée en puissance dans un certain nombre de pays européens de forces nationalistes et xénophobes, dont les réponses diffusent partout et servent de références.
° Le choix, à présent général de la part des classes dirigeantes européennes, d’appliquer des politiques d’austérité, plus ou moins brutales, mais qui convergent pour étouffer la croissance et menacer d’une nouvelle récession.
° Cette situation donne une audience croissante aux thèses protectionnistes. Celles-ci se réfractent dans tout l’arc politique, allant de la contestation du libre échange à tout va, au nom des gâchis sociaux et environnementaux qu’il provoque, jusqu’aux replis souverainistes pleinement revendiqués. Le thème de la « sortie de l’U.E. » en vient ainsi à se répandre à droite et à gauche, sans une réelle maîtrise de ce que peuvent être ses implications… Et sans qu’à gauche lui soit opposée pour l’instant avec la force nécessaire l’exigence de la solidarité entre les classes ouvrières et les peuples européens et la perspective d’une lutte unifiée contre les politiques gouvernementales et de défense d’une alternative sociale et démocratique à l’échelle du continent
Avec les politiques d’austérité menées en Europe, les faiblesses structurelles des E-U et du Japon, les fragilités de la Chine, c’est même la menace d’une dépression et d’une désorganisation générale du système mondial, avec les risques majeurs afférents, qui ne peut-être écartée.
Le contexte des années 1930 était dominé par le choc d’idéologies antagoniques qui, quelles que soient les illusions dont il était porteur, exacerbait les confrontations de classe. La situation est aujourd’hui dominée par l’absence de toute vision d’ensemble répondant à la crise, aussi bien à droite, avec le refuge dans l’austérité et un pragmatisme affiché, qu’à gauche, la social-démocratie se montrant incapable d’envisager une logique alternative au néolibéralisme. Dans ces conditions, si les résistances populaires se développent, c’est en l’absence d’un horizon politique qui pourrait leur impulser une dynamique de changement de société.
Ce mouvement s’est développé contre toute attente, exprimant le mécontentement accumulé au long de ces dernières années de politique sarkozyste, il a révélé une puissance sociale formidable. La mobilisation du salariat et de la jeunesse, entraînant dans son sillage une majorité de la population, a isolé ce qui est de plus en plus caractérisé comme une oligarchie : cette caste qui s’affiche comme maîtresse de l’Etat, des grandes entreprises, des médias, et se montre d’abord soucieuse de défendre ses privilèges exorbitants.
En ce sens, c’est bien le grand retour de la lutte des classes. Autour d’une exigence irrépressible de justice sociale.
Pourtant cette mobilisation s’est vue orpheline de perspective politique et privée d’un armement idéologique cohérent et conscientisé.
D’où le fait que le pouvoir sarkozyste est parvenu à imposer sa réforme, en réussissant une démonstration de l’inflexibilité qu’il revendiquait. Mais il s’agit d’une victoire paradoxale. En ce sens qu’elle a été imposée contre un mouvement populaire d’une puissance telle qu’il a révélé les faiblesses profondes du système, et qu’il est apparu porteur d’une légitimité dont du même coup se voyait dépouillé le pouvoir en place.
Donc, ce même pouvoir ressort profondément délégitimé. D’autant que la boîte de Pandore des scandales et affaires multiples ne paraît pas sur le point d’être refermée (après Woerth-Bettencourt, c’est Karachi, avec toutes ses retombées imprévisibles…) Tout cela jetant une lumière de plus en plus crue sur la corruption et le discrédit des « élites »…
Dans le même temps, les divisions au sein de la droite sont aggravées, et l’alliance qui avait assuré la victoire de 2007 est en morceaux. D’un côté, l’extrême-droite retrouve son espace, dans un contexte où bien des éléments sont pour elle porteurs. De l’autre, le centre droit, suite au remaniement gouvernemental, se trouve autonomisé et en pleine recomposition. Quant à la guerre entre Sarkozy et Villepin, elle poursuit ses ravages. Pour maîtriser les risques de la situation et préparer la présidentielle, Sarkozy s’est vu contraint de garder Fillon et de resserrer le gouvernement autour d’un noyau RPR reconstitué avec les chiraquiens, mais les rivalités internes à celui-ci restent fortes… D’autant que cette équipe, malgré un surcroît d’arrogance, paraît bien incapable de tirer les leçons de la confrontation qu’elle vient de connaître, ni d’apporter quelque réponse pertinente que ce soit aux défis de la crise capitaliste.
Mais, à gauche aussi, du mouvement naît une situation paradoxale.
Pour les syndicats et pour la gauche politique, le mouvement est signe d’embellie et porteur de belles promesses :
° L’unité syndicale a permis d’assurer à l’Intersyndicale un rôle de direction qui ne lui a pas été contesté. Les directions sont apparues comme ayant fait à peu près tout ce qui était possible, et elles peuvent en attendre un renforcement significatif de leur audience, en particulier la CGT.
° La gauche politique dans son ensemble – du PS au NPA !-, dans la diversité de ses positions de fond, a affiché une solidarité avec le mouvement de mobilisation et revendiqué une opposition à la réforme gouvernementale. C’est donc un capital prometteur qui a pu être ainsi accumulé, dont le PS en particulier peut espérer des fruits électoraux.
Pourtant, dans le même temps, des divisions majeures sur la question des retraites ont été mises en pleine lumière aux yeux de tous (et ce sans pourtant détruire l’unité affichée) dans la gauche, et également au sein de l’Intersyndicale.
La CFDT défend la retraite à points, pour une « discussion de fond » dès 2013.
A gauche, le PS, non seulement est favorable à l’augmentation du nombre des annuités, mais les positions en son sein prônant l’abrogation des 60 ans (donc l’accord de certains avec la réforme Sarkozy) ont elles aussi été parfaitement audibles.
Au-delà de ces aspects évidents, on peut penser que la politisation qui s’est opérée au cours du mouvement va amener, après décantations, un certain nombre de secteurs militants à s’interroger sur les raisons de l’échec sur les retraites malgré la puissance de la mobilisation.
Il s’agit d’analyser cette question. Avec, d’un côté, les directions syndicales refusant majoritairement de mettre en avant le retrait du projet gouvernemental pour se cantonner dans l’exigence d’une (ré)ouverture des négociations, et, de l’autre, un Parti socialiste se limitant à coupler guérilla parlementaire et soutien à la mobilisation et à aux décisions de l’Intersyndicale, il y eut la volonté de ne pas jouer la crise politique. Cette stratégie d’esquive par rapport à l’inflexibilité du pouvoir est l’expression d’une intériorisation totale des règles institutionnelles : respect du pouvoir en place et du calendrier institutionnel, polarisation sur l’échéance de 2012 avec acceptation des exigences du présidentialisme. Le prix à payer en étant la relativisation de l’urgence sociale (la régression sur les retraites pouvait être enrayée alors, ce qui ne sera plus si évidemment le cas demain), le refus de mettre en synergie les différentes résistances à la politique du pouvoir (aux attaques multiples sur le plan social, aux atteintes aux droits et libertés, les réactions aux scandales et aux « affaires »…)
Force est de constater que le Front de gauche et la gauche radicale dans son ensemble sont apparus entravés par ces contraintes vécues comme les règles obligées de la politique même. En l’absence d’une alternative cohérente au modèle capitaliste et d’une construction politique crédible, a été récusé le pari sur la mobilisation populaire pour libérer des forces de changement bousculant le Régime et bouleversant les lignes à gauche.
Le mouvement n’a pas été brisé. Il est venu buter sur un problème auquel il n’avait pas, par ses seules forces, les moyens d’apporter la réponse : l’absence d’une perspective politique face à un pouvoir qui avait décidé de jouer son destin sur l’imposition de cette réforme. C’était aux directions syndicales d’admettre que l’exigence de la négociation ne répondait plus à la situation ainsi créée. Et, surtout, c’était aux partis politiques de gauche de dire que, puisque le pouvoir refusait de céder, il fallait lui imposer de céder la place. Cette exigence n’a été portée que marginalement par les forces politiques, et nous sommes restés bien seuls lorsqu’il s’est agi d’articuler à la dynamique du « Tous ensemble » une perspective politique, que nous avons définie autour du thème de la dissolution et d’élections générales.
En revanche, le mouvement, par sa dynamique même de mobilisation et de politisation, en est venu à faire émerger des aspirations débordant du cadre de l’affrontement proprement dit sur les retraites : dès lors qu’a été détruit l’argumentaire officiel autour du discours sur la démographie, s’est imposée l’exigence d’un autre partage des richesses au nom de l’aspiration à plus de justice. On peut penser qu’au-delà de cette question apparaissait en germe la contestation du salariat : autour des questions liées au travail, face aux privilèges de l’argent, c’est le refus d’une existence seulement définie par le travail contraint, soumise à l’impératif du seul profit, qui émergeait, avec l’aspiration à une société permettant une vie autre…
D’où la possibilité que ce mouvement développe une onde de choc, diffusant une politisation en profondeur qui permette d’échapper à la démoralisation et à la retombée des énergies ; qu’au repli sur soi s’oppose une volonté de bousculer l’ordre établi et les scénarios politiques à courte vue.
Avec l’onde de choc du mouvement sur les retraites et les turbulences de la crise financière les différents dispositifs politiques en place sont soumis à des forces déstabilisatrices. La tentation générale est, plutôt que de chercher à apporter des réponses neuves, à défendre coûte que coûte les anciennes formules.
A droite, à l’interrogation sur la capacité du système de Sarkozy de maintenir sa domination 18 mois encore, on s’organise fébrilement pour gagner sa place dans un second quinquennat du même.
A gauche, le PS cultive les poisons des primaires – qui exacerbent les effets pervers du présidentialisme au lieu de les combattre. En se divisant quant aux ruptures à effectuer (ou non) avec le néolibéralisme, en promouvant sur la foi des seuls sondages la présidentialisation du président du FMI, en s’abandonnant aux rivalités fratricides, il est en voie de gâcher le capital de popularité gagnée au cours du mouvement et portée par la volonté massive de chasser Sarkozy.
Même au sein du Front de gauche on voit poindre les risques d’une polarisation sur 2012 et d’une captation par les logiques mortifères du présidentialisme.
C’est une tout autre logique que le Front de gauche doit assumer et dont il devrait s’affirmer porteur : celle d’une politique cohérente répondant aux défis de la situation, qui appelle à des ruptures radicales avec les impératifs du néolibéralisme et les reniements du social-libéralisme, celui de la construction d’une force politique de type nouveau, pluraliste, ouverte à tous le courants et militants partageant ses objectifs, une force populaire, ancrée dans les entreprises et le quartiers par le biais de collectifs militants de terrain, nouant des rapports de synergies dynamiques avec les mouvements sociaux, afin de travailler de manière militante à ces nécessaires ruptures.
Nous l’avons écrit dans notre lettre au PCF et au PG :
« Selon nous, le Front de gauche doit d’abord s’identifier par sa volonté de se hisser au niveau des attentes que les classes populaires et la majorité des citoyens viennent de manifester. De se montrer à la hauteur de l’aspiration unitaire que vient d’exprimer la mobilisation populaire. De situer son ambition, non à la gauche de la gauche ou à sa marge, mais en son coeur même. De se tourner sans frilosité, vers le peuple de gauche tout entier. De travailler à faire bouger les lignes au sein de la gauche, afin qu’y prévale enfin une logique résolument déterminée à affronter les intérêts dominants. De devenir, en quelque sorte, l’aile marchante d’une gauche digne de ce nom.
Nous nous permettons d’insister sur ces points : le contexte actuel diffère substantiellement de celui des élections européennes ou régionales de 2009 et 2010. La volonté d’en finir avec le sarkozysme ne cesse de grandir dans le pays. Elle nous fixe pour devoir de porter une offre politique cohérente, destinée tout à la fois à permettre le rassemblement nécessaire pour battre la droite et à ouvrir le chemin d’une authentique alternative de pouvoir. Dit autrement, notre Front de gauche se doit de faire la démonstration que la gauche ne peut répondre au désir d’unité qu’a manifesté le mouvement social et conquérir une majorité populaire que sur une ligne de rupture avec le libéralisme et le productivisme. C’est avec cette préoccupation qu’il lui faut engager publiquement le débat, sur la base de ses propositions, avec l’ensemble des forces de la gauche. Non pour servir d’aiguillon de celles-ci, mais pour en devenir le moteur et y changer la donne. Nous devons affirmer avec force que la seule manière pour la gauche de gagner est de se tourner vers les classes populaires et donc de se libérer des politiques de rigueur qui font payer la crise aux peuples, comme en Grèce ou en Espagne et dont le Front de gauche n’entend pas être le supplétif. »
Il s’agit pour le Front de gauche de se brancher sur les aspirations qu’a révélées le mouvement social.
D’abord la volonté de chasser Sarkozy, cette droite gavée de privilèges et ignorante de la réalité sociale.
Les chasser le plus vite possible. Non dans le respect des règles antidémocratiques de la Ve République, mais en rupture avec celles-ci. Pour s’intéresser davantage aux politiques proposées, qu’à la starisation des leaders, et pour donner la suprématie au législatif, expression de la volonté populaire, sur un exécutif générateur d’autoritarisme… Ce qui doit conduire à être prêt à saisir toute opportunité de recourir à des élections générales en lieu et place de la présidentielle.
Bref, les chasser, non pour laisser jouer une alternance en demi-teinte, mais pour ouvrir la voie à une tout autre politique.
Une politique assumant des ruptures radicales :
° Avec les logiques du capitalisme en crise, son austérité imposée, l’injustice sociale sans fin, les régressions dans tous les domaines, le massacre de l’environnement et le sacrifice de l’avenir des jeunes… C’est pourquoi l’exigence de l’abrogation de la loi Sarkozy-Fillon-Woerth sur les retraites, du retour au droit à la retraite à 60 ans à taux plein doit être consolidée comme un marquer décisif de toute politique se réclamant de la gauche.
° Avec le carcan de l’Union européenne, en dénonçant le Traité de Lisbonne, pour proposer une politiqua sociale et démocratique se déployant à l’échelle de l’Europe, permettant de construire une autre Europe, sociale et démocratique.
° Avec les régressions sur le plan de la démocratie et des libertés, la monopolisation du pouvoir entre quelques mains, l’asservissement des médias…
° Pour imposer d’autres logiques sociales, démocratiques, environnementales, un autre modèle de développement économique, assurant la sécurité de l’emploi, les droits à l’éducation, à la culture, à la santé, au logement, à des transports de qualité… A une vie digne et belle !
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