Helios Gomez 
et Josep Bartoli, affichistes rouges de la République espagnole

mercredi 28 décembre 2011.
 

La vie et l’œuvre d’Helios Gomez et de Josep Bartoli sont aussi mouvementées que le siècle passé. Le premier a grandi à Séville dans une famille paysanne d’origine gitane. Ouvrier céramiste dans la fameuse Cartuja de Séville, il suit des cours à l’École des arts et métiers de la capitale andalouse, publie ses premières œuvres dans le journal anarchiste Paginas libres et réalise en 1925 sa première exposition. Anarchiste un premier temps, puis communiste, pour finir communiste de cœur, il voyage énormément, au gré des menaces d’emprisonnement qui pèsent sur sa personne. Paris, Bruxelles, Moscou, Berlin, Vienne, Madrid, Barcelone… cotoyant les intellectuels de son temps.

L’itinéraire d’Helios Gomez épouse les méandres de l’entre-deux-guerres, guidé par l’idéal révolutionnaire, la solidarité internationale, mettant sans cesse son art au service de la révolution. Il croise la route de Josep Bartoli, ouvrier graveur qui révèle très vite des talents de dessinateur et peintre. Tous les deux collaborent à des journaux communistes, à la presse républicaine qui, de l’avènement de la IIe République en 1931 jusqu’à sa chute, libère les esprits et favorise la création de beaucoup de journaux.

Les deux artistes dessinent à tour de bras  : des affiches, des unes, illustrant toute une série de revues et publications diverses. Pendant la guerre d’Espagne, ils sont, tous les deux, aux avant-postes pour défendre la République. Gomez participe aux barricades de Barcelone, se bat sur le front de Majorque puis ceux d’Aragon, de Madrid et d’Andalousie. Bartoli avait fondé en 1936 à Barcelone le Syndicat des dessinateurs affilié à l’UGT. Militant alors du Poum (Parti ouvrier d’unification marxiste) avant de rejoindre les rangs du Psuc (Parti communiste catalan), il part sur le front d’Aragon en 1938, participe à la bataille de Belchite.

En 1939, dans les conditions tragiques de l’exode républicain, Helios Gomez et Josep Bartoli seront tous deux internés dans les camps dressés par les autorités françaises dans le sud de la France. Le premier connaîtra les camps d’Argelès, de Bram, de Vernet dans l’Ariège, puis sera déporté dans le camp français de Djelfa en Algérie. Il retournera clandestinement en Espagne en 1942. Souvent incarcéré à la prison Modelo de Barcelone, il mourra, épuisé, malade, en 1956.

Bartoli est interné un premier temps dans le camp de Barcarès. Transféré au camp de Bram, il s’évade et s’enfuit à Paris. À l’arrivée des troupes allemandes dans la capitale française, il espère gagner Bordeaux. Arrêté par la Gestapo, sur le point d’être déporté à Dachau, il parvient une fois de plus à s’enfuir. Il se réfugie Valras et embarque à Marseille sur le Lyautey. Il finira par rallier Casablanca via Oran d’où il pourarejoindre le Mexique. Là-bas, il fréquentera Diego Rivera, Frida Kahlo. Peu après, il s’installera à New York où il ne cessera de peindre jusqu’à sa mort, en 1995.

Les itinéraires de ces enfants terribles d’un siècle encore plus terrible témoignent d’un engagement artistique et politique qui les réunira jusqu’après leur mort. On peut imaginer que c’est lors de leur enfermement dans le camp de Bram que Gomez et Bartoli se sont vus pour la dernière fois. Peut-on imaginer le courage, la volonté, la force de conviction de ces deux artistes qui jamais ne renoncèrent à leur art  ? On pense à Bartoli, les doigts couverts d’engelures, croquant ses frères d’infortune sur les plages françaises sur des bouts de papier récupérés de-ci de-là. Ces dessins, précis, riches jusque dans le moindre détail, sont un témoignage d’une rare véracité sur le sort réservé aux républicains espagnols. On pense à Gomez (à qui il était défendu de peindre ou de dessiner) soudain convoqué par le directeur de la Modelo, comme on dit à Barcelone, sommé d’exécuter une fresque dans la chapelle mise à disposition des prisonniers avant qu’ils ne fussent garrottés. Gomez, irréductible, saisit l’occasion et peint une fresque où la Vierge a le visage noiraud et l’enfant Jésus est frisé comme un petit Gitan. Cette fresque est aussitôt baptisée la Capilla gitana.

L’on doit cette exposition à quelques personnes bien déterminées, aux familles Gomez et Bartoli mais aussi la libraire Envie de lire d’Ivry-sur-Seine. L’exposition a d’ailleurs été accrochée dans une version plus modeste à l’espace Robespierre, avant de s’installer à l’espace Niemeyer, au siège du PCF. Une occasion inédite pour découvrir les œuvres de ces deux artistes au style si particulier, si singulier. Le trait de l’un, celui d’Helios Gomez, en noir et blanc, précis, sûr de lui, taille au scalpel des scènes qui mettent en scène le peuple, dans la misère, en révolte ou réprimé, ainsi que des portraits de figures historiques d’importance (Rosa Luxemburg, Eisenstein ou Lénine). On devine chez cet artiste globe-trotter et cosmopolite, touche à tout, l’influence de l’avant-garde russe mais aussi celle, lointaine mais certaine, de l’expressionnisme allemand. Le trait de Josep Bartoli dans ses dessins de guerre, raconte avec une concision et une force déconcertantes les camps, la misère humaine. Ces dessins, s’ils dérangent par leur contenu, explorent l’univers du camp avec une acuité bouleversante. Nul besoin de mots, quand l’image, la force de l’image emporte tout sur son passage.

Deux artistes, deux œuvres qui ne se ressemblent pas mais se rassemblent et se croisent à l’intersection d’une perspective historique et révolutionnaire. Une exposition d’une telle envergure qui réunit de nombreuses toiles et dessins permettra de découvrir le talent, la modernité graphiste de ces deux artistes qui, du bout de leurs crayons, nous laissent l’un des témoignages les plus bouleversants de la révolution en Espagne.

Marie-José Sirach


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