Aujourd’hui largement méconnue dans notre pays, la figure de Largo Caballero, décédé il y a soixante-cinq ans à Paris, mérite de sortir de l’ombre pour trouver sa place dans la galerie des grands dirigeants du mouvement ouvrier du XXe siècle. Syndicaliste, leader du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), orateur fougueux, homme à l’honnêteté extrême, président du gouvernement républicain durant la guerre civile, exilé puis déporté durant la seconde guerre mondiale, le parcours et la vie militante de Caballero furent intenses et sans répit. Au cours de ces terribles années 1930, la violence des affrontements idéologiques et politiques, liés à la montée de l’extrême-droite et à la terrible crise économique débutée en 1929, a façonné des parcours hors du commun. Surnommé le « Lénine espagnol » lors des chaudes journées de l’été 1936 où les masses ouvrières et paysannes d’Espagne parvinrent à bloquer provisoirement l’offensive fasciste du franquisme, l’itinéraire du militant Caballero ne fut pourtant pas rectiligne. Longtemps assimilé à l’aile la plus modérée du socialisme espagnol, c’est sous la pression des luttes sociales que Caballero adopte une ligne révolutionnaire et internationaliste de plus en plus intransigeante. Incarnation de la résistance des travailleurs au fascisme, le socialiste modéré se mue alors en orateur et propagandiste d’un anticapitalisme de masse. Envolées lyriques et révolutionnaires sans cohérence ou authentique évolution de fond ? Sans doute un peu des deux… Vaincu par la peste fasciste et écœuré par l’hydre stalinienne, c’est un homme fatigué et découragé qui meurt en 1946. Faire toute la lumière sur son parcours, ses combats et son évolution marquée vers la gauche mais aussi analyser lucidement ses limites à l’aune de cette révolution espagnole qui, victorieuse, aurait pu changer la face du monde et du XXe siècle, est ici notre modeste dessein.
Le syndicaliste et le dirigeant de grèves
Né en octobre 1869 à Madrid, le jeune Caballero grandit dans une famille pauvre. Il devient ouvrier du bâtiment et se spécialise dans la technique du stuc. Dès l’âge de 21 ans, il devient militant syndical et participe à la grève des salariés de la construction en 1890. Quatre ans plus tard, en 1894, il adhère au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Fondé clandestinement en mai 1879 par l’imprimeur Pablo Iglesias, le PSOE est un des premiers partis ouvriers et marxistes d’Europe. A la même époque, le mouvement ouvrier français se relève à peine de la répression de la Commune tandis que le SPD allemand, créé en 1875, n’est pas encore la grande organisation que l’on connaît et vit sous la botte de fer du chancelier Bismarck. A la fin du XIXe siècle, l’Espagne est une monarchie autoritaire dirigée par la famille des Bourbons depuis 1874. Le système politique est dominé par les caciques régionaux, les conservateurs et les libéraux se partagent alternativement le pouvoir. Une brève République a été proclamée en 1873 mais, vaincue par un coup de force militaire, son existence fut très brève. Le mouvement ouvrier est étroitement surveillé et les grèves réprimées impitoyablement. Le courage et la popularité de Pablo Iglésias, qui prend en personne la tête de la grande manifestation ouvrière du 1er mai 1890, permettent de développer le PSOE et d’ancrer l’UGT (Union générale des travailleurs) auprès des travailleurs. Fondée en 1888 par les socialistes, cette centrale syndicale doit compter avec la concurrence des courants anarchistes très influents auprès des ouvriers agricoles et dans toute la Catalogne. Les diverses sensibilités anarcho-syndicalistes se regroupent en 1910 dans la CNT (Confédération nationale du travail) et contestent au marxisme, au PSOE et à l’UGT la représentation des masses exploitées d’Espagne. Le PSOE fait élire son premier député en 1910, sa progression est donc lente mais constante. Le pays est encore peu industrialisé et reste relativement en marge du capitalisme mondial. L’Espagne qui a connu son apogée aux XVIe et XVIIe siècles perd ses dernières colonies en 1898 (notamment Cuba) et reste largement en dehors du partage du monde entre les impérialismes rivaux qui conduiront à la boucherie de 1914-1918. L’Eglise catholique joue un rôle de premier plan dans la vie sociale et politique du pays, elle reste un puissant relai de la réaction en même temps qu’un des plus importants propriétaires fonciers.
Le jeune Caballero inscrit ses pas dans ceux d’Iglésias et rentre à la direction du PSOE et de l’UGT. En août et septembre 1917, il est l’un des dirigeants de la grande grève générale insurrectionnelle qui éclate à l’appel de la CNT et de l’UGT. Ce mouvement réclame la fin de la monarchie, l’élection d’une constituante, des hausses de salaires et le partage des terres. En pleine guerre mondiale, même si l’Espagne est restée neutre, et à quelques mois de l’Octobre russe, ce mouvement frappe par sa radicalité et son ancrage. Brutalement réprimée par le régime en place, cette insurrection, aujourd’hui largement oubliée, a montré que le mouvement ouvrier espagnol était déterminé et prêt à en découdre. Cinq cents travailleurs sont tués tandis que deux mille sont arrêtés et emprisonnés arbitrairement. L’unité syndicale UGT-CNT a été l’instrument naturel et le cadre de mobilisation des masses, mais un outil politique résolu à prendre le pouvoir a probablement manqué aux travailleurs en lutte. Largo Caballero joue un rôle non négligeable dans ce mouvement et en paie aussitôt le prix, au même titre que les autres dirigeants de la gauche ibérique. Il est condamné et emprisonné à Carthagène. D’autres, comme le syndicaliste révolutionnaire Durruti ou le socialiste Prieto, doivent s’exiler en France. Caballero reste emprisonné un an avant d’être libéré en 1918. Il vient d’être élu député aux Cortés aux côtés de cinq autres socialistes. Une nouvelle période militante s’ouvre pour lui.
Le socialiste modéré
Entre 1918 et 1920, l’onde de choc de la révolution russe se fait sentir dans toute l’Europe. Le vieux monde craque de toutes parts, les grèves se multiplient en France, en Angleterre, en Autriche, en Allemagne et des insurrections, un temps victorieuses, éclatent en Hongrie et à Berlin. La création de l’Internationale communiste en mars 1919 entraîne des débats et des réalignements importants dans toute la gauche continentale. Le soutien presque inconditionnel des partis sociaux-démocrates européens à la guerre et la faillite de la IIe Internationale face à l’Union sacrée, mettent à l’ordre du jour la construction d’une Internationale nouvelle. En Espagne également, « la grande lueur d’espoir venue de l’Est » fait ressentir ses effets. Selon Pierre Broué « l’impact de la révolution russe, l’accroissement des contradictions sociales, rendent particulièrement vigoureuse en Espagne la montée de l’agitation ouvrière (…) . Les effets de la poussée révolutionnaire sont sensibles à l’intérieur du mouvement syndical, notamment dans la CNT qui décide, un temps, d’adhérer à la IIIe Internationale. Plusieurs de ses dirigeants anarcho-syndicalistes, tels les catalans Nin et Maurin ont été gagnés au marxisme, même si le courant libertaire y demeure puissant. Dans le PSOE aussi, les partisans de l’adhésion à l’Internationale de Lénine et Trotski se sentent pousser des ailes. Les jeunesses socialistes, enthousiasmées par les bolcheviks russes, décident de créer le Parti communiste espagnol en mars 1920 tandis que, dans le même temps, le débat interne continue de faire rage dans le PSOE. Largo Caballero est en première ligne dans la mesure où Pablo Iglésias, figure tutélaire du socialisme espagnol, tombe malade en 1919 et se retire de toute vie militante active. Caballero, appuyé par son futur rival Prieto, tient tête à l’aile gauche du parti qui tente jusqu’au bout d’entraîner la majorité des militants dans la IIIe Internationale. Pour Caballero, le PSOE doit rester uni et travailler, en lien avec les socialistes autrichiens, les indépendants allemands et le courant de Jean Longuet en France, à la reconstruction de l’Internationale mais sans s’aligner sur les desiderata du russe Zinoviev. Le courant de gauche, dit des « terceristas », finit par quitter le PSOE en 1921 pour fusionner avec les jeunes fondateurs du premier parti communiste espagnol. Caballero, secrétaire général de l’UGT puis leader du parti socialiste , est désormais l’un des plus important dirigeant de la gauche espagnole qui va devoir faire face à la dictature du général Primo de Rivera.
L’agitation ouvrière retombe dans toute l’Europe en 1922-1923, laissant les communistes russes isolés face à un capitalisme qui reprend de la vigueur. En Espagne, pour stabiliser une situation sociale encore instable (des révoltes paysannes éclatent très régulièrement), le roi Alphonse XIII fait appel au général Primo de Rivera, qui opère un coup d’Etat en septembre 1923. Il s’impose comme chef du gouvernement et installe une dictature qui instaure l’état de siège et place aussitôt sous surveillance le mouvement syndical. La CNT bascule dans la clandestinité et se déchire entre anarchistes et communistes, tandis que l’UGT décide, sous l’impulsion de Caballero, de faire profil bas devant Primo de Rivera. Lorsque celui-ci met en place des comités paritaires de co-gestion, sur le modèle du corporatisme mussolinien, l’UGT participe à cette instance. Pire, Caballero devient même conseiller d’Etat et s’attire les foudres du numéro deux du PSOE, son rival Prieto. La base sociale de la dictature s’effiloche cependant assez vite et, acculé, Primo de Rivera doit céder le pouvoir en 1930. C’est alors que toute l’opposition républicaine décide de s’unir et parvient à l’emporter très largement lors des élections municipales du 14 avril 1931. Même la CNT appelle à voter contre les monarchistes ! Complice de la dictature, affaibli voire affolé par cette victoire, le roi quitte l’Espagne, la Seconde République est alors proclamée. Un nouveau gouvernement est formé, le PSOE y fait son entrée aux côtés de républicains modérés et de catholiques conservateurs. Caballero exerce alors les fonctions de ministre du travail. De son côté, le Parti communiste espagnol, servilement aligné sur la ligne irréaliste « classe contre classe » défini par Staline appelle à la constitution immédiate de conseils ouvriers et dénonce le PSOE et son principal dirigeant comme social-fasciste ! Entre la participation de Caballero à un gouvernement du centre et la ligne gauchiste et inconséquente du PCE, les voix d’Andrés Nin, porte-parole espagnol de l’opposition de gauche trotskiste et de Joaquim Maurin, leader du Bloc ouvrier et paysan , ont du mal à porter. L’accession aux responsabilités du secrétaire de l’UGT reste cependant un espoir pour les ouvriers et paysans pauvres. Devant tenir compte de cette pression, Caballero prend quelques mesures importantes, notamment un décret qui oblige les grands propriétaires à mettre en culture leurs terres en friche. Une réforme agraire limitée, mais qui exproprie quelques grands domaines, est aussi mise en place. Le gouvernement, assez timide sur le plan social, donne à son action une nette coloration anticléricale en mettant en œuvre la Séparation de l’Eglise et de l’Etat et la laïcisation de l’enseignement. Ces quelques mesures, même si elles n’attaquent pas frontalement la structure sociale inégalitaire de l’Espagne, mécontentent les milieux dirigeants et la hiérarchie catholique. Cependant, le gouvernement républicain, et notamment Caballero, sait aussi servir de rempart aux revendications sociales et à l’agitation entretenue par la CNT. En 1932 et 1933, des grèves importantes éclatent en Catalogne et en Andalousie, elles sont impitoyablement réprimées. La CNT, désormais dirigée par la FAI (Fédération anarchiste ibérique) de Durruti entretient un climat de contestation permanent et développe son influence au détriment de l’UGT, directement associée au pouvoir via Caballero lui-même, tandis que le PCE continue de tempêter dans son ghetto contre les socialistes, « frères jumeaux du fascisme » selon ses termes d’alors.
Le changement de régime et sa politique réformiste modérée déçoivent les masses paysannes et ouvrières qui attendaient tant (trop ?) de la proclamation de la République. En novembre 1933, la droite unie gagne les législatives, tandis que le PSOE, sans allié après sa rupture avec les républicains modérés, perd la moitié de ses élus. L’abstention populaire progresse, démontrant la déception face au pouvoir en place depuis 1931. A partir de là, Largo Caballero, incarnation du réformisme, va s’interroger en profondeur sur les causes de cette défaite. Il en tire des leçons singulières qui l’amènent loin de sa ligne politique habituelle.
La radicalisation
En gestation dès la rupture du PSOE avec ses alliés de droite, une puissante aile gauche socialiste se constitue. Son porte-parole n’est autre que Caballero lui-même ! Broué écrit : « l’Homme qui a été pendant cinquante ans le chef du file du réformisme et de la collaboration de classes tient un langage neuf et pour le moins surprenant. Pour lui, l’expérience des premières années de la République est claire : il n’y a rien à attendre de la petite bourgeoisie et des partis républicains ». Andrés Nin constate même que le leader du PSOE se met à tenir « un langage purement communiste allant même jusqu’à préconiser la nécessité de la dictature du prolétariat ». L’évolution de Caballero est certainement encouragée par celle des Jeunesses socialistes qui deviennent en 1934 le fer de lance d’une gauche socialiste offensive, se battant pour le rassemblement de tous les partis ouvriers. De même, la défaite terrible d’une gauche allemande divisée face au nazisme, la reddition sans gloire des socialistes autrichiens face à Dollfuss et l’approfondissement de la crise sociale poussent Caballero à la radicalisation.
Face au nouveau gouvernement de droite, dirigé par Leroux, qui démantèle méthodiquement les conquêtes de 1931-1933, la réaction de la gauche ne se fait pas attendre. Constituée dès l’été 1933 en Catalogne, l’Alliance ouvrière est le cadre naturel de la contre-offensive. Ce sont les militants du Bloc ouvrier et paysan et les trotskistes de la Gauche communiste qui sont à l’origine de cette structure, qui exclut toute alliance avec les partis républicains modérés. Elle rassemble au départ la Gauche communiste, le Bloc ouvrier et paysan, l’UGT et les socialistes catalans. La CNT reste méfiante et divisée, même si une importante minorité de la confédération y participe, tandis que le PCE mène une virulente campagne contre cette structure de front unique. Au printemps 1934, l’Alliance appelle à des grèves massivement suivies à Valence, en même temps qu’elle étend son influence à Madrid, où Largo Caballero pèse de son poids pour le ralliement du PSOE à cette union inédite des gauches. En octobre 1934, l’Alliance réagit fermement à l’entrée au gouvernement de la CEDA (Confédération espagnole des droites autonomes), parti fascisant dirigé par Gil Roblès. Le 5 octobre, la grève est générale dans toute la Catalogne, à Madrid et dans les Asturies. Largo Caballero, soutenu par les Jeunesses socialistes, se montre même favorable à une insurrection armée s’appuyant sur la grève des travailleurs pour résister et vaincre. Pour Priéto, se trouvant cette fois à la droite du PSOE, une insurrection serait prématurée : il faut, selon lui, chercher l’alliance traditionnelle avec les républicains de Manuel Azana et tempérer le mouvement gréviste ascendant. Rapidement contenu à Barcelone et à Madrid, le mouvement se généralise dans les Asturies. Dans cette région, située au nord ouest de l’Espagne, c’est toute la CNT qui participe à l’Alliance ouvrière et son influence auprès des paysans pauvres est décisive pour entraîner les masses dans le combat contre le pouvoir. La grève tient trois semaines et fait trembler le gouvernement Leroux. Réprimé brutalement, notamment par un général dénommé Franco, le soulèvement des Asturies coûte la vie à trois mille travailleurs, entraîne l’arrestation de vingt mille militants et la fermeture de tous les journaux de gauche de la région. Le PCE s’est tenu à l’écart de ce mouvement de masse vaincu mais qui, encore une fois, a prouvé la capacité de mobilisation d’une majorité des travailleurs espagnols. Cette défaite pousse Largo Caballero, qui fait même un détour par la case prison à l’automne 1934, à radicaliser encore sa ligne politique pour faire du PSOE un véritable parti révolutionnaire. Selon Pierre Broué : « Largo Caballero, porté par le mouvement naturel de radicalisation des masses, s’en est fait le porte-parole et devient à sa tour, par son action, un des plus puissants facteurs de son accélération. En prison le vieux militant réformiste découvre les classiques du marxisme, s’enthousiasme pour la lecture de l’Etat et la Révolution, pour Lénine et pour la révolution russe »
Le Lénine espagnol ?
Favorablement impressionné par l’évolution de Caballero, des jeunes socialistes et de tout un pan du PSOE, Léon Trotski préconise fin 1934 l’entrée de ses partisans espagnols dans le parti socialiste.
Féconder l’aile gauche, peser sur la ligne du premier parti ouvrier d’Espagne et favoriser une issue révolutionnaire est l’objectif avoué du dirigeant de la IV eInternationale. Au même moment, les trotskistes français adhèrent en bloc, avec les mêmes objectifs, à la SFIO de Léon Blum et Marceau Pivert. Cependant, Andrés Nin et la majorité de l’opposition de gauche espagnole refusent la proposition de Trotski et fusionnent avec le Bloc ouvrier et paysan de Maurin pour constituer le POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste). Nin doute-il de la sincérité et de la solidité du changement de ligne de Caballero ? Certainement, tant la phraséologie nouvelle du vieux leader de l’UGT paraît surprenante, mais ce refus d’entrer dans le PSOE fut une erreur politique importante. En effet, sentant la situation internationale évoluer en défaveur de la diplomatie et de la bureaucratie soviétique, Staline ordonne un tournant stratégique spectaculaire à l’Internationale communiste.
C’est le lancement des Fronts populaires que les communistes staliniens vont présenter comme la meilleure arme antifasciste. C’est surtout le moyen de rompre l’isolement total dans lequel se trouvent la plupart des PC européens. Resté en marge de l’Alliance ouvrière et sentant que l’évolution de Caballero place désormais le PSOE en situation d’incarner LE parti anticapitaliste de masse, le PCE se met soudain à parler d’unité de la gauche et de rassemblement populaire. La gauche du PSOE et les JS ne perçoivent pas du tout ce tournant et se montrent même partisans d’un rapprochement immédiat et sans condition avec les « frères » communistes. Les liens s’étant distendus avec Nin et Maurin, qui ne prennent pas au sérieux les discours de Caballero, la gauche socialiste ne fait aucune analyse du phénomène stalinien. Très vite, les dirigeants de la JS, notamment Santiago Carrillo, basculent et œuvrent à la fusion entre les jeunesses socialistes et communistes. Les agents de Moscou sont à l’œuvre et rien n’est de trop pour « convaincre » et acheter des socialistes qui se mettent alors à chanter les louanges de la grande URSS et du « camarade » Staline. La poussée à gauche des masses espagnoles et de la base du PSOE profitent donc au PCE qui, sans influence jusqu’en 1935, se présente comme le porte-drapeau de la lutte contre la réaction. De leurs côtés, le POUM ainsi que la CNT se développent en Catalogne mais n’ont pas derrière eux la logistique et les moyens de l’Internationale communiste. Le rapport de force en leur défaveur est déjà flagrant… La droite, au pouvoir depuis deux ans désormais, ne parvient à résoudre aucun des problèmes posés à l’Espagne et subit la pression d’une frange fascisante de plus en plus déterminée à se débarrasser d’un mouvement ouvrier très combatif. Les Cortés sont dissoutes en décembre 1935 et des élections législatives sont prévues pour février 1936. Quelle va être l’attitude de la gauche et notamment des socialistes face à cette échéance décisive ? Les républicains de gauche signent un accord avec le PSOE, ils sont rejoints par le PCE, le POUM qui malgré ses critiques, se rallie au « Frente popular » par crainte de l’isolement, par l’UGT et par les autonomistes catalans. Seule la CNT reste en dehors du rassemblement, tout en y apportant un soutien critique. Largo Caballero critique fermement cette alliance avec les partis centristes mais, en décembre 1935, il est mis en minorité sur cette question au comité exécutif du PSOE par les deux leaders de l’aile droite, Priéto et Negrin. Comme le POUM, Caballero critique un accord qui n’apporte aucune issue politique aux revendications des masses, et surtout, lie le sort des partis ouvriers (PSOE, PCE, POUM) et des syndicats à la ligne hésitante et conciliatrice des républicains de Manuel Azana. Minoritaire dans son parti, Caballero menace même d’une scission de la gauche socialiste si des ministres PSOE siègent aux côtés des modérés en cas de victoire. C’est le PCE qui se montre le plus fidèle défenseur de cette stratégie de Front Populaire, passant donc du sectarisme le plus borné à un opportunisme sans principe, et cela dans le seul intérêt de Staline. Ils n’oublient pas moins de cibler leurs adversaires en tentant de faire barrage à l’entrée du POUM (dirigé par les « renégats » Maurin et Nin) dans le comité du Front Populaire à Madrid. C’est Caballero en personne qui pèse de tout son poids, contre le PCE, pour que les poumistes trouvent toute leur place dans l’alliance.
En février 1936, le Frente popular l’emporte dans les urnes, cent-vingt-et-un députés républicains sont élus, quatre-vingt-dix socialistes, trente-huit catalanistes, seize communistes et un représentant du POUM. Azana forme un gouvernement sans participation socialiste, et promulgue aussitôt une grande loi d’amnistie pour les faits ayant trait à la grande grève de 1934, il confirme le statut d’autonomie de la Catalogne et la reprise de la réforme agraire. Dans toute l’Espagne, les masses sont mises en ébullition par cette victoire. Les Jeunesses socialistes et les partisans de Caballero organisent d’immenses défilés de la victoire où ils réclament une accélération des réformes et la constitution d’un gouvernement ouvrier. La droite s’inquiète, réagit fermement et commence à fomenter un coup fatal. Au cours du mois de mars, la maison de Caballero est la cible de tirs à balles réelles. C’est lui qui est désormais la cible de tous ceux qui craignent une issue socialiste et anticapitaliste à la crise espagnole, en même temps qu’il incarne l’espoir pour des milliers d’ouvriers et de paysans. Il défend la création d’une centrale unique des travailleurs, l’indépendance de la colonie marocaine et la mise en place d’une armée populaire pour défendre la révolution contre les fascistes. Au congrès de l’UGT, en avril 1936, il déclare : « pour établir le socialisme en Espagne, il faut triompher de la classe capitaliste et établir notre pouvoir ». Il gagne alors le surnom de Lénine espagnol. En juin, il encourage la grève des ouvriers du bâtiment de Madrid déclenchée par la CNT. Aussitôt, la droite du PSOE l’accuse de faire le jeu des anarchistes et de faire le lit du fascisme en soutenant l’agitation sociale. Fin juin, Caballero est à nouveau mis en minorité dans les instances de son parti. Priéto prend définitivement le dessus et contrôle désormais fermement l’appareil du PSOE.
Tapi dans l’ombre depuis la victoire républicaine de février et attentive au moindre mouvement de grève, la hiérarchie militaire prépare un coup de force qui intervient, avec le soutien du patronat et de la majorité du clergé, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1936. Le boucher des Asturies, le général Franco en prend la tête. Le mouvement ouvrier n’est pas surpris le moins du monde par ce putsch militaire et réagit immédiatement. Les ouvriers s’arment et se soulèvent à Oviédo, à Valence, à Madrid, au Pays Basque, à Barcelone et, encadré par leurs partis et leurs syndicats, prennent en main le pouvoir via des comités de base. Dans presque toutes les grandes villes, hormis à Saragosse et en Andalousie, le coup d’Etat est mis en échec. Broué résume ainsi la situation à la fin du mois de juillet 1936 : « ou bien les militaires ont vaincu, et les organisations ouvrières et paysannes sont interdites, leurs militants emprisonnés et abattus (…). Ou bien le soulèvement militaire a échoué, et les autorités de l’Etat républicain ont été balayées par les ouvriers qui ont mené le combat sous la direction de leurs organisations regroupées dans des comités qui s’attribuent (…) tout le pouvoir et s’attaquent à la transformation de la société. L’initiative de la contre-révolution a déclenché la révolution ». La situation n’est donc pas sans rappeler la révolution russe où, après le soulèvement bolchévik victorieux d’octobre 1917, le pouvoir appartient aux Soviets. En Espagne, dans les zones qui ont résisté à Franco, cohabitent donc deux formes de pouvoir : celui de l’Etat républicain issu des élections de février mais incapable de défendre le peuple contre le fascisme, et celui des comités de travailleurs directement issus du soulèvement armé. Face à cette donnée nouvelle, deux stratégies politiques, sociales et militaires se font immédiatement face. Les communistes et l’aile droite du PSOE défendent la légalité républicaine et jugent prématurée la formation d’un gouvernement ouvrier transformant l’Espagne en démocratie socialiste. Pour eux, la révolution populaire effraiera la petite bourgeoisie et les républicains modérés et favorisera les franquistes. En face, le courant de Largo Caballero et le POUM veulent au contraire accélérer le processus révolutionnaire, exproprier la bourgeoisie et les grands propriétaires pour s’assurer le soutien total des masses et ainsi vaincre Franco. En ces journées décisives et enfiévrées, où se jouent le sort de l’Espagne, Largo Caballero s’exprime avec force : « Le peuple n’est pas en train de se battre pour l’Espagne du 16 juillet, sous la domination sociale de castes héréditaires, mais pour une Espagne dont on aurait extirpé toutes leurs racines. Le plus puissant auxiliaire de la guerre c’est l’extinction économique du fascisme. C’est la révolution à l’arrière, qui donne assurance et aspiration à la victoire sur les champs de bataille ». La CNT, héroïque dans la défense de son bastion de Catalogne, oscille entre ces deux lignes. Beaucoup de ses militants penchent pour l’option révolutionnaire mais leur méfiance instinctive du pouvoir d’Etat, héritée de la culture anarchiste, leur interdit de trancher vraiment. Durant quelques semaines, des expériences locales de socialisation des usines et des terres sont menées mais, faute d’une direction politique suffisamment forte et unie, le pouvoir central reste entre les mains des républicains modérés alors qu’il tendait les bras aux organisations ouvrières.
Le chef du gouvernement
Alors qu’il était, depuis plus d’un an, un adversaire acharné de l’alliance avec les républicains de gauche, Largo Caballero prend la tête d’un gouvernement de Front populaire en septembre 1936. Ce n’est pas simple d’expliquer ce revirement. L’opportunisme serait une réponse trop simple, tant les évènements qui vont suivre vont prouver que Caballero était aussi capable de résister aux diktats que l’on tentera de lui imposer. La montée en puissance des communistes dans l’alliance antifranquiste est certainement la piste la plus plausible. En ce début d’automne 1936, l’Espagne républicaine est lâchement abandonnée à son sort par le gouvernement français qui signe un hypocrite pacte de non-intervention avec l’Angleterre, tandis que les nationalistes reçoivent l’aide de plus en plus ouverte d’Hitler et Mussolini. De son côté, l’URSS apporte son aide technique et logistique aux antifranquistes. Staline a compris le prestige qu’il pouvait tirer de cette intervention en même temps qu’elle lui permet, en jouant du chantage à l’armement, de placer les communistes à tous les postes clés. Les soviétiques craignent également l’influence du POUM, qui dénonce avec virulence le stalinisme et les procès de Moscou, de la gauche socialiste et des anarchistes. Staline pense-t-il encore possible de « récupérer » Largo Caballero ? Celui qui incarne la résistance aux yeux de milliers de travailleurs doit en tous cas être pour l’instant ménagé par les communistes. Le gouvernement Caballero comprend des ministres socialistes, communistes, républicains et même des dirigeants de la CNT à partir du mois de novembre. L’aide russe et l’unité semble porter leurs fruits puisque les assauts franquistes sur Madrid sont contenus et repoussés fin 1936. Cependant, l’enthousiasme révolutionnaire, la soif de justice et la volonté d’en finir avec la bourgeoisie qui avaient marqué les journées de juillet 1936 sont désormais retombés. Les comités et les organes de contrôle ouvriers sont dissous, l’armée républicaine se professionnalise, le peuple est tenu à l’écart de la guerre. La ligne du PC et de la droite du PSOE, faire la guerre avant la révolution, semble être en train de l’emporter alors que même que Caballero est à la tête du gouvernement. Se sentant certainement dépendant de l’aide militaire de l’URSS, devant donc ménager le PCE et maintenir le lien avec les républicains modérés, le leader de la gauche socialiste mène une politique conciliatrice, qui affaiblit en réalité la capacité de mobilisation militaire des paysans et des ouvriers. Staline en personne écrit à Caballero en décembre 1936 pour lui donner quelques « conseils ».
Pour le chef de l’URSS, il faut ménager la petite bourgeoisie, respecter à tout prix la propriété et tout faire pour que l’Espagne n’apparaisse surtout pas comme une République communiste ! Méfiant envers ces directives, Caballero refuse la fusion du PSOE et du PCE préconisée par les envoyés de l’Internationale communiste. Le chef du gouvernement fait certainement un bilan négatif de la création du PSUC (Parti socialiste unifié de Catalogne qui rassemble le PS et le PC catalan) et des Jeunesses socialistes unifiées, désormais fermement contrôlées par les staliniens. Il comprend que cette unité organique PS-PC se fera forcément contre son courant et le marginalisera tant la droite du PSOE et les communistes ont des intérêts convergents et défendent la même ligne politique. Les rapports entre Caballero et les staliniens, déjà tendus, deviennent glaciaux dès le début de l’année 1937.
Ecarté par les staliniens
Le point de tension ultime va venir de Barcelone. Bastion de la résistance à Franco où la lutte est principalement menée par le POUM et la CNT, la capitale de la Catalogne subit les assauts staliniens depuis déjà plusieurs semaines. Un gouvernement régional autonome a été mis en place en septembre. Le POUM, en la personne d’Andrés Nin ministre de la Justice, y participe aux côtés des autonomistes, de la CNT et du PSUC. Désirant se débarrasser du POUM, les staliniens et les envoyés de Moscou font pression sur Caballero pour qu’il accepte de réprimer les militants du parti marxiste catalan. Une violente campagne est menée par la presse communiste contre le POUM, accusé de trahison, d’espionnage et affublé de l’infamante étiquette d’Hitléro-trotskiste. Au début du mois de mai, alors que les communistes tentent de reprendre le contrôle de la compagnie de téléphone tenue par des syndicalistes de la CNT, la riposte des masses ouvrières barcelonaises est immédiate. La ville se couvre de barricades, le POUM et la CNT dirigent cette nouvelle insurrection de la ville rouge. Le pouvoir est à prendre mais la CNT semble hésiter. A Valence, ou siège désormais le gouvernement, les ministres communistes pressent Caballero d’envoyer sur place la police pour rétablir l’ordre. Le chef du gouvernement sent bien que les communistes cherchent à instrumentaliser ce soulèvement. Il œuvre pour une issue sans vainqueur ni vaincu en tentant de ménager les deux camps en présence. Aurait-il dû s’appuyer sur cette insurrection pour se débarrasser politiquement des staliniens et des socialistes de droite ? Peut être, mais il n’ose franchir le pas. Il tente néanmoins d’empêcher une intervention policière en Catalogne avant d’être mis en minorité, le 5 mai 1937, au sein de son propre gouvernement sur cette question. Le 6 mai, cinq mille policiers sont transférés à Barcelone et le lendemain, découragé et désabusé, le puissant mouvement ouvrier de la ville lève les barricades. Les staliniens viennent de remporter une bataille décisive mais il est désormais clair que Largo Caballero est devenu un obstacle pour eux. Dès le 10 mai, le PCE sonne la charge contre le chef du gouvernement qui, désormais largement minoritaire dans le PSOE, se retrouve isolé et sans soutien. Victor Albà, historien et ancien militant du POUM, en convient luimême, son organisation ne l’a pas assez soutenu. Il écrit : « On [les communistes staliniens] se proposait de rendre difficile la respiration des poumistes, mais aussi d’asphyxier Largo Caballero. Or les poumistes ne s’en rendirent pas compte […]. Le ressentiment et l’absence de contacts avec la gauche socialiste expliquent cet aveuglement. […] Ils ne comprirent pas que, tant que Largo était au pouvoir, les communistes ne pourraient pas éliminer le POUM ».3 Les pressions s’intensifient sur Caballero, à qui l’ambassadeur soviétique en personne demande la dissolution du POUM le 14 mai. Le lendemain, lors du conseil des ministres, les communistes réclament eux aussi la liquidation du parti de Nin. Soutenu par les anarchistes, Caballero refuse mais les socialistes de droite et les républicains modérés apportent leur soutien à la proposition du PCE. Alors qu’il préparait une offensive militaire importante en Estrémadure, le chef du gouvernement est une nouvelle fois mis en minorité par l’alliance du PCE et de l’aile droite de sa propre formation politique ! Il présente alors sa démission au président Azana et refuse, le 16 mai, de former un nouveau gouvernement avec des ministres communistes. Julian Négrin, adversaire acharné de Caballero dont il était le ministre des finances, devient alors président d’un nouveau gouvernement qui ne compte que des socialistes modérés, des communistes et des républicains. La gauche socialiste et la CNT sont éliminés, laissant le champ libre aux manœuvres staliniennes. Le soir de son éviction, Caballero s’exprime ainsi devant ces quelques rares et derniers soutiens : « la pétition de dissolution du POUM n’a été qu’un prétexte […], quand ils m’ont demandé sa dissolution, je leur ai répondu qu’ayant souvent été attaqué, je n’étais pas venu au gouvernement pour favoriser l’une ou l’autre des factions politiques qui le composait […] ». La répression s’abat sur les dirigeants du POUM qui sont brutalement éliminés en juin dans toute la Catalogne. Arrêtés, fusillés, torturés, les poumistes subissent un véritable calvaire. Le secrétaire du parti Andrés Nin est torturé durant quatre jours, les agents staliniens tentent de lui arracher de prétendus « aveux » mais, se battant avec un courage inouï, Nin ne lâche rien et meurt entre les griffes féroces des hommes de Moscou. Responsable de sa mort, le PCE mène en parallèle une odieuse campagne sur la disparition de « l’espion Nin » qui coulerait des jours paisibles en Allemagne ! Caballero dira que le courage de Nin a sauvé la vie de tous ceux qui, comme lui, avaient résisté à l’emprise stalinienne en Espagne. Caballero tente de faire entendre sa voix et entreprend une tournée de conférence en octobre 1937 pour dénoncer la politique de Négrin, la mainmise stalinienne et son éviction progressive de l’UGT. A Madrid, des milliers de personnes viennent l’entendre, sa popularité semble intacte. Il s’apprête à remettre le couvert quelques jours plus tard à Alicante. Arrêté, sur ordre du PCE et de Négrin, il est placé en résidence surveillé à Valence et éliminé définitivement de la direction de l’UGT en janvier 1938. Il est condamné à vivre la fin du conflit en spectateur impuissant, muselé par le terrible appareil stalinien.
Devenus hégémoniques, les communistes organisent ensuite un procès contre les dirigeants du POUM en novembre 1938. Caballero, désormais marginalisé et écarté de toute action politique, est appelé à la barre comme témoin. Il fait face avec un certain aplomb, affirme que les poumistes, contrairement à ce qu’affirme l’acte d’accusation, n’ont jamais été liés aux fascistes et déclare : « Si Nin et d’autres membres du POUM sont actuellement poursuivis pour espionnage, c’est uniquement pour des motifs politiques, simplement parce que le Parti communiste veut anéantir le POUM ». Ces quelques mots, simples mais fermes, prouvent en tous cas que le militant Caballero a su se prémunir contre le poison stalinien et continue de défendre, même entre les lignes, la seule ligne politique possible pour vaincre : l’unité de toutes les forces ouvrières. Les troupes franquistes progressent inexorablement, au même rythme que les communistes espagnols écartent tous leurs rivaux dans le camp républicain. Le bastion catalan tombe en février 1939 et Négrin, désormais chef d’un gouvernement fantôme, quitte l’Espagne au mois de mars. Franco a vaincu la vaillante Espagne ouvrière et paysanne.
L’exilé
Largo Caballero parvient à quitter l’Espagne clandestinement et à gagner la France en mars 1939. Comme des milliers de républicains vaincus, il franchit les Pyrénées dans l’espoir d’y trouver un peu de repos et de liberté. Le répit sera de courte durée. Lors de l’invasion allemande du printemps 1940, il est arrêté et aussitôt déporté vers le camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen, situé dans la banlieue de Berlin. On y interne essentiellement des prisonniers politiques et quelques juifs. L’ancien leader de la gauche espagnole est détenu presque cinq années dans des conditions terribles et épuisantes. Libéré avec trois mille autres survivants par l’Armée rouge en avril 1945, c’est un Caballero très diminué qui rentre en France. Il s’éteint en mars 1946 à Paris à l’âge de soixante-douze ans.
D’abord enterré au cimetière parisien du Père Lachaise, sa dépouille fait un retour triomphal en Espagne en 1978, trois ans après la mort du général Franco qui a régné sur le pays durant trente-six ans. Plus de cinq cent mille espagnols viennent alors assister aux funérailles de l’ancien secrétaire de l’UGT, démontrant qu’il restait pour beaucoup l’une des figures les plus marquantes de la lutte antifranquiste. Largo Caballero, militant syndical et politique, longtemps représentant du socialisme modéré, était devenu en 1936-1937 l’incarnation d’un peuple en lutte pour sa libération et le porte-parole de tous ceux qui voulaient que la révolution sociale soit le moyen et la fin de la lutte contre Franco. Au-delà de ses quelques erreurs (mauvaise évaluation du stalinisme, manque de liens avec le POUM et la CNT, culte de l’unité à tout prix…), Caballero fut un grand dirigeant socialiste qui mérite d’être connu et dont les grands combats restent pour beaucoup actuels. Défense du front unique des forces de gauche (sans l’appoint du centre !) , réunification syndicale, dénonciation d’un capitalisme porteur de guerre et de misère, méfiance devant les bureaucraties autoritaires qui prétendent parler au nom des masses, sont quelques-uns des grands thèmes portés par Caballero après 1933 et que nous, socialistes de gauche du XXI e siècle, reprenons à notre compte et tentons de faire fructifier. A l’heure où les salariés et Indignés espagnols tentent de résister à la politique d’austérité imposée par un PSOE rallié au social-libéralisme, réveiller le souvenir de Largo Caballero pourrait être utile, tant pour le mouvement social que pour la gauche espagnole.
En 1934, le leader socialiste écrivait : « Pour assurer la victoire, nous devons en finir avec les luttes internes à la classe ouvrière (…). Si nous avons les mêmes objectifs, et si nous voulons en finir avec la classe capitaliste, qui étouffe ses haines et ses rancœurs pour s’unir contre la classe ouvrière, pourquoi nous autres n’aurions-nous pas aussi à étouffer nos haines et nos rancœurs pour constituer un faisceau uni et combattre efficacement l’ennemi commun ? ». Soixante-quinze ans plus tard, ces paroles en faveur de l’unité de la gauche résonnent encore comme un appel à la lutte pour en finir avec un système capitaliste qui n’a pas d’avenir !
Julien GUERIN (Melun, le 19 août 2011)
A lire sur la période :
Pierre Broué, La révolution espagnole 1919-1939, Flammarion, 1971, et Staline et la révolution, le cas espagnol, Fayard, 1993.
Miguel Amorós, Durruti dans le labyrinthe, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2007.
Victor Alba, Histoire du POUM, Editions Champ libre, 2000.
George Orwell, Hommage à la Catalogne, Champ libre, 2000.
Michel Christ, Le POUM : Histoire d’un parti révolutionnaire espagnol (1935- 1952), L’Harmattan, 2005.
A voir : Ken Loach, Land and Freedom (film de 1995).
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