Comment «  l’Holocauste espagnol  » a eu lieu

dimanche 18 décembre 2016.
 

Dans son ouvrage traduit aujourd’hui en français, Paul Preston étudie «  les origines de la violence  » et l’ampleur d’un plan méthodique, du coup de force militaire à la terreur franquiste.

Quel pavé  ! Enfin traduit et publié en France  ! À ­balancer de toute urgence sur l’historiographie néofranquiste et révisionniste. Cet ouvrage, paru en 2011 en Espagne sous le titre controversé l’Holocauste espagnol, est devenu le livre de référence sur la violence de la guerre d’Espagne et la terreur, sur l’ADN de cette guerre  : l’échec, aux portes de Madrid, d’un coup d’État violentissime, repoussé par la population. Dans plus de la moitié du territoire espagnol, on ne peut pas parler de « guerre civile », mais d’un « soulèvement » civil et militaire, suivi d’un plan calculé d’anéantissement méthodique. D’où la nécessité de concepts nouveaux…

Paralyser la population par la terreur

Le titre l’Holocauste espagnol, délibérément assumé en espagnol par l’immense Paul Preston, renvoie à des chiffres ahurissants de victimes civiles et militaires très ciblées, essentiellement républicaines, sur une durée « inédite ». Pour en mesurer l’ampleur, seulement en Andalousie, 50 000 personnes furent assassinées et les deux tiers gisent encore dans des fosses communes. La géographie du coup d’État triomphant correspond à celle des fosses communes. Ce « nettoyage » antirépublicain est revendiqué par les généraux fascistes Franco, Mola, Queipo de Llano…

L’objectif n’était pas seulement de gagner la guerre, mais de paralyser la population par la terreur, d’effacer toute trace de la République, des syndicats, de la gauche. Il est à la mode révisionniste de renvoyer dos à dos la « terreur » rouge et la terreur « noire », afin de « partager les responsabilités » et ainsi de dédouaner les bourreaux. Paul Preston démontre que les deux « terreurs » furent différentes aussi bien « qualitativement que quantitativement ». En aucune façon, la « terreur » rouge, spontanée et limitée aux premiers mois, et que la République s’employa à contrôler, ne saurait être comparée à l’extermination mise en œuvre par les franquistes. La théorie de « l’équidistance » est démolie par les analyses et les données du prestigieux historien anglo-saxon.

La répression de l’après-guerre

Paul Preston étudie « les origines de la violence », la « guerre sociale », il démontre que les phénomènes de « révolution » ont été essentiellement provoqués par la violence du coup de force militaire, par l’effondrement des structures de l’État républicain et par le désespoir de milliers de « jornaleros », ouvriers agricoles affamés. L’auteur analyse l’affrontement entre les ­logiques révolutionnaires de la CNT-FAI, du Poum, et celles de la majorité des républicains, qui voulaient reconstruire un État, une armée, et gagner la guerre. L’auteur n’élude pas non plus la lutte des républicains contre « la cinquième colonne », contre la menace extérieure et intérieure d’un Madrid assiégé, les massacres de centaines de prisonniers franquistes à Paracuellos  !

Ce livre reprend et synthétise les travaux de plusieurs historiens progressistes, analyse sous toutes ses facettes la terreur franquiste, la répression de l’après-guerre, le sort de dizaines de milliers d’enfants arrachés à leur famille et enfermés dans des institutions religieuses pour lavage de cerveau avant de se voir confiés à des familles « bien-pensantes », ainsi que la violence contre les femmes, de genre et de classe, terrible sort réservé à des milliers de ­républicaines, de même qu’un effort particulier pour détruire toute mémoire, de nombreuses archives, « esclaviser » les « vaincus » de la « Croisade ». Ce fut globalement ainsi de 1936 jusqu’en 1978. Et, aujourd’hui encore, l’Espagne n’a pas véritablement rompu avec le franquisme.

Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945, de Paul Preston. Éditions Belin, 848 pages, 29,90 euros.

Jean Ortiz


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