Comment "Lionel raconte Jospin" ? Lambertisme et démocratie (par Pascal Meyer)

lundi 8 janvier 2024.
 

"Lambertisme" et compte-rendu de mandat

Le documentaire " Lionel raconte Jospin" été salué par les commentateurs officiels comme un document d’une exceptionnelle sincérité. Mais en réalité, il nous apprend peu de choses. C’est un long monologue de l’intéressé. Le journaliste ne pose que quelques questions à un "Lionel" qui minimise l’engagement trotskyste de "Jospin". Il y aurait pourtant beaucoup à écrire sur les relations entre Jospin et Lambert et même entre l’OCI et le PS. Jospin mentionne en effet dans son livre que l’OCI et le PS entretenaient, dans les années 70, des relations étroites qui ne "passaient pas par lui mais par l’entourage de Francois Mitterrand". De son coté, Lambert, qui affectionnait les affirmations péremptoires du type" qui n’a pas de passé n’a pas d’avenir" ne nous a pas laissé grand chose pour tirer les leçons du passé, en particulier de ses propres erreurs. Erreurs loin d’être négligeables car elles concernent des militants qui ont pris une importance considérable dans l’appareil politique français. Ceci est maintenant affaire d’historiens.

Mais il faut tout de même essayer de tirer les leçons politiques de l’expérience des années 70. Lambert a certainement eu plus d’importance pour Jospin qu’il ne veut bien le dire. Plus de 10 ans de relations secrètes !

Jospin dit adhérer librement au PS en 1971 et commencer à penser en socialiste en 1973. Délai long pour quelqu’un qui ne serait pas infiltré. L’infiltration, autrement appelée entrisme était largement pratiquée à l’époque. Dans le PS, Lambert ne l’a reconnu qu’a demi- mot. En revanche, dans la LCR, il l’a ouvertement revendiquée. Il faut dire qu’il y a obtenu plus de succès puisqu’il y a gagné le transfuge de plusieurs centaines de militants. Il n’y a aucune raison que l’infiltration lambertiste n’ait concerné que la LCR. L’adhésion libre de Jospin est donc peu crédible. La double appartenance "non antinomique" avancée par Jospin ne l’est pas davantage. Elle ne pouvait être admise a l’OCI et pas plus au PS d’ailleurs.

Quand a-t-il cessé d’adhérer a l’OCI ? C’est-à-dire de payer une cotisation mensuelle ? (Connaissant l’importance du formalisme pour Lambert c’est bien en ces termes que la question doit être posée.) A quel titre Jospin a-t-il rencontré Lambert clandestinement pendant plus de 10 ans ? Au titre d’ancien militant qui garde un contact amical ou au titre d’infiltré ? Lambert a toujours transmis qu’il était infiltré. Est-il possible que Lambert et Jospin n’aient pas vu leur relation de la même façon ? Lambert considérait-il comme un militant envoyé en mission un homme qui se ne se voyait pas comme tel ? A-t-il fourni à Lambert des informations sur la vie interne du PS ? Lambert l’interrogeait-il ? Pour le dirigeant du PS qu’était Jospin, la relation avec le chef de l’OCI, organisation alors en pleine expansion et surtout maîtresse du principal syndicat étudiant présentait-elle un intérêt stratégique ? Et pour Mitterrand ? Quel était le degré d’infiltration lambertiste au sein du PS en 1981 ? Jospin était-il seul ? Représentait-il une fraction entière ?

Bref la nature exacte de leur relation est complètement occultée. Quoi qu ’il en soit, Jospin fait partie intégrante de l’histoire du lambertisme. Jospin (de même que Cambadelis) représente un courant entier du lambertisme passé à la social-démocratie. Rétrospectivement, il apparaît que la tactique d’infiltration dans le PS était une impasse. Il a perdu les militants qu’il avait infiltrés qui se sont retrouvés au premier rang des offensives anti-ouvrières et les a finalement détournés lui-même vers la social-démocratie. C’est un premier enseignement à retenir.

Lambert et Jospin ont tous deux classé leur relation dans la catégorie individuelle et amicale soumise au respect de la vie privée. C’est le cas de Lambert qui a toujours refusé de répondre aux questions des journalistes en les renvoyant à Jospin : "pourquoi me posez-vous la question ? C’est à Jospin de répondre." Pourtant Lambert ne discutait pas avec un militant cadre d’entreprise privée ou haut fonctionnaire souhaitant rester discret pour protéger sa position professionnelle mais avec l’un des principaux dirigeants puis le principal dirigeant du parti socialiste. Leur relation n’était certainement pas individuelle. Le principal dirigeant de l’OCI rencontrant un responsable de premier plan du PS, c’est une relation de parti a parti.

En cela Lambert a dupé ses propres militants. Car, qui étaient les ignorants de l’aventure Jospin ? Certainement pas Mitterrand qui d’après tous les témoignages était au courant,mais bien les militants lambertistes à qui l’on proclamait régulièrement avec conviction que l’OCI ne pratiquait pas l’entrisme. L’entrisme c’était la stratégie employée par Leon Trotsky dans les années 30, "drapeau déployé ". Rien a voir avec une stratégie d’infiltration étrangère au trotskysme. Cette accusation n’était que calomnie. On reste dubitatif en apprenant que Lambert qui avait l’accusation de compromission facile pour ses militants et pour les autres organisations rencontrait secrètement le principal dirigeant du PS qu’il considérait comme un militant en mission. Sans compromission bien entendu....

De fait il a dupé ses propres militants en trahissant lui-même les principes sur lesquels il prétendait bâtir son organisation. Car qui a mandaté Lambert pour discuter avec Jospin ? A part lui-même ? Et ou sont les compte-rendus de mandat ?

Il transgressait ainsi la démocratie ouvrière qu’il affirmait défendre. Pour Lambert, c’était le mot d’ordre politique essentiel. Elle plongeait ses racines dans la Commune de Paris et les Soviets russes de 1917. En démocratie ouvrière le pouvoir est confié à des délègues élus, mandatés et révocables a tout instant. Ce schéma de gouvernement etait opposé aux institutions bonapartistes et anti-démocratiques de la Ve république. Il était aussi avancé dans les mouvements de grève. Par exemple, dans les annees 90, les étudiants et lycéens lambertistes refusaient de cautionner les comités de grève "autoproclamés "et avançaient dans les assemblées générales le mot d’ordre de comités de grève composes de "vrais délégués, élus, mandatés et révocables a tout instant". Au sein même de son organisation Lambert défendait vigoureusement la démocratie ouvrière,accusant périodiquement ses adversaires internes de ne pas en respecter les principes les plus élémentaires.

C’est au fond l’une des leçons essentielles de l’aventure Jospin que de nous apprendre (ou confirmer pour les initiés) que Lambert, si rigoureux sur les principes a l’intérieur de son organisation s’en exonérait largement lui-même.

Ces principes sont ils pour autant caduques ? En pratique c’est la question du contrôle des élus qui est posée. Actuellement, le citoyen n’a aucun contrôle sur ses élus, pas plus que le militant n’a de contrôle sur ses dirigeants et la démocratie est clairement dévoyée. Le vrai progrès politique sera obtenu lorsque le contrôle des élus sera effectif. Il faut rompre avec les dirigeants "démocratiquement élus" à vie et avec le népotisme. Aucun despote, même éclairé, n’a jamais ouvert le chemin de l’émancipation.

Une démocratie et un parti fondés sur des délégués non seulement élus mais surtout contrôlés par leurs mandants n’est-elle pas l’objectif politique principal a atteindre ? C’est ce que Lambert n’a jamais réalisé car en se plaçant au dessus de son parti il s’est hissé au niveau de ceux qu’il voulait combattre. Il nous en a montré lui-même toutes les limites.


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