Depuis, le 28 juin, Radio Globo n’a jamais cessé de donner la parole à l’opposition.

« À l’origine, Radio Globo est une radio musicale, rappelle David Romero, son directeur. Mais nous voulions rompre avec les schémas traditionnels » des deux grandes radios nationales, America et RNH. « Nous avons ouvert un espace pour informer le peuple mais avec le peuple », raconte-t-il. Le jour du coup d’État, Radio Globo choisit son camp parce que « nous partagions l’engagement d’une transformation nécessaire du pays grâce à la quatrième urne », poursuit-il, en allusion au processus constituant, sabordé par le putsch, qui « aurait été l’aboutissement d’un pacte entre l’État et la société ». Mais ce pacte-là était insupportable aux yeux de l’oligarchie et du Pentagone au même titre que l’ont été les réformes de Zelaya dans ce pays figurant parmi les plus pauvres du continent.

La « grand-mère » Dionosa, vétérante de la résistance, a été de toutes les manifestations. En 1954 déjà, elle soutenait la grève des travailleurs des plantations de bananes pour de meilleurs salaires. à soixante-quinze ans, l’engagement reste intact. « Ils veulent nous voler ce que nous avons gagné au prix de grands sacrifices », s’indigne « l’abuela », certaine que le coup d’état visait « le peuple qui soutenait Zelaya parce qu’il voulait des changements ».

Ceux qui ne courbent pas l’échine payent le prix fort  : des dizaines d’assassinats, des milliers de détentions arbitraires. Le 28 juin, Radio Globo est militarisée. David Romero s’enfuit par une fenêtre. L’un de ses journalistes, Roni Martinez, se retrouve à terre, mis en joue. Le harcèlement se fait alors quotidien. Les transmetteurs sont régulièrement cramés pour brouiller la fréquence. Le 28 septembre, le siège est de nouveau militarisé. Durant vingt-deux jours, Radio Globo n’émet plus que sur le Net. Les connexions explosent. Elle emporte l’adhésion de l’opinion publique et reçoit, en octobre, le prix Ondas. Ces reconnaissances n’empêchent pas la censure comme le 29 novembre, jour des prétendues élections générales organisées par les autorités usurpatrices. Nombre de médias alternatifs et communautaires d’opposition connaissent le même sort  : Radio Juticalpa, Progreso, Gualcho, Lo de Menos ou encore l’hebdomadaire El Libertador. David Romero sort de son tiroir un courrier. « Être poursuivi en justice pour injures et diffamations, passe encore, dit-il, mais pour sédition… Face à cette pression, nous sommes sans défense. » Esdras Amado Lopez en sait quelque chose. Il est directeur du Canal 36, mais sa chaîne est toujours pour ainsi dire interdite d’antenne. Quelques heures en soirée, et encore. Dans son bureau où trônent une photo du pape Benoît XVI et la une du Washington Post datant du jour de l’investiture du président Obama qu’il a couvert, Esdras Amado Lopez enrage. « C’est la première fois dans l’histoire des communications satellitaires qu’une chaîne est brouillée à ce point. » Selon lui, la sanction s’est abattue parce que la ligne rédactionnelle de son canal dérange. « Le système cherche à nous neutraliser parce que nous refusons de nous vendre », explique-t-il. Au quotidien, ce choix a des conséquences dramatiques. Ses employés n’ont pas vu la couleur de leurs salaires depuis des semaines. Mais, assume-t-il, « nous ne soutiendrons pas l’ignominie qui consiste à dire que le Honduras vit en paix et en harmonie alors que ce régime putschiste traîne derrière lui des crimes abominables ».

Rupture de l’ordre constitutionnel, paralysie des timides avancées sociales et démocratiques, le coup d’État a également fait « tomber les masques du journalisme », assure le directeur de Radio Globo. Des journalistes inféodés au clan putschiste ont été pris à partie par une foule dégoûtée de la manipulation et du matraquage médiatiques. « Le rôle des médias est mis en cause, et des interrogations ont donné corps à des revendications comme le droit à l’information et à penser librement, considère David Romero. Le pays connaît une prise de conscience incroyable  ; il a repris le chemin du politique. »

Les esprits se sont libérés. La parole aussi. Dans tous les espaces publics et ce malgré les intimidations. « Nous voulons une refonte complète de l’État », revendique Larissa Acosta, du mouvement politique Los Necios (les naïfs). La résistance parie sur « l’instabilité politique d’un nouveau gouvernement confronté à une crise économique majeure ». Dans un contexte d’adversité, « nous devons jeter les bases d’un parti politique qui parvienne à unir tous les secteurs de la résistance », estime, néanmoins confiante, la jeune femme. Car le 28 juin a ouvert des brèches dans cette société verrouillée. Des rapprochements, autres que politiques, ont vu le jour. Des supporters de foot, les Ultras et les Fiels, rivaux historiques, se sont retrouvés côte à côte pour le retour de Zelaya au pouvoir. Des féministes racontent que, dans les bidonvilles périphériques de la capitale, des jeunes des Maras Salavatrucha et 18, gangs hyperviolents qui s’entre-tuent quotidiennement, sont allés de maison en maison, en déclarant qu’aucune arme ne serait retournée contre la résistance. Lenis se pose enfin quelques minutes avant de rejoindre le studio. La jeune femme rousse parle d’éthique avec fougue, et refuse les étiquettes. « J’ai assisté, aux premières loges, au réveil d’un peuple, confie-t-elle. J’ai vécu au quotidien la solidarité et la souffrance, les rires, les larmes, et l’envie de croire en une société digne. »

En 2010, Radio Globo pourrait donner naissance à une petite sœur télévisée. Un rêve qu’elle avait été contrainte de mettre entre parenthèses.

Cathy Ceïbe