Deux conceptions de l’écologie (par Denis Sieffert, Politis)

lundi 28 septembre 2009.
 

Ce n’est pas une découverte : le social et l’écologie ne font pas spontanément bon ménage. Longtemps, la gauche issue du marxisme a été rétive – c’est peu dire – aux questions d’environnement. L’emploi, les salaires, le « pouvoir d’achat » étaient au cœur de son action, à l’exclusion de toute autre préoccupation. Et le productivisme était sa religion. Il lui a fallu progressivement intégrer l’impératif du sauvetage de la planète face aux périls qui la menacent. Hélas, l’affaire de la taxe carbone exacerbe de nouveau cette dualité, pour ne pas dire cet antagonisme : bobos contre archéos. Ce n’est pas la moindre de ses turpitudes. Car, depuis quelques années, les mentalités ont évolué, même si, peu ou prou, l’idée qu’il y a tout de même une hiérarchie dans l’urgence continue d’imprégner les esprits. Le mérite historique de cette prise de conscience revient principalement aux Verts. C’est en se définissant très tôt comme un mouvement de gauche (c’est la grande œuvre au début des années 1990 des « Verts pluriels » de Voynet, Cochet, Lipietz et quelques autres), et en intégrant toujours le social à leur réflexion, qu’ils ont pu agir sur la culture collective. Plus modestement, Politis y a travaillé, aussi, depuis son origine. De l’autre côté, tout ce qui gravitait dans la sphère d’influence du parti communiste et de la CGT a eu bien du mal à considérer l’écologie comme autre chose qu’une lubie de « petits-bourgeois ». Là aussi, les choses ont progressivement changé. Pas complètement. Voir le délicat débat sur le nucléaire qui anime toujours les universités d’été…

Mais la décroissance, ou à tout le moins la sobriété et la modération dans la consommation d’énergie, aura toujours besoin d’être « politisée », au vrai sens du mot. Si elle n’est pas pensée et organisée, elle apparaîtra toujours comme injuste. Il ne peut y avoir d’incitation à consommer moins, ni a fortiori d’obligation, sans redistribution. Sans une politique d’ensemble. C’est ici, à notre humble avis, que Nicolas Hulot – lequel avoue ne pas savoir se situer politiquement – fait erreur [1]. En soutenant coûte que coûte une taxe carbone mal ficelée et détournée de son objectif par un gouvernement de droite, il se comporte à peu près comme la gauche traditionnelle se comportait avec l’écologie il y a encore quelques années. En substance, il nous dit : « Appliquons immédiatement la taxe élaborée par le trio Rocard, Fillon, Sarkozy, et renvoyons à plus tard les promesses de compensation sociale. » Certes, il s’empresse d’ajouter qu’il faut « des dispositifs d’accompagnement ». Il nous parle de « crédits d’impôts » et de « subventions ». Il évoque même une « allocation universelle ». C’est nous parler de social comme la CGT énergie parlait d’écologie en 1975… Aperçoit-il aujourd’hui l’ombre du commencement de tels projets dans le dispositif de la taxe carbone ? Voit-il poindre à l’horizon de vastes programmes de développement des transports publics pour les banlieusards ? Pas besoin d’être très « politisé » pour comprendre que le gouvernement de M. Sarkozy n’est pas vraiment engagé dans cette voie. Toute sa politique va même exactement à l’opposé. Les services publics sont sacrifiés, et lorsqu’il est question de redistribution par l’impôt, c’est au profit des grosses fortunes. Voir le « bouclier fiscal ».

Ainsi conçue, avec, de surcroît, la forte présomption que cette taxe ne soit pas autre chose qu’une opération budgétaire pour récupérer le manque à gagner qui résulte de la suppression de la taxe professionnelle, il ne s’agira que d’un prélèvement de plus. La question du prix de la tonne de carbone apparaît dans ces conditions presque secondaire. À 14 euros (version Fillon), l’inefficacité écologique est à peu près garantie. C’est l’aveu que ce gouvernement se moque de l’écologie comme d’une guigne. À 34 euros (version Rocard), c’est un peu moins inefficace, mais un peu plus injuste : les augmentations étant évidemment plus douloureuses pour les petits revenus. Cependant, l’urgence écologique est bien là. Et pas question d’attendre « le grand soir » (pour ceux qui y croient) !

Mais rien ne se fera sans un minimum de justice sociale, des compensations immédiates et des offres concrètes d’alternatives. Le drame, c’est que cette taxe carbone (qui, au passage, laisse de côté la question de la consommation d’électricité) est plutôt de nature à faire reculer une conscience écologique encore vacillante. Ce n’est pas tant qu’elle ranime le vieil antagonisme entre productivistes de gauche et écolos, mais elle creuse le fossé entre deux conceptions de l’écologie. L’une qui se dit apolitique ou qui feint de croire que Sarkozy peut être l’artisan d’une fiscalité juste. L’autre, ancrée à gauche.

P.-S. : On lira sur le même sujet, la chronique de Liêm Hoang Ngoc, la tribune de Benjamin Dessus, et le bloc-notes de Bernard Langlois. Le débat confirme s’il en était besoin la nécessité de renforcer les convergences politiques entre social et écologie. C’est l’un des objectifs que s’assignent les « Assises pour le changement » que nous organiserons les 7 et 8 novembre à Saint-Denis. On en reparle la semaine prochaine. Promis ! Et ce n’est pas un teasing (j’avais fait la même promesse la semaine dernière !), mais un vrai manque de place.

Notes

[1] Libération du 7 septembre.


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