La crise hondurienne et le « made in Washington »

samedi 8 août 2009.
 

Au-delà du drame tragique qui frappe le Honduras et de la mise en scène précautionneuse qui a lieu à San José, capitale du Costa Rica, le sort du Honduras se décide à Washington. Comme l’a affirmé l’un des principaux conseillers de Lula, comme l’a dit Fidel Castro et toute personne qui suit avec attention les événements. Pourquoi tout va se jouer aux Etats-Unis ?

Parce que le Honduras est le plus proche de ce que pourrait être une colonie des Etats-Unis au XXIe siècle.

C’est au Honduras que les Etats-Unis disposent de la base militaire de Soto Cano, plateforme pour les opérations contre les mouvements insurrectionnels dans toute l’Amérique latine au cours de la guerre froide. Au travers de cette dernière, des liens solides ont été tissés avec les forces armées honduriennes, dont les chefs ont été formés dans les institutions militaires états-uniennes.

Au Honduras existe une oligarchie soumise et transnationalisée qui possède sa maison d’été à Miami et qui défend les intérêts des entreprises et du gouvernement américain aussi bien que les siens. Le Honduras a signé un Traité de libre commerce (TLC) avec les Etats-Unis, qui donne le libre accès au marché du pays à tous les biens états-uniens. Ce traité relègue le pays centraméricain appauvri au rôle de pourvoyeur de biens primaires, situé à la périphérie du capitalisme mondialisé. C’est au Honduras qu’arrive les fonds envoyés par les émigrés (« remesas »), depuis la Floride ou New York et ces fonds maintiennent en vue l’économie locale.

Au Honduras est en vigueur la constitution et le système électoral le plus conservateur de la région, un système qui, pratiquement, peut servir à des expérimentations populistes et / ou progressistes comme, subitement, Mel Zelaya a décidé de l’incarner au cours de la seconde moitié de son mandat.

Pour toutes ces raisons, le Département d’Etat savait qu’un coup d’état était en préparation. Son ambassadeur l’a raconté. Toutefois, le Département d’Etat et sa bureaucratie ont commis une erreur qu’ils paieront chers à la fin. Tegucigalpa ne représente pas une destination diplomatique très attractive. Avant la conversion de Zelaya, la capitale du Honduras apparaissait comme étant un lieu suffisamment peu dangereux et pouvait, de la sorte, permettre de placer le quota d’ambassadeurs républicains. Dès lors, y a été envoyé Hugo Llorens, un classique exemple d’entrepreneur-diplomate, qui utilise ce type de poste pour s’assurer des opérations bien payées lorsqu’il sera à la retraite, se fondant avec les secteurs les plus corrompus de l’oligarchie locale, secteurs pour lesquels les services de l’ambassadeur sont très utiles.

Comme l’a révélé Ernesto Seman dans Pagina 12, lorsque H. Llorens était en poste en Argentine, il fut un lobbyiste en faveur de l’entreprise Ciccon Calcografica, c’est-à-dire qu’il travaillait pour une entreprise spécialisée dans la colonisation de divers secteurs de l’Etat. Il s’était lié à Alfredo Yabran [un homme d’affaire argentin très lié à Carlos Menem] et à Domingo Cavallo [ministre de Menem puis rappelé en mars 2001, après la crise, par Fernando de la Rua]. Llorens a toujours été proche des secteurs les plus rétrogrades de l’Eglise, qui avaient comme représentants politiques des personnages comme Esteban Cacho Caselli. Afin de participer aux opérations les plus rentables d’impression de faux billets, de billets de loterie, de passeports, de carte d’identité, de permis de conduire, etc.

Selon des sources diplomatiques et selon des organismes multilatéraux [Organisation des Etats américains (OEA), etc.], au Honduras, les forces ayant fait le coup d’état avaient suffisamment persuadé Hugo Llorens qu’un coup sérieux pouvait fonctionner. Et que c’était la meilleure façon d’empêcher que Zelaya obtienne sa réélection et que le Honduras tombe dans l’orbite de Chavez.

Or, c’était une stupidité. Pour autant que Zelaya le tentait [obtenir la modification de la constitution pour se présenter à nouveau], et probablement il allait le faire, il ne disposait ni des votes, ni du pouvoir légal, ni du pouvoir institutionnel, ni du pouvoir militaire pour obtenir sa réélection. Il devait remettre son mandat au cours d’une période de six mois. La Cour suprême, la Cour électorale, le Congrès, les généraux du Honduras, l’ambassade américaine, les Eglises catholique et protestante, deux des trois principales organisations d’entrepreneurs, les journaux nationaux, les chaînes de télévision et jusqu’à son propre parti, le parti libéral, s’était prononcé contre sa réélection. Et la constitution en vigueur statuait qu’une tentative de réélection équivalait à un délit. En plus, dans les enquêtes d’opinion, Zelaya n’atteignait pas le 50 % des intentions de vote.

Toutefois, Llorens ne faisait pas ce genre de comptes. Non pas pour des raisons d’affinités idéologiques mais pour des intérêts partagés. Llorens a donc acheté les analyses paranoïaques et revanchardes des organisateurs du coup d’état et ses messages envoyés à Washington affirmaient que Zelaya représentait un danger. Lors de ses conversations avec les « golpistes », il était difficile à Llorens de défendre la ligne développée par Obama lors de la dernière réunion [en mars 2009] de l’OEA : plus de coup, plus « d’interventionnisme », nous sommes tous des associés.

Tom Shannon, sous-secrétaire d’Etat pour la région a dû voyager à Tegucigalpa pour transmettre le message à Micheletti [le président de facto] et au général « golpiste » Romeo Vazquez en insistant qu’il lui était pénible de rencontrer Llorens. Toutefois, sur un point, les représentants des Etats-Unis et les golpistes étaient d’accord : Mel Zelaya ne pouvait pas prolonger sa fonction présidentielle au-delà de l’échéance de son mandat. S’il ne le respectait pas, il fallait l’arrêter. Sur cela, un consensus existait entre : Llorens, Shannon, les militaires états-uniens de la base de Soto Cano, les militaires du Honduras, les civils golpistes.

Il fallait contenir l’expansion chaviste que, prétendument, aurait impliquée la réélection de Zelaya. Une expansion dangereuse, non seulement au niveau territorial puisque s’étendant en direction du cœur du pouvoir militaire états-unien dans la région, mais aussi au niveau idéologique. En effet, si l’on permettait aux alliés de Chavez de réformer leur Constitution selon leur plaisir pour se maintenir au pouvoir, l’équilibre régional se perdait et les intérêts de Washington n’étaient plus protégés.

Dès lors, avant qu’Obama puisse réagir, les ministres des affaires étrangères de l’hémisphère se sont réunis à Washington [début juillet 2009] dans le cadre de l’OEA pour exiger le retour immédiat et inconditionnel de Zelaya [Zelaya avait été exilé au Costa Rica]. Les Etats-Unis n’ont pas trouvé d’autres solutions que de soutenir cette résolution d’autant plus qu’Obama avait exprimé un engagement de ce type avec les présidents de toute la région. Néanmoins, un terme incommodait les Nord-Américains : l’adjectif « inconditionnel ». Foggy Bottom [allusion métonymique au nom du quartier à la limite duquel se trouve le Département d’Etat à Washington D.C.], ne voulait pas un retour inconditionnel. Le Département d’Etat acceptait que Zelaya retourne, mais il ne voulait pas qu’il reste au pouvoir.

Shannon, à coup sûr, a recommandé de faire ce qui est fait à l’occasion de chaque crise dans la région, depuis qu’il était en charge de celle-ci lors de la fin du mandat de George W. Bush : baisser les décibels dans l’affrontement avec Chavez et négocier avec le Brésil une position commune qui intègre les autres pays de la région. Comme Lula voulait que Zelaya retourne et qu’Obama désirait qu’il ne reste pas au pouvoir, un accord s’est fait à Moscou afin que Zelaya retourne mais qu’il ne reste pas à la présidence.

Pour passer du « qu’il retourne sans condition » au « qu’il retourne mais s’en aille », Shannon, Hillary Clinton et d’autres têtes d’œufs de Foggy Bottom ont eu l’idée de faire appel au président du Costa Rica, Oscar Arias, afin que ce dernier concrétise l’accord entre Obama et Lula.

L’annonce de la médiation d’Arias fut comme un seau d’eau pour l’OEA. « Nous sommes arrivés invaincus et, d’un coup, ils [Lula et Obama] nous ont laissés devant la porte » a expliqué de manière illustrée un membre de l’OEA. Ni maladroit, ni paresseux, Arias a mis sur la table sa version « light » du « retour inconditionnel » : amnistie pour tous, gouvernement « d’unité nationale », élections anticipées, forces armées placées sous les ordres de la Cour électorale, promesse publique de Zelaya de s’en aller sans modifier la constitution. De la sorte, l’OEA se trouvait otage du Costa Rica, de son président. S’il y avait un accord, ce dernier aurait un rôle en vue dans la mise en œuvre et la vérification des accords. Si l’accord échouait, on lui referait le portrait grâce aux critiques qui se faisaient entendre de manière croissante.

Les pays de l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques) n’étaient de même pas content. Fidel Castro a accusé Arias de vouloir consolider les résultats du coup. Par contre, Chavez a fait connaître ses objections, mais, par la suite, il a manifesté un silence sonore face aux éditoriaux rageurs du commandant cubain. Chavez avait décidé de baisser le profil au Costa Rica pour pouvoir jouer plus fortement sa carte à Washington.

Zelaya a accepté de suite la proposition d’Arias ; Micheletti la refusa. Il pensait qu’il pouvait faire changer Washington. Plus les jours passèrent et plus Arias se montrait nerveux parce que les golpistes ne descendaient pas de leur cheval. Lorsque la période fixée s’est terminée, le prix Nobel costaricain [Arias a été prix Nobel de la paix en 1987] a réaffirmé sa proposition, augmentée de quelques détails que les golpistes demandaient. Par exemple : faire un éloge du « professionnalisme » des militaires honduriens ; établir une « commission de la vérité » ; déclarer un moratoire durant six mois [le temps jusqu’à la fin du mandat de Zelaya] pour un quelconque jugement politique. Micheletti a réaffirmé son opposition.

Que se passait-il à Washington ? Le lobby anticastriste, avec son épicentre à Miami, avait retrouvé énergie d’autrefois et avait du coup au Honduras sa nouvelle cause patriotique. Sous la houlette des dinosaures Otto Juan Reich [un cubano-américain qui a servi sous les administrations de Reagan et de Bush sr et jr ; il fut ambassadeur au Venezuela] et de Roger Noriega [il a été secrétaire adjoint pour l’hémisphère occidental sous l’administration de George W. Bush], des personnes de références pour Llorens, ce groupe petit et marginal – qui fut influent par le passé mais dont l’image face à l’opinion publique états-unienne s’écroula suite à l’affaire de Elian Gonzales, ce jeune exilé dont la justice américaine accepta le retour demandé à Cuba – envahit les rédactions des quotidiens, des médias avec l’aide de spécialistes en marketing. Ils venaient présenter le « cas hondurien » devant les décideurs de Washington. Hector Timerman, ambassadeur argentin à Washington, déclarait : « si tu vas au Congrès, c’est plein de Honduriens et de personnes payées par les Honduriens qui font du lobbying en faveur du coup d’état. »

Au même moment, l’attention d’Obama était dirigée dans une autre direction. Le président cherchait désespérément les votes nécessaires pour faire passer sa réforme du système de santé, et il le fait toujours ; or c’est une question décisive qui l’oppose aux Républicains et même à une partie des Démocrates. La dernière chose qu’Obama voulait et veut, c’est de perdre des votes à l’occasion d’un débat pour savoir s’il y avait eu ou non un coup d’état au Honduras. Pour cette raison, il y avait d’un côté une fanfare, marginale, mais qui faisait beaucoup de bruit, et, de l’autre, une fanfare qui détenait le pouvoir mais qui ne répondait pas. Cela a créé un microclimat que différents analystes ont confondu avec une « lutte interne féroce » au sein du gouvernement nord-américain.

Ce furent les diplomates argentins et vénézuéliens qui prirent en charge l’essentiel de la campagne en faveur de Zelaya. Ils ont combattu en nombre inférieur le lobby anticastriste lors des heures décisives qui firent suite au coup. Ils ont défini l’agenda politique de la délégation en faveur de Zelaya, lorsque ce dernier, une semaine plus tard, essaya de retourner au Honduras.

Cette gestion a suscité le rapprochement diplomatique le plus grand entre le Venezuela et les Etats-Unis que l’on a connu jusqu’à ce moment. Selon une source digne de foi, il y a eu y compris un travail commun, un rapprochement entre les deux gouvernements qui ont préféré faire silence à ce sujet pour des raisons de politique intérieure. Le terme Chavez est une injure aux Etats-Unis ; et le terme Etats-Unis est une injure dans le Venezuela chaviste.

Au-delà du bruit suscité, à l’heure de faire les comptes, le résultat des « golpistes » fut assez maigre. 18 votes sur les 400 congressistes états-uniens s’exprimèrent en faveur d’une condamnation de la tentative de réélection de Zelaya. A cela s’ajoute quelques éditoriaux favorables dans des quotidiens importants et le renvoi durant quelques semaines de la nomination d’Arturo Valenzuela (sous-secrétaire pour l’Amérique latine) et Shannon, comme ambassadeur au Brésil. Ce ne fut pas beaucoup.

Le Brésil a joué comme il le fait dorénavant dans la région. Il l’a fait avec les FARC de Colombie, il l’a fait à l’occasion de la tentative de coup d’Etat en Bolivie. Le Brésil se montre serein, confiant, il ne court pas après la balle sachant que, tôt ou tard, elle lui reviendrait dans les mains. Il laissa faire Arias, comme il l’avait accompagné dans le cadre de l’OEA. Le Brésil commença à agir ouvertement le 21 juillet, deux jours avant que s’écoule le temps pour la médiation. Le ministre des affaires étrangères brésilien, Celso Amorin, appela Hillary Clinton et lui dit qu’il était temps de préparer Micheletti pour qu’il organise un voyage à Washington. Son atout était sa faculté de supprimer les visas [pour des voyages dans le continent] aux golpistes. Selon ce qu’ont pu constater des négociateurs forts différents, ce fut l’action brésilienne la plus téméraire. Elle se concrétisa ainsi : les golpistes ne pourraient pas visiter durant longtemps leurs villas à Miami.

Après avoir parlé avec Amorin, Hillary Clinton prit son téléphone et appela Micheletti. Mais, le dictateur jura, devant la presse hondurienne, que la question des visas n’avait même pas été mentionnée. Si Micheletti ne ment pas, Hillary Clinton garde cette carte en réserve.

Plus le temps passe, plus le lobby anticastriste est moins présent à Washington. Uribe, le président colombien, encouragé par les deux bases militaires que les Etats-Unis lui ont refilées [après le non-renouvellement des bases en Equateur] s’est laissé aller à se moquer des golpistes, rompant le consensus au sein de l’OEA. C’est alors que Zelaya décida que l’heure était venue de faire pression à Washington pour que le dénouement s’accélère. Il se déplaça à la frontière entre le Nicaragua et le Honduras. Lula lui souhaita bonne chance. L’Union européenne lui demanda de faire montre de « sérénité ». Le Mercosur [qui réunit le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et l’Argentine] appuya Zelaya avec une ferme déclaration, mais il ne fut pas invité à la réunion du Mercosur. Quant à Chavez, il ne s’engagea pas aux côtés de Zelaya.

Les pressions multiples obligèrent Washington à utiliser toute leur influence pour éviter que les militaires honduriens appliquent les ordres de Micheletti et mettent Zelaya en prison, au moment où il mettrait le pied sur le sol du Honduras. Quand il y mit un pied, un colonel le renvoya fermement au Nicaragua. En syntonie avec le colonel, les Etats-Unis utilisèrent tout leur pouvoir de séduction pour obtenir de Zelaya un recul. Ils l’invitèrent à Washington, lui promirent des réunions avec des hauts responsables et lui jurèrent que ce genre de problème serait résolu sans sang et que c’était une question de jours. Si Zelaya rentrait au Honduras sans le contrôle d’Arias et de l’OEA, les Etats-Unis ne pourraient pas le contrôler.

Donc Zelaya resta sur place, à la frontière ; avec l’espoir que les militaires honduriens le laisseraient revenir. Et les très professionnels militaires honduriens qui, auparavant, désobéissaient à Zelaya, désobéissent maintenant à Micheletti. Ils restèrent aussi sur place, cette fois en silence et à l’intérieur de leurs casernes. En attendant que leurs véritables patrons, les commandos de la base de Soto Cano, leur disent qu’est-ce qu’il faudra faire. Au moment de boucler cette édition [le 25 juillet], les militaires états-uniens au Honduras attendaient les ordres de Washington. Pagina 12

* Pagina 12 est un quotidien argentin. Ce commentaire a aussi été publié sur le site Ciencias Sociales Hoy. Traduction A l’Encontre – publié en français sur le site de A l’encontre.


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