Le RSA, un dispositif de classe pour institutionnaliser la pauvreté, une aubaine pour les patrons

samedi 6 juin 2009.
 

1) Le RSA institutionnalise la précarité

Par Philippe Villechalane, porte-parole de l’Association pour l’emploi,

D’abord, brièvement dire que l’emploi ne devrait pas être cette juxtaposition de petits boulots précaires, de contrats à durée déterminée, de contrats à durée indéterminée, de seulement quelques heures par semaine, etc. Mais que chacune et chacun devrait pouvoir vivre convenablement des fruits de son travail, et être décemment indemnisé quand la société est dans l’incapacité d’offrir les emplois nécessaires.

Ensuite, une précision pour rappeler que, si des femmes et des hommes se sont retrouvés allocataires du RMI, c’est bien parce que, dans l’immense majorité des cas, ils n’ont pas retrouvé de travail. Le nombre de mois d’allocation chômage n’a cessé de diminuer et les conditions d’accès n’ont pas arrêté de se durcir ; pourtant, toutes les statistiques montrent que ce sont les chômeurs les mieux indemnisés qui retrouvent le plus facilement un emploi.

Sans même la crise, qui a bon dos, il est clair que pour les « trop diplômés », « pas assez diplômés », « trop jeunes », « trop femmes », « trop vieux », « trop Noirs », « trop de banlieue », le travail se fait rare, surtout s’il est correctement rémunéré.

Le RSA est un dispositif de classe qui, sous couvert de lutter contre la pauvreté, institutionnalise la précarité, casse le Code du travail, met à mal les 35 heures ainsi le SMIC.

C’est encore une avancée pour le patronat, qui rêve de toujours faire baisser le prix du travail pour, comme dans le principe des vases communicants, faire toujours plus de profit.

Le travail effectué par l’allocataire du RMI, et qui produira, à n’en pas douter, de la richesse, donc des profits pour des patrons, sera payé par le contribuable. Il s’agit en réalité d’une subvention à l’emploi précaire. Le patronat, aux anges, a déjà obtenu 23 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales.

Et ces sommes manqueront pour le service public, à l’enseignement, la santé, aux transports, à la recherche…

Alors, il n’est évidemment pas question de nier et de bouder les quelques dizaines ou centaines d’euros que pourront gagner en plus chaque mois des femmes et des hommes qui en ont plus que besoin pour survivre.

Il en sera du RSA comme il en est des Restos du coeur, cela permet parfois de garder la tête hors de l’eau, mais nous souhaitons néanmoins les voir disparaître, parce que les besoins élémentaires doivent être acquis comme des droits issus d’un véritable partage des richesses produites par les salariés eux-mêmes et l’ensemble de la communauté, et non comme des mesures s’apparentant plus à la charité et à une surexploitation qu’à la solidarité.

N’oublions pas que, dans le même temps où on nous passe le baume du RSA, le nombre de chômeurs explose comme jamais, bientôt ils se compteront en réalité au-dessus des 6 millions, si on tient compte des érémistes, des ASS, des API et de celles et ceux qui ne sont même pas inscrits (principalement des jeunes) parce que n’ayant aucun droit.

Chaque mois, ce sont des dizaines de milliers et parfois même près de 100 000 chômeurs supplémentaires, et il ne faut surtout pas croire, malgré les effets d’annonce, les déclarations de Fillon et les messages publicitaires, que le RSA va sensiblement faire baisser ces chiffres, ni même en compenser une partie significative.

Ce n’est pas la première fois qu’on nous annonce des diminutions du nombre de chômeurs que l’on ne voit jamais venir… Sauf lorsqu’ils mettent en place des mesures de contrôle draconiennes afin de radier à tour de bras, ce qui se passe depuis des mois dans une indifférence quasiment générale. N’oublions pas que les chômeurs sont les premières victimes sur lesquelles ils expérimentent les niveaux de résistance et d’acceptation de l’ensemble de la société. Il y a donc urgence à ne pas laisser faire et à ne pas accepter l’inacceptable.

2) Le RSA Une aubaine pour les patrons

Par Pierre Concialdi, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

Martin Hirsch n’a cessé de marteler qu’avec le RSA, on allait en finir avec « l’assistanat » en augmentant les incitations au retour à l’emploi. C’est tout simplement faux. Car, avec le RMI et les dispositifs d’intéressement qui le complétaient, la première année de reprise d’emploi était toujours financièrement intéressante pour les allocataires, même pour des petits boulots. Le RSA ne change rien à cela. Il rend simplement permanent cet intéressement et diminue même les incitations à reprendre un temps plein. Il n’est donc pas étonnant de constater que les expérimentations menées concluent qu’il n’y a pas d’écart significatif dans les taux de retour à l’emploi dans les zones de test (où a été expérimenté le RSA) et dans les zones témoins (sans expérimentation).

Cela n’a pas empêché le comité d’évaluation d’avancer que les taux de retour à l’emploi seraient supérieurs de 9 % dans les zones de test, alors que ce chiffrage se fonde sur un calcul dont la certitude est inférieure au seuil habituellement retenu par les statisticiens. Surtout, il faut revenir à la réalité des chiffres : le taux de retour à l’emploi est de 3 % dans les zones témoins et de 3,28 % dans les zones de test. La différence absolue est minime. Pourtant, le président du comité d’évaluation, François Bourguignon, n’a pas craint de déclarer que 100 000 érémistes pourraient être, à terme, sortis du chômage grâce au RSA. Explication : ce chiffrage repose sur plusieurs hypothèses, dont une, notamment, est manifestement irréaliste. À savoir que les emplois retrouvés seraient des emplois stables. En passant par la case RSA, on retrouverait à tous les coups un emploi stable ? Alors que 75 % des nouvelles embauches se font sur des CDD ? Il n’est pas sérieux de lancer dans le débat public des chiffres qui reposent sur des bases aussi inconsistantes.

En réalité, le problème ne réside pas dans le retour à l’emploi qui, aujourd’hui comme hier, était encouragé financièrement, mais dans la qualité et la stabilité des emplois retrouvés. À cet égard, les évaluations du RSA confirment les craintes qu’on pouvait avoir. Dans les zones de test, les emplois retrouvés sont davantage concentrés sur les temps très partiels : 11 % des personnes travaillent au plus neuf heures par semaine, contre 6 % dans les zones témoins. En d’autres termes, le RSA fonctionnerait, au mieux, comme un dispositif de partage du chômage, sans accroître de façon significative le volume global d’emploi. Les emplois retrouvés sont aussi moins rémunérateurs : dans les zones de test, 31 % des personnes perçoivent moins de 1 000 euros par mois (soit l’équivalent d’un SMIC à temps plein), contre 40 % en zones témoins.

Bref, le RSA favorise la multiplication des petits boulots et fonctionne comme une trappe à temps partiel. Il vient s’ajouter à la panoplie des dispositifs (exonération de cotisations sociales sur les bas salaires, prime pour l’emploi) qui ont contribué à fragiliser les salariés encore en emploi stable et à les enfermer dans des trappes à bas salaire. Martin Hirsch a toujours récusé l’idée que les employeurs pourraient trouver dans le RSA un effet d’aubaine. Ce n’est pas l’avis d’Hervé Gourio, délégué général de l’association patronale Entreprise & Progrès. Selon lui, « du côté des dirigeants d’entreprise, le RSA est une veine pour les entreprises qui font appel à l’emploi à temps partiel ». Et il ajoute que, dans certaines petites entreprises incitées à proposer davantage de temps partiels, « une demi-journée par jour risque de se transformer, sinon en plein-temps, du moins en un peu plus que le mi-temps contractuel ». En clair, une proportion croissante de salariés risque de travailler plus pour gagner moins. Le RSA, c’est ça.


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