Jean-Luc Mélenchon répond à Rénover dans la fidélité sur ce qui s’est passé au Parti Socialiste depuis le Non au TCE et le congrès du Mans

lundi 25 septembre 2006.
 

Jean-Luc Mélenchon :

Le Congrès du Mans était exceptionnel à plus d’un titre. Il a été convoqué juste au lendemain du 29 mai et pour répondre à la crise que le résultat avait ouvert. Pour nous qui nous étions engagés activement et publiquement dans la campagne unitaire du « Non de gauche », ce congrès devait organiser les retrouvailles du Parti Socialiste avec le reste de la gauche qui s’était engagé du côté du non. Mais surtout, plus largement encore, avec le peuple de gauche tout entier. Nous avions pour objectif que le parti se mette en situation de prendre sa part dans l’organisation politique de ces larges secteurs d’abstentionnistes des quartiers populaires, ceux qui s’étaient rendus de nouveau aux urnes à l’occasion du référendum. Ils étaient alors, à ce moment là, dans l’influence idéologique des arguments anti-libéraux du « non de gauche ». C’était l’enjeu de fond. N’oubliez pas que la thèse centrale de notre analyse politique est que la France est en état d’urgence politique et que le monde lui-même est en train d’y entrer.

Pour nous, le paysage politique est celui d’une course de vitesse entre l’extrême droite, les fondamentalisme et communautarisme d’un côté et les progressistes de l’autre, à mesure que le libéralisme étend ses ravages et que s’accroît le nombre de ceux qui le rejette. La conquête des consciences est l’enjeu essentiel.

En ce qui concerne les bases sociales de la gauche au sens large, il y a deux manières de toucher les cœurs et les consciences. Il y a la voie de l’éducation populaire de masse du type de celle qui fut pratiquée dans les années de préparation de la victoire du programme commun. Et il y a la voie que prend la nouvelle social-démocratie internationale depuis que le nouvel âge du capitalisme l’a mise en impasse. Là où elle est « blairisée », la social démocratie reformate sa base idéologique et électorale en jouant sur deux tableaux : circonvenir les milieux populaires en lui offrant des coups de mentons sécuritaires d’une part, séduire les classes moyennes supérieures en régalant leurs égoïsmes sociaux d’autre part. On doit comprendre que proposer des centres militarisés « au premier acte de délinquance » d’un jeune et la mise sous tutelle des familles pauvres « au premier acte d’incivilité » d’un côté et de l’autre offrir aux habitants des beaux quartiers le droit de soustraire leurs enfants à la mixité sociale comme cela vient d’être fait par Ségolène Royal est bien inscrit dans cette lignée.

Jean-Luc Mélenchon : Comment en sommes nous arrivé là ? Il faut admettre cette cruelle leçon : cette orientation peut marcher à visage découvert parce que nous avons été défaits au congrès alors même que se jouait le cœur de l’orientation de la gauche quant aux conséquences à tirer du référendum. L’ambition du « Trait d’union » que nous proposions de poser à gauche était donc à l’inverse quant à la méthode politique : partir de la mobilisation acquise par le « non » pour faire de son contenu politique anti-libéral un axe de rassemblement populaire. Pour cela le minimum de crédibilité dépendait du fait que les tenant du non s’accordent loyalement pour proposer en commun une orientation. Au plan du contenu, le cœur de notre texte se résumait à ceci : union sans exclusive à gauche, programme commun.

Notre sensibilité ne réclamait rien pour elle, ses responsables, ses militants. Juste l’honneur d’être utiles à la gauche. Par rapport au oui de gauche notre attitude était de fuir le débat empoisonné et affectif sur la « réconciliation » qui selon nous n’a guère de sens concret et transforme en question sentimentale ce qui est d’abord un lourd défi politique. Mais il ne s’agissait pas seulement de porter une orientation ensemble. Il fallait aussi assumer un choix de personne pour les postes essentiels car cela aussi était attendu de nous comme c’est bien normal. Nous pensions que la candidature de Fabius à la présidentielle et celle de Montebourg au poste de premier secrétaire étaient la formule qui correspondait au moment politique. Elle était à la fois réaliste et convaincante. Ce que nous proposions rejoignait ce que pensaient les autres composantes de « rassembler à gauche ».

Pour nous tous, il s’agissait de partir de la base populaire de masse du vote non pour construire la stratégie et, notamment, pour faire face aux taches incontournables qui vont se présenter. Par exemple, la relance du débat sur une nouvelle Constitution. Sinon comment éviter l’encerclement de la France par les pays qui restent partisans acharnés du oui... Bref, nous nous projetions sur l’avenir et nous n’étions pas du tout dans une mentalité du règlement de compte avec les factions du PS qui avaient été pourtant si injurieuses pendant la campagne et qui restaient si sectaires comme en a témoigné l’expulsion de Fabius de la direction du parti.

Rénover maintenant : Votre choix n’a pas toujours été bien compris, y compris dans l’ancien courant « Nouveau Monde »

Jean-Luc Mélenchon : Ce n’est pas ce que j’ai constaté. « Nouveau Monde » n’existait plus. Deux de ses trois fondateurs, Alain Vidalies et moi, avions rompu avec le troisième, Henri Emmanuelli. Il restait une coquille vide qui a dû se rallier à NPS faute de pouvoir se compter séparément comme cela avait été annoncé. Pour ce qui nous concerne, plus de 1 000 camarades avaient déjà signé notre contribution dès le jour du dépôt du texte et nombreux étaient les mécontents qui regrettaient que l’on n’ait pas ajouté leur nom pour la publication. Cela prouve que le « non » de gauche parmi nos camarades restait une démarche ouverte et unitaire et n’avait rien de ce repli sectaire et haineux dont les tenants du oui ne se sont jamais réellement départis. Mais il y avait un préalable à admettre. Dès la rédaction de notre contribution « Trait d’union », nous avons pointé le fait que nous étions entrés dans le cycle politique de l’élection présidentielle et que la ligne qui serait majoritaire au Congrès conditionnerait la suite. Combien nous ont dit que « ce n’était pas le sujet » ! Là encore, voyons où nous en sommes.

Mais l’essentiel pour nous tenait dans cette thèse : ceux qui avaient opté pour le « non », sans exclusive, avaient la responsabilité de réunir les moyens pour tourner la page à la tête du Parti et afficher un autre cap en vue du rassemblement populaire à réussir pour cette élection. Nous nous prononcions donc pour une motion commune de tous ceux qui avaient choisi le Non au référendum. Et nous nous en donnions les moyens.

A l’époque, nous avons alerté les camarades de NPS, à commencer par Arnaud Montebourg, sur le danger qu’il y aurait à refuser le rassemblement pour privilégier des « identités » de courant, et donc de contribuer, sans le dire, au maintien de l’équipe en place. Nous avions suggéré, pour faciliter le processus, que Montebourg lance un appel, même personnel et nous lui avons dit que, s’il le faisait, nous y répondrions favorablement. Pas seulement nous, mais toutes les composantes de l’actuelle motion « Rassembler à gauche ». Cela signifie que Fabius aussi était d’accord. C’était une situation incroyablement favorable au rassemblement. On nous a répondu qu’il valait mieux « ratisser large » et donc partir séparément.

On sait depuis ce qu’il est advenu de cette vision pitoyable de la vie du parti. Loin de créer une dynamique nous avons vu les forces se répartir à l’étal, et la direction amplifier sans contrainte ses tricheries. L’attitude de Henri Emmanuelli, est dorénavant éclairé par ce que le livre « La Madone et le culbuto » nous a appris : il s’était déjà accordé en secret avec Hollande.

Nous avons donc fait cette motion commune, « Rassembler à Gauche » avec ceux qui le voulaient. Tous venaient d’horizons très différents : Laurent Fabius, Alain Vidalies, Marie-Noëlle Lienemann, André Laignel. Cette diversité et ce rassemblement étaient sans équivalent dans ce congrès. Mais nous n’avons pas su le mettre en valeur...

Rénover maintenant : Votre résultat a du vous décevoir...

Jean Luc Mélenchon : C’est vrai. Nous trouvions tellement injuste d’être si mal récompensés de nos efforts pour l’union ! Mais sur le moment, nous avons surtout concentré nos efforts sur la résistance à une incroyable opération de tricherie pour minorer notre score ! A posteriori, elle confirme à mes yeux le caractère suspect des résultats du référendum interne. Quoi qu’il en soit, la division des partisans du non a rendu vaine toute espérance de devenir majoritaire. Cependant, il est intéressant, pour bien analyser ce qui s’est passé politiquement, de regarder de près les résultats.

Il est intéressant de constater en examinant le résultat des votes comment les forces se sont réparties. Il manque au regroupement NM (version Emmanuelli) + NPS douze points par rapport au total recueilli par ces deux motions au congrès de Dijon. Ils viennent pour l’essentiel des électeurs de Nouveau Monde. Est ce étonnant ? J’ai déjà dit que Vidalies et moi étions à la tête de deux des trois groupes « fondateurs » de NM ! Nous avons fait la démonstration chiffrée de ce point. Elle confirme certes le hold-up qu’avait opéré Emmanuelli sur le courant que nous avions fondé ensemble (méthode qu’il renouvela ensuite à NPS). Mais fondamentalement, cette démonstration prouve que le résultat de la motion avec comme premier signataire Laurent Fabius était un résultat de gauche. Cela signifiait qu’à partir d’une ligne de gauche il était capable de regrouper les voix de gauche à commencer par celles du parti.

Tout cela fut noyé par le grand bazar médiatique qui n’avait d’ailleurs aucun appétit pour le digérer. Mais nous, vous, devons-nous l’oublier et n’en tirer aucun bilan ? Devons-nous renoncer à la fonction de mémoire et d’expérience qui est le propre d’un parti et la dignité d’un militant politique ? Le ferons-nous au moment même où nous dénonçons le nouveau parti d’audimat qui propose au passant dans la rue des adhésions à 20 euros pour désigner les candidats hors de tout examen des idées et des lignes d’action qui sont en jeu ?

Par incapacité à prendre nos distances avec l’affection et les bons souvenirs, faut-il nous aveugler et refuser de comprendre que tant d’erreurs accumulées ne sont plus des erreurs mais une ligne politique qui s’est, sans doute, construite par approximations successives mais qui n’en a pas moins sa cohérence et son efficacité ? Voyons en face le résultat : la gauche du parti est pour l’instant rayée de la liste des décideurs au Parti Socialiste en dépit de son audience jamais démentie.

Rénover maintenant : Pour certains de nos camarades, Laurent Fabius est contestable au regard de ses positions politiques passées. Avec tes amis, au sein de la Gauche socialiste notamment, tu as violemment combattu Laurent par le passé. Qu’est-ce qui explique ton soutien à ce candidat aujourd’hui ?

Jean-Luc Mélenchon : Dans la vie de tous les jours, je ne crois pas qu’un homme soit décrit par son passé. Moins encore dans la vie politique. Par principe, on ne doit pas enfermer un homme politique dans ses positions passées. Sinon, cela signifie que toute discussion est une mascarade puisqu’on n’acceptera ni qu’elle fasse évoluer le point de vue de l’autre, ni le sien. Que serait-il arrivé si dans les années 1960 et 1970 si les socialistes avaient réduit François Mitterrand à ses positions passées ? Elles étaient pourtant bien plus complexes à porter que celles que l’on reproche aujourd’hui à Laurent Fabius.

Dans l’autre sens, le passé trotskiste puis d’animateur de la Gauche Socialiste de Julien Dray doit-il nous pousser à mettre en cause la sincérité de son engagement actuel aux côtés de quelqu’un qui professe le contraire de ce que lui-même a toujours défendu ? Et le passé se Montebourg ? Rend-il compte des raisons qui en font le porte-parole de Ségolène Royal ? Non bien sûr. Vous le savez mieux que moi. La vérité des individus, s’il y en a une, est dans leur évolution. Marcel Déat venait de la gauche du parti, il finit à l’extrême droite en passant par un intermède sécuritaire militariste et nationaliste. François Mitterrand fut séduit par la Cagoule à 20 ans et en 1981, président de gauche, il installa les communistes au gouvernement et nationalisa toutes les banques françaises. On apprécie plus justement une personne d’après le film que d’après la photo. Les trajectoires nous en apprennent plus que les certificats de baptême. Nous devons absolument tous nous guérir tous du démon du sectarisme et du plus odieux, celui qui tourne à la punition du délit de sale gueule ! Sur l’écran de contrôle, Fabius rencontre la trajectoire de la gauche du mouvement socialiste.

On ne peut plus se contenter d’accompagner socialement la mondialisation libérale

Dès lors, réduire Laurent Fabius à ses positions passées serait d’autant plus injuste qu’il a lui-même reconnu publiquement son évolution personnelle, en disant pourquoi et sur quels sujets. Et les sujets concernés sont ceux sur lesquels nous avons bataillé. Son changement est raisonné et argumenté. Il s’appuie d’une part sur le constat du fossé qui se creuse entre la majorité populaire de notre pays et le PS depuis le 21 avril 2002 et, d’autre part, sur l’analyse que le capitalisme a changé de nature et que l’on ne peut plus se contenter d’accompagner socialement la mondialisation libérale comme le croit la stratégie sociale-démocrate qui finit dans le naufrage politique que nous avons sous les yeux en Allemagne et en Angleterre par exemple.

J’ajoute que Laurent Fabius ne s’est pas contenté d’expliquer qu’il avait changé mais qu’il a aussi posé des actes forts. A commencer par son choix d’exposer publiquement aux Français son refus de la constitution européenne pendant la campagne référendaire du printemps 2005. Ce choix était courageux et je rappelle qu’il n’a pas été facile et confortable. Courageux parce que le Oui était à 70 % dans les sondages. Peu confortable, car il a alors été violemment mis en cause par les médias et tout ce que ce pays compte de belles personnes bien pensantes.

Sur le fond, nous soutenons donc d’abord Laurent Fabius parce qu’il est le seul candidat qui s’est prononcé pour le Non le 29 mai. Il ne s’agit pas là d’une question de personne. C’est une question politique. Nous pensons que la Constitution européenne s’est invitée dans la présidentielle de 2007. Du choix présidentiel de 2007 dépendra largement le respect du vote du 29 mai et surtout la capacité de la France à porter une alternative crédible au niveau européen. D’ailleurs plusieurs autres pays européens attendent le résultat français de 2007 pour voir s’ils vont pouvoir faire comme si le 29 mai n’avaient pas eu lieu ou s’il va falloir se remettre sérieusement autour de la table. Car derrière suivront la présidence française de l’Union en 2008 et l’élection européenne de 2009 qui seront décisives pour la réorientation ou au contraire l’enlisement de l’Europe.

Incarner le non majoritaire des Français en 2007 n’est pas seulement un enjeu dans la gauche. Certes ce serait déjà beaucoup. C’est un argument pour le jour où la négociation commencera avec nos partenaires européens. De quel poids pèsera la personne qui négocie si elle a voté oui quand elle argumentera pour le non ? Surtout si en face d’elle se trouve d’autres sociaux-démocrates avec lesquels elle aura battu les estrades du oui en France. Oubliez-vous que plusieurs des plus importants commissaires européens sont des sociaux démocrates ? Oubliez-vous que le PSE dirige aujourd’hui la moitié des gouvernements européens ou bien se trouve dans des coalitions gouvernementale avec la droite ? Un négociateur issu oui sera bien vite confronté à ses propres déclarations s’il doit défendre les raisons du non... Voila pourquoi Laurent Fabius est le mieux placé pour permettre de finir le travail du 29 mai en 2007.

Rénover maintenant : Tu as toujours déclaré que tu n’es pas fabiusien. Comment fais-tu vivre l’accord sur les orientations politiques avec les camarades fabiusiens historiques ? En d’autres termes, comment "Trait d’union" agit pour s’assurer que les orientations écrites aujourd’hui seront tenues demain ?

Jean Luc Mélenchon : Je le dis parce que c’est la vérité. Pour la petite histoire vous saurez que c’est Laurent Fabius qui mit sous tutelle la direction de ma fédération et que j’ai voté contre lui le jour du « putsch » de Rocard en 1993... C’est dire que nous avons des raisons de nous en vouloir mutuellement. Mais si on appliquait le principe des vendetta, on ne ferait pas de politique raisonnée comme je l’ai déjà expliqué. Aujourd’hui nous ne sommes pas fondus dans un courant « fabiusien ». Je ne crois pas qu’un tel courant existe d’ailleurs, même s’il y a évidemment ce que tout le monde connaît sur le terrain c’est-à-dire de vieilles solidarités à l’œuvre autour du personnage. Nous avons défendu une motion commune et nous soutenons un candidat commun. C’est déjà beaucoup, non ? Mais chacun garde évidemment sa liberté d’appréciation et d’action.

Nous sommes un cartel de réseaux militants avec une orientation commune. De toutes façons, cette campagne est celle de Laurent fabius. Il la dirige, prends conseil, tranche. Je crois que cette prééminence est assez normale. Elle ne mutile personne et elle est respectueuse de la tache que chacun doit accomplir. Laurent Fabius n’est pas candidat à être le responsable d’un courant du PS mais candidat a la présidence du pays. Tout le monde peut comprendre que notre fonctionnement s’en déduit. Cependant je pense que les observateurs n’ont pas assez noté l’étendue et la force des objectifs qui nous ont rapprochés. Dès lors, pour nous, le problème n’est pas de demander des garanties notariales à Laurent Fabius. Il s’agit plutôt de trouver la méthode de mobilisation populaire qui permette à un président et à un gouvernement de gauche d’être porté par un rapport de force durable avec la droite. Cela ne se décrète pas. Cela se construit par l’activité politique, le travail d’éducation populaire. Mais on ne peut pas le faire dans l’ambiguïté politique. Fabius à un profil politique clair et une ligne d’action présidentielle nette. Il se présente comme un bon point d’appui pour actionner le levier populaire.

Lisez-nous. La motion Rassembler à gauche s’inscrivait sans ambiguïté dans la ligne d’un socialisme de transformation par opposition au socialisme d’accompagnement incarné par la social-démocratie européenne. Elle formulait des propositions claires et ambitieuses en particulier sur l’Europe (le respect du Non et la réorientation de l’Europe), le pouvoir d’achat (SMIC à 1 500 euros), la stratégie face au gouvernement (opposition frontale) et la stratégie d’alliance des socialistes (union des gauches sans exclusive, refus de toute alliance au centre). Ces propositions ont été reprises au Mans et n’ont cessé depuis d’être portées par Laurent Fabius dans ses différentes expressions. Cet ancrage à gauche porte ses fruits en particulier sur le thème du pouvoir d’achat qui a depuis été repris par d’autres candidats. Dans la durée c’est l’action populaire notre plus sérieuse garantie. Elle doit être nourrie sans relâche par des propositions offensives.

La direction du PS compte sur un "21 avril à l’envers" qui pousserait les citoyens de ce pays à voter "utile", donc pour le candidat socialiste, dès le 1er tour. Quelle est ton analyse à ce sujet ?

Il y a en effet une aspiration populaire très forte dans le pays pour en finir avec les politiques libérales et donc de chasser la droite du pouvoir. Les gens vont chercher honnêtement quel sera le moyen le plus efficace pour cela. Cette recherche du vote utile est saine. Mais elle ne garantit rien à l’avance. Et son contenu est pauvre. Il ne suffit pas d’être contre. Il faut aussi se rassembler pour un programme, une ligne d’action. La France a besoin d’un peuple motivé. Surtout n’oublions jamais combien il est dangereux de croire les sondages pour prendre nos décisions d’action.

Il y a cinq ans jour pour jour, le 8 septembre 2001, la SOFRES-LCI et Le Nouvel Observateur publiaient un sondage qui créditait Lionel Jospin de 27 % des voix au 1er tour et de 51 % au second. Nous devons donc vraiment nous guérir de cette mentalité de turfiste qui contamine aujourd’hui la vie politique sous l’influence de médias qui ont les yeux rivés sur les sondages.

La course de vitesse entre la gauche et l’extrême-droite pour représenter l’alternative au libéralisme est toujours engagée. L’avance du candidat socialiste au 1er tour dépendra de la mobilisation populaire qu’il aura su créer à gauche. Sans dynamique d’union des gauches, cela sera beaucoup plus difficile, dès le 1er tour et a fortiori au second. Le danger pour la gauche est non seulement la menace de l’extrême-droite mais aussi la dissolution plus large encore d’une partie des classes populaires dans l’abstention. Liée au véritable apartheid social qui s’installe dans notre pays, cette abstention de masse instaure un véritable régime censitaire dans lequel la gauche voit ses chances de victoire reculer. Pour autant la mobilisation record du 29 mai, notamment de l’électorat ouvrier, qui a plus voté que tous les autres pour la 1ère fois depuis 20 ans, montre que l’énergie populaire pour changer notre pays peut être au rendez-vous. Il faut la susciter et l’entretenir en traçant clairement les oppositions et les enjeux.

Un argument fréquemment entendu dit qu’il est inutile et étrange de soutenir un candidat que l’on dit déjà battu au vote interne.

C’est un argument consternant. D’une façon générale nous savons que de nombreux rebondissements mûrissent. Quelle sera la configuration des candidatures ? Et celle des conditions de vote ? Quand éclatera la bulle médiatique ?

Car il faut bien s’attendre à ce qu’un jour il soit relevé que la soi disante candidate féministe n’a pas nommé une seule femme parmi ses porte-paroles, ni ses coordinateurs de campagne. Que le grand mouvement de la rénovation qu’elle affirme incarner est soutenu par quelques uns des hommes d’appareils les plus féroces et les plus discutés du PS. Que le livre qu’elle devait écrire en ligne et en interactivité à paraître en juin puis en septembre n’est toujours rendu qu’au chapitre deux... Que les mesures sécuritaires proposées à Bondy sont techniquement inapplicables, que la suppression de la carte scolaire est une promesse apparue pour la première fois dans le programme du Front National dans les années quatre vingt et ainsi de suite. Tant d’incohérences, d’improvisations, de contre sens et de contre-pied sont-ils liés au hasard d’une campagne assez largement improvisée (ce qu’on ne peut pas lui reprocher mais qui nous impose de réfléchir aux raisons pour lesquelles tous vont dans le même sens) ou bien est-ce une ligne ? Et dans ce cas pourquoi n’y a-t-il jamais moyen d’en débattre et pourquoi toute contestation est-elle aussitôt transposée sur un autre terrain et diabolisée comme du sexisme sinon pour éviter le débat ?

Plus largement, je récuse l’idée qu’un sondage détermine notre engagement. Bien qu’il ne s’agisse pas de la même situation, doit on au nom des victoires acquises d’avance renoncer aux candidatures dans les circonscriptions, cantons, mairies où la droite est donnée gagnante ? En toutes hypothèse la fin de l’histoire n’est pas arrivée. Il y aura, quel que soit le résultat, un « jour d’après ».

Ce qui doit nous motiver comme personne de gauche agissant sous l’empire de la raison et de nos convictions, ce ne sont pas les sondages mais les raisons d’agir. Nous n’en manquons pas je crois.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message