Villepin, Valls, Macron Tous derrière Clémenceau

lundi 10 septembre 2018.
 

Dominique de Villepin écrit aux maires pour qu’ils parrainent sa candidature aux présidentielles. De qui se réclame-t-il de Georges Clémenceau.

Quand Manuel Valls devient ministre de l’Intérieur, quel grand portrait arbore-t-il dans son bureau ? Georges Clémenceau. Pourquoi ? "la République, c’est l’ordre […]. L’ordre sans lequel aucun projet de société n’est viable." (24 novembre 2013)... Avec un sens acéré du tragique, il s’est entièrement inscrit dans la mystique patriotique de la France" (11 novembre 2017).

Et voilà qu’Emmanuel Macron s’inscrit dans la même lignée :

Ce 13 juin 2018, le chef de l’État rend un nouvel hommage à Clemenceau, incarnation de la Grande Guerre, faisant venir à la rescousse du présent la rhétorique guerrière du passé.

Ce sera le troisième hommage public d’Emmanuel Macron à Georges Clemenceau depuis 2016. C’est dire si sa mémoire est enrôlée pour servir le présent de l’occupant de l’Élysée. La visite présidentielle aujourd’hui dans la maison natale de Clemenceau en Vendée, rénovée à grands frais en 2015, fait partie des commémorations qui doivent culminer le 11 novembre 2018, où seront invités les 80 pays belligérants de la Première Guerre mondiale.

Pour Macron, la figure de Clemenceau a plusieurs avantages. Il l’avait senti déjà comme ministre de l’Économie, quand, en août 2016, pas encore officiellement candidat, il s’était rendu sur la tombe du «  Tigre  » à Mouchamps. Une façon alors de doubler Manuel Valls, qui a fait lui aussi de Clemenceau son modèle… Puis Emmanuel Macron s’était rendu en 2017 dans l’appartement parisien où a vécu le «  Père la victoire  », pour le 99e anniversaire de l’armistice, avec dépôt de gerbe au pied de sa statue en bas des Champs-Élysées.

Cette fois, le président de la République répond à la demande de Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée et président du groupe LR au palais du Luxembourg, qui lui a écrit pour lui demander d’organiser un «  événement officiel  » commémorant l’action de Georges Clemenceau. Celui-ci «  fut un artisan infatigable du rassemblement des Français, un adversaire impitoyable de tout ce qui, dans l’épreuve, divise et fragilise le corps national  », plaide ce proche de Philippe de Villiers, convaincu que l’œuvre de Clemenceau «  peut collectivement nous inspirer, au-delà de nos différences de sensibilités  ».

C’est chose faite avec ce voyage en Vendée, que Macron inscrit dans son récit national propre. Clemenceau, le ministre de l’Intérieur qui fit tirer sur les mineurs grévistes, est passé sous silence – «  l’un des ennemis les plus acharnés de la classe ouvrière  », écrivit l’Humanité à sa mort en 1929 – mais cet aspect, gardé subliminal, parle évidemment à la droite. «  La mémoire de Clemenceau a été largement récupérée par la droite au lendemain de la Grande Guerre, puis plus tard par le général de Gaulle, pour deux raisons  : premièrement, l’autorité de l’État que la droite a toujours défendue  ; deuxièmement, le patriotisme que Clemenceau a incarné au pouvoir en 1917 et en 1918  », juge l’historien Michel Winock, auteur d’une biographie du «  Tigre  ». C’est aussi ce qu’en retient Macron, à l’heure de réactiver un «  service universel  » après la suppression de la conscription et du service militaire en 2002 par Jospin. Clemenceau, imposant ses vues aux généraux de 1917, s’est fait le premier «  chef des armées  » de la République. Après la passe d’armes avec son chef d’état-major, Pierre de Villiers, Macron rappelle ses prérogatives à qui l’aurait oublié.

Jouer Clemenceau, c’est l’opposer à ceux qui se réclament de Jaurès

Et puis Clemenceau a un autre avantage, celui de cliver à gauche. «  On est clémenciste ou jaurésien  », avait coutume de résumer Lionel Jospin pour expliquer le Parti socialiste. Jouer Clemenceau, c’est l’opposer à tous ceux qui se réclament de Jaurès. Reste que s’inspirer de Clemenceau demeure une vision archaïque de la nation. «  Si on honore des hommes comme Clemenceau, car c’est parce que nous aimons un pays qui se tient droit mais qui sait justement construire plus grand que lui-même, mais d’abord se tenir lui-même  », a ainsi développé le chef de l’État lors de l’hommage de novembre 2017. Au risque d’une vision instrumentalisée de l’histoire en usant d’un vocabulaire de guerre, aujourd’hui économique, car, pour lui, «  réconcilier les histoires de France, c’est aussi une façon de réconcilier la France avec sa propre histoire  », disait-il en 2016. On ne peut alors s’empêcher d’un parallèle entre le Clemenceau affirmant  : «  Le vainqueur, c’est celui qui peut, un quart d’heure de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu  », et Emmanuel Macron qui, devant les Bleus, assène que «  l’équipe qui gagnera sera celle qui en aura le plus envie, celle qui donne les derniers coups de crampons  ». On a les guerres qu’on peut.

Lionel Venturini


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