Le retour des conflits sociaux ?

lundi 9 février 2009.
 

Contrairement à une idée reçue, les conflits sociaux ne diminuent pas dans le monde du travail. Si l’on prend en compte la pluralité des modes d’action, ils auraient même plutôt tendance à augmenter. En s’appuyant sur une analyse de l’enquête REPONSE, Jérôme Pélisse et Baptiste Giraud offrent un état des lieux moins sombre qu’attendu du pouvoir de mobilisation des salariés.

En ces temps de crises financières qui accentuent objectivement les tensions dans les relations professionnelles, les conflits du travail retrouvent une visibilité dans l’univers médiatique, qu’ils n’avaient pas connue depuis longtemps. Ces dernières semaines, quand les journalistes n’ont pas fait écho des actions engagées par les salariés du privé contre les plans de restructuration ou les mises au chômage technique qui s’abattent sur eux (dans l’industrie automobile notamment), ils ont largement couvert les mouvements de protestation collective des salariés du secteur public. Il est vrai que, dans ces professions, les actions de grèves se sont multipliées, mettant en scène l’ensemble du corps enseignant – de la maternelle à l’université –, les postiers, les cheminots, etc. Dans sa dernière note de conjoncture sociale annuelle (octobre 2008), l’association de DRH Entreprise et Personnel souligne ainsi combien « toutes les composantes d’une crise sociale » sont présentes, et invite les employeurs à prendre au sérieux « une remontée de la conflictualité » qui n’entraînera pas forcément une multiplication des grèves, mais qui pourra « prendre la forme plus pernicieuse d’un désengagement silencieux, voire d’autres formes de grèves froides ».

Le regain d’intérêt actuel des journalistes pour les luttes du monde du travail laisse ainsi penser qu’elles connaîtraient un renouveau, généré quasi-mécaniquement par les tensions nées des politiques de rigueur patronale et gouvernementale. De même, la sur-médiatisation de quelques conflits salariaux, au printemps 2008, avait pu laisser croire que l’augmentation du coût de la vie et les promesses non tenues du président Sarkozy d’être « le président du pouvoir d’achat » avaient suffi à faire renaître de leurs cendres les mobilisations des salariés pour de meilleures rémunérations. Dans les commentaires récents de l’actualité sociale, c’est par ailleurs une représentation binaire de la conflictualité au travail qui resurgit. Nombreux sont ceux en effet qui mettent l’accent sur la place dominante des « bataillons » du public sur le front de la contestation sociale, ravivant par là même le sentiment que ces salariés seraient, une fois de plus, les seuls à pouvoir s’engager dans des mouvements revendicatifs élargis et durables. Les salariés du privé, quant à eux, en dehors de quelques conflits désespérés lorsque survient une fermeture d’entreprise (ou pour obtenir des titres de séjour de la part de sans-papiers redevenus travailleurs depuis avril dernier), resteraient en retrait de la scène des grèves, ce qu’attesterait la tendance quasi continue à la baisse du nombre de Journées Individuelles Non Travaillées (JINT) pour fait de grève enregistrée depuis une trentaine d’années par les services administratifs du ministère du Travail. Il ne leur resterait plus qu’à « subir » les actions récurrentes des salariés du public ou à les soutenir par « procuration », à défaut de pouvoir exprimer directement leur mécontentement, si ce n’est sous la forme de désengagements « pernicieux » dans le travail ou de « grèves froides ».

Dans ces conditions, l’interprétation donnée à la conflictualité au travail ne conduit pas seulement à voir dans le secteur public le successeur de la défunte classe ouvrière dans son rôle d’avant-garde du mouvement syndical. Elle associe à ce changement de sujet central de la conflictualité sociale une transformation radicale de sa signification politique. Jadis portés par la volonté de tirer profit des gains de productivité et de la prospérité économique pour améliorer le sort du monde du travail, les combats syndicaux seraient réduits, dans une période de « crise » économique, à n’être plus que des luttes « défensives ». Ainsi, quand les salariés du public apparaissent uniquement investis dans des mobilisations contre des mesures qui remettent en cause leur nombre (enseignants), leurs statuts (La Poste) ou leur conditions de travail (cheminots), leurs homologues du privé ne font généralement parler d’eux qu’au travers de conflits pour l’emploi.

Il n’est évidemment pas illégitime de parler d’un « durcissement » des relations professionnelles dans le contexte actuel, ni de souligner l’importance des actions revendicatives des salariés du public dans l’espace des mobilisations du monde du travail. Il importe toutefois de se méfier des illusions d’optique que peuvent générer les logiques sélectives de médiatisation des conflits sociaux, qui font écran à la perception du maintien, depuis plusieurs années, de formes ordinaires de conflictualité diffuses et protéiformes, telles que l’on peut les repérer grâce à un instrument de mesure statistique original développé par le ministère du Travail (DARES), sous la forme des enquêtes REPONSE (voir encadré). La dernière édition de cette enquête indique ainsi qu’entre 1996-1998 et 2002-2004, les conflits collectifs et individuels touchent davantage d’établissements du secteur marchand, tout en connaissant des transformations certaines, aussi bien dans les revendications qui y sont exprimées, que dans les formes par lesquels ils se manifestent. En cela, ils permettent de dégager des éléments de réflexion utiles pour remettre en perspective les discours actuels sur la conflictualité au travail.

par Baptiste Giraud & Jérôme Pélisse [06-01-2009]


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