Crise du capitalisme oblige

jeudi 16 octobre 2008.
 

Dans les quatre prochains mois, les principaux partis de gauche français tiendront leur congrès. Chacun chez soi, mais tous en présence d’un même invité imprévu. Sans prévenir, une crise du capitalisme « sans précédent depuis un siècle » (dixit l’ancien gouverneur de la banque centrale américaine) a fait irruption au milieu des débats.

Nous savons désormais que cette crise ne s’arrêtera pas. Le problème ne touche pas juste quelques prêts immobiliers douteux. Le capitalisme a surmonté sa crise des années soixante-dix en bâtissant une pyramide de papiers et de dettes. Il est proprement juché dessus. C’est la hausse continue de l’immobilier qui permet aux ménages américains surendettés de consommer toujours plus malgré la baisse des salaires. Et c’est cette surconsommation américaine qui est le principal débouché des économies industrielles à forte croissance comme la Chine. L’économie mondiale repose donc sur une pyramide qui est en train de s’effondrer pierre après pierre.

Un immense défi nous est lancé. Vers qui les peuples vont-ils se tourner pour répondre à cette crise ? Aux États-Unis, Bush présente son plan de socialisation des pertes comme la solution. En France, Sarkozy appelle à l’union nationale et jure de protéger les épargnants. En Autriche, dimanche dernier, l’extrême droite bat ses records électoraux. Partout les fauteurs de guerre du choc des civilisations désignent le concurrent comme un ennemi irréductible. Où la gauche incarne-t-elle une alternative crédible, une voie de paix et de progrès ? La Grande-Bretagne paie l’addition de la soumission blairiste au capital financier. La social-démocratie européenne relit, hagarde, ses odes à la mondialisation en se demandant ce qui n’a pas marché. Et l’impuissance de Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn à la tête de l’OMC et du FMI dément leurs propres thèses.

C’est en Amérique latine qu’il faut tourner le regard. La crise s’est abattue sur ces pays avant nous car les exigences de la finance s’y sont imposées de manière plus absolue. Les politiques néolibérales ont profité de régimes oligarchiques ou dictatoriaux qui ont « réformé » à leur guise sans crainte de la sanction populaire. Sous Pinochet, le Chili devient un laboratoire pour les économistes monétaristes américains qui inspireront Reagan. Avant que la crise n’y éclate, l’Argentine était considérée comme le plus docile et méritant élève du FMI. Dans ces sociétés mises aux normes de la finance, la crise financière emporte tout : destruction de l’économie réelle, anéantissement de l’épargne des « classes moyennes », ruine de l’État, volatilisation des systèmes de protection sociale et notamment des retraites par capitalisation, mise en péril de services publics vendus à des grands groupes privés dominés par les logiques financières… La société elle-même entre donc en crise. En sommes-nous si loin désormais en Europe ?

Comment l’Amérique latine a-t-elle réussi à surmonter cette crise ? À travers la révolution démocratique impulsée par une gauche réinventée. Celle-ci ne s’est pas contentée d’aligner des généralités sur la nécessité de « réguler le système ». Sarkozy lui-même défend la nécessité de règles et l’État américain nationalise des banques ! Elle a affronté la vraie question qui nous oppose à la droite : « qui régule ? ». Elle y a répondu sans faux-semblants : le peuple et non des acteurs privés « indépendants ». Dès lors elle a recherché à la fois le rétablissement de la souveraineté sur les richesses nationales et la réappropriation populaire des institutions, notamment par le biais d’assemblées constituantes. La nouvelle gauche sud-américaine a aussi créé les rapports de forces sans lesquels aucune « régulation » n’est possible. Elle n’a pas tenté de convaincre par une aimable discussion le capital financier de renoncer aux « innovations » sans lesquelles il devrait se contenter des taux de profit limités que produit l’économie réelle. La mobilisation populaire a été le premier objectif de son programme et de sa stratégie : lutte prioritaire contre la pauvreté et pour la satisfaction des besoins essentiels, création de fronts politiques pour le rassemblement populaire.

Des solutions de gauche à la crise existent donc. Mais elles se heurtent au cadre actuel de l’Union européenne. Les traités organisent l’impuissance publique et interdisent tout contrôle des flux financiers. La souveraineté populaire est niée, comme le montre le non-respect des « non » français, néerlandais et irlandais. Les classes populaires voient leurs acquis démantelés. Privée de leur soutien, la social-démocratie européenne cherche refuge dans de nouvelles alliances. Et l’alignement de l’Union sur l’OTAN implique l’Europe dans les stratégies belliqueuses de l’empire déclinant. Rappeler cela n’est pas cultiver pour le plaisir des désaccords au sein de la gauche. C’est prendre lucidement la mesure des changements auxquels la crise nous oblige.


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