L’Etat est de retour, mais la spéculation est toujours aux commandes. Est-ce bien compatible ?

mardi 4 novembre 2008.
 

De Bush à Sarkozy en passant par Brown et Merkel, les chefs d’Etat des principaux pays développés annoncent le « retour » de l’Etat face à la crise. La parenthèse néo-libérale serait donc en voie d’être refermée avec l’abandon des thèses néolibérales sur l’autorégulation des marchés. Tant mieux si c’était vrai ! Mais une lecture attentive de l’actualité internationale montre que ce n’est pas si facile de revenir quand on est parti trop longtemps.

Islande : une dette privée trop lourde à porter

Bien sûr l’Islande est un cas limite. Le pays ne produit presque rien. Il dépend de l’extérieur même pour son alimentation. Mais il a été si souvent cité en modèle pour sa croissance exceptionnelle ces dernières années. L’Islande a connu un boom lié à la croissance de ses banques. Or celles-ci sont devenues trop lourdes à digérer par l’Etat lui-même, lorsqu’il les nationalisées pour éviter leur faillite. Car depuis lors le pays ne parvient pas à faire face aux dettes qu’elles ont accumulées. La banqueroute des banques menace donc d’entraîner la banqueroute de l’Etat. L’Islande a déjà appelé le FMI à la rescousse, ce que n’avait fait aucun pays occidental depuis 1976. Mais le prêt de 2,1 milliards de dollars du FMI ne suffit pas. Le gouvernement islandais vient de solliciter les banques centrales des autres pays nordiques, la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne. L’Islande est dépassée car les politiques néolibérales ont à la fois provoqué l’hypertrophie de la sphère financière, paupérisé l’Etat, désindustrialisé l’économie et accru la dépendance extérieure. Pas uniquement en Islande.

Espagne : les dégâts dureront des années

Autre pays fréquemment cité en exemple pour sa croissance insolente, l’Espagne. Celle-ci a reposé sur l’essor de la finance mais aussi sur le boom de l’immobilier privé. Hélas, depuis que le marché s’est retourné, le pays fait face à une situation absurde. On aurait fin décembre un million de logements invendus ! Alors même que le besoin annuel est estimé entre 300 000 et 400 000. Dès lors le pays risque d’être couvert pendant plusieurs années de villes fantômes dignes des Valseuses. De tels dégâts urbains mettent des années à être résorbés… si l’Etat a les moyens économiques et légaux de le faire. En France aussi, le gouvernement a confié au privé le soin de répondre aux besoins de logement du pays. Alors qu’il y a toujours 1,4 million de demandeurs de logement social non satisfaits, le budget logement pour 2009 baisse de 7 %. Or le secteur privé est en train de s’effondrer. Le nombre de permis de construire a chuté de 23,3% au troisième trimestre. La situation déjà dramatique du mal-logement risque donc de s’accélérer. Avec les dégâts sociaux qui en découlent.

Etats-Unis : l’Etat privatisé

Même aux Etats-Unis, l’Etat est venu au secours des banques. Mais on se demande parfois s’il ne s’agit pas des mêmes ! Ainsi le secrétaire d’État au Trésor, Henry Paulson, est l’ancien président de la banque d’affaires Goldman Sachs. Et de nombreux dirigeants du plan « public » de sauvetage en sont également issus. C’est le cas de l’animateur en chef du cabinet de crise, responsable de la recapitalisation des banques. Mais aussi du chef du plan de sauvetage de Fannie Mae et Freddie Mac, « nationalisées » en août dernier. De même que celui qui pilote le redressement de la compagnie d’assurance AIG, également « nationalisée » en catastrophe. Le président de la Réserve fédérale de l’État de New York est un autre ancien de Goldman Sachs. Même chose pour le nouveau chef de cabinet du président Bush ! En France aussi, on peut aussi s’interroger sur l’indépendance des responsables des dispositifs publics de soutien aux banques (voir au dos). C’est une conséquence de la dérive oligarchique des institutions encouragée par des années de néolibéralisme : faute de refondation démocratique des institutions, le « retour de l’Etat » n’est pas synonyme de retour de la souveraineté populaire et de l’intérêt général.

Et pendant ce temps, les spéculateurs font la loi

C’est la débâcle sur les marchés d’action européens. Toutes les actions sont dans le rouge. Toutes ? Non, car une action résiste encore et toujours à l’envahissement par la panique. Lundi et mardi derniers, le cours de Volkswagen a été multiplié par 5 en 48 heures. Le constructeur est devenu en quelques heures la première capitalisation mondiale avec 320 milliards d’euros, loin devant Exxon (260 milliards) ou Microsoft (150 milliards). Volkswagen aurait-il fait une découverte révolutionnaire ? Non. Cette hausse est purement spéculative. Les spéculateurs ont parié sur la baisse du cours de VW. Ils ont donc procédé à des « ventes à découvert », qui consistent à vendre au cours du jour des actions que l’on achètera plus tard. Plus-value assurée si les cours baissent. Or au même moment Porsche décide de prendre le contrôle de VW et rachète ses actions. La baisse attendue n’a pas lieu. Dès lors face à l’imminence de pertes, les fonds spéculatifs ont du se couvrir en rachetant les actions VW alors que celles-ci devenaient de plus en plus rares. D’où la flambée du cours. A elle seule la hausse de VW a provoqué l’augmentation de l’indice de la bourse de Francfort de 10% alors que toutes les autres valeurs étaient en baisse. Et tout le marché boursier a été déréglé. L’Etat est de retour, mais la spéculation est toujours aux commandes. Est-ce bien compatible ?


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