Freud, Keynes, le capitalisme et les trouillards

dimanche 14 septembre 2008.
 

Le capitalisme, un système de trouillards qui s’enrichissent sur les peurs des autres.

C’est l’angoisse de la mort qui engendre l’accumulation capitaliste. Et les peurs savamment entretenues qui font prospérer les profits. Au-delà de ces peurs, il y a la vie !

Un an après la crise des subprimes (prêts immobiliers à risque), la peur semble avoir durablement évincé la fameuse confiance nécessaire à la bonne marche des affaires : les banques se méfient de tout, les investisseurs font preuve d’« aversion au risque », les marchés s’affolent à la moindre occasion, les industriels comme les consommateurs ont le moral dans les chaussettes.

Quelques paniques bancaires, du jamais-vu dans les pays occidentaux depuis les années 1930, viennent même corser l’ensemble. Mi juillet, les clients de la banque californienne Indymac, affolés par une possible faillite, ont fait des heures de queue sur le trottoir pour récupérer leurs dépôts, comme l’avaient déjà fait en septembre les clients de la banque britannique Northern Rock, les mécanismes de garanties des dépôts mis en place dans ces pays ayant, semble-t-il, perdu toute fiabilité à leurs yeux. Face sombre de la confiance, la peur peut faire basculer le système. Elle est pourtant au caeur même du capitalisme.

C’est elle qui motive ses partisans. Pour Keynes, très réceptif aux théories de Freud (1), c’est l’angoisse de la mort qui engendre ce désir d’accumulation sans fin sur lequel il repose, l’argent devenant une sorte de bouclier censé préserver de l’inéluctable.

Après son voyage de noces en URSS, en 1925, l’éco nomiste britannique, pourtant très peu révolutionnaire, mit d’ailleurs un moment tous ses espoirs dans le système soviétique pour dépasser cette malédiction : « Dans la Russie du futur, consacrer sa vie à amasser de l’argent ne cons tituera tout simplement pas, pour un jeune homme respectable, une voie d’accomplissement plus envi sageable que le choix d’une carrière de gentleman cambrioleur, de faus saire ou d’escroc », et c’est « une extraordinaire nouveauté », écrit-il dans sa Théorie générale de l’em ploi, de l’intérêt et de la monnaie ». C’est la peur encore, celle de l’ave nir, qui détermine le taux d’intérêt.

Car, estime Keynes, c’est « la pos session d’argent liquide qui apaise notre inquiétude ». Le taux d’intérêt que réclame le prêteur correspond donc à la prime exigée pour calmer l’angoisse que fait naître en lui le fait de s’en séparer. Tout comme les rendements à deux chiffres qu’exigent les fonds d’investissement et autres rentiers. Toujours plus d’argent, le plus vite possible pour calmer leurs angoisses de l’avenir et de la mort. Pour Keynes, faute d’être capables de sublimer leurs pulsions dans l’art ou l’amour, les hommes d’affaires se replient sur leur substitut : l’argent. Le capitalisme est finalement un système de trouillards, incapables de jouir de la vie et d’assumer leur finitude.

Mais les profits accumulés sont aussi des peurs cristallisées. Les peurs de ceux dont l’exploitation a permis de les constituer. Peur des délocalisations et celle du chômage, savamment entretenues pour faire pression sur les salaires et les conditions de travail, pour faire accepter l’augmentation du temps de travail et la flexibilité. Peur du lendemain née de la précarité de l’emploi, de la casse de la protection sociale, qui pousse à travailler toujours plus pour toujours moins. A être toujours plus productif, plus perforrnant, pour rester coûte que coûte dans son entreprise. Peur du saccage environnemental, justifiée souvent, qui permet au capitalisme, qui en est pourtant responsable, de s’ouvrir sous le terme flou de « développement durable » de nouveaux marchés et de nouvelles sources de profits. Qui veut de cette vie de peurs ? Pas grand monde sans doute. Il suffirait peut-être d’en prendre conscience ensemble pour la dépasser.*

DOMINIQUE SICOT

dsicot@humadimanche.fr (1) Voir « Keynes, l’argent et la psychanalyse », de Gilles Dostaler. Working Paper, 2007, université de Turin.

Et à paraître : « Capitalisme et pulsion de mort : Freud et Keynes », de Gilles Dostaler et Bernard Maris. Éditions Albin Michel.


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