Capitalisme d’assassins : en Afrique, 12 millions de victimes de la famine en raison de la spéculation des fonds de pension et grandes banques (5 articles)

dimanche 21 août 2011.
 

1) « Ne parler que du climat est une hypocrisie totale »

Entretien avec Jean Ziegler

- vice-président du Comité consultatif du conseil des droits de l’homme des Nations unies.

- rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des populations du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (de 2000 à 2008)

La réunion de la FAO tire la sonnette 
d’alarme sur la famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique en raison de la sécheresse. 
Le facteur climatique explique-t-il à lui seul 
la situation catastrophique  ?

Jean Ziegler. Ne parler que de climat est une hypocrisie totale qui élude les vraies raisons de cette catastrophe effroyable. C’est le dernier coup porté aux 12 millions de personnes menacées de famine et aux dizaines de milliers de victimes. La première raison est l’absence de stocks de réserve. Cette sécheresse dure depuis cinq ans. Depuis, les récoltes sont déficitaires. Dans n’importe quel pays, il existe des réserves alimentaires. Les États se préparent en cas de catastrophe.

En Somalie, Érythrée, Kenya, Éthiopie, Djibouti, les greniers sont vides. 
Ils le sont parce que les prix alimentaires (aliments de base c’est-à-dire riz, maïs, céréales qui couvrent 75% de la consommation mondiale) ont explosé en raison de la spéculation des hedge funds et grandes banques. Les spéculateurs financiers ont perdu des milliers et des milliers de milliards de dollars lors de la crise financière de 2008 et de 2009. Ils ont quitté les Bourses de papier valeur et ont migré vers les Bourses des matières premières agricoles. Légalement, avec les instruments spéculatifs ordinaires, ils réalisent des profits astronomiques sur les aliments de base.

Actuellement, la tonne de blé meunier est à 270 euros. Il y a an, elle était de moitié. La tonne de riz a plus que doublé en un an et le maïs a augmenté de 63 %. Les pays pauvres ne peuvent donc même plus acheter les aliments à même de constituer des réserves. Ils sont impuissants lorsque la catastrophe arrive. La deuxième cause profonde est le surendettement de ces pays. Le service (intérêt et amortissement) de la dette étrangère est tellement élevé qu’il absorbe pratiquement tous les revenus des États et les rend incapables d’investir dans les infrastructures notamment agricoles. Un exemple  : seulement 3,8% des terres arables éthiopiennes sont irriguées alors qu’en Europe, elles le sont à 60%.

L’Éthiopie n’a pas l’argent nécessaire pour puiser l’eau. Aujourd’hui, la nappe phréatique se trouve à 60, 70 mètres sous terre en raison de la sécheresse et, de ce fait, rend inopérantes les méthodes traditionnelles pour lever l’eau.

De nombreuses ONG tirent la sonnette d’alarme quant aux promesses non tenues des États en matière d’aide. 
Quelle est votre réaction  ?

Jean Ziegler. Les gens meurent par manque d’argent. Il est extrêmement simple de faire revenir à la vie un enfant gravement sous-alimenté avec de la nourriture thérapeutique intraveineuse. Mais, comme pour les biscuits vitaminés, l’argent fait défaut. Un seul chiffre  : le Programme alimentaire mondial (Pam) avait un budget ordinaire planétaire de 6 milliards de dollars. Il a été réduit à 2,8 milliards, soit plus de la moitié parce que les pays riches ne payent plus leurs cotisations. Regardez l’absurdité  : jeudi dernier, les États européens de l’euro ont mobilisé 162 milliards d’euros pour sauver les banques détentrices de la dette grecque. Dans le même temps, à Dadaab, au Kenya, le plus grand camp de réfugiés ne peut même plus accueillir des personnes au bord de l’effondrement.

2) Pendant qu’on sauve les banques, on laisse crever les Africains

La crise financière qui nous accable est déjà un scandale en elle-même : les excès de ceux-là mêmes qui nous y ont plongé continuent, pendant que les peuples ont déjà commencé à rembourser la facture pour eux. Mais le plus gros scandale n’est peut-être pas celui-là : à quelques milliers de kilomètres de là, des millions d’êtres humains sont en train de mourir de faim, sans que la communauté internationale ne trouve rien d’autre à faire que de constater son échec.

Pourtant, et au delà des sinistres comparatifs que l’on peut faire à ce sujet, ces deux crises simultanées devraient nous faire comprendre ce qui est réellement en train de se passer : le capitalisme est en train de tuer non seulement la démocratie dans les pays qui ont eu la chance d’en pouvoir bénéficier- ce qui est déjà grave ; mais surtout de laisser crever des enfants, des femmes et des hommes innocents…

Il faut bien comprendre qu’en acceptant de sauver les banques par l’injection de centaines de millions d’euros dans le système, nous acceptons également de ne pas les employer à autre chose, que ce soit en Afrique ou ailleurs. Et les peuples, les individus qui composent ce peuple, sont tout aussi responsables de cette situation que les dirigeants qu’ils laissent faire.

Car ces deux crises sont liées par le même système qui fonde les inégalités dont il se nourrit pour fructifier, au mépris des droits les plus élémentaires, et jusqu’à la vie elle-même. Comment ?

En usant leurs ressources qui nous servent à produire du Fukushima, en corrompant leurs régimes pour y faire nos profits, en exploitant leurs peuples pour en faire nos esclaves, nous avons créé les conditions de leur misère, et nous avons bâti sur elles notre propre prospérité.

Nous sommes responsables également du réchauffement climatique par nos pratiques productivistes , responsables aussi des guerres civiles pour posséder des terres qui seront revendues aux Chinois ou à d’autres, responsables encore d’armer ces guerres, ou de leur faire miroiter un “ailleurs” qu’on leur refuse d’atteindre une fois parvenus à nos frontières….

Pourquoi s’étonner, après, que tous ces gens désirent plus que tout s’échapper de l’enfer que nous avons contribué à construire pour eux ?

Et on les refuse à l’entrée de nos pays, sous prétexte de “crise financière”, alors qu’on vient juste de trouver plusieurs centaines de milliards d’euros pour continuer à regarder sur nos écrans plats nos semblables crever en 3D sous nos yeux compatissants ?

Comment peut-on continuer à laisser faire cela ? que sont devenus les droits de l’homme, que sont devenus les hommes ?

Caleb Irri

Source : http://calebirri.unblog.fr

3) La famine en Afrique de l’Est n’est pas une fatalité  ! (texte NPA)

La famine qui s’abat sur l’Afrique de l’Est est en passe d’être la pire crise humanitaire depuis les années 1960. Plus de 12 millions de personnes sont menacées en Somalie, au Kenya, en Éthiopie mais aussi à Djibouti et en Érythrée. Le camp de Dadaab au Kenya est devenu en quelques mois le plus grand camp de réfugiés au monde. Près de 400 000 personnes y sont installées, alors qu’il est prévu pour 90 000. Les conditions de vie et d’hygiène y sont épouvantables et les organisations humanitaires n’ont pas les moyens de faire face à l’arrivée quotidienne de milliers de nouveau réfugiés. Le gouvernement kenyan s’est refusé à ouvrir d’autres structures et beaucoup de Somaliens se retrouvent bloqués dans les postes frontières, sans pouvoir bénéficier d’aucune aide.

Les responsabilités de cette dramatique situation incombent très largement aux responsables gouvernementaux. Sur le court terme déjà, en novembre 2010, plus de 80 000 personnes s’étaient réfugiées dans le camp de Dadaab. Le flux ne cessait d’augmenter et aucun plan d’action n’a été déclenché. C’est seulement maintenant que les pays riches promettent des dons qui sont par ailleurs bien loin de répondre aux exigences du terrain.

Les populations d’Afrique de l’Est payent les conséquences du dérèglement climatique. Les sécheresses ont toujours existé, mais elles deviennent plus longues et plus fréquentes. Ainsi, deux saisons consécutives ont connu l’absence de pluie. Cette situation fragilise fortement les populations. De plus, les prix des denrées alimentaires et du carburant sont très élevés et se situent au niveau de 2008 (ce qui avait provoqué à l’époque des émeutes de la faim dans une vingtaine de pays). Ce niveau des prix empêche les paysans les plus pauvres de se nourrir correctement en attendant la prochaine récolte.

En Éthiopie et au Kenya, les gouvernements largement corrompus qui s’agrippent au pouvoir via des élections truquées, le clientélisme et les divisions ethniques, n’ont jamais eu de politique visant à aider l’agriculture familiale. Bien au contraire, cédant aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale, ils ont préféré une agriculture intensive d’exportation, l’exemple le plus connu étant la production de fleurs au Kenya. Ainsi des régions entières de ces pays ont été délaissées, aucune aide ni investissement n’y ont été réalisés dans les infrastructures, comme les routes goudronnées, les centres de santé, les écoles ou les forages de puits. Lors des sécheresses, les organisations humanitaires sont obligées d’affréter des camions citernes remplis d’eau pour approvisionner les villages délaissés.

Pire, ces gouvernements sont en train de brader à de grands groupes capitalistes les terres arables de leur pays, entraînant les expropriations des paysans et l’impossibilité pour les éleveurs de nourrir leurs troupeaux. Quant à la Somalie, l’état de guerre dans lequel se trouve ce pays est en grande partie de la responsabilité des puissances occidentales, notamment les USA, qui ont décidé de renverser le gouvernement des tribunaux islamiques pour le remplacer par un gouvernement provisoire fantoche et corrompu, combattu par une kyrielle de groupes islamistes shebab.

La famine, pour des millions de personnes, est certainement une des preuves les plus révoltantes de la faillite du capitalisme.

Paul Martial

4) Que des enfants meurent de faim à petit feu n’empêche pas les spéculateurs de profiter de l’aubaine

« En arriver à déclarer la famine 
au XXIe siècle, c’est immoral. Nous avons encore des enfants qui meurent de faim, ça ne peut pas 
continuer ! » Comment ne pas partager 
le cri du cœur de Cristina Amaral, directrice des 
opérations d’urgence de l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) ? La réflexion 
de cette femme sonne comme un douloureux rappel 
à l’ordre. Comment accepter le fait que, depuis trente ans, comme un mauvais cauchemar, les images terrifiantes 
d’enfants squelettiques, le ventre ballonné, viennent 
régulièrement nous hanter ?...

Comment accepter ce monde qui mobilise des milliards de dollars pour sauver un système bancaire en un temps record et qui a besoin de semaines et de semaines pour réunir les fonds nécessaires au sauvetage de douze millions de personnes 
en perdition dans la Corne (d’indigence) de l’Afrique ? Sur le terrain, 
les associations humanitaires ont 
accueilli des dizaines 
de milliers de personnes au camp de Dadaab dès novembre dernier. Au Programme alimentaire mondial, les spécialistes alertaient sur la situation depuis avril, « régulièrement », disent-ils.

Certes, dans cette région, les prochaines pluies sont attendues, de façon bien hypothétique, 
en novembre prochain. Mais la sécheresse ne saurait, à elle seule, expliquer la faim, la détresse, les déplacements de populations, les camps de réfugiés surpeuplés. En Somalie, existe le terrorisme islamique qui n’est pas qu’une menace. Au-delà de ce pays, ce qu’un euphémisme technique appelle « la volatilité des marchés internationaux » fait des ravages. Le prix du sorgho rouge a augmenté de 240% en un an. La flambée des prix alimentaires a été accompagnée d’une hausse de 270% du prix des céréales. Que des enfants meurent de faim à petit feu n’empêche pas les spéculateurs de tout acabit de profiter de l’aubaine. Parallèlement, en éthiopie, par exemple, à côté des fermiers incapables de nourrir leurs familles, des investisseurs étrangers accaparent les terres et y cultivent des produits voués à l’exportation. Il est urgent de stopper cette folle politique. Que les terres cultivables de ces pays soient consacrées à nourrir 
les populations, que la spéculation ne puisse s’exercer 
sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires. Et à court terme, il est plus urgent encore 
de sauver des vies humaines.

Hier, Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture du pays présidant actuellement le G20, a gravement déçu les organisations humanitaires. Il avait pourtant annoncé la veille que « la communauté internationale a(vait) échoué à assurer la sécurité alimentaire... 
Si nous ne prenons pas les mesures nécessaires, la faim sera le scandale de ce siècle  ». Le secrétaire général de l’ONU, 
Ban Ki-moon, attendait 1,6 milliard de dollars rien que pour la Somalie, mais les agences de l’ONU n’en ont reçu que la moitié. La faim est le scandale du siècle.

Dany Stive , L’Humanité

5) Les larmes de croco dile de l’Occident

La Corne de l’Afrique se meurt. « Il faut sauver des vies et réagir », a exhorté hier, à Rome, Jacques Diouf, le directeur général de l’Organisation de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation, à l’issue d’une réunion ministérielle de crise. La sécheresse qui sévit dans cette région a déjà fait des dizaines de milliers de victimes ces dernières semaines, selon les Nations unies. Douze millions de personnes sont menacées en Somalie où l’ONU a décrété l’état de famine dans deux de ses régions. La situation est terrifiante. Mais rien y fait. Les déclarations de bonnes intentions, identiques de sommet en sommet, finissent écrasées par l’opacité financière. Lors de sa conférence de presse, Jacques Diouf a pris soin de rappeler qu’il était impérieux de débloquer 1,6milliard de dollars pour l’année à venir dont 300 millions à très court terme en vue de conjurer la catastrophe humanitaire. Une somme insuffisante à en juger par les estimations du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon qui, lui, parle, de 1,6 milliard de dollars rien que pour la Somalie.

Or, à ce jour, la Banque mondiale a annoncé qu’elle débloquerait 500 millions de dollars. L’Union européenne, quant à elle, concéderait 100 millions d’euros et Paris « a doublé son aide à 10 millions », a précisé le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, la présidence française du G20 ayant convoqué la réunion. Mais sans plus de précisions sur l’ensemble des aides promises ou à venir et ce, alors même qu’il s’agissait de « faire le point sur l’état d’avancement des donations, sur les besoins et préparer la conférence des donateurs de Nairobi » qui aura lieu demain au Kenya, a pourtant précisé Bruno Le Maire.

Pas que la sècheresse...

Faut-il s’étonner de ce silence  ? « Les annonces faites lors des réunions doivent être considérées avec prudence, déclare Luc Lamprière, directeur général d’Oxfam France. Certaines sommes sont annoncées deux fois, et il faut toujours s’assurer qu’elles se concrétisent. Plus d’une fois, l’argent promis n’est jamais arrivé. » Autre problème, pour « enrayer le cycle des crises humanitaires, il faut agir sur les problèmes de fond, insiste Luc Lamprière, et investir dans la lutte contre les conséquences du changement climatique ». Mais, comme d’habitude, les larmes de crocodile ont noyé l’essentiel. « La communauté internationale a échoué à assurer la sécurité alimentaire, a concédé Bruno Le Maire. Si nous ne prenons pas les mesures nécessaires, la faim sera le scandale de ce siècle. » Comme s’il ne l’était pas déjà  : un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde, selon la FAO. Et pourtant, les politiques des pays développés en direction du Sud restent inchangées. L’actuelle crise alimentaire ne saurait être la conséquence de la seule sécheresse, fusse-t-elle la pire de ces soixante dernières années. La volatilité des prix alimentaires en raison de la spéculation financière est l’une des causes de la famine. Le G20 agricole de juin s’est disqualifié en refusant de limiter les marchés financiers. Quant au stockage des denrées alimentaires, le sommet, sur cette question, a tout bonnement botté en touche.

Des catastrophes à venir

Enfin, la dépendance économique des pays du Sud, pris dans la spirale de la dette, les enlise structurellement au point de les conduire à des choix erronés et désastreux. Ainsi, en Éthiopie, des dizaines de milliers d’hectares de la fertile vallée de l’Omo sont gérés par des compagnies étrangères ou par l’État « pour y pratiquer une agriculture d’exportation, alors que les 90 000 autochtones qui vivent dans la région dépendent étroitement de leur terre pour leur survie », dénonce Survival France.

Après la sécheresse, la Corne de l’Afrique subira les foudres de la saison des pluies. Les experts parlent déjà de graves inondations en raison de l’aridité des sols.

Les ONG déçues et inquiètes

La directrice de l’ONG britannique Oxfam, Barbara Stocking, a jugé « honteux que seules quelques-unes des économies les plus riches et les plus puissantes aient été disposées à montrer leur engagement aujourd’hui pour sauver les vies des plus pauvres et des plus vulnérables en Afrique de l’Est ». Elle ajoute dans un communiqué  : « J’espère que la réunion d’aujourd’hui entraînera d’autres gouvernements à s’engager fortement lors de celle de Nairobi. » De son côté, l’organisation non gouvernementale One, créée par le chanteur Bono pour combattre la pauvreté, a dit espérer que « les mots forts et émotionnels prononcés par les représentants du monde entier seront suivis d’actes aussi forts 
en faveur des hommes, femmes et enfants qui meurent de faim ».

Cathy Ceïbe et Julien Sartre, L’Humanité


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