Peut-on moraliser 
le capitalisme ?

jeudi 17 mai 2018.
 

En 2007, le candidat Nicolas Sarkozy se faisait fort de « moraliser le capitalisme ». Quatre ans et une affaire Cahuzac plus tard, François Hollande reprend le même refrain.

En rupture avec ces belles paroles, le sociologue Michel Chauvière, dans son livre l’Intelligence sociale en danger, prévenait, lui, que «  loin 
de se moraliser, le capitalisme 
se radicalise  ». La recherche 
de la rentabilité maximale 
pour le capital, l’optimisation fiscale pour les nantis sont sans limites et ignorent tout de la morale. On exige des sacrifices des plus humbles quand l’oligarchie s’arrange avec les lois. Les frasques d’un homme révèlent, encore une fois, «  un système oligarchique profondément néfaste, une démocratie à bout de souffle, la collusion grandissante entre les hautes sphères financières et celles de l’État  » (Front de gauche). Donner un visage humain au capitalisme 
est-ce une œuvre salutaire 
ou désespérée  ?

Dany Stive

1) Le capitalisme est mû par la recherche de la rentabilité maximale, pas par des principes moraux

Le problème est-il de moraliser le capitalisme  ? En effet, si l’on juge que le problème serait de rendre le capitalisme un peu plus moral que ce que les frasques politico-financières montrent aujourd’hui, c’est qu’on a fait l’hypothèse que la crise est due aux excès en tout genre du capitalisme. Or, il ne s’agit pas du tout de cela. La crise actuelle vient d’avoir conduit toujours plus loin la logique même du système, et non pas de s’en être affranchi. Le capitalisme est mû par la recherche de la rentabilité maximale du capital engagé et non pas par des principes moraux ou des considérations de bien-être.

Mais, en donnant à la classe bourgeoise, surtout à sa fraction la plus mondialisée, la liberté de faire «  tourner  » (circuler) son capital dans le monde entier, en laminant salaires, conditions de travail et droits sociaux, et en épuisant les ressources naturelles, les conditions d’une crise majeure multidimensionnelle ont été lentement mais sûrement réunies en quatre décennies. Crise sociale, parce que le capital ne peut aller au-delà d’un certain seuil d’exploitation de la force de travail, sous peine de surproduction générale (c’est le cas dans tous les grands secteurs industriels). Crise écologique, parce que le capital ne peut aller non plus au-delà d’un certain seuil d’exploitation de la nature sans réduire la base matérielle de la production. D’une certaine manière, on peut dire que cette crise est, dans les termes mêmes où Marx l’avait théorisée, une crise de production et de réalisation de la valeur par la juxtaposition de ses deux dimensions, sociale et écologique.

Dès lors, il est tentant de dire  : le capitalisme dépasse les bornes. Mais ces bornes ne sont pas d’abord d’ordre moral, elles sont celles de sa propre dynamique d’accumulation. Au nom de cette dernière, profitant d’un rapport de forces en sa faveur, la classe dominante a imposé partout l’idée que l’enrichissement individuel ne devait souffrir d’aucune entrave, surtout pas celle d’un État providence. On ne doit pas s’étonner alors que les membres les plus vénaux des partis de gouvernement se préoccupent moins de ce qu’il y a «  à faire  » que d’aller «  aux affaires  ». D’où cette impression délétère que, décidément, droite et gauche, c’est pareil, et que le changement n’est pas pour maintenant.

Pourtant, les voies de dépassement de cette situation restent ouvertes, si on ne se contente pas de proclamer pour calmer la colère populaire  : «  Les paradis fiscaux, c’est fini  !  » ou «  la finance est mon ennemie  !  », tout en excluant de l’assiette de la taxe sur les transactions financières tous les produits dérivés et en faisant adopter une réforme bancaire qui renonce à séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires. A contrario des politiques néolibérales, une stratégie de transition doit faire le choix de restaurer la légitimité d’une sphère collective non marchande, véritablement productive de richesse en termes d’éducation, de culture, de santé et de sécurité. Pour ce faire, une révolution fiscale est indispensable sur la base d’une progressivité renforcée et d’une assiette élargie à tous les revenus. Et l’on verra ainsi taries les sources injustes de déficits.

Une telle stratégie implique aussi de redonner espoir en l’avenir en dirigeant les investissements publics vers la reconversion écologique de l’économie. Où trouver l’argent, dira-t-on, au-delà même des recettes fiscales recouvrées  ? Dans le rétablissement de la création monétaire au service de la collectivité  : à cet égard, il est crucial de mettre sous contrôle politique et citoyen un système bancaire entièrement socialisé. Cela signifie avant tout que la Banque centrale européenne et, à défaut, chaque banque centrale nationale garantissent toutes les dettes publiques, et qu’elles soient de nouveau autorisées à financer directement les États, dont les investissements d’avenir doivent être exclus du calcul des seuils de déficits autorisés.

Gageons que ces perspectives contribueraient à redonner à la parole politique le crédit qu’elle a perdu et à la démocratie, son sens profond. Cela dit, se débarrasser de l’illusion d’un capitalisme moral ne signifie pas qu’on soit privé de convictions morales. On voit bien que, lorsque la gauche a perdu toute perspective révolutionnaire et qu’elle a en plus perdu toute morale, elle est nue.

Par Jean-Marie Harribey, professeur d’économie à l’université de Bordeaux-iV, membre du conseil scientifique d’Attac, auteur de la Richesse, la valeur et l’inestimable, Éditions Les liens qui libèrent, 2013, 560 pages, 32 euros.

2) Vouloir rendre le capitalisme moral, c’est, en réalité, exiger sa suppression

Par Yvon Quiniou, philosophe

L’exigence de moraliser le capitalisme a émergé dans le débat public, paradoxalement, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy alors qu’il était en train d’amorcer lui-même une politique ultralibérale lourde de dégâts humains scandaleux. Mais son expression est grevée d’une étrange contradiction qui en manifeste d’emblée la limite. Elle suppose bien que quelque chose est immoral dans le capitalisme puisque, sinon, on ne devrait pas le moraliser. Et dans le même temps elle suppose cette moralisation possible, pour la même raison  : on n’exige pas ce qui n’est pas faisable et, à l’horizon, il y a cette idée qu’un capitalisme moral est parfaitement concevable. Je voudrais débrouiller cette contradiction et dénoncer cette imposture.

La contradiction tient à ce qui est conçu comme immoral dans le fonctionnement de ce système  : les excès de certains de ses agents comme les traders, les rémunérations délirantes des dirigeants ou les agissements de patrons qualifiés alors de voyous, bref des comportements individuels que l’on peut encadrer sans toucher au système et dont la réduction permet alors de revenir à un fonctionnement normal de celui-ci, qui est pleinement approuvé. On voit d’emblée la limite de cette attitude, qui pourrait séduire si l’on n’est pas vigilant  : le capitalisme est bien critiqué moralement, mais à la marge, dans certains de ses aspects, non dans son essence. À ce niveau, il est considéré comme bon pour les hommes et servant leurs intérêts. Conséquence  : si l’on s’en prend à ses dérapages particuliers, on peut le rendre à nouveau moral.

C’est là une imposture théorique. Pour la voir, il faut revenir à la manière dont Marx a compris l’économie capitaliste. Celle-ci n’est pas un ensemble de processus objectifs, analogues aux processus naturels, indépendants des hommes – auquel cas, d’ailleurs, elle ne serait pas à proprement parler morale mais amorale, échappant au jugement moral, comme l’a prétendu fortement au XXe siècle le théoricien du libéralisme Hayek, pour qui seule la conduite d’un individu peut être qualifiée de juste ou d’injuste, et non un système social voulu par personne  ; c’est au contraire un ensemble de pratiques par lesquelles certains hommes se comportent d’une certaine manière à l’égard d’autres hommes dans le champ de la production des richesses  : en achetant leur force de travail, en les rémunérant, en décidant de leur temps de travail et des formes de celui-ci, en les licenciant éventuellement, etc.

Certes, leur comportement est lui-même largement déterminé par les conditions historiques et Marx, dans la préface du Capital, indique lucidement que les hommes sont les «  créatures  » des rapports sociaux et non leurs «  créateurs  » et que, s’il s’en prend au capitaliste ou au propriétaire foncier, ce ne sont pas les personnes qu’il vise mais les «  fonctions économiques  » qu’elles incarnent. Il n’empêche qu’il dénonce ces fonctions propres au capitalisme et toute son entreprise théorique, par-delà son aspect explicatif et scientifique, consiste en une critique féroce de celles-ci et donc du système qu’elles constituent et font vivre.

Cette approche, contrairement à ce qu’un certain courant marxiste a longtemps affirmé, n’est pas seulement une analyse de ses dysfonctionnements qui permettrait de pronostiquer son implosion à terme. Elle s’enracine tout autant dans des valeurs, sans lesquelles on ne peut juger et critiquer (la science est neutre), et qui sont de nature morale. Marx a ainsi eu le génie de débusquer dans les rapports économiques et sociaux capitalistes ce que leur apparence, reprise par l’idéologie bourgeoise, tend à nous masquer  : le phénomène de l’exploitation qui sert les intérêts d’une minorité, instrumentalise les travailleurs en les réduisant à des facteurs de production et nie leur autonomie en les soumettant à l’arbitraire patronal. À quoi s’ajoute l’aliénation qui les dépossède de leur vie collective comme de leur existence individuelle. Or tout cela il le condamne et cette condamnation suppose implicitement, car Marx le dénie souvent théoriquement, prétendant ainsi que «  les communistes ne prêchent pas de morale  », l’adhésion aux valeurs universelles de la morale qui mettent le respect de l’humain au cœur de ses prescriptions.

Mais c’est une morale qui ne s’enferme pas dans la bulle des relations intersubjectives et de l’intention des sujets. Elle s’applique prioritairement et très concrètement aux phénomènes sociaux et elle fait apparaître le capitalisme non comme une machinerie technique dont les hommes seraient absents et qu’on n’aurait pas à juger, mais comme un système de rapports humains qui porte atteinte à la dignité de ceux qui en sont les victimes. C’est dire, avec E. Bloch, que la revendication morale «  n’est pas en dehors de l’économie comprise au sens marxiste  » : elle fait apparaître le capitalisme comme essentiellement immoral, d’une immoralité en quelque sorte objective et qu’il faut abolir au nom de cet «  impératif catégorique  » que Marx a magnifiquement assumé et formulé dans sa jeunesse  : celui de «  mettre fin à tous les rapports sociaux qui font de l’homme un être humilié, asservi, abandonné, méprisable  ». Cela signifie qu’on ne saurait vraiment moraliser le capitalisme, même si on peut le réformer et amoindrir son inhumanité. Vouloir le rendre moral, c’est, en réalité, exiger sa suppression.

Yvon Quiniou

3) Les pionniers du combat « éthique » sont les patrons

Peut-on moraliser le capitalisme  ? Question saugrenue. Question récurrente aussi. Dès son entrée en campagne pour la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy en faisait son cheval de bataille. «  Moraliser le capitalisme  », l’injonction a été martelée durant tout son quinquennat. L’échec est fracassant.

Cette idée véhicule deux présupposés. D’une part, le capitalisme n’est pas moral en soi (ce qui est conforme à de nombreuses définitions). D’autre part, il apparaîtrait à ce point indépassable que la seule issue serait de contenir ses dérives en l’humanisant. L’interrogation s’inscrit dans un projet politique qui considère le caractère irréversible de la société de marché.

Qui veut moraliser le capitalisme  ? Sur ce point les recherches empiriques sont utiles. Elles nous permettent au passage d’affirmer que l’Humanité n’est pas à l’origine de cette «  exigence éthique  » promue au sein des milieux d’affaires et des entreprises. Non. À la fin des années 1990, les pionniers de ce combat étaient de grands leaders patronaux, des organisations comme le CNPF (le prédécesseur du Medef) et des entreprises multinationales. La moralisation du capitalisme, hier comme aujourd’hui, ne fait pas partie des revendications des salariés. On l’oublie souvent, mais ils sont la cible de ces discours, désormais sommés d’adhérer aux valeurs et aux normes édictées, au même titre que les dirigeants prétendent s’y soumettre. «  Travail éthique  » et «  capital éthique  » pourraient se 
réconcilier au sein de la «  communauté morale  » que serait devenue l’entreprise. Cette mise en scène occulte les rapports conflictuels et prolonge les stratégies managériales qui, depuis trente ans, cherchent à effacer les signes d’une lutte entre des intérêts divergents. De même qu’il a fallu se plier à tutoyer les chefs, il faut se complaire dans la croyance que son travail a un sens  : produire un «  profit éthique  » a de la valeur. L’entreprise, c’est l’un de ses credo, entend garantir cet «  argent propre  » pour l’actionnaire  : droits de l’homme et libertés syndicales respectés, pas de travail des enfants, pas de fraude ni de corruption qui pourraient faire scandale et compromettre les gains.

Rares sont les groupes à ne pas afficher des dispositifs articulant charte, code déontologique, accord de responsabilité sociale, code de conduite, etc. Le foisonnement de règles et la «  bureaucratie éthique  » qui, en interne, enserrent le travail, sont doublés, en externe, par l’affirmation de capacités d’autorégulation, d’autocontrôle et de redistribution philanthropique. Après l’État providence, faudrait-il saluer «  l’entreprise providence  »  ? Grâce aux gouvernements libéraux qui la déchargent du poids de ses obligations légales (allégement de charges fiscales, «  assouplissement  » du droit du travail, etc.), elle pourrait enfin assumer spontanément ses responsabilités et «  faire le bien de la société  ». Les États-nations seraient suspectés d’être moins efficaces que ce «  capitalisme à visage humain  » déployé à l’échelle mondiale. Laissons-lui la liberté d’organiser à sa guise l’enrôlement moral pour rétablir la confiance et tempérer les batailles que se livrent les capitalistes entre eux. Encourageons-le à contenir la violence des rapports sociaux à laquelle sont soumis ceux qui sont appelés à former les bataillons et la chair à canon de cette «  guerre économique  ».

Voilà une tentation qui mérite réflexion. Elle peut séduire les politiques de gauche. Et si cette nouvelle donne était malgré tout l’amorce d’un compromis inédit entre le capital et le travail  ? Il faut arrêter de se moquer du monde. Le compromis est le fruit d’un rapport de force et l’on sait pertinemment que lorsque celui-ci est déséquilibré, on aboutit immanquablement à un accord de dupe. On ne peut pas se décharger de ses responsabilités politiques en préconisant des solutions morales qui auraient un vernis consensuel. On ne peut pas oublier que la pseudo-efficacité des entreprises à assumer des responsabilités sociales est profondément antidémocratique car hors du débat et du contrôle citoyen. Enfin, on ne peut pas éluder la question  : et si le capitalisme était le vecteur d’une démoralisation de la société et d’un affaiblissement de la démocratie  ? Mais ce serait l’objet d’un autre débat. J’espère que l’Humanité l’ouvrira  !

Par Anne Salmon, professeure de sociologie à l’université de Lorraine, auteur de Moraliser le capitalisme  ? (2009) et des Nouveaux Empires. 
Fin de la démocratie  ? (2011), CNRS Éditions.

4) Le capitalisme fonctionne à l’égoïsme 
c’est pourquoi il fonctionne si fort

Le capitalisme n’est ni moral ni immoral, il est amoral. Pourquoi  ? Essentiellement pour deux raisons. La première, c’est que pour être moral ou immoral, il faut être un sujet, une personne, ou bien résulter d’une décision individuelle. Un système impersonnel, «  sans sujet, ni fin  », comme disait Althusser, et que personne n’a inventé, ne peut être ni moral ni immoral. Marx avait raison de comparer l’économie, au moins de ce point de vue, aux sciences de la nature. Souvenons-nous de la préface à la première édition du Capital  : «  Mon point de vue, d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager.  » Ce n’est pas la volonté des hommes qui décide de l’infrastructure économique, c’est l’infrastructure économique qui détermine – en dernière instance – les volontés des humains, lesquelles s’opposent tant et si bien que «  ce que veut chaque individu est empêché par chaque autre  », au point que «  ce qui s’en dégage est quelque chose que personne n’a voulu  » (Engels, lettre à Joseph Bloch, du 21 septembre 1890). Bref, le capitalisme, comme tout mode de production, se constitue et avance «  de façon inconsciente et aveugle  » (l’expression est d’Engels, dans la même lettre). Comment serait-il moral ou immoral  ?

Soit, me dira-t-on  : le capitalisme est un système impersonnel, mais dans ce système, il y a des individus qui le mettent en œuvre. En effet. C’est ma deuxième raison de le trouver amoral  : non plus du fait de son objectivité «  sans sujet, ni fin  », mais par les motivations individuelles qu’il met en jeu. Le capitalisme, que je sache, ne fonctionne pas à la vertu, à la générosité ou au désintéressement  ! Il fonctionne, tout au contraire, à l’intérêt, personnel ou familial. Disons le mot  : le capitalisme fonctionne à l’égoïsme. On y voit volontiers, à gauche, une réfutation du capitalisme. À tort. J’y vois plutôt une explication de son succès  : le capitalisme fonctionne à l’égoïsme, c’est pourquoi il fonctionne si fort. Car l’égoïsme, dilaté à la taille de la famille, est économiquement la principale force motrice des humains. Il fait d’ailleurs partie des droits de l’homme. Lorsque vous allez faire vos courses, vous choisissez le poissonnier le plus pauvre, celui qui a le plus besoin de vos achats (mais il a très peu de clients, donc très peu de poissons, qui sont donc très chers et pas très frais…), ou bien celui qui présente le meilleur rapport qualité prix  ?

Le capitalisme fonctionne à l’égoïsme. C’est pourquoi il fonctionne si fort. Et c’est pourquoi il ne suffit pas. Car l’égoïsme n’a jamais suffi à faire une civilisation, ni même une société qui soit humainement acceptable. Il faut donc autre chose. Quoi  ? De la morale, pour les individus. Du droit et de la politique, pour les peuples. Peut-on moraliser le capitalisme  ? Tout dépend ce qu’on entend par là. S’il s’agit de le rendre intrinsèquement moral, de telle sorte qu’il ne fonctionne plus à l’égoïsme mais à la générosité ou au désintéressement, c’est un vœu pieux, qui nous vouerait, si on le prenait au sérieux, à l’impuissance. En revanche, si on entend par «  moraliser le capitalisme  », le fait d’imposer aux marchés – par le droit et la politique, donc par les États – un certain nombre de limites non marchandes et non marchandables, alors non seulement on peut et on doit le faire, mais on le fait en vérité depuis 150 ans. Quand on interdit le travail des enfants, on moralise le capitalisme. Quand on garantit les libertés syndicales, quand on instaure les congés payés, la retraite, la Sécurité sociale, on moralise le capitalisme. Quand on sanctionne les abus de position dominante, quand on crée un impôt progressif sur le revenu, quand on fixe une durée maximale de travail, on moralise le capitalisme. Que de progrès, depuis deux siècles, et encore ces dernières décennies  ! Le capitalisme n’en reste pas moins foncièrement amoral. Mais la société, elle, en est plus humaine. Lionel Jospin, sur ce point, a trouvé les mots justes  : «  Oui à l’économie de marché, non à la société de marché  !  » Le marché ne vaut que pour les marchandises, donc que pour ce qui se vend ou s’achète, et c’est évidemment extrêmement important. Aux États de s’occuper de ce qui n’est pas à vendre, et c’est évidemment essentiel. Projet social-démocrate  ? Oui, et cela vaut mieux qu’une utopie impuissante ou mortifère.

Par André Comte-sponville, philosophe, auteur de L’ouvrage le capitalisme est-il moral ? (éd. Albin Michel, 2009, 284 pages, 17 euros).


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