Tony Blair, miroir des renoncements socialistes (par Philippe Marlière)

dimanche 10 février 2008.
 

Cela a commencé par une tribune publiée par Jean-Pierre Raffarin : "Tony Blair-UMP, même combat" (Le Monde, 11 janvier). Le lendemain, l’ex-premier ministre britannique a été reçu par Nicolas Sarkozy au Conseil National de l’UMP. Après avoir apporté n soutien appuyé à son hôte, le néotravailliste a confié avec ironie que s’il était Français, il serait "probablement au gouvernement" de François Fillon. Cette empathie mutuelle a choqué des dirigeants socialistes. Le jour même, Pierre Moscovici a fait part au Monde de son "incompréhension" de voir un "homme de gauche" faire un "geste inamical" à l’égard du PS. Il a estimé que l’entente blairo-sarkozyste n’avait "aucun sens" et que M. Blair s’était "ridiculisé" en apportant une "caution de gauche" au président français. Il a prédit que l’invitation sarkozyste allait "mettre les électeurs de gauche en colère", car Nicolas Sarkozy commence sérieusement à "se moquer d’eux ".

Un tel point de vue est probablement majoritaire au sein de la direction du PS. L’entente politique entre MM. Blair et Sarkozy est pourtant aussi réelle que publique. A l’occasion de la campagne présidentielle, Tony Blair avait indiqué sa préférence pour M. Sarkozy. Avant son départ de Downing Street, il avait noué des liens étroits avec son homologue de l’Elysée. Ce rapprochement s’était inscrit dans le fil d’alliances antérieures sur sa droite : MM. Barroso, Aznar et Berlusconi, pour poursuivre l’ambition d’une Europe néolibérale et atlantiste, et M. Bush, pour l’aventure irakienne. Tony Blair et Nicolas Sarkozy s’apprécient : ils se sont retrouvés avec leurs compagnes en Egypte pendant les vacances de Noël. C’est à cette occasion que l’invitation parisienne fut lancée.

Tony Blair est un homme politique aux idées et aux instincts politiques de droite. Son parcours politique et ses déclarations l’attestent. Il est devenu le dirigeant du Parti travailliste dans des conditions exceptionnelles : dans l’après-thatchérisme qui a néolibéralisé la Grande-Bretagne plus que tout autre pays européen, sans aucune opposition sur sa gauche et dans un paysage syndical défait. Le désarroi des travaillistes était tellement profond qu’ils ont, en connaissance de cause, élu un leader conservateur, censé leur assurer le retour au pouvoir. On ne peut sur ce point accabler Tony Blair. Il avait promis à son parti de gouverner à droite, il a tenu promesse. Entre 1997 et 2007, les inégalités se sont nettement creusées (seuls les riches ont profité de la croissance économique), les privatisations ont continué (euphémisées sous le vocable de "partenariats privés-publics"), les services publics restent à la traîne en Europe en dépit d’investissements massifs. Sur le plan européen, Blair s’est opposé avec succès à toute intégration politique et sociale (il a obtenu que la Charte des droits fondamentaux ne s’applique pas à la Grande-Bretagne). Et puis, il y a eu l’Irak. Beau bilan pour une "homme de gauche" !

Accuser par conséquent M. Blair de se "ridiculiser" en apparaissant aux cotés de M. Sarkozy et pour ce dernier "de se moquer" du peuple de gauche ne fait, pour le coup, "aucun sens". Les deux hommes se ressemblent : ils tendent à sur-médiatiser leurs faits et gestes, personnalisent à outrance le pouvoir, ont les mêmes réflexes autoritaires, éprouvent la même fascination pour la jet set et les milliardaires et cultivent une identique américanophilie.

Pourquoi le PS est-t-il embarrassé par ce qui aurait dû constituer un non-événement ? Parce que sous la conduite de Lionel Jospin et de François Hollande, les socialistes ont officiellement rejeté le révisionnisme blairiste au nom du maintien d’un cap "à gauche". Pourtant, en pratique, le PS s’est de plus en plus inspiré du New Labour. Des renoncements politiques fondamentaux (rôle de l’Etat, Europe, mondialisation) ont été masqués par un parler social-démocrate orthodoxe. Mais en privé, les "succès" de Tony Blair ont fasciné des dirigeants qui se sont finalement résignés à singer le néolibéralisme décomplexé de Tony Blair. Avec le départ de Jospin, un homme au profil de gauche crédible, les digues ont cédé. Les slogans et la novlangue blairistes ont fait leur apparition lors de la campagne présidentielle de 2007 (remise en cause des 35 heures, critique de la revalorisation du Smic, discours sécuritaire et nationaliste, mise à l’index des "assistés" qui refusent un emploi, langue managériale, tel le " donnant-donnant ", etc.). Cette blairisation rampante a crédibilisé le microscopique courant blairiste du PS, dont les ténors ont rejoint le gouvernement Fillon. En dépit de ce lourd échec, la marche forcée vers un blairisme à la française se poursuit. Des dirigeants socialistes ont conclu des alliances avec le MoDem pour les élections municipales, sans que le parti n’ait au préalable débattu des conditions politiques d’un tel ralliement. Cette course à droite est semblable à l’alliance que Tony Blair avait voulu conclure avec le Parti libéral-démocrate. Officiellement favorable à une adoption référendaire du traité de Lisbonne, le PS a décidé de s’abstenir de voter à Versailles le 4 février. Cette abstention garantira la révision de la Constitution et, ensuite, l’adoption parlementaire du traité. On a connu des oppositions plus cohérentes et plus résolues...

Le blairisme du PS est la stratégie masochiste d’un parti qui s’est auto-convaincu que pour paraître "moderne" et "réformateur", il lui faut se déporter toujours plus à droite. Contrairement à ce qu’a déclaré Pierre Moscovici, ce n’est pas Tony Blair qui apporte une "caution de gauche" à Nicolas Sarkozy, mais le PS lui-même.

dimanche 10 février 2008 par Philippe Marlière, Maître de conférences en science politique à l’université de Londres


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